- Euh... Pardon, je suis vraiment désolée de te déranger mais est-ce que tu saurais par hasard où se trouve la bibliothèque parce que j'ai des recherches à faire et j'ai besoin d'une encyclopédie mais si je t'embête dislemoipardonpardonpardonjesuisdésolée...

C'était sensiblement ce qu'avait baragouiné la petite Garance, à l'intention d'un élève de troisième année, tandis que ses joues prenaient une teinte rouge des plus subtiles. Et pourtant, Merlin seul savait à quel point elle l'avait méditée, sa question ! Prostrée dans un coin de sa salle commune, elle avait passé presqu'une heure à se donner du courage, alors qu'autour d'elle, ses condisciples bavassaient joyeusement, profitant des premières heures du week-end pour se détendre.

*Allez j'y vais maintenant... Non, dans trois secondes... Enfin quatre... Allez, je vais aller demander à elle, là-bas ! Elle a l'air vraiment gentille... Mais elle est super belle aussi ! Elle ne voudra jamais m'adresser la parole, je vais gâcher son éclat ! Mince... Elle est partie... Euh... Bon, je vais demander à lui... Ah non, il est trop grand, il fait peur ! Euh... Houlàlàlà...*

Tel était l'enchaînement de pensées qui s'était tenu dans l'esprit de la timide Garance. Malheureusement pour elle, ses hésitations continuelles ne faisaient que renforcer sa paralysie et sa panique de seconde en seconde.
D'un côté, si elle ne parvenait pas à trouver le chemin de la bibliothèque, elle ne pourrait jamais rendre un devoir de métamorphose convenable. Si elle ne rendait pas un devoir de métamorphose convenable, le professeur MacGonagall la punirait sévèrement. Si le professeur MacGonagall la punissait sévèrement, le directeur en aurait vent. Si le directeur en avait vent, il la renverrait. S'il la renvoyait, ses parents la renieraient. Si ses parents la reniaient, elle n'avait plus qu'à se laisser mourir de désespoir.
D'un d'autre côté, si elle allait demander de l'aide à un de ses aînés, ils la mépriseraient certainement à vie. S'ils la méprisaient à vie, ils lui feraient la vie dure. S'ils lui faisaient la vie dure, elle tomberait en dépression. Si elle tombait en dépression, ses notes seraient catastrophiques. Si ses notes étaient catastrophiques, le directeur en aurait vent. Si le directeur en avant vent, il la renverrait. S'il la renvoyait, ses parents la renieraient. Si ses parents la reniaient, elle n'avait plus qu'à se laisser mourir de désespoir.
Bien entendu, elle pouvait également essayer de trouver la bibliothèque par ses propres moyens, mais elle était tellement maladroite et hésitante qu'elle se perdrait probablement. Si elle se perdait, elle errerait dans le château durant des jours et des jours. Si elle errait dans le château durant des jours et des jours, elle finirait par s'effondrer de fatigue. Si elle s'effondrait de fatigue, elle mourrait dans un coin de couloir poussiéreux, seule et oubliée de tous, même qu'on ne retrouverait son petit squelette que des décennies plus tard, un jour de grand ménage.
Bref, dans tous les cas, elle était condamnée.

*Mais si je meurs dans un couloir, je garde l'estime de mes parents... Sauf que mourir d'inanition, ça ne doit pas être agréable...* avait-elle estimé machinalement.

Finalement, au moment même où - après quinze bonnes minutes de débat intérieur animé - la rouquine avait presque résolu de partir en expédition dans les couloirs (presque seulement, elle avait encore un point à régler : devait-elle emporter des vivres ou non ? Si elle en avait, elle tiendrait le coup plus longtemps, mais ne fallait-il pas mieux en finir au plus vite plutôt que de laisser traîner l'agonie ?), à ce moment là, donc, un élève de troisième année était entré dans la salle commune. Son sauveur. Non qu'il fût plus petit ou moins beau que les autres Poufsouffles, seulement lui, elle le connaissait. Enfin, de loin. Disons qu'il lui avait donné un verre de jus de citrouille, lors de la fête de rentrée, geste qui créait nécessairement des liens entre eux, non ? Bon, d'accord, il avait offert un verre à presque tous les petits nouveaux qui se trouvaient dans les parages. Mais l'un dans l'autre, il s'était révélé excellent, ce jus, et surtout, pas empoisonné du tout. Garance pouvait donc en conclure que le Poufsouffle n'avait rien d'un sadique en puissance et qu'il était potentiellement digne de confiance.

*Ou alors justement, c'est un piège... C'est un maniaque qui assassine les premières années, mais il cherche d'abord à lever leur méfiance et... Nononononon, c'est un Poufsouffle, il est forcément gentil !*

Fort heureusement - et avant même qu'elle n'ait eu le temps de réaliser ce qu'elle faisait - ses jambes avaient pris le pas (dans tous les sens du terme, aha) sur son cerveau. Les genoux un peu tremblotants et la mine peu rassurée, Garance avait intercepté le jeune garçon avant qu'il ne rejoigne son dortoir (*Oh mon Dieu ! Je viens de me mettre en travers de son chemin ! Il va me tuer !*). Et de lui demander ce que l'on sait.
Pivoine, les yeux écarquillés pour ne pas pleurer, Garance s'était plaquée la main sur la bouche d'un air horrifié. Oh Merlin ! C'était abominaffreux ! Elle avait osé demander quelque chose à un élève plus âgé qu'elle ! Il allait la trucider sur place d'un seul regard glacial !

*Fuis, fuis !* se tança-t-elle mentalement.

Mais ses mollets, qui faisaient si bien leurs malins quelques minutes auparavant, avaient subitement décidé que non, non merci, nous, on en a assez fait pour la journée, je crois qu'une petite sieste s'impose. Entre parenthèses, elle allait devoir se rendre à la bibliothèque en rampant, si elle ne reprenait pas rapidement le contrôle de ses muscles. Enfin, l'un dans l'autre, comme elle allait mourir, hein, elle n'en avait plus rien à cirer, du devoir de métamorphose.
Toutefois, contre toute attente - peut-être aurait-il mieux valu ne jamais dire à Garance que Poudlard était devenu un repaire de mangemorts - le troisième année ne sortit pas sa baguette pour la provoquer en duel et la réduire en purée sanguinolente (parce qu'il ne fallait pas se leurrer ! Une pauvre première année débutante en magie et affublée de la baguette capricieuse de sa grand-mère, elle n'allait pas résister plus d'un quart de seconde !). En fait - Ô Miracle - son camarade la renseigna même avec bonne humeur. Mieux ! Il prit la peine de lui dessiner un petit plan sur un bout de parchemin. Garance en aurait pleuré de reconnaissance.

- Mer... Merci... Balbutia-t-elle, hébétée, en serrant le plan contre son coeur (sans se rendre compte que, l'encre n'étant pas encore sèche, elle allait en mettre partout sur sa chemise) tandis qu'elle gratifiait son aîné d'un regard éperdu de gratitude.

Retrouvant subitement l'usage de ses jambes, elle s'empressa de sortir de sa salle commune... Direction, la bibliothèque ! Finalement, tout n'allait pas si mal ! En plus, le plan du troisième année - bien qu'un peu baveux maintenant qu'elle l'avait consciencieusement serré contre elle - était assez clair et, le chemin pour atteindre le Royaume du Savoir non, pas la salle commune des Serdaigles... Non, pas le bureau de Flitwick non plus... Pardon ? Celui de Rogue ? Euh... était très simple : il suffisait de grimper cinq étages (en priant pour que 1) les escaliers ne bougent pas et 2) elle ne tombe pas sur une marche piégée... Quelqu'un lui avait dit que certaines marches mangeaient les jambes. Si !), de prendre le premier couloir sur la droite, et hop, on débouchait sur la bibliothèque ! Du moins, si son camarade ne lui avait pas volontairement donné un plan moisi...

Mais à peine cette idée avait-elle traversé l'esprit de Garance qu'elle arrivait bel et bien devant la bibliothèque. Ouf, mission accomplie ! Gonflée à bloc, la fillette se glissa à l'intérieur, plus discrète qu'une souris, et entreprit de trouver le rayon consacré à la métamorphose.

*Histoire de la magie, non. Etude des moldus, non. Créatures maléfiques, non... Euh... Pardon ? Créatures maléfiques ? Mais... Mais... C'est quoi, cette bibliothèque ?! Créatures ma... Aaaah ! Non ! Magiques, pardon ! Créatures magiques ! J'ai eu peur ! Ah voilà ! Métamorphose...*

Plutôt contente d'avoir trouvé sans plan les étagères qui l'intéressaient Ikea, Garance parcourut les rayonnages d'un doigt circonspect jusqu'à ce qu'elle tombe sur le grimoire qu'elle cherchait. Super lourd, le grimoire, soit dit en passant ! A tous les coups, c'était un complot administratif pour 1) décourager les élèves - et donc en renvoyer un maximum, ça faisait moins de copies à corriger - et 2) transformer le dos des valeureux besogneux en paradis des kinés.
La Poufsouffle mobilisa cependant ses petits bras musclés pour porter l'ouvrage jusqu'à une table libre, gonflant les joues, tel le poisson rouge lambda, sous l'effort. Dans un "bam" sonore qui la fit rosir jusqu'aux oreilles, elle déposa le livre sur son pupitre avant de s'installer. Quelques minutes plus tard, elle était plongée en plein travail.

*Attends, il se rapporte à quoi, ce schéma ? Pourquoi est-ce qu'elle est effacée, la note, en bas, là ? Pfff, en plus c'est illisible !*

Garance plissa le front d'un air anxieux : elle avait le sentiment de ne rien comprendre. Arg ! Elle le savait qu'il y avait eu un erreur dans sa lettre pour Poudlard ! Elle n'était pas faite pour la magie ! Elle était une moldue perdue au milieu de mangemorts... Maman...
C'est sensiblement à cet instant, alors que la rouquine sombrait de nouveau dans la paranoïa, que le drame survint. Attention, ça va aller vite. Quelques mètres plus loin, un élève enrhumé éternua violemment, tirant Garance de ses pensées. Surprise, elle sursauta sur sa chaise et se retourna vivement en direction du bruit. Dans la précipitation, son coude heurta l'encrier ouvert et ne renversa. En un "bloupbloup" de mauvais aloi, le liquide se déversa sur le grimoire.

- Oh non ! Oh nonononononon !

Paniquée, la fillette pâlit sensiblement. D'une main fébrile, elle releva l'encrier. Trop tard ! Le mal était fait : les pages qu'elle était en train de consulter étaient détrempées, noires d'encre. Au bord des larmes, Garance tira son mouchoir de sa poche et entreprit désespérément d'absorber l'encre. En vain ! La bibliothécaire allait la tuer.

Garance avait les mains noires d'encre et était, pour tout avouer, au bord du suicide parfaitement, non, ce n'est pas outrageusement exagéré !. C'était la seule manière de se tirer honorablement de cette situation. En même temps, si elle ne mettait pas elle-même fin à ses jours, Madame Pince s'en chargerait certainement en constatant que la Poufsouffle avait transformé sa magnifique encyclopédie en éponge. Les yeux de la fillette étaient brillants de larmes et elle reniflait d'un air pathétique. Elle avait bousillé un livre de la bibliothèque ! Elle était une criminelle ! Elle méritait la pendaison en place publique ! Sa pauvre mère, qui ne lui avait que trop recommandé de ne pas faire de vague, allait être fort déçue par son attitude. Non seulement elle avait trahi l'article cinq bis du règlement intérieur ("Il est formellement interdit de dégrader le matériel scolaire. Toute dégradation sera sanctionnée de la manière qu'il convient d'exercer.") mais en plus, elle avait trahi sa propre famille. Oui, elle était la pire des misérables !

D'un geste machinal, la petite se frotta le nez, malheureuse. Grave erreur ! Lorsqu'elle retira sa main, le bout de son nez oui, va trouver un synonyme poli à nez, toi ! était artistiquement constellé d'encre. Entre sa chemise, ses mains et maintenant, son nez, Garance menaçait de se transformer en Ink Girl. Les yeux rivés sur le grimoire sacrifié à sa propre maladresse, la jeune Meanor se sentait incapable d'esquisser le moindre mouvement pour, par exemple, prendre ses jambes à son cou avant que Madame Pince n'ait eu le temps de ramener ses fesses de son côté. Oh ! La fuite serait certainement vaine et puérile : ce dragon de bibliothécaire aurait tôt fait de découvrir la coupable et alors, gare aux représailles mais, pour le moment, Garance avait juste envie d'être ailleurs. Loin. Très loin. Aux Antilles, par exemple !

*Il paraît que le concierge a le droit de torturer les élèves, maintenant !* songea-t-elle, horrifiée.

A cette idée, une puissante envie de vomir lui tordit l'estomac et elle pâlit sensiblement. Pitié ! Elle était trop jeune pour mourir ! On notera qu'en une petite heure, elle avait probablement frôlé la mort plus souvent que Potter. Ce fut à cet instant précis, alors que les premières larmes de détresse muette roulaient sur ses joues, que Dominic surgit. La Vierge lui serait apparue que Garance n'aurait pas eu l'air plus ébahie. Elle ouvrit la bouche, la referma aussi sec, et coula un regard aussi timide que débordant de reconnaissance pour le jeune garçon qui, tel Batman à l'appel de Gordon, venait lui porter secours. Valeureux chevalier en culottes courtes, n'ayant cure de l'ire bibliothécaire !

- Mer... Merci... hoqueta la rouquine, en s'efforçant de contrôler ses sanglots nerveux.

Elle parvint à se calmer un peu et adressa un sourire tremblotant à l'adresse de Dominic, qui venait, lui aussi, de foutre en l'air son mouchoir dans une tentative de sauvetage désespérée. La fillette s'aperçut alors que le Poufsouffle qui venait de voler à son secours n'était guère plus âgé qu'elle. En réalité, elle était même persuadée qu'ils étaient dans la même classe. Arf ! C'était bien sa veine ! Pour une fois qu'elle pouvait faire connaissance avec quelqu'un de son âge, il fallait qu'elle commence par se ridiculiser !

*Bouh ! Maintenant il va m'en vouloir d'avoir tué son mouchoir et il va me vendre à Madame Piiiiiince ! Et après, il ira raconter à tout Poufsouffle que je suis une gouuuuuurde !* songea-t-elle en se tordant les mains avec désespoir

Mais pendant qu'elle perdait son temps à spéculer sur son lynchage prochain, Dominic, lui, cogitait et se révélait, par là même, bien plus efficace qu'elle ! Pardon ? Lancer un sortilège ? Mais... Mais... Est-ce que ça ne risquait pas d'aggraver la situation ? C'était très dangereux, tout de même, la magie ! Peut-être que le livre allait partir en fumée ! Peut-être qu'ils allaient faire exploser toute une aile du château ! Garance fronça les sourcils tout en se mordillant nerveusement la lèvre inférieure. Ses prunelles bleues fixées sur le livre, elle parut pensive un court instant. De toute évidence, l'encyclopédie ne pourrait être sauvée à grand renfort de mouchoirs, alors, perdue pour perdue... Elle redressa subitement la tête et darda un regard grave, étonnamment déterminé, sur Dominic.

- D'accord, on essaie... Mais... Mais... Ma baguette à moi est naze, alors tu penses que tu pourrais... ?

Garance laissa sa phrase ne suspens. Après tout ce que Dominic venait de faire pour elle, elle se sentait vraiment gênée de lui demander de lancer le sort à sa place ! Après tout, elle s'était mis toute seule dans ce sale pétrin, il aurait bien raison de la laisser tomber avant que Madame Pince ne les voit ! Honteuse, elle baissa les yeux en direction de ses souliers.