Canelle et Page avaient galopé dès la sortie du cours de divination, impatientes de se retrouver et d'échanger enfin tout ce qu'elles avaient à se dire. Et il y avait beaucoup à dire. D'abord, deux années, c'est long. A leur âge c'est même une éternité. Ensuite, leur séparation avait été brutale et nimbée de brumes mystèrieuses. Page et Canelle avaient intégré Poudlard en même temps. Leur origine irlandaise commune les avaient rapprochées et une belle amitié étaient née. Puis le bal de noël était arrivé et le lendemain, Canelle n'était tout simplement plus là. Le blanc, le vide.

Le temps avait filé, Page était maintenant en troisième année, et Canelle était de nouveau ici, réapparue aussi soudainement qu'elle était partie. Ce trou de deux année était un gouffre que les deux amies ne pouvaient pas laisser béant. A l'abri d'une galerie à arcades, la blonde et la rousse s'arrètèrent. C'était l'heure des confidences. Une toute petite pointe d'anxiété nuançait, oh, à peine, la joie que Canelle avait de retrouver Page. Elle allait certainement avoir des explications à fournir. Elle les lui devait. Et çà ne se fera pas sans exhumer les fantômes d'un souvenir particulièrement pénible. La petite Serdaigle s'y était préparée. Ce ne serait peut-être pas si difficile et elle n'aurait à le faire qu'une fois après tout.

Elle contempla Page un moment. Elle avait grandi, évidemment, et forcément un peu changé mais Canelle retrouvait sans difficulté le petit feu follet de Gryffondor. Dans un instant fugitif, elle se demanda comment Page la voyait, elle, là, maintenant, en la comparant avec la Canelle dont elle avait souvenir. Physiquement, il n'y avait pas grande révolution. Quelques centimètres de plus, et la crinière blonde cascadait maintenant jusqu'en dessous des fesses. Aucun artifice ne la vieillissait. Le veto parental sur le maquillage était sans négociation possible. Ses oreilles n'étaient même pas percées et ne s'ornaient d'aucunes boucles, même discrètes. L'embargo s'étendait jusqu'aux bagues ou autre bijou. Visiblement, il avait été décrété que Caineal O'Riordan, dite Canelle, n'avait pas encore à se préoccuper de plaire autrement que par de brillants résultats scolaires.

Non, c'était ailleurs qu'il fallait chercher un réel changement. A onze ans, la gamine manifestait une fantaisie légère, une poésie naïve, une espièglerie de petit faune échappé de ses landes natales baignées de légende. Les Moldus américains, pour une fois perspicaces, lorsqu'ils décèlent cette fantaisie chez quelqu'un, lui demandent en riant si il sert d'abri à une "sorcière d'avril". Dans leur folklore, la sorcière d'avril se projette dans toute les formes vivantes, ou pas. Elle se musse dans une feuille arbre, qui se décroche pour aller flotter dans un étang. Hop ! Elle est dans une goutte d'eau maintenant. Un Martin-Pêcheur la boit et la voilà qui file à tire d'aile, cachée dans l'esprit de l'oiseau. Quand la sorcière d'avril se cache dans un esprit humain, elle lui murmure des bêtises à faire, des choses un peu folles, et on les fait en se demandant ce qui nous prend. Oui, Canelle avait cette fantaisie-là.

Elle l'avait...

Oh ! Ce n'était pas qu'elle semblait malheureuse aujourd'hui. Mais la lumière de ses yeux s'était tamisée, ses gestes étaient devenus mesurés, sa voix s'était apaisée. Le brasier était devenu un feu doux et ronronnant. Dans l'entourage immédiat de la gamine, seuls deux êtres avaient apprécié le changement : Socrate et Padraic.

Socrate, c'était le chat de la maison. Il avait peu apprécié la petite sauvageonne trop vive. Désormais, il faisait sur les genoux de sa petite maîtresse des siestes paisibles, certain qu'il n'y aurait ni geste brusque ni éclat de voix.

Padraic, c'était le père de Canelle. A la tombée de la nuit, il avait du battre la campagne un nombre incalculable de fois, armé d'une badine et pestant contre "cette gamine qui s'obstinait à ignorer le couvre-feu et à traîner pieds nus comme une bohémienne". Les gronderies, fessées, mises en garde contre divers croquemitaines réels ou imaginaires n'avaient aucun effet. C'était devenu un sujet perpétuel de rigolade pour ses amis. Au crépuscule, ils disaient "tiens, il est Padraic moins le quart". Ils sortaient alors du pub, sirotant leur pinte et se tenaient le ventre en le voyant arpenter le pays. "Oh ! Paddy ! Encore perdu ta drôlesse ? Qu'est ce que ce sera quand elle aura quinze ans !" Et Padraic avait du longtemps filer en réprimant une envie de flanquer une danse aux plaisantins. Surtout O'Connel, qui avait lui une gourgandine de dix-sept ans qui passait apparemment pas mal de temps la culotte à la main, sans doute pour éviter de l'user. Aujourd'hui, il était satisfait de voir sa fille enfin calmée et raisonnable. Les gars du pub restaient vissés sur leur chaise et l'O'Connel avait non seulement le derrière couvert, mais un bébé sur les bras. Hahaha ! Padraic ronronnait d'aise. Le chat aussi.

Maintenant, c'était au tour de Page de constater et d'apprécier le changement. Vu qu'elle avait conservé son caractère bouillant et énergique, elle n'allait peut-être pas goûter la nouvelle version. Souriante, Canelle lui dit :

-Qu'est ce que tu m'as manquée... Je pensais souvent à toi. Je me disais : Là, elle est en cours, là elle dîne dans la Grande salle, là elle dort... C'est génial de te revoir.

Pouvoir enfin tenir un moment Page dans ses bras, Canelle en avait rêvé pendant nombre de ses nuits solitaires. Ses mains se crispaient sur sa couette et elle la ramenait vers elle. Il n'y avait personne à étreindre et elle cherchait lors dans le sommeil l'oubli de ses peines. Elle écouta son amie et le sentiment qui l'envahit fut un sentiment de honte.

La honte devant l'absence de reproches. Elle avait imaginé Page la renversant par terre, la bourrant de coups de poings amicaux dans les épaules et lui faisant promettre de ne plus recommencer çà sous peine des pires tortures. Peut-être la pétillante Gryffondor s'était-elle un peu assagie aussi. Ou alors, c'était l'atmosphère de plomb qui règnait sur l'école cette année. Ou autre chose... Mais cette absence de reproches... Même de n'avoir pas écrit la moindre lettre... Canelle avait essayé d'écrire, mais elle avait jeté tout ce qu'elle avait fait, incapable de coucher sur le papier trois phrases valables. Puis elle avait renoncé. L'éloignement est une chose assez terrible, qui patine vos sentiments. On a besoin d'être avec les personnes qu'on aime pour comprendre vraiment à quel point on tient à elles.

Que disait-elle ? Ah, tout ce qui s'était passé... Oui, Canelle avait une grande hâte de tout connaître de ce que Page avait vécu pendant ces deux années. Mais d'abord, d'abord... Il lui fallait se débarrasser de certaines choses qui encombraient sa tête. Ses peurs, ses regrets, tout ce qui l'avait faite veiller si tard, si souvent. Ces démons,elle les sentait plus présents depuis qu'elle était revenue à l'endroit où cela s'était passé. Ils remuaient dans sa mémoire, et c'était pénible. Il fallait parler avant d'écouter Page.

-Page... ? Daneel ne t'a rien dit ?

Daneel, qui ressurgissait du passé lui aussi. Le gentil garçon de Poufsouffle qui avait été témoin, lui aussi, de ce qui s'était passé dans la forêt interdite. Alors Canelle, lentement, raconta tout. L'escapade dans la forêt, la danse au pied de la source, le cauchemar quand Firenze avait vu sa route barrée par Bane en voulant la ramener à Poudlard. La haine, les insultes, les coups... Le sang, le bruit horrible quand Bane avait brisé une jambe à Firenze. La fuite à travers cette forêt mortelle, la peur, les larmes, le dégoût... Cela prit longtemps. Elle chercha souvent ses mots, hésita à faire renaître certains moments. Elle resta longtemps silencieuse ensuite.

-Pauvre Daneel... J'ai été injuste avec lui. Je lui ai voulu parce qu'il était là, parce qu'à chaque fois que je le voyais dans le château çà me ramenait à cette nuit-là... Mes parents m'ont retirée de l'école. Mon père en voulait beaucoup à Dumbledore. Il disait que ce ne serait arrivé autrefois, que Dumbledore vieillissait et ne savait plus tenir les élèves. Je suis restée chez moi pendant ces deux années... Je n'ai rien fait... Et puis, il y a quelques semaines, ma mère a dit que je restais toujours seule, que tous ceux de mon âge étaient ici, que magré les leçons qu'elle me donnait je prenais du retard et que çà ne pouvait plus durer.

C'est vrai que je me suis sentie très seule... Ca va mieux... A part deux ou trois choses... Dès qu'un garçon devient brutal je revois ces deux mâles en train de se massacrer. Je ne peux plus entrer dans un bois, non plus. Quand je suis entourée d'arbres, je n'arrive plus à respirer.

Voilà. C'était fait. Et Canelle se sentait un peu mieux. Ca n'excusait pas ce silence de deux ans mais çà expliquait un peu les choses, même si elle n'était pas certaine d'avoir réussi à traduire en mots ce qu'elle avait éprouvé. Et il restait certaines séquelles, que la Serdaigle commençait à entrevoir, confuses encore, mais se précisant un peu plus chaque jour. Fallait-il s'en ouvrir à Page tout de suite ? Parler ou se taire... Elle n'était pas sûre encore, pourquoi alarmer son amie. L'alarmer ou pire... Non, elle ne dirait rien. On ne peut pas se décharger de tout son fardeau sur les épaules des autres. Il y a certaines choses... Elle chassa ses pensées.

-Parlons de toi ! Je veux tout savoir. Raconte-moi tout ce que tu as fait, tout ce qui t'es arrivé. N'oublies rien !

Elle s'assit aux pieds de Page, ramenant ses jambes contre elle, entourant ses genoux de ses bras, le visage levé et avide d'écouter

[HJ : Désolée, c'était un peu long, mais bon, il y a deux ans à rattrapper hein ^^' Et avec deux mille posts à mon actif, tu imagines bien que Page en a fait, des choses ]

Une ombre étrange passa dans les yeux de la jeune Serdaigle. Une ombre que Page n'y avait pour ainsi dire encore jamais vue, et qui tranchait avec le caractère enjoué et pétillant de la Canelle qu'elle connaissait. Un ombre qu'elle se souvenait avoir vaguement entrevue le soir du...

-Page... ? Daneel ne t'a rien dit ?

Le soir du bal. Et cette même ombre, dans les yeux de Daneel, le soir où ils s'étaient retrouvés dans le parc pour s'ouvrir l'un à l'autre de ce qui leur pesait. Et alors même que Canelle se lançait dans son récit, les paroles de son ami Poufsouffle lui revinrent en mémoire. "Je crois que ça l’a plus affectée que moi… Elle a eu vraiment très peur…". Comment n'avait-elle pas fait le lien ? Page comprenait maintenant la raison du départ de son amie. Daneel lui-même avait été vraiment retourné par cette aventure, et il était évident que la Bleue et Bronze, plus sensible, avait dû être complètement terrorisée par l'expérience. D'où l'ambiance bizarre qui régnait entre ses deux amis durant le bal. Comment Page avait-elle pu être aveugle à ce point ? La voix douce de Canelle continuait de narrer la terrible soirée, et la rouquine sentait plus encore la violence qui avait emplit la forêt en cette soirée par les paroles de son amie. Elle avait du mal à imaginer la douce jeune fille au milieu du fracas des combats. Elle connaissait pourtant cette histoire. Du moins dans les grandes lignes. Daneel lui en avait glissé quelques mots. Mais c'était à un moment où Page était loin d'être au meilleur de sa forme et, égoïstement, elle n'avait pas réalisé l'épreuve que cela avait dû représenter pour ses amis. La gosse fut prise de remords. Elle aurait dû être là pour eux. Ils avaient fini par partir tous les deux. Peut-être pas pour les mêmes raisons, mais avait-elle été suffisamment présente ? N'aurait-elle pas dû creuser pour comprendre ce qui les tracassait au lieu d'attendre, simplement ?

Ce n'était pas amusant d'entendre Canelle vider sa pensée. Et il lui était pénible de savoir que cet épisode avait privé son amie de ce qui lui tenait tant à coeur autrefois : les arbres. Se tournant vers la blonde, la lionçonne avait le visage triste.

- Je... Daneel m'en avait un peu parlé mais... Je n'avais pas réalisé... que... Tu réapprendras. J't'aiderai. Tu retrouveras le plaisir d'être au milieu des arbres. Comme avant. J'te l'promets.

Et Canelle était bien placée pour connaître la valeur de la parole d'une irlandaise. Page ferait tout son possible pour aider son amie à amadouer ses peurs et à réapprendre ce qui autrefois lui était si naturel.
La jeune fille semblait pourtant avoir quelque peu apaisé son cœur. Elle avait raconté toute son histoire à la rouquine et, même si cela semblait encore la toucher, cela devait lui être moins pénible qu'auparavant, car elle changea de sujet un peu comme si de rien n'était. le temps avait dû faire son office. On finissait toujours par relativiser. La Rouge et Or fixa un bref instant son amie, partagée entre l'envie de la prendre dans ses bras pour la réconforter, même deux ans en retard, et celle de répondre à son invitation pour passer à ses pérégrinations à Poudlard. La troisième année inspira profondément et fit un sourire sincère à son amie, qui venait de s'asseoir devant elle. Option deux mon capitaine. Ressasser n'était pas bon pour le moral, et Page avait aussi son lot de choses pénibles à raconter. Par où commencer. Et surtout, allait-elle réellement tout déballer ? Il y avait plusieurs épisodes que la rouquine avait gardés pour elle, ou dont peu de personnes étaient au courant. Pourtant, Canelle s'était ouverte à elle sans tabou. Et s'il y avait bien une personne qui était chère au coeur de l'irlandaise, c'était sa compatriote. Revan n'avait rien su des raisons des cauchemars de sa compagne de dortoir. Page aurait bien voulu lui en parler, mais elle n'y arrivait pas. Elle sentait que ce n'était pas le moment. Même à William, elle n'avait pas tout raconté. Pourquoi d'ailleurs, elle n'en savait rien. Peut-être parce que ses épisodes dataient d'avant leur profonde complicité et qu'elle n'avait pas envie de dramatiser avec celui qui avait partagé tant de moments forts ? Elle n'en savait rien. Mais l'ambiance était aux confidences. Elle verrait bien.

Page prit une nouvelle inspiration. Canelle devait sentir son hésitation. La rouquine prit appui sur la tablette de pierre et poussa sur ses bras pour s'asseoir dans l'arche, les jambes ballantes du côté du couloir.

- Bon. Mon tour. J'vais essayer de ne rien oublier. Mais ça va pas être simple, parce qu'il s'est passé des tas de trucs. Heureux ou pas d'ailleurs. Lorsque tu es partie, c'était... à peu près le milieu de notre première année je crois. Ombrage était déjà insupportable. Mais ça n'a fait qu'empirer. Je peux te dire que ça n'a pas été rose à Poudlard.

La rouquine eut un rictus à son jeu de mots involontaire.

- Ou plutôt beaucoup trop rose. L'ambiance ressemblait un peu à ce qu'il y a en ce moment. La Brigade Inquisitoriale et les décrets de la rosâtre en plus. Avec William, on n'en pouvait plus. William Craig, un Lion, je sais pas si tu vois. Bref, on a décidé de pas rester sans rien faire. Alors on a monté un groupe secret. Les BR. Les Brigades Rousses. Et on a fait tourner en bourrique la grosse dinde avec des actions, de temps en temps, pour la ridiculiser. C'était chaud, mais ça marchait du tonnerre. On était la rébellion de Poudlard. Et on en était fiers, mais c'était dur de se cacher. On a fini par se faire choper en fin d'année. Et là, on a vraiment moins rigolé. On a passé une sale nuit en attendant notre "procès", cracha la gamine dans une grimace, en mimant les guillemets de ses doigts.

"Une sale nuit". Jolie tournure. Et cela suffirait ainsi.

- On a été virés. Et interdits de balai à vie. Heureusement avant qu'on quitte l'école, Harry et ses amis ont enfin réussi à dégager la grosse Rosâtre hors de Poudlard, et Dumbledore a repris ses fonctions de Directeur. Il a annulé la sentence, et nous a même filé des points en plus ! On n'avait pas fait tout ça pour rien, heureusement.

Voilà pour les Brigades Rousses, qui étaient tout de même le gros morceau de la première année de la rouquine au château. Pour le reste...

- Sinon, pendant l'année, j'ai intégré l'équipe de quidditch de Gryffondor, j'ai même été capitaine remplaçante ! J'ai réussi à me faire plusieurs ennemis de qualité, comme la famille McLane, et plus précisément Précieuse. Cudacier pour les intimes. J'ai eu pas mal de retenues, mais j'te jure que c'était pas vraiment de ma faute. Ah et puis j'ai... Euh. J'ai rencontré un sale type à Pré-au-Lard. Je... Ca, ça n'a pas été très drôle. C'était juste après ton départ. J'ai jamais raconté cette histoire, à part à Daneel... Tu sais... Ca n'a pas été facile pour moi de me relever après cette soirée. Depuis, je... je vois les sombrals.

Encore une magnifique tournure de phrase pour évoquer seulement ce qui s'était passé. Page n'avait pas envie d'exhumer plus ses mauvais souvenirs. Elle en cauchemardait aujourd'hui encore. La gosse laissa passer un instant, les yeux dans le vague. Elle revoyait la capuche de son agresseur, et le vide qui l'emplissait, le néant, cette sensation d'impuissance... La rouquine secoua la tête.

- J'en ai gardé quelques souvenirs qui semblent indélébiles, malheureusement, ajouta-telle en remontant la manche de sa chemise pour laisser apparaître le bandage qui protégeait en permanence son avant bras. Enfin, c'est du passé, hein. A la rentrée suivante, William et moi avons été nommés préfets. Je te dis pas, jamais j'aurais misé une seule chocogrenouille sur nos noms... Non mais tu me vois, moi, avec le badge ? Et pourtant, j'm'en suis pas trop mal sortie je crois. J'ai fait un peu moins de bêtises et de bagarres il me semble. Bon, faudra pas compter la fois où j'me suis retrouvée face à un troll dans la forêt avec une Verte... Ca a vraiment failli mal finir le soir là... Et la purée de préfète, c'était pas une super bonne idée quand même.

Elle en riait à présent, mais ce soir là, Lou et elle avaient fini bien amochées. C'était une fois de plus passé très près de la catastrophe. A croire que Page collectionnait les ennuis.

- Daneel aussi avait eu une promotion, mais il est parti en cours d'année. Je ne sais pas trop pourquoi. Apparemment, il est retourné étudier au Canada. J'étais super triste, parce que j'avais passé un bout de l'été chez lui, et ça avait été génial... Enfin sinon... Durant l'année, on a poursuivi aussi les recherches sur le Parchemin d'Alexandre, tu sais, le club monté par Stephen et Néoki, et on a trouvé plusieurs pistes trop cool. Même que je corresponds avec Pernelle Flamel maintenant, t'imagines ? Côté quidditch, on a écrabouillé toutes les maisons et remporté la coupe, même si côté sabliers, les verts nous ont soufflé la victoire de peu. Slughorn nous a invités à son club select là, Willou et moi, mais pour le moment, je fais l'mort, ça me tente pas du tout son truc.

Page fit une pause pour reprendre son souffle. Elle en avait des choses à raconter, et commençait à avoir la bouche sèche.

- Ah, et puis, un truc quand même suuuper important. Ma soeur jumelle Helen est arrivée à Poudlard en Avril ! Tu ne t'en souviens peut-être pas mais... Elle était malade, et elle a passé un an et demi à Sainte Mangouste avant de pouvoir venir ici... Elle a été répartie en cours d'année à Poufsouffle ! Et dans la série des bonnes nouvelles familiales... Je... On a retrouvé mon père. Enfin pas qu'on l'ait jamais perdu mais... Ma mère nous élevait seule à Londres et... Papa est revenu juste avant les vacances. Je ne l'avais pas revu depuis qu'on avait quitté l'Irlande et on avait quoi, trois ans ? Le truc de malade quoi... C'est un sorcier ! Et il travaille au Ministère maintenant.

Le sourire était revenu sur la bouille de la rouquine. Evoquer sa famille l'avait revigorée. Elle fit une nouvelle pause pour réfléchir... Avait-elle oublié des éléments importants ? A priori non. Enfin, elle pourrait tenir toute la nuit si elle devait raconter tout ce qu'elle avait vécu, mais ce qu'elle avait découvert au cours de ses explorations lui paraissait moins important que ce qu'elle avait énoncé jusqu'à présent. Et puis le Fight Club... la règle numéro un était de ne pas en parler, et, en étant la cofondatrice, elle ne pouvait pas se permettre de l'enfreindre. Et au vu de l'état émotionnel de son amie, lui expliquer qu'elle et Morgan avaient créé un club clandestin de bagarre n'était pas une bonne idée.

- J'crois avoir résumé l'essentiel... J'oublie ptetre des choses mais en gros, les trucs marquants sont là. Tu vois, j'ai pas chômé, termina la lionçonne en ébouriffant ses cheveux fous. Et j'imagine que cette année, j'vais pas m'ennuyer non plus... Y a qu'à voir ces nouveaux profs, chui pas sûre que ça va être facile... A mon avis, ça va être mouvementé tu sais.

Canelle restait complètement abasourdie, étourdie du récit que Page venait de lui faire. Elle contempla un point dans le vague, récapitulant tout ce qu'elle venait d'entendre. Pendant que ses jours à elle s'égrenaient, vides et inutiles, dans le cottage O'Riordan, Page avait comme vécu trois vies. C'était bizarre, troublant. Presque tout ce que son amie avait dit avait de quoi inquiéter la blonde. Mais le comble était cette agression qu'elle avait à peine effleurée. Des séquelles indélébiles sur son bras ? Elle voyait les Sombrals depuis ?

Certaines choses comme le parchemin d'Alexandre lui étaient obscures. Elle n'en avait pas de souvenir. Le récit de Page était un tourbillon d'aventures, d'expériences, de connaissances acquises, d'émotions et d'épreuves. Elle regarda son amie. Vraiment, Page avait un caractère et une volonté en acier trempé. Canelle ne s'imaginait pas une seule seconde affronter le dixième de ce qu'elle avait vécu. Elle se sentit faible d'avoir perdu ses moyens simplement en assistant à un combat entre deux centaures. Non, elle n'avait pas la force de Page. Elle était à mille lieues d'avoir la force de Page.

Et toutes ses épreuves n'avaient même pas entamé le bon coeur de la rouquine. L'aider à réapprendre à aimer les arbres, lui promettre çà, Canelle fut touchée, profondément touchée. Effrayée, en même temps. Page n'était pas d'une nature à parler en l'air et la Serdaigle ressentit un instant la piqûre acide de la peur à l'idée de retourner en forêt.

Et une soeur jumelle ! Canelle fouillait désespérément sa mémoire, à la recherche du moindre bout de discussion passée concernant cette jumelle. C'était affligeant de ne se rappeler de presque rien. Sa meilleure amie avait une soeur jumelle et elle n'était même pas foutue de s'en souvenir. Avec angoisse, elle essaya de se rappeler la couleur préférée de Page, son plat préféré, la musique qu'elle aimait, un garçon qu'elle trouvait mignon, n'importe quoi dans ce genre. Elle ressentit un vide horrible. Page se confiait à un puits, noir et sans fond. La Gryffondor faisait confiance à une bonne à rien...

En quelques secondes, Canelle mesura le gouffre à combler. Elle devait réapprendre tout, réapprendre sa meilleure amie. Elle devint pâle et masqua sa détresse en rebondissant que les derniers mots de Page.

-Les Carrow... Oui, les Carrow, Rogue directeur... Qui aurait pu croire une chose pareille, hein ? Ca va être dur, il faut se serrer les coudes...

C'est... incroyable, tout ce qui t'est arrivé en deux ans. J'étais très loin de penser... Je ne serais pas partie. Maintenant je suis là et je ne te laisserai plus

Je ne te laisserai plus, mais j'ai encore tant de chemin à faire jusqu'à toi...

La jeune Serdaigle avait écouté la rouquine sans bronchre, et avait pâli à la fin de ce long récit. Page mit innocemment la gêne passagère de son amie sur la mention des Carrow et de Rogue. Vrai, non, ces trois là étaient affreux à en faire peur ! Pas une seconde elle ne sentit ce qui tourmentait l'aiglonne. La lionçonne fut un peu embarrassée à ses derniers mots.

- Ben... En même temps, t'y es pour rien... Tu pouvais pas deviner tout ce qui allait s'passer. Même Trelawney elle a rien vu venir... Enfin elle...

Une grimace cocasse accompagna l'allusion. Page ne savait toujours pas sur quel pied danser avec cette allumée. Véritable devineresse à ses heures, comme lors de leur entrevue, avec sa voix d'outre tombe, où bien gentille foldingue, aimant l'art du spectacle ?

- Pis c'est tes parents qu'on décidé de te faire rentrer aussi... Alors te fais pas de bile. Moi j'imaginais jamais que le monde magique serait aussi... enfin... Qu'il s'y passerait tant de trucs.

Et puis qu'aurait pu y changer la Bleue et Bronze ? Certes, Page aurait été heureuse de pouvoir partager avec son amie, et il aurait été bon de la savoir juste là, à ses côtés, mais les faits n'auraient changé en rien. Elle aurait tout de même rencontré le taré, elle aurait tout de même subi l'horrible nuit avec Bower dans les cachots, elle aurait tout de même été virée par Ombrage, et pareil pour tout le reste. Sauf les retenues peut-être. Canelle aurait peut-être calmé les ardeurs de la lionçonne. Mais ce n'était pas bien lourd en regard de tout le pétrin dans lequel la rouquine avait réussi à se fourrer toute seule. La douce blonde ne devait vraiment pas s'en vouloir pour ça. Chassant les doutes de son amie d'un sourire, Page sauta de sa fenêtre et atterrit sur ses pieds devant la Serdaigle.

- En tous cas, j'espère bien que tu vas plus m'laisser ! De toutes façons, moi, j'te laisse plus partir ! affirma la gosse en lançant quelques petits coups de poing amicaux dans l'épaule de la Bleue et Bronze. En plus, y va falloir que je te brieffe sur les gens à éviter dans le château... Tu vas voir, tu vas te réacclimater. J'dirais pas sans prob vu l'ambiance, mais ça va aller. Pis de toutes façons, tu peux compter sur moi. J'laisserai personne te faire de mal.

Canelle encaissa les petits coups de poing de Page avec tendresse. Elle savait ce qu'ils signifiaient et çà lui faisait chaud au coeur. Après les premiers jours passés ici, elle aurait bien besoin de Page, elle le sentait. Canelle avait beaucoup de mal à suivre en cours, pas vraiment de courage pour étudier le soir et rattraper le retard. Elle se demanda si le choixpeau l'aurait envoyée à nouveau à Serdaigle, s'il lui avait pris la lubie de le recoiffer à la rentrée. Les livres, les bibliothèques, qu'elle affectionnait autrefois n'avaient plus le même charme. L'incertitude l'avait envahie, s'était faite une place et n'en bougeait plus.

Elle se peletonna contre Page, déposa un bisou sur sa joue et resta là. Elle se sentait bien.

-T'es un ange. J'avoue que j'ai un peu de mal avec tout çà. Les cours aussi. Je ne comprends pratiquement rien dans certains. J'ai pris trop de retard.

Puis elle se rappela que son amie faisait partie de ceux que les Carrow persécutaient, et le pénible cours de métamorphose lui revint en mémoire, avec la séparation des élèves dans sa classe.

-C'est une honte cette ségrégation. Tu es bien meilleure élève que moi. C'est moi qu'on devrait faire asseoir dans un coin de la classe, avec les ânes...

Canelle se sentit rassurée par la gentillesse de Page. Elle tourna son visage vers elle et sourit réellement, les yeux brillants. Avec le petit feu follet à ses cotés, tout irait bien. Et si d'aventure çà n'alait pas bien, Page serait quand même là. Elle réordonna une des mêches rousse en bataille, du bout des doigts, sur le front de son amie.

-Même si je dois y laisser la peau de mon dos, je serai toujours là pour te défendre contre ces brutes racistes de Carrow, Page. Si tu a le moindre ennui, parles-m'en.

Tiens ! J'ai quelque chose à te montrer...

Elle fouina dans la poche intérieure de sa robe et en tira une pochette qui contenait quelques photos d'un bébé qui gigotait dans son berceau. La tiote avait le crâne parsemé de quelques cheveux tirant entre le roux et le chatain, et des yeux couleur de miel.

-Je te présente Ambre O'Riordan. La future perle de Poudlard, hi hi ! Elle tient plus de papa que moi. Espérons qu'elle n'attrape pas sa tignasse couleur carotte... Heu ! Je veux dire, il faudrait qu'elle ait un roux plus flamboyant quoi... Comme toi.

Donc, voilà Ambre. Pour l'état-civil, ce sera Omra, comme moi c'est Caineal, mais ce sera Ambre et Canelle comme notre Française de maman l'a décidé, et qu'elle a toujours le dernier mot.

Page étant Irlandaise aussi, aucun besoin de préciser qu'ómra est l'ambre en gaélique. Ainsi, durant l'absence de la Serdaigle, la famille O'Riordan s'était agrandie.

La voix de Page tira Canelle de sa douce rêverie. Là, seule avec elle, elle était bien. Elle aurait voulu grimper sur les genoux de son amie, piétiner un peu en ronronnant, se rouler en boule et y pousser un gros soupir de contentement en fermant les yeux. Au rappel de l'heure qu'il était et de la nécessité de se nourrir, elle sourit à Page et déposa un bisou léger sur sa joue. Elles auraient d'autres moments comme celui-ci, et tout le temps devant elles pour soigner leur amitié comme une plante fragile.

Puis elle se leva, prit les deux mains de la rouquine pour qu'elle la suive et elles prirent le chemin de la grande salle. Canelle tenait Page par la taille et marchait d'un pas léger. La discussion avait chassé cet air mélancolique qu'elle arborait, et embelli ses idées. Petit tour de force que la Gryffondor venait d'accomplir là, sans peut-être qu'elle s'en rende compte elle-même. Le spleen de Canelle, pourtant bien enraciné, avait été balayé en partie par un vent frais et léger.

-Prends soin de toi, quand je ne suis pas dans le secteur, hein ? Je te promets d'en faire autant de mon coté.

Tout en marchant, du coin des yeux, son regard revenait souvent se poser sur la flamboyante tignasse en bataille. Celui qui toucherait à un seul de ces cheveux de feu ferait beaucoup de peine à Canelle. Bien plus de peine que si on s'en prenait à elle-même. Cela ne troubla pas la Serdaigle. Elle trouva çà normal, et ne se posa pas plus de questions. Elle ne savait pas encore que le temps des questions viendrait bientôt. Sur çà et sur beaucoup d'autres choses...

HJ : on peut clore. Merciiiiii Pageounette.