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 Avalon ~ Hubert Farrow (Pv)
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MessageSujet: Avalon ~ Hubert Farrow (Pv)   Avalon ~ Hubert Farrow (Pv) EmptyDim 29 Aoû - 0:07:15

Avalon

~ * * * ~

Promis Hubert, ce post ne bougera plus. Je sais que je l'ai déjà supprimé une fois lors d'un stupide accès de mauvaise humeur. Mais cela ne se reproduira pas.
Au plaisir de te lire.


La nuit, nul ne pouvait échapper à son insatiable curiosité. Énorme, grasse et laiteuse elle surveillait la comédie humaine depuis un lit de nuage, drapée dans son ombre de velours. Elle était partout, immobile et éternelle. Il suffisait de lever les yeux aux cieux pour croiser l'éclair de sa pupille craquelée. Comment échapper à ses attentions ? Elle était ce témoin silencieux qui ne perdait rien des secrets des mortels. Maitresse du sommeil et de l'oubli, elle dévorait jusqu'aux moindres miettes des errements que les hommes confiaient à sa garde silencieuse et malveillante. Des tragédies, des trahisons et des actes coupables, elle en avait surpris des milliers. Pauvres âmes damnées qui imaginaient agir en toute impunité dans la pénombre, alors qu'en réalité, blotti au milieu des étoiles, le disque d'argent les épiait avec avidité, devenant complice et rapporteur de crimes inavouables et irrésolus. Même le vent qui parfois poussait quelques nuages devant les rayons filiforme, n'arrivait pas à faire ciller cette prunelle impitoyable qui pesait sur les épaules du monde.

C'est cette Lune obsédante qui se reflétât dans le regard de Keith, lorsqu'il se pencha, honteux vers les cieux noirs. Le visage dressé, la silhouette déformée par son fardeau, il ressemblait à un de ces monstres de légendes qui hantaient les landes. Fils de la brume et des ombres, arpentant les crêtes herbues, il n'était déjà plus de ce monde. Épuisé, pâle et spectrale il prenait des allures d'âme en peine, condamnée à errer pour l'éternité sur les mornes plaines de Hadès. C'était comme si sa peau d'albâtre, carbonisée par les brasiers intérieurs d'une folie latente, se mettait à scintiller dans la nuit au milieu des fumeroles et des feux follets. Son corps brulant, au bord de la rupture, se pliait sous le poids d'un énorme sac de tissu pesant sur ses frêles épaules. A tout moment on s'attendait à voir l'échine du serdaigle, se tordre et se rompre pour mieux l'entrainer vers une ultime chute, de laquelle il ne pourrait pas se relever. Pourtant, faible mais vaillant. Hésitant mais déterminé, il avançait avec courage, puisant dans la douleur l'énergie nécessaire à son périple. Et inlassablement, coups après coups, il se relevait les larmes aux yeux, les muscles bandés, sans même prendre garde aux épines entaillant ses vêtements, et aux pierres déchirant sa chair.

Autour de lui, la lande frissonnait caressée par le vent. Il était perdu au milieu d'un gigantesque océan, aux eaux de genêt, aux îles pelées et à l'écume de brume. Les vagues herbues clapotaient avec douceur en chantonnant dans la nuit, et montaient à l'assaut des échines érodées ; comme la marée sur les plage du Nord. Cette mer végétale avait ses propres courants, ses propres colères et même son ressac. Balayée ou caressée par les fils d'Eol, elle pouvait présenter mille visages à ses navigateurs pédestres. Mélancolique le matin, lorsqu'elle émergeait doucement de son nid de rosée, riante le midi lorsque ses fleurs se tournaient vers le soleil, ou lugubre la nuit lorsque ses mystères se mettaient à affleurer, ramenant des profondeurs terrestres un flot de souvenirs, de tragédies et de terreurs ancestrales.

Tant de légendes immémoriales sommeillaient en ce lieux, n'attendant que d'être réveillées et ravivées par la flamme du promeneur. Le sol vibrait et se gondolait sous l'effet des forces magiques parcourant ses entrailles. Ces dernières coulaient avec vigueur sous l'enveloppe du monde, débordant en de multiples failles et menaçant même de faire imploser les fragiles barrières les contenant. Seul les profanes, aveugles et grossiers, n'arrivaient pas à voir les fulgurants volcans et bruyants geysers qui s'élevaient dans les cieux le temps d'un battement de cil ; projetant vers les étoiles le cri de rage de ces mythes enfouis.

Keith ressentait ces puissances à l'œuvre. Son sang agité, bouillonnait dans ses veines, alors que ses nerfs malmenés se mettaient au diapason des terrifiantes forces de la lande. Comme un vampire, il nourrissait sa volonté en la trempant dans ces fleuves de magie brute et primaire qui serpentaient parmi les collines rocheuses. Un pied après l'autre. Trébucher se relever. Voilà des heures qu'il progressait dans l'obscurité guidé par les étoiles et dérouté par la lune ; avec la nuit pour compagne et les renards pour suivants.

Il aurait pu trouver un itinéraire plus facile, il aurait pu abréger ses souffrances...Mais cela ne l'intéressait pas. La douleur faisait partie de l'initiation. Elle était un pallier à franchir derrière lequel attendaient des trésors de pureté, qui rendraient à son âme tourmentée par le sac qu'il charriait, l'apaisement nécessaire à la poursuite de sa quête. Il était coupable, la Lune malveillante lui avait assez bien fait comprendre l'étendue de son pêché à venir. Chacun des sourires édentés de l'astre argenté, était une pincée de souffre qui coulait sur ses blessures, ne faisant qu'un peu plus accentuer le dégout qu'il éprouvait à l'encontre de ses actes. Allait il avoir un jour la force de se pardonner, pour ses errements ? Lui même n'en savait rien, et excédé par l'ignorance et l'incertitude dans lequel il baignait, il se mettait alors à martyriser un peu plus son corps déchiré. Malgré ses nerfs tendus comme des cordes de violon, qui vibraient et résonnaient dans son être, passant par toutes les harmonies de l'agonie, il persévérait à vouloir se blesser. Son avidité à se détruire dans sa marche, était terrifiante. A chacune de ses foulées, il embrassait un peu plus les lames blanches déchirant ses muscles. Et qu'espérait il en retour ? Rien de plus qu'un baiser de pénitence, une caresse de pardon pour ses fautes futures.

Soudain, Keith s'effondra. Ses jambes malmenées par l'effort, refusèrent d'aller plus loin, et se plièrent pathétiquement sous son poids. Son front moite heurta la terre odorante avec violence. Abandonné, il ne bougeait plus. Seule sa poitrine qui doucement se soulevait indiquait qu'il était encore vivant. Et derrière l'ombre de ses paupières les cieux étoilés dansaient et tournoyaient, alors que les constellations se mélangeaient en un improbable kaléidoscope doré. Pris de vertige et de nausée, il tremblait de tout ses membres. Des sueurs froides, glacées, coulaient le long de son échine, lui arrachant des frissons qui l'ébranlaient jusque dans les tréfonds de son être. Son poing se referma sur un buisson épineux, et sans prendre garde aux ruisselets sanglants qui naissaient dans sa paume, il se mit à tirer de toute ses forces, pour tenter de se relever. Pendant un instant, il réussit à se redresser. Son visage, son torse et ses épaules se soulevèrent du sol ; et restèrent suspendus entre ciel et terre. Puis dans une explosion de graviers, d'épines, et d'humus le buisson céda et le jeune homme retomba. Sa poitrine exhala un dernier soupir, puis plus rien.

Inerte, il reposait là entre vie et mort. Son âme errait sur la lande, à la frontière entre terre et enfer, n'attendant qu'un signe de Charron le batelier aux noirs avirons pour passer de l'un à autre. La flore buvait avec avidité le sang qui doucement gouttait de ses blessures ; perles après perles les ruisseaux carmins éclataient sur le sol. Sacrifié en l'honneur des Neufs Reines, il était un de ces autels antiques creusés de rigoles, desquelles le sang du taureau égorgé pouvait s'échapper pour aller nourrir les Dieux carnassiers. Jadis, un coup de tonnerre ébranlait les cieux pour remercier le prêtre, et lui signifier que son offrande était acceptée ; mais ici rien ne vint. Désespérément silencieuse, la lande roulait inlassablement ses vagues herbues, qui venaient lécher cette statue de chair. Au loin, un lièvre les oreilles dressées, dévala une colline ; comme un dauphin bondit hors des flots, avant de disparaître à nouveau dans les profondeurs et les chardons.

Alors il les vit. Couronnées d'or, d'argent et d'ivoire, elles dansaient dans la lande au milieu des étoiles. Astres errantes égarées parmi les mortels, elles tourbillonnaient avec grâce. Leurs pieds délicats effleuraient à peine les herbes devenues tapis pour mieux les recevoir. Leurs chevelures soyeuses et voluptueuses volaient derrière elles, comme rayons échappés du cœur du soleil. Vêtue d'ombres et de velours, elles formaient une ronde sans fin, qui n'en finissait plus de s'étirer et de se rétrécir. Le vent soufflant, s'amusait à les caresser, effleurant avec douceur leurs peaux de neige de son souffle tiède et câlin. Joueuses, les rafales gambadaient au milieu des immenses traines, gonflant les robes, qui s'ouvraient alors comme autant de fleur bourgeonnant au printemps. Et les Neufs Reines souriaient ; d'un sourire triste et mélancolique. Figé pour l'éternité sur leurs visages de marbre.

Keith ouvrit douloureusement les yeux, et sut qu'il était arrivé. Le cercle de pierre se dressait solitaire au milieu de la lande. Grossièrement taillée dans le granit du monde, les Reines attendaient là depuis des millénaires en se donnant la main. Pétrifiées dans leur danse par le ciseau des sculpteurs druidiques, elles avaient perdu leurs grâces et leurs charmes. Lourdes et molles, elles ne pouvaient même plus esquisser le moindre petit saut. Nues face aux désordre des éléments, qui avait balayé leurs autours royaux et leurs soieries, elles paraissaient bien misérables lorsque la pluie dégoulinait sur leurs chevelures érodées. Et leurs pieds qui s'enfonçaient dans le sol, comme des racines plantées dans la chair du monde, étaient devenus des liens d'acier, les enchainant à la lande. Coupées dans leur envol, elles s'étiraient vers les cieux, sans parvenir à les rejoindre.

A bout de souffle, le jeune homme laissa tomber son sac au milieu du cercle. Il sentait peser sur lui le regard des pierres levées. Peu importait dans quelle direction il se tournait, il y avait toujours une paire d'yeux pour le dévisager. Creusés dans les menhirs, ces derniers étaient noirs, insondables comme des puits sans fonds ouvert sur le néant. Inexpressif, ils jugeaient et jaugeaient celui qui avait eu le courage d'arriver jusqu'à elles. Keith avait froid. Il était terrifié par ce qu'il était en train de faire. Fiévreux, comme un dément, il affrontait ses peurs les plus profondes en obéissant à ses instincts les plus primaires. Jugé, damné et condamné il officiait avec précipitation au milieu du cercle gris, sentant peser sur lui la volonté désincarnée de ces déesses oubliées aux robes tachées de mousse.

D'une main tremblante, il sortit des profondeurs de sa cape déchirée un petit paquet de soie. Et avec une infinie délicatesse, il entreprit de le dérouler. Tour après tour, il écarta la douce étoffe, révélant un peu plus l'arme maudite. C'était un couteau ancien et inquiétant. Il n'avait pas de garde, et pas de manche. Juste une simple lame taillée dans une pierre coupante et acérée ; aussi tranchante pour le bourreau que pour la victime. Des veines écarlates balafraient sa surface, pulsant doucement comme des artères dans un bras humain. L'objet maléfique semblait vivant, doué d'une vie propre. Minéral et organique, il exhalait une aura maléfique en observant les alentours avec cruauté. Sans un mot, sans un cri, Keith l'empoigna ; refermant son poing sur la lame. Instantanément une blessure profonde, incendia son être, projetant dans son âme des flots de douleur. Et son sang libéré, gicla sur l'arme, dégoulinant sur la pierre qui le lapait avec avidité ; renforçant à chaque gorgée son teint carmin.

La lame hésita et trembla au moment d'éventrer le sac. La pierre rouge dérapa sur l'étoffe et s'enfonça trop profondément, blessant ce qui demeurait à l'intérieur. Et soudain, à la lumière de la Lune tout fut révélé. Les bouts de tissus arrachés, formaient au sol une douce paillasse accueillant le corps inanimé d'une elfe de maison aux membres osseux. Comme brulé par ce qu'il voyait, Keith se détourna vivement ; n'osant plus poser le regard sur son crime à venir. Alors qu'autour de lui, les Sœurs de Pierre silencieuses enfonçaient dans ses chairs les lances noirs de leurs orbites béants. Une première larme perdue dans les cils du jeune homme, se mit à dévaler la pente de la joue blanche. Les étoiles jouaient dans la goutte cristalline ; allumant mille reflets précieux au cœur de la minuscule perle salée. Et dans ses profondeurs translucides, le corps endormi de la petite créature se répétait à l'infini ; déformé mais bien vivant.

Elle respirait doucement. Ses maigres côtés soulevaient placidement son pauvre habit crasseux. Tétanisé, le serdaigle regardait cette petite chose inerte et le couteau sanguinolent qu'il tenait encore. Enfin, il posa une main tendre sur le front de l'elfe. Caressant la peau ridée, sans prendre garde aux marques rougeâtres qu'il déposait sur le visage endormi aux grands yeux clos. Le souffle court et des sanglots plein la gorge il articula faiblement :

-Oh, si tu savais comme je suis désolé ; Wallye...

Pour la transporter jusqu'au cercle de pierre, il avait été obligé de l'endormir par traitrise. Il se revoyait avec horreur, en train d'enfoncer une fine aiguille couverte de rune et enduite de narcotique dans la gorge décharnée de la vieille esclave. La pointe scintillait dans la nuit, ornant encore le cou, et brillant comme l'unique bijou que ne pourrait jamais aborder la vieille servante. Il avait été sans pitié, il le savait. Du doigt, Keith suivit l'écorce d'un bras nu, couvert de cicatrices et d'hématomes. A chacune des fêlures il grimaçait, et une nouvelle larme de dépit éclatait sur le sol. L'elfe de maison avait servi avec bravoure et amour les jeunes héritiers du manoir ; et les seuls souvenirs qu'elle emporterait de son martyr, dans l'autre monde, resteraient les marques de ses tourments. Son dévouement avait toujours été sans faille ; douce, mélancolique elle n'hésitait pas à remplacer la pauvre Dame Lycoria Craft. Prenant volontiers le rôle de nourrice de substitution pour les jeunes enfants abandonnés leur sort.

-Mais c'est pour Elle que je le fait, je n'ai pas le choix.

En tâtonnant, il arracha d'une poche intérieure un petit carnet bleu. La couverture était déchirée, et la couleur en était déjà en partie effacée. Les angles brisés pendaient lamentablement ; alors que la date inscrite sur le cuir semblait illisible. Allumant un briquet tempête, il profita de sa lumière tremblotante pour parcourir les lignes malhabiles et bancales qui noircissaient les pages avec maladresse. Saisi aux narines par l'odeur douce amère du passé, il souffla pour en chasser la poussière. Ces mains remontaient le temps avec précipitation, tournant les jours et les semaines sans aucun ménagement ; plusieurs feuillets arrachés par ses ardeurs, s'envolèrent et dansèrent longtemps dans les rafales ; contant les secrets des premières années du jeune homme aux quatre horizons de la lande. Enfin, de son poing fermé et sanglant il frappa le carnet ; apposant sur le passage qui l'intéressait un sceau écarlate, comme un juge rendrait une sentence. Et ses yeux bleus soudain happés, s'enfoncèrent dans les limbes des années oubliées.

Citation :

" Papa, m'a parlé aujourd'hui. Je m'en rappel, nous étions dans la bibliothèque. Il faisait froid. Les cendres rougeoyantes qui dormaient dans l'âtre peinaient à réchauffer l'atmosphère glacé par les courants d'air qui sifflaient par les fenêtres brisées. Il trônait sur son grand fauteuil, son chat méchant sur les genoux ; et moi j'étais à ses pieds en train de feuilleter un livre de sorts aux images terrifiantes. Sa voix grondait, comme celle des dragons qui gardent des trésors dans les histoires que me lit Wallye :

-Keith, il existe en ce monde un endroit où dorment les légendes et où sommeillent les mythes.


Surpris par ces paroles, j'ai alors levé vers lui un sourire plein d'espoir ; dans l'attente d'un beau récit. Sombre, il n'a même pas daigné baisser les yeux vers moi. Au contraire, son regard d'acier a fixé une peinture sur un mur, avec une telle intensité que j'ai cru que la toile allait s'embraser. Cette dernière représentait Neuf Belles dames qui se tenaient la main ; paradant dans leurs robes colorées. Elles avaient des couronnes...Comme les vieilles reines des contes de Wallye. Étrange...Je n'avais jamais remarqué cette peinture avant cette matinée. Mais c'est vrai que je n'ai pas le droit d'aller dans la bibliothèque sans Papa.

-C'est une île, qui vogue sur un océan de brume. Elle n'apparait sur aucune carte et il est impossible de s'y rendre par la magie ou le voyage.


-Père, pourquoi est elle si secrète ?

Une ride menaçante est alors née parmi les ombres de son front. Je connaissais bien ce symbole ; c'était un signe qui ne mentait jamais...Les premières rafales d'un ouragan de colère dévastateur. Ses doigts griffus, énervés pour une raison qui m'échappait, se sont refermés sur l'échine du chat et ils se sont enfoncés si profondément dans les chairs du monstre qu'il a feulé de douleur.

-Les Neufs Reines qui règnent sur cette contrée, en ont fait un refuge pour les âmes guerrières. Quiconque pénètre en ces Terres, vivra pour l'éternité, protégé des tempêtes du monde extérieur. Même la mort, n'a pas le droit de franchir les portes de ce royaume de brumes.


-Il existerait des portes ?


-Des seuils ont jadis été ouverts par les druides vers cette dimension légendaire. Mais ils ont été refermé par les Reines de Pierres. Et depuis, nul ne peut plus les déverrouiller sans posséder la clé appropriée.

-Il faut une clé ? Une sorte de mot de passe ?


Sa voix a alors ronflé, terrifiante. Et tout tremblant, je me suis recroquevillé à ses pieds en enserrant mes genoux de mes bras. Papa fait peur parfois, surtout lorsqu'il parle de choses qu'il désir et qu'il ne peut atteindre. Je crois qu'il est fou...Je crois qu'il ne m'aime pas...j'ai pleuré.

-Non. Il faut payer un tribu aux gardiennes. Le prix du sang mon fils...le prix du sang.


-Le sang d'un animal ?

J'ai vu un sourire terrible déchirer son visage ténébreux. Ses dents luisantes sont apparues, étincelantes comme des lames de poignard dans la demi pénombre de la pièce. Son rire sauvage, impitoyable a ébranlé les murailles érodées de notre demeure. Plusieurs corbeaux affolés se sont envolés, alors qu'un vase a explosé dans une averse de porcelaine :

-Le sang d'un être cher. Les Neufs Reines raffolent de ce genre de sacrifices. Il s'agit de prouver par le meurtre que plus rien ne nous rattache aux rives maussades de ce monde décadent.


-Oh Père ! Mais c'est terrible...Comment, se prénomme cet endroit ? "


A des années de là, penché sur son carnet, le regard halluciné par ce qu'il revivait, Keith prononça doucement :

-Avalon.

Les lettres magiques ainsi libérées se mirent à grandirent jusqu'à devenir gigantesques. Elles s'échappaient des lèvres du jeune homme en roulant comme un torrent furieux ; et bientôt elles emplirent tout le cercle d'une foule d'échos et de voix désincarnées répétant à l'infini le nom de l'île perdue.

-Avalon, Avalon, Avalon, Avalon...


Soufflé, le briquet s'éteignit, replongeant la lande dans l'ombre. Il y eu un hurlement sauvage, et le vent soudain réveillé vint danser au milieu des Neufs Reines attablées. Ses bourrasques galopaient sur les vagues herbues, arrachant des nuages de terres et de graviers, avant de s'écraser contre les pierres dressées. Une rafale plus hardie que les autres, s'empara du petit carnet bleu et le déchiqueta impitoyablement, envoyant voler des lambeaux de papier et de mémoire de tout côtés ; qui retombaient ensuite comme de tristes flocons.

Les souffles ardents des Neufs Sœurs emplirent la lande d'un concert de reniflements affamés. Leurs ombres immenses et majestueuses s'abattirent sur la silhouette assoupie de l'elfe de maison. Terrifié, Keith regarda le cercle noir se resserrer lentement sur lui, comme une meute de charognards, qui sentant que la fin était proche, n'attendaient plus que le coup de grâce.

Impatient, le couteau se mit à se trémousser et à vibrer ; sans plus pouvoir masquer son envie de planter ses dents minérales dans les chairs de la créature sacrifiée. Il était trop tard pour reculer. Les yeux fermés, pour ne pas voir ce qu'il allait commettre, l'héritier des Craft leva la lame rouge vers les cieux.

Tout aurait pu être consommé en quelque secondes ; mais la Lune traitresse et joueuse décida qu'il était temps pour elle d'intervenir. Elle envoya un rayon d'argent frapper l'arme. Renvoyé par la pierre maléfique, le filin de lumière toucha le visage de l'elfe de maison, qui s'éveilla en toussant.

-Oh, maître que se passe t'il. Où suis je ?

Sa voix éraillée gifla Keith. Et l'arme soudain déviée, manqua sa cible de quelques centimètres en s'enfonçant dans l'herbe. Horrifiée et tremblante l'elfe de maison croisa le regard de son jeune seigneur.

-Maître, j'ai fait quelque chose de mal ? Je vous ai déplu ?

-Non, Wallye, tu ne m'a jamais déçue...C'est juste que...

-Je pourrai peut être vous aider ?

Non personne ne pouvait l'aider. Prisonnier de sa nature profonde, le jeune homme oscillait en permanence entre ombre et lumière. Frôlant les cieux, pour mieux goutter aux gouffres infernaux, il supportait sa dualité avec douleur, ne sachant jamais très bien sur quelle partition jouer. Tour à tour tristes ou joyeux, les airs qui s'échappaient en accords inharmonieux du piano de sa vie résonnaient sans fin dans son esprit ; se mêlant en un improbable concerto aux accents déments. Au fond peu importait le masque qu'il pouvait apposer sur sa noble pâleur car dans l'ombre l'apparence délaissée attendait son heure pour mieux reprendre les rênes de cette âme brisée. Il était un champs de bataille, une sorte de gigantesque conflit permanent, devenu un terrain de jeux pour des anges et des démons belliqueux qui s'étripaient furieusement sans prendre garde aux cruelles blessures qu'ils infligeaient à la tendre nature les acceuillant.

L'elfe de maison vit elle la balance se rompre ? Sentit elle le fil de son destin soudain tranché s'abattre au sol ? Une plume, une humeur, un souvenir, une vision...Il suffisait d'un rien pour briser l'équilibre et renverser les plateaux. L'ombre soudain alourdie l'emporta sur son opposé avec un hurlement de jouissance bestiale. Les portails noirs de l'âme, s'ouvrirent en claquant et une meute de félins aux instincts primaires et aux griffes acérés s'élancèrent en feulant dans l'esprit du jeune homme. L'aurore balayée, mourut laissant place à un crépuscule écarlate qui s'empara des cieux, dans une orgie sanglante. Les monstres libérés saccageaient tout sur leur passage. Ils maniaient avec une telle dextérité mépris, haine ou flammes qu'ils pulvérisèrent les dernières traces d'humanité du serdaigle ; et ordonnèrent le sacrifice.

Pour Wallye c'en était fini. Sa triste existence n'avait finalement pas pesé bien lourd ; et ses tendres arguments en faveur de sa survie furent oubliés lorsque Keith rendit son abject jugement en arrachant la lame de sa gangue de terre.

-Non, tu ne peux pas m'aider. Personne ne l'a jamais pu...Je suis seul...


Sa main si douce, se referma violemment sur la gorge de sa servante pour la plaquer au sol.

-Adieu.

Fendant l'air, la lame frappa sans trembler.
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MessageSujet: Re: Avalon ~ Hubert Farrow (Pv)   Avalon ~ Hubert Farrow (Pv) EmptyMer 1 Sep - 19:13:27

Assis sur la table, son pelage miroitant à la lumière des chandelles, Umbre la belette s'acharnait avec mauvaise humeur sur une malheureuse noix. Renfermé sur lui même, solide et narquois, le petit fruit de bois semblait se rire de l'impuissance de l'animal. Un coup de patte, un coup de croc. Rien n'y faisait. La cuirasse striée de marron et de noir restait intact. Finalement, pris de dépit, le rongeur envoya voler l'objet de son désir loin de ses attentions contrariées. Et la noix soudain repoussée se mit à rouler sur la table, tomba sur le parquet avec un bruit mat avant d'achever sa course au pied d'une chaussure impeccablement cirée.

Pensive, une main ridée captura la perle brune aux aspérités cloquées entre le pouce et l'index avant de l'élever pour mieux la voir. Deux yeux d'un gris orageux analysèrent la trouvaille au travers du verre translucide d'une paire de petite lunettes rondes à monture d'argent. Il n'y eu pas un bruit, à peine si un petit « hum » dubitatif, surgissant de l'ombre d'une barbe, vint briser le silence du salon ensommeillé. Le regard amusé mais fatigué du vieil homme passa rapidement du fruit au rongeur. Un brin las, devant la gourmandise sans limite de l'animal il finit par secouer la tête, en signe de réédition. Soulagé de recevoir un peu d'aide et de voir son honneur bafoué enfin vengé, la charmante créature aux moustaches frétillantes se mit à faire des bonds, esquissant avec humour une sorte de danse de la joie qui consistait à poursuivre sa queue touffue dans une pantomime délirante. Malgré ses rhumatisme, l'ancien gardait une poigne encore ferme et il n'eu aucun mal à ouvrir la coquille en la pressant avec force.

Rendue frénétique par le craquement salvateur, la belette bondit et rattrapa avec dextérité la friandise au vol, avant de retomber sur ses pattes, les joues gonflées à la manière d'un hamster. Et en moins de temps qu'il faut pour dire « miam », l'affaire fut pliée et la noix avalée. Très satisfait de lui même le rongeur, se pourlécha les babines en dardant une petite langue râpeuse et triangulaire. Il n'en perdit pas une miette.

Interrompu dans sa lecture, rattrapé par le poids du sommeil, le professeur à la barbe neigeuse soupira et referma son livre pour le déposer face à lui, sur la grande table ronde. Hubert, car c'était bien lui, se sentait tellement vieux ! Le moindre effort le mettait dans des états pas possible. Son corps malmené craquait, comme du vieux bois, et à n'en point douter il suffirait de gratter une allumette pour qu'il s'enflamme et se consume instantanément. La solitude l'étreignait et l'abimait. Sa grande horloge à la marqueterie vernie qui se balançait au mur, l'assommait du poids des années à chacune des circonvolutions de son aiguille dorée. Le bout de la route n'était plus très loin. Même Umbre la belette caractérielle portait sur son pelage élimé la marque grisonnante de Chronos le dieu au tic tac d'horlogerie.

« Le temps qui passe, nous efface », voilà le titre qui s'étalait en lettre gothiques sur la couverture teinté. Le nom de l'auteur n'était déjà plus. Arraché par les crocs d'une petite souris qui avait échappé, à l'ire guerrière de la belette sanguinaire, il ne restait de lui qu'une tout petit signe : un T. T pour qui, T pourquoi ? Hubert, n'arrivait plus à se rappeler de l'identité du mystérieux écrivain, dont l'Histoire elle même avait avalé le souvenir. Celui d'un pauvre homme qui avait couché sur le vélin les trois actes versifiés d'une tragédie classique à la fin tristement endeuillée. Qui était il ?

*Qui étais tu ?* s'interrogea le vieillard en tapotant rêveusement la couverture avec son ongle. Un amoureux éconduit, un poète raté, ou un vieux professeur en fin de vie, dont la nostalgie sent venir avec les feuilles mortes de septembre, le souffle glacé de la tombe ? Repue, curieuse, la belette poussa du museau le grimoire en dévisageant son compagnon blanchissant. Un soupir de fatigue s'échappa des lèvres mi closes du viel homme, et il secoua la tête avec autorité.

-Écoute moi bien, gros paresseux, tu sais lire aussi bien que moi. Et si tu veux savoir ce que raconte cette pièce de théâtre, tu n'a qu'à...

(Poussant de toute ses forces, la gracieuse créature repoussa la couverture. Une odeur de moisi, de passé, de cuir et d'humidité monta dans le salon. Une odeur de vieux livre, une senteur de bibliothèque. Le souffle de l'érudit, l'haleine de l'écriture.)

-Doucement, un peu plus de délicatesse. C'est une pièce de collection. Je ne me rappel plus où j'ai pu la dénicher. Mais vu son âge, et la finesse de la reliure, j'imagine qu'elle doit être d'époque. Regarde, les caractères d'écritures sont assez tarabiscotés, on dirait les tampons d'une vieille presse d'imprimerie.

(De sa patte griffue, la belette fit tourner plusieurs jaunies qui craquèrent lugubrement. D'un coup de museau, elle indiqua une datte : 1690. Le professeur Farrow, acquiesça en silence tout en lissant sa longue barbe blanche.)

-Oui la pièce se passe à la fin du dix septième siècle. Mais je ne sais pas si elle a été conçue au même moment. La formulation, les vers, ou même la syntaxe, sont assez désuets, presque archaïques. Par contre le propos en lui même, est très actuel voir contemporain. C'est profond, universel et un tantinet mélancolique.

(Toujours curieux, Umbre le rongeur continua son exploration de l'ouvrage. Son intérêt se porta sur les indications scéniques. Seuls deux prénoms mystérieux se promenaient sur la page : C*** et D***.)

-Tu as raison, je ne comprend pas le choix de l'ecrivain. On dirait plus des surnoms que des véritables appellations. Non, je ne les trouve pas ridicules, juste impersonnels. J'ai beau les tourner dans tous les sens, je n'arrive pas à saisir ce qui pourrait être une signification plus profonde.

(La belette inclina la tête sur le côté, l'air septique. )

-Ce sont les seules indications. L'intrigue tourne autour d'une ville mystérieuse « Orimir ». Je doute que cela soit située en Asie, ou en Inde malgré les sonorités caractéristiques à ces contrées barbares. Je pencherai plutôt pour une localisation imaginaire. Une sorte de citée onirique, élevée par les rêves de ses habitants.

(Machinalement, la créature à la fourrure grisonnante se mit à faire tourner les pages poussiéreuses sans même chercher à en parcourir les vers dramatiques. Surprise elle s'arrêta à la fin du dernier acte, les ultimes pages de la pièce étaient intégralement vierges, a croire que l'auteur avait oublié d'achever son œuvre. Une tirade, une moitié de vers et le néant blanc, immense, éclatant, mystérieux. Rien de plus qu'un espace sans nom et sans lettre sur lequel le destin des deux héros se noyait, disparaissant du regard des lecteurs frustrés dans leurs attentes d'un dénouement.)

-Étrange, n'est ce pas. Pourquoi vouloir publier une pièce de théâtre inachevé ? Je me suis posé la même question. Les deux héros s'appuient, s'écrivent, se déchirent, s'estiment, se raccommodent, se haïssent, s'annihilent et puis...plus rien. Pas de chute, pas de conclusion romanesque ou romantique. Rien que du vent. C'est dommage mais porteur d'espoir. Preuve que même dans une tragédie, la fin n'est pas à prévisible, juste...

Il ne put finir son explication. Avec un claquement terrifiant, le couvercle de bois de rose protégeant le clavier d'un majestueux piano, s'ouvrit. L'entrée d'un fantôme n'aurait pas causé plus d'effroi au vieux professeur et à sa belette. Anxieux, il écoutèrent tomber parmi les ombres du soir, une pluie de notes. Les touches noires et blanches s'enfonçaient une à une, comme si elles étaient effleurées par les doigts d'un pianiste ethéré. Et les marteaux ouaté, soudain réveillé dans les entrailles de la bête musicale se mirent à frapper les cordes argentées, pour en extraire de lugubres accords.

Une mélodie lancinante prit lentement forme, emplissant la pièce de sonorités oubliées. Les chandelles frissonnèrent et s'éteignirent. La cheminée fuma, crachota, puis un paquet de suie se décrocha du conduit pour s'écraser dans les flammes, les étouffant sous la noirceur de la poussière. Les fenêtres claquèrent et une brise surnaturelle s'engouffra dans la pièce, faisant danser dans le noir les lourdes teintures de velours, qui s'agitaient comme les voiles d'un vaisseau fantôme.

Neufs notes tourbillonnaient dans le salon silencieux. Pas une de plus, pas une de moins. Juste Neuf. Un chiffre bien funeste pour qui pouvait en connaître la signification. Leur association était un message musical, un code qu'il revenait aux érudits de déchiffrer. C'était comme si le passé venait d'adresser une lettre à Hubert.

Le vieil auror, les paupières fermées ne perdait pas une miette de ce chant de légende. Neuf notes pour écrire le vent, neuf notes pour dessiner l'océan, neuf notes pour faire couler le sang. La belette gémit, ne comprenant que trop bien ce que signifiait la mélodie d'outre-tombe.

Le couvercle du piano retomba. Un silence rendu encore plus assourdissant par la disparition de la musique s'écrasa sur la pièce. Et Hubert se leva.

Les lumières revinrent, et le salon retrouva sa placide tranquillité. Pourtant il flottait encore dans l'air une odeur dérangeante, une odeur de mort.

-Umbre, ne fait pas celui qui n'a pas entendu...

(Couché sous le fauteuil, le rongeur poussa un gémissement, avant d'enfouir son petit museau noir dans la fourrure de sa queue.)

-Neuf notes, neuf sœurs...Le piano. La mélodie, la chanson, la lande...

(Les pensées hachées, furieuses, curieuses et paniquées, jaillissaient de l'ombre neigeuse de la barbe du gentleman).

-Neuf Reines, le cercle de pierre, les brumes...

(Hésitante la belette sortit lentement de son abri en secouant vivement la tête, comme pour empêcher son vieil ami de conclure sa funeste tirade.)

-La porte, le seuil...

(Umbre bondit prestement sur le fauteuil écarlate, qu'il escalada précipitamment en plantant ses petites griffes dans le cuir patiné. Arrivé presque à la hauteur du visage de l'ancien, il se remit à secouer la tête avec énergie tout en retroussant ses babines.)

-...Avalon.

(Le silence. La peur. La belette vaincue se laissa comiquement tomber en arrière comme frappée à mort. Son léger corps souple s'affala sur l'épais coussin. Seul son souffle régulier, et l'œil mi clos qu'elle dardait sur Hubert indiquaient qu'elle était vivante.)

-Je ne sais pas qui est train de profaner le Cercle de Pierre, mais je doute que cela soit quelqu'un animé de bonnes intentions.

(D'un coup de baguette magique, il fit voler son lourd manteau à travers la pièce et l'enfila en grognant contre ces maudits rhumatismes qui l'empêchaient de réagir avec la célérité que requérait une telle alerte. Tout en boitant, il décrocha un tableau du mur, et révéla le coffre qui se dissimulait derrière.
La clé dorée, deux tours dans la serrure. Sortir le petit coffret, farfouiller parmi tout les portoloins d'alarme. Par Merlin ! Il n'avait jamais pensé à mettre d'étiquettes et les années avaient coulés sur sa mémoire et délavés ses souvenirs. Une pierre noire ? Une pointe de flèche ? Une dague ? Une plume d'albatros ? Un bouquet desséché ? Une montre cassée ?)


-Diable ! Foutue mémoire ! Pourquoi n'ai je pas fait l'effort d'identifier ces maudits portoloins ? Voilà que je ne me rappel même plus à quoi ils correspondent.

(Sa vieille main ridée, se mit à triturer nerveusement sa belle barbe blanche. Machinalement et en proie à un profond désarroi, il enleva ses petites lunettes, les essuya et les remit. Malheureusement cela ne l'aida pas à y voir plus clair.)


-Tout est perdu, ah si seulement je n'étais pas si vieux...Que veux tu Umbre, tu crois vraiment que c'est le moment de jouer ?

(Surpris et excédé par les coups de griffe que lui donnait la belette il baissa les yeux sur le rongeur et, un sourire éclaira son visage soudain rassuré. L'insolent animal tenait dans sa gueule la grande plume blanche.)


-Mais bien sur tu as raison ! Tu l'as trouvé ! J'ai toujours su que derrière ta paresse et ta couardise maladive se dissimulaient des trésors de courage...Non pas la peine d'essayer de te défiler, tu viens avec moi...Comme au bon vieux temps.

(Sa main gauche attrapa la plume et de la droite il glissa un Umbre terrifié dans la poche de son manteau.)

Une déflagration. Un éclair de lumière. Un souffle de vent. Les rideaux ondulèrent, le tapis se souleva. Et Hubert avait disparu.


-...Et je m'en irai de part les chemins. Je marcherai parmi la lande. Et toujours, et toujours...

Ainsi chantonnait le vieux professeur lorsqu'il réapparut, le portoloin à la main sur la lande. D'horribles souvenirs portés par le vent qui soufflait en rafale, lui revinrent en mémoire et il ne put retenir un frisson d'appréhension. Trouillarde au possible, la belette sortit la tête d'une poche du manteau et observa les alentours ravagés, noyés dans la brume. Ses moustaches tremblèrent en voyant les immenses collines spectrales les entourer et les dominer avec majesté.

Au loin, le cercle de pierre s'élevait comme un funeste avertissement.

Neuf pierres noires, sanglantes, dressées vers la nuit comme un collier diabolique. Le professeur Farrow ne les avaient côtoyé qu'une seule fois, voilà bien des années déjà, et pour rien au monde il n'aurait voulu y remettre les pieds. A l'époque il était encore un auror respecté dont la réputation de chasseur impitoyable n'était plus à refaire. C'est un membre du département des mystères qui lui avait parlé, d'une vieille légende tournant autour de Neufs Sœurs pétrifiées gardant une porte menant vers une dimension brumeuse. Au départ il n'y avait pas cru. Pour lui ce n'était qu'une belle et romanesque légende. Mais ses illusions finirent par tomber, et lui même entra de plein pied dans la légende lorsqu'il dut se lancer à la poursuite d'un mage noir à la sinistre réputation : l'infâme Cairius Craft. Un colosse qui se faisait appeler l'Ours par ses semblables, et qui visiblement n'hésitait pas à tremper ses griffes dans le sang des innocents.

Il se trouvait que ce monstre à visage humain, était lui aussi un grand féru de légendes antiques. Ce qui l'avait amené tout naturellement à s'intéresser au mythe d'Avalon et au différent moyens de le rendre tangible. Hubert et Umbre, unis dans l'adversité, durent déployer des trésors d'habilitées et d'intelligence pour contrer ce descendant de la diabolique lignée des Craft. Et ce n'est qu'après avoir parcouru de nombreuses bibliothèques, et compulsé un nombre incalculable de vieux ouvrages qu'ils purent coincer Cairius.

Cela ne se fit pas sans mal. L'auror et le mage noir se confrontèrent au centre du Cercle de pierre, par une brumeuse nuit de pleine Lune. De cette bataille, le professeur devait en garder de cruels stigmates dont notamment six énormes et profondes traces de griffures sur le torse. Quand à Cairius, il fut si gravement blessé qu'il dut prendre la fuite sans pouvoir achever son rituel. Hubert put ainsi sauver les malheureuses victimes que le Monstre avait amené avec lui pour nourrir les Neufs Reines.

Avec l'aide du département des mystères, il rendit l'endroit inaccessible, invisible et incartable. Rarement on ne vit plus dense filet de sortilège protéger un si petit lieu. Malheureusement, toutes les protections du monde étaient inefficaces à détourner quelqu'un qui connaissait précisément l'endroit. Mais à l'époque cela n'avait pas inquiété Hubert. Après tout, seul Cairius et lui avaient pénétré le cercle ; et comme Hubert pensait que le mage noir était mourant, il s'imaginait que la situation venait de connaître un heureux dénouement. Néanmoins par acquis de conscience, il rajouta un ultime sortilège d'alarme, qu'il rattacha directement à son propre piano...Juste au cas où. Inutile de préciser que la belette n'avait pu s'empêcher de se moquer de l'auror paranoïaque et de ses manies de perfectionniste.

Qui aurait pu prévoir, que presque trente années plus tard, le cercle allait sortir de l'oubli et l'alarme résonner à nouveau ?

Le vent soufflait en rafale, et le vieil homme impuissant sentit sa casquette lui échapper et s'envoler. Bon dieu, quelle tempête ! Merlin lui même, aurait perdu sa blanche toison ! D'un geste lent, il dégaina sa vieille baguette patinée par le temps. Il n'eu qu'à faire un petit tour de poignet et une petite boule de lumière se matérialisa au bout, éclairant un peu le chemin. Il n'avait pas envie de se casser une jambe dans une ornière...Surtout pas ce soir, alors qu'un profanateur se préparait surement à exécuter un abominable sacrifice.

Il gravit le sentier avec difficulté, en se protégeant comme il pouvait des rafales. Son manteau claquait contre son dos, et des nuages de poussière et d'herbes arrachées lui fouettaient le visage. Pourtant tout perclu de rhumatisme qu'il était, il poursuivaiit sa difficile progression vers un funeste destin.

Dans la poche, Umbre claquait des dents, elle ne se rappelait que trop bien, cet endroit maudit, où Hubert avait failli trouver la mort.

Le cercle était là. Rivière de diamants noirs sur le velours de la nuit, il s'élevait menaçant. Le professeur Farrow sentit son échine se glacer, en voyant une silhouette agenouillée sur un corps sans vie. Son regard fatigué, et assailli par les embruns capta avec horreur l'éclat sanglant d'une lame sacrificielle...

Le sort fusa, avant même qu'il n'ai pensé à le formuler. Diable, ses réflexes étaient encore vif. Le rayon désarmant frappa la main armée du meurtrier avec une précision de tireur d'élite. Et le couteau soudain projeté en l'air s'écrasa quelques mètres en arrière dans les buissons. Un soupir d'épuisement et de soulagement ébranla son vieux corps. Il était arrivé juste à temps. Encore quelques secondes et un sang innocent aurait taché les Neufs Reines...Pour le meilleur comme pour le pire.

La baguette menaçante, il passa entre deux statues effleurant avec répugnance leurs robes de pierre. Il ne put retenir un juron surpris, lorsqu'il s'aperçut que ce n'était pas Cairius qui lui faisait face, mais un jeune homme, presque un enfant, à la peau blafarde et au regard torturé.

-Par Merlin, ne bougez plus ou vous allez le regretter !

(Il ne broncha pas, lorsqu'il sentit sa belette sauter hors de sa poche. C'était une vieille stratégie entre les deux compères. L'animal discret se faufilait sans bruit sur le champs de bataille, pour mieux évaluer le danger que pouvaient représenter les ennemis, et pourquoi pas tenter de leur dérober leurs armes ou leurs objets dangereux.)

-Qui êtes vous, qu'alliez vous faire à cette pauvre elfe de maison qui semble bien mal en point...Répondez, je ne le répéterai pas deux fois !

(Dans le ciel, le vieil imaginait l'horrible rictus que devait avoir la Lune. Nul doute que la boule d'argent devait bien s'amuser de la situation.)
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