Baby-sitter pour âme déprimée [PV]

Tim se leva une nouvelle fois de son canapé pour aller se resservir un whisky pur feu, tandis que les images du match des Pies de Montrose continuaient à défiler, imperturbables. Voilà un moment qu'il ne s'était pas levé de son canapé pour autre chose que pour refaire le plein. Il repoussa négligemment l'emballage de pizza qu'il aurait fallu jeter. N'accordant pas un regard au désordre ambiant, il passa la main dans sa barbe de plusieurs jours. Il n'avait jamais arboré de barbe avant ces derniers mois.

Il semblait que finalement, la fin de la guerre et la dissolution de l'Ordre du Phénix avaient affecté Tim bien plus qu'il n'avait bien voulu l'admettre dans les jours qui avaient suivi l'annonce officielle. De façon générale, cette annonce avait accueillie dans l'allégresse et le soulagement. C'était la fin d'une année de terreur, mais aussi de plusieurs années de soupçons, de tensions, de déchirements. Tout cela était terminé, et la communauté sorcière avait fêté l'évènement comme il se devait. Comme tout le monde, Tim avait souri et avait participé aux fêtes. Il s'était même senti franchement heureux les premières semaines. Sans se rendre compte de ce qu'il perdait en même temps que le monde sorcier gagnait la paix.

Depuis plusieurs années, l'Ordre du Phénix était devenu sa vie. Plus qu'il ne le pensait. Plus qu'il ne l'admettrait même aujourd'hui. Alors forcément, quand cette occupation s'était effondrée, le pauvre flic s'était retrouvé plus ou moins sans raison d'être. Il avait mis du temps à s'en rendre compte, mais c'était bien le cas. Et ça n'était pas le boulot au ministère, toujours aussi rébarbatif et peu motivant, qui allait y changer quoi que ce soit : au contraire, chaque minute passée avec Mahoney enfonçait encore un peu plus Tim dans sa déprime.

Et puis, il n'y avait pas que l'Ordre. Il y avait aussi les gens. Lacey qui avait de nouveau disparu sans laisser de trace, après une année bizarre à osciller entre amnésie et jeu trouble chez les mangemorts. Arsène qui avait de plus en plus souvent autre chose à faire que de s'occuper d'un trentenaire en mal de compagnie. Ed que Tim voyait de moins en moins depuis qu'ils n'avaient pas plus à participer à des réunions durant lesquelles ils se plongeaient ensemble dans des plans et des ordres de mission compliqués, sous les regards inquisiteurs de Kingsley et de Lupin. Kingsley, justement, était devenu ministre et avait bien d'autres considérations que la situation affective de ses anciens alliés. Et puis, il y avait les morts : Rémus, Tonks, Thadeus, bien d'autres... Et puis Pénombre. Pénombre qui ne donnait plus signe de vie depuis des mois. Sans doute avait-elle fui avec sa famille, ou bien elle se cachait quelque part. Lors de leur dernier rendez-vous, il avait bien semblé à Tim qu'ils avaient fait l'amour avec encore plus d'ardeur qu'à l'accoutumée. Peut-être comme un adieu.

Alors Tim avait pris un mois de vacances. Des vacances qu'il occupait à rien de plus que regarder des matches de quidditch chez lui, tout en buvant du whisky et en fumant toujours plus. Arsène l'avait incité à sortir, insistant de nombreuses fois. Mais à chaque fois que Tim lui demandait de l'accompagner, il répondait qu'il avait des empêchements. Alors Tim se renfrognait, et restait chez lui. Comme un gamin, mais il n'avait jamais prétendu être adulte et mature.

« Hé, andooooouille, c'est aujourd'hui que tu as rendez-vous, habille toi, tu sors dans vingt minutes ! »

L'horrible voix criarde et agressive provenait d'un calendrier accroché au mur de son salon. C'était Pénombre qui lui avait fait ce cadeau pour qu'il n'oublie pas leurs rendez-vous – comment aurait-il pu... Le rendez-vous en question avait été pris pour lui par Arsène, et il avait complètement oublié. À force de le voir s'enfermer chez lui, le médicomage avait fini par déléguer quelqu'un, une ancienne membre de l'Ordre, ex-élève de Gryffondor elle aussi, pour jouer la baby-sitter. Tim avait vaguement accepté, pensant que ne l'engagerait à rien. Mais Arsène avait manifestement tout prévu, puisqu'il était allé jusqu'à inscrire contre son gré ce rendez-vous dans son calendrier. Le fourbe.

Tim remarqua son reflet dans la vitre. Il faisait encore plus négligé que d'habitude. Il avait toujours géré son look je-m'en-foutiste, mais là c'était carrément hors de son contrôle. Pris d'une étrange vague de bonne volonté, il haussa les épaules et décida qu'il sortait ce soir. Pourquoi ? Parce que. Pas que cette sortie montée de toutes pièces soit particulièrement motivante, non. Qu'on ne s'y méprenne pas, d'ailleurs, ça n'avait rien d'un rendez-vous galant : Arsène avait juste trouvé une baby-sitter pour Tim, et il l'aurait probablement fait lui-même s'il avait eu le temps. Le médicomage avait ceci de très agaçant qu'il prenait toujours très à cœur de s'occuper de ses semblables.

D'un rapide coup de baguette, Tim fit disparaître sa barbe. Il arrangerait ses cheveux un autre jour. Il se changea en vitesse, enfilant une tenue un peu plus convenable, et jeta un regard triomphant au calendrier. Puis il fit un quart de tour sur lui-même et se volatilisa, direction le Chaudron Baveur. Si la demoiselle était ponctuelle, elle serait arrivée avant lui.