Elle ferma les yeux, ingurgita la potion sans respirer, sans plus hésiter.
Elle ne pouvait plus faire marche arrière. Et si c’était terriblement cool, c’était aussi très effrayant.

Aujourd'hui, à cette heure bien précise de la journée, Apollon avait cours d'Histoire de la Magie. Autant dire qu'il avait récréation. Seul dans les couloirs, sa bande d'amis ayant refusé de sécher une énième fois le cours, il marchait en oscillant allégrement de la tête sur un air de musique. Comment profiter de cette heure qui lui était impartie ? Il pourrait sortir son Nimbus 2001 et s'aventurer sur le terrain de Quidditch pour une partie de vol déluré. C'était une idée particulièrement alléchante, en ce temps où le premier match de l'équipe amateur des Flèches d'Appleby s'apprêtait à être joué. Le besoin irrépressible de s'envoyer en l'air à califourchon sur son balais ne cessait de lui traverser l'esprit depuis ces trois dernières semaines, et tous les entraînement solitaires, où en compagnie de quelques autres sportifs ne suffisaient plus à satisfaire son désir de jouer. Il savait cependant que tout ce qui l'apaiserait, ce serait le Match et qu'il valait mieux pour lui économiser ses forces avant le jour J. Entre ses footing chaque matin, ses entraînements chaque soir à des horaires indécentes, il valait mieux garder les pieds sur terre la journée. De plus, s'il traversait tout le château avec son nimbus à la main, il risquait d'être envoyé à coup de pied au fesses dans sa salle de cours par une autorité quelconque.
Que faire alors ? S'ennuyer pendant une heure ? Oaken regrettait presque son choix, tant il se sentait dépourvu. En cours, il avait au moins le loisir de papoter avec ses semblables et de faire passer le temps en dessinant si l'ennui devenait intolérable. Le dessin... Cela faisait un moment qu'il ne s'était plus dévoué à sa seconde passion. Depuis l'annonce du premier match de quidditch de la saison, d'ailleurs. Autant dire que cela lui sembla tout à coup une éternité.
Son choix était fait. Il allait profiter du temps devant lui pour s'essayer à une nouvelle esquisse. De qui ou de quoi, il l'ignorait encore. Cela ne l'empêcha pas de mettre toutes ses affaires d'artiste dans son sac et de descendre à toute allure les escaliers de la tour des Gryffondor en direction du septième étage, où il savait qu'aucun élève n'y trainait, car il n'y avait tout simplement rien à faire dans cette partie du château et qu'elle était bien trop difficile à atteindre pour qui n'a pas un minimum d'endurance dans les jambes. Qui plus était, la tour abandonnée était un endroit idéal pour se laisser aller à des moeurs d'artiste. La vieille salle ronde toute de pierre était assez belle et la vue, imprenable. Van Gogh s'en serait tranché la deuxième oreille pour une beauté aussi parfaite que celle que l'on captait dans les plus hautes hauteurs du château.

Heureux comme un oiseau à l'annonce du printemps, il s'avançait sans se traîner, son sac en bandoulière sur son épaule. Il avait troqué son pantalon d'école pour un jean bleu et troué qui ne craignait pas l'encre et les coups de pinceaux involontaires. Sa cravate dénouée pendait mollement sur sa chemise étoilée de tâches d'encre qui n'étaient jamais parties au lavage et qu'il cachait habituellement tant bien que mal derrière sa longue cape noire. Au lieu de cette dernière, il avait posé sur ses épaules une veste d'épais cuir brun, plus chaude par ce temps glacial qu'un long bout de tissu qui n'avait d'autre qualité que celle de couper des courants d'air dont le château était emplit.
Des écouteurs sur les oreilles, il écoutait un bon vieux tube des Rolling Stones, un passage particulièrement sensuel, quand une vision qui l'était tout autant lui apparut avec la soudaineté d'un mirage. Une fille, une belle fille, une très belle fille, seule dans les couloirs, en petite jupette et chemisier d'école qui révélaient une taille mince mise en valeur par une poitrine ronde et de longues et fines jambes à donner le vertige. Apollon ralentît le pas, le regard soudain flou et la gorge asséchée quand la beauté braqua son regard sur lui. Elle avait un beau visage pour couronner le tout, un de ces visages qu'il adorait, transpirant l'innocence et la douceur, que rehaussait une petite étincelle de malice au fond de ses grands yeux de biche. C'était un pur canon. Comment se faisait-il qu'il n'ait jamais remarqué une telle fille dans les couloirs du château ? D'autant plus qu'elle avait l'air d'avoir son âge... Poudlard semblait lui réserver encore bien d'agréables surprises.
Un sourire enjôleur glissa sur ses lèvres alors qu'il s'apprêtait à la dépasser, incapable, à son grand désarroi, de trouver quoi que se soit à dire d'intelligent à la belle pépète.
Il n'en eut pas besoin. Ce fût elle qui l'abordât. Aussitôt, le jeune homme fit volteface, enleva ses écouteurs et lui offrit son plus vif intérêt. Mais... Comment le connaissait-elle ? Un instant, il se demanda s'il ne s'était tout simplement pas endormi dans son dortoir et n'était pas en train de rêver. Il s'approcha lentement, ravi, puis lui offrit un nouveau sourire étincelant.
- Je veux bien, mais d'abord, j'aimerais bien que tu me pince. Non parce que, qu'une si jolie fille me demande mon aide et connaisse mon nom me paraît tellement fou que je crois rêver.

Miracle ! Il n'avait pas sorti une de ses vannes douteuses qui avaient le don de faire fuir la moindre prétendante et était parvenu à garder toute sa décontraction, malgré le noeud d'angoisse qui crispait son ventre. Il n'avait pas l'habitude qu'une telle fille lui prête attention et généralement, la timidité l'empêchait de se montrer un brin vif d'esprit. Avec les autres, il se montrait tout simplement sans gêne. Cela avait déjà fonctionné, mais les demoiselles n'avaient jamais rien obtenu de plus de lui qu'une séance de tripotage en bonne et due forme. Mieux valait assurer, avec celle-là.

Oaken observa l'adolescente poser ses mains sur ses joues rougies avec un certain amusement mêlé à de l'étonnement. C'était bien la première fois qu'une fille réagissait de la sorte à l'un de ses compliments. Avait-il été si habile dans ses propos ? Au fond, il en doutait, il avait déjà vu quelques uns de ses amis s'en sortir avec bien plus de panache. Les minettes en gloussaient instantanément en rougissant, réaction proche de celle de la belle inconnue certes, mais il peinait à imaginer que cela puisse lui arriver à lui. Légèrement gêné, il un petit rire court s'échappa d'entre ses lèvres étirées en un sourire amusé, puis laissa la Gryffondor lui pincer le poignet avec ses jolis doigts si délicats. La suite de ses propos, en revanche, le laissa sans voix. Lui, une star ? Ah bon, c'était plutôt cool à apprendre. Il savait qu'il avait une certaine réputation, qu'il n'était pas l'un de ces intellos prostrés dans leur coin, à l'abri de la moindre vie sociale, mais enfin, il n'imaginait pas être autant reconnu que cela. Flatté et intimidé d'être apostrophé de la sorte par une si jolie nana, il se trémoussa légèrement en cherchant ses mots.
- Ah ouais ? C'est une bonne nouvelle. Mais qu'est-ce que je peux faire pour t'aider ?
Prononça-t-il en essayant de ne pas fixer ses lèvres qu'elle mordillait d'une façon tout à fait aguichante. Son esprit, lui, se faisait déjà des plans sur la comète. Il serait tentant de voir jusqu'à quel point la jeune fille le trouvait cool. Le trouvait-elle seulement sympathique ou... était-elle attirée par son physique de sportif, ses cheveux blonds en pagaille et son humour si particulier ? D'autres aussi belles lui avaient ouvert leur porte, après tout, il avait peut-être une chance. À moins qu'elle fasse parti de ces pétasses qui abusaient de leur charme pour obtenir une aide quelconque ou rendre jaloux un potentiel prétendant... C'était toujours le risque avec ce genre de fille, mais le prendre valait le coup.

Son sourire s'atténua lorsqu'elle lui parla de métamorphose. Galère. Il sentait le truc venir. Et en effet, il vint. Lui, aider quelqu'un en métamorphose ? Il arrivait rarement à quelque chose dans cette matière et, pour tout dire, cela le faisait suer de transformer une pelote d'épingles en porc-épic. D'ailleurs, il y avait bien peu de cours qui l'intéressait. Le seul élément dans lequel il se retrouvait c'était le sport, le quidditch plus particulièrement.
- Ah...
Marmonna-t-il en se renfrognant malgré lui. Sa phrase un peu nunuche avait éveillé en lui une once de méfiance, craignant comme il se l'était imaginé plus tôt être tombée sur une flagorneuse qui ne cherchait à obtenir qu'une seule chose de lui, et pas celle à laquelle lui aurait volontiers cédé.
Et d'ailleurs, en quoi consistait le cours de métamorphose de la semaine passée ? Apollon n'en avait qu'un très vague souvenir. C'était, peut-être, le fameux cours où il avait fallu changer des boutons en scarabées, à moins qu'il ne s'agisse de celui où il était parvenu tant bien que mal à transformer une poupée en petite fée. Ce qu'il avait le mieux réussit, c'était les formes voluptueuses et Boudsocq n'avait pas manqué de lui reprocher le manque de traits caractéristiques de son visage, qui avait gardé celui de poupon de cire. Ça avait donné quelque chose d'assez drôle. Une tête sans caractère de jouet innocent sur un corps pulpeux en mini-jupette. Il se souvenait encore du propos ironique de l'enseignante à propos de cette superbe plastique, insinuant au passage qu'il n'avait d'imagination et de concentration que pour cela. Bah... Certes, il avait oublié les ailes et le visage, mais il était parmi ceux qui avaient le mieux réussi, tout de même. Enfin, ça avait l'air de l'avoir amusée, la vieille, et il avait obtenu pour la première fois un E. Mais il s'égarait et n'était toujours pas sûr de la teneur du cours de la semaine précédente.
- Ben... C'est que j'ai pas mes cours sur moi là, j'étais parti pour peindre ou dessiner dans la grande tour, donc...

Il fit glisser et ouvrit son sac entre l'adolescente et lui et montra la panoplie de crayons, pinceaux, peintures, encres et autres outils de dessin d'un air désolé.
- Je veux bien, mais je ne suis pas foutu de me souvenir du cours de la semaine dernière. T'étais là pour les poupées changées en fées ? Je ne sais plus si c'était il y a deux semaines où si c'est plus récent.
La vue de ses instruments d'artiste lui avait donné une autre idée, mais le garçon hésita. Accepterait-elle de faire passer la métamorphose à la trappe pour poser pour lui ? Il était bien tenté de prendre le risque. Ce n'était pas tous les jours que l'on croisait une fille avec autant de charme naturel, qui ne s'amuse pas à se peinturlurer le visage d'une couche de fond de teint de cinq centimètres pour plaire à la gent masculine. C'était difficile d'imaginer les caractéristiques et les couleurs d'un visage sous une couche de maquillage. S'il prenait le risque, il saurait au moins si la métamorphose avait été un prétexte, ou si elle cherchait simplement une bonne poire pour rattraper ses cours. Mieux valait tenter le tout pour le tout.
- Ou bien...
Un sourire charmeur s'étendit sur ses lèvres tandis qu'il braquait ses yeux dans les siens, légèrement plissés sur une étincelle de malice.
- On reporte la métamorphose à une autre fois, après tout, t'es bien en train de sécher le cours d'Histoire de la Magie, non ? Tu ne vas pas me dire que c'est pour bosser sur une autre matière ! Ça ne t'amuserais pas de te faire dessiner ? Loin de moi l'idée de t'éloigner de la voix de la sagesse, m'enfin on a pas de poupée sous la main à transformer.

L'adolescent pria pour ne pas avoir tout foiré. Il se sentait intimidé et craintif à la simple pensée d'un refus. Tout en glissant une main dans ses cheveux en épis désordonnés, il précisa.
- Mais si ça te fait chier va pour la métamorphose, hein...