Ce qui allait devenir Aludra se levait.
Ce n'était pas encore Aludra, c'était une créature poilue, qui puait de la gueule, et avec les yeux en trous de pine. Il se gratta la joue en baillant, le réveil était difficile. Retombant mollement dans son lit, il songea à ce qu'il devait faire ce jour là, c'est à dire pas grand chose. Flâner au chemin de traverse lui semblait être un bon programme, mais déjà fallait qu'il ressemble plus à une flaque de vomi séchée, ça serait un bon début. Il alla – rampa – vers la salle de bain, l'endroit où il commençait à prendre vie. Il passa un long moment sous l'eau chaude, se lava les cheveux, s'accorda une branlette bien méritée, se rasa, et hop, il avait l'air plus humain. Aludra minauda ensuite à poil devant son miroir (qui ne l'a jamais fait ?) en examinant chaque pores de sa peau de près, listant ses défauts et qualités physiques. Il s'étira les bras derrière sa tête pour voir mieux les lignes de son corps. Sa cage thoracique ressortait de manière désagréable, les côtes du bas surtout, mais il aimait beaucoup l'espèce d'os qui ressortait en dessous de ses aisselles. Son dos aussi, tout ça, ses hanches, il fit un listing.
Puis il alla se faire un café et s'habiller, parce que marre des conneries hein.
Il refit magiquement sa coloration (il était blond de base) et examina sa garde-robe d'un œil attentif. Bon, question existentielle et essentielle du jour : Quelle fringue mettre ? C'était le leimotiv de sa vie cette question, elle revenait quotidiennement et à chaque fois il prenait du temps pour y répondre. Un magasin de vêtements en période de soldes était pour lui sa conception du bonheur, et il adorait les fringues moldus, y avait plus de choix. Il se souvenait d'une période pas si ancienne – son adolescence – où il n'aimait pas ça, où il avait du mal à être aussi exubérant. C'était loin tout ça pour lui, mais quand il y repensait, il avait un peu honte. Et puis il savait que Vega n'approuvait pas. Il l'aurait voulu docile, studieux, et calme. Pas de chance, il ne l'était pas. Il essayait de faire des efforts pourtant, mais ça capotait toujours. Il aurait tellement voulu lui plaire ! Ça le stressait, ça lui foutait la pression de ne pas lire de l'admiration, ou même de la considération, dans les yeux de son frère. En fait, ça le tuait.
Aludra opta pour une panoplie qui n'avait rien d'original, mais qui lui plaisait bien : Un pantalon en cuir, des Doc Martens dix huit trous et un T-shirt blanc avec écrit « Queen Adrena Suck ». Mais avant de sortir, il fallait respecter les trois commandements du matin, les 3 C : Café, Clope, Caca. Il les respecta, et pu enfin transplaner au Chemin de Traverse.
...
Il était deux heures de l'aprem (matin vous avez dit matin ?) et la rue était bourrée de monde. Mais même avec cette foule, Aludra ne put louper THE détail, celui qui allait bouleverser le cours de la journée. Il y a des choses comme ça qui touchent un homme au plus profond de lui même, qui remuent quelque chose en lui. Cette chose là en faisait partie et Aludra alla droit à travers la foule, droit vers son objectif.

- Oh my god ! Un foulard bleu Klein Chanel collection été 97 ! Comment vous l'avez eu ?!

Oui, ça venait de sortir, et Aludra ne l'avait pas. Ça coûtait la peau des fesses qui plus est. Le gamin avait l'air d'avoir dix sept ans, comment il avait eu ce truc ? Le jeune homme n'en savait rien, mais il était vert de jalousie. Le bleu Klein c'était THE truc du futur en fringue quoi (monochrome ? Tableau ? Abstrait ? What the fuck ?). Il veut ça, il le veut il le veut il le veut.

Aludra considéra le jeune homme : Ils devaient être relativement proche en âge, mais lui même était bien sûr plus âgé. A la réflexion, il lui donnait franchement dix sept ans. Mais il y avait un petit quelque chose chez ce type qui faisait vraiment... Enfant. Il regardait Aludra comme si il se demandait intérieurement « bon, maman m'a dit de pas parler au inconnu, je lui réponds ou pas ? ». Enfin, il était sans doute d'un naturel timide, pas trop encore sorti de l'adolescence sans doute. Car si Aludra savait si bien faire le con, c'est parce qu'il avait atteint un âge où il était facile de le faire et où on comprenait suffisamment bien les mécanismes de la puérilité pour la simuler. Avant c'est plus difficile d'avoir les couilles de parler fort de se mettre en scène. Enfin Aludra n'avait pas ce raisonnement de manière consciente en tête, il se disait juste que le type était un peu timide, et puis il en avait un peu rien à foutre pour tout dire, lui il voulait le foulard.
Un agence qui donnait des foulards qui valait deux fois un SMIC ? Le type devait être mannequin ! C'est vrai qu'il était mignon, à la réflexion (le jeune homme n'avait pas fait gaffe à ce détail). Pour avoir des cadeaux comme ça, Aludra voulait bien être mannequin aussi ! ... Bon il avait pas vraiment le profil, un peu trop petit/trop maigre/trop androgyne pour ça à la réflexion.
Le jeune homme lui posa une question qui n'avait strictement rien à voir : Il cherchait un livre de métamorphose. Il suivant donc encore des études. C'est vrai que c'était l'âge, et ça le serait sans doute encore longtemps sauf si son grand frère l'obligeait à l'arrêter, et qu'il dise rien parce que c'était Grand Frère et qu'on obéissait à Grand Frère de toute façon. Mais ça ne risquerait pas de lui arriver, il n'y avait que Aludra pour avoir un ainé aussi... possessif.

- Euh... Ben j'sais plus, ça fait longtemps que j'ai quitté l'école tout ça... Y a pas à Fleury et Bott ?

Ben non qu'il y avait pas, ducon, sinon il demanderait pas le petit monsieur. Mais ça surprenait Aludra, il y avait tout dans cette librairie à la con. Du moins suffisamment pour suivre sa scolarité à Poudlard. Peut être le jeune homme suivait il des études très spécialisés à l'UMA ? Un cours du style « comment transformer selon votre troisième décan dans le sens des aiguilles d'une montre en regardant le portrait de votre grand-mère d'après un sorcier pas connu qu'a eu le Nobel ». Dans ce cas, il avait plus de dix sept ans, ah, peut être même qu'ils avaient le même âge et qu'il faisait vraiment, vraiment, très jeune. C'est pas de chance ça quand même, d'avoir une tête et un comportement de pucelle.

- Hum... Enfin désolé si j'vous ai effrayé... Il tendit sa mimine. Aludra ! ... Et vous savez pas où j'pourrais trouver un foulard pareil que l'votre ?

Oui parce que bon, parler de livre c'est bien gentil, mais il voulait le foulard ! Bon, évidemment, sans doute qu'il ne le porterait pas si il l'avait, mais acheter un tas de truc permettait de calmer une certaine... Frustration. Une frustration de quoi, il le savait pas, mais au final sa chambre s'emplissait d'un tas de choses ni utiles ni belles, mais qui était là et qu'Aludra pouvait contempler à loisir. Il avait toujours été comme ça, petit dans sa maison Playmobil (ou l'équivalent sorcier) il foutait tout un tas de merde pour que ça fasse bien plein, bien meublé, que ça encombre, que ça prenne de la place, que ça soit riche, riche de détails et de couleurs. Fallait que ça soit là, c'est tout.

- Mais vous êtes mannequin en fait ? Dans une agence et tout ? C'trop classe ! Aludra était légèrement bavard, juste un peu... En fait c'était aussi pour remplir un vide. Il y avait des gens comme ça, ils savaient pas vivre dans le silence, c'était pas possible. Ils avaient besoin d'un tas de blabla, même inutile, sans quoi d'insondables angoisses les envahissaient peu à peu. Aludra en faisait parti, et en plus il adorait le son de sa propre voix. Il aimait penser qu'il révisait pour enfin tenir un long dialogue avec Vega, où il pourrait l'impressionner de sa verve et de sa culture. C'est beau de rêver (bis).

Le jeune homme riait, et Aludra comprenait pas trop pourquoi. Lui il enchaînait les questions, c'est tout. Et non, il ne savait pas que en fait, c'était pas sorti. Il avait juste vu le foulard au détour d'un magasine X ou Y et il avait noté que c'était in, voilà. Et pour lui, ce qui était dans les magasine n'était pas réel, on pouvait pas les croiser dans la rue, alors voir un truc hype en vrai... Il se serait éjaculé dessus, le pauvre homme. En plus porté par un mannequin authentique... Ouh là là... Les mannequins, ça vivait au Ritz, pas au chemin de traverse, en voir un en vrai, c'était toucher du doigt une élite quasi divine, un truc de ouf quoi.
Mais je vous rassure, Aludra ne s'était pas éjaculé dessus, si vous vous posiez la question.
Mais bon, le type avait pas l'air de se moquer de son ignorance, et même, comble du bonheur, il l'avait complimenté. Pas un compliment de pédé en plus, il lui avait dit qu'avec des centimètres en plus, il aurait pu lui aussi poser dans un magasine – l'idée lui plaisait pas trop, mais bon – et ça, comme truc gentil, ça valait son pesant de cacahouètes. C'était sorti hyper naturellement en plus, parce que le garçon avait l'air bien spontané, c'était un coup à vous illuminer la journée ça donc. Et même, il était tellement spontané le mec qu'il voulait qu'ils se tutoient. Et l'idée plaisait à Aludra, mais il n'eut pas le temps de le dire parce que le type – enfin mentalement, il l'appelait Alix, plus poli que « le type » - enchaîna sur un autre truc, encore plus ouf que les précédents : Il l'invitait à un défilé. Alors là, il crû qu'on se foutait de sa gueule, mais y avait pas de caméra cachée autour. Enfin si c'était de la comédie, c'était franchement bien imité, parce que le gars avait l'air un peu inquiet qu'il refuse; au vu de l'incongruité de la demande justement. Aludra prit une tête de poisson mort, c'est à dire avec de grands yeux un peu vide et bien écarquillé – il n'avait pas l'odeur, heureusement – tellement il était surpris. Euh... Il devait réagir comment ? Dans le doute, il ne dit rien, et laissa le jeune enchaîné avec d'autres questions, sur ses activités professionnelles notamment. Peut être qu'il se sentait seul et qu'il avait personne pour le voir défiler ? C'est vrai qu'il avait l'air timide.

- Je bosse à l'UMA, un truc un peu moisi genre. Assistant tout ça.

Il ne précisa pas que c'était avec son Grand Frère, qui avait refusé de le voir glandouiller à longueur de journée et qui lui avait trouvé un poste de larbin bien humiliant. Au lieu de se dire que Vega était peut être un chouilla cruel, il avait conclu que c'était parce que lui même le méritait et qu'il n'était qu'un sale con... Et la confiance en soi et l'estime, c'est pour les chiens.

- Naaan, j'veux pas bosser là dedans, c'est stressant et tout... Et puis j'veux pas être anorexique et cocaïnom... Petite pause, oui, ce qu'il venait de dire était très méchant pour Alix, et il en était désolé, il grimaça. Non c'est du stéréotype ça, désolé... Grosse pulsion de culpabilité et élan de sincérité. En fait c'est parce que je veux pas que mes proches ait une image de moi euh... Stéréotypée justement. Ce qu'il voulait dire par là, c'est qu'il voulait pas que Grand Frère Divin et Vénéré croit qu'il était gay. Oui c'est idiot mais j'ai jamais dit qu'Aludra était intelligent. Et puis les idéaux des mangemorts, c'était pas franchement libération sexuelle et compagnie. De toute façon Aludra s'était formellement interdit toute forme de sexualité, ce qui faisait qu'à vingt ans approchant, il était vierge comme la rosée du matin et s'en satisfaisait fort bien. Ça marchait un peu comme les meutes de loup, les dominants font pression sur les autres pour que les femelles n'aient pas de chaleur et que le reste de la bande ne s'accouple pas. Ben Aludra c'était pareil, chaque fantasme qui lui traversait la tête était soigneusement chassé, détruit, enterré dans un grand trou et recouvert d'un tas de trucs pour pas que ça se voit. La branlette avait donc pris un aspect juste hygiénique, puisque Aludra – très renseigné sur le sujet donc – avait peur que ça « s'infecte » si il vidait pas. Grande classe je sais, mais c'était un risque à prendre en me lisant, vous étiez prévenu venez pas vous plaindre.

- Mais quant au défilé... T'es pas censé venir avec un ami proche, de la famille ou un truc comme ça ? J'suis euh... Surpris... C'est euh... généreux comme offre...

Si Aludra avait été au courant des choses du monde, il aurait peut être pris ça pour de la drague. Et si il avait été encore plus au courant, il aurait vu que ce qu'il prenait pour un jeune homme avait en fait quatorze ans et... Il aurait été tout content d'avoir un copain du même âge mental que lui qui était bloqué à mi-chemin entre l'âge adulte et l'adolescence. Il y avait des mécanismes qu'il comprenait – l'importance de l'image, le fait qu'on pouvait pas être continuellement en rébellion contre l'autorité et qu'il fallait parfois se soumettre, idée qu'on digère mal à quinze ans – et d'autres qui lui passait carrément au dessus de la tête – la sexualité par exemple. Mais là il était en émerveillement devant ce jeune homme qui lui parlait avec respect, dont il n'avait pas peur du jugement, qui ne le prenait pas pour un con.
Parce qu'Aludra aussi se sentait un peu seul parfois, il voulait pas croire qu'on se foutait de sa gueule, ça lui aurait fait trop mal.

Il nota soudain que Alix cherchait des yeux quelque chose, sa fameuse librairie sans doute, et du coup par mimétisme il chercha des yeux aussi. Et puis là, le flash, la révélation. Il faut savoir que la métamorphose était la matière préférée d'Aludra pendant sa scolarité, et que c'était même le seul cours qu'il abordait sans avoir peur de l'ennui et de la difficulté. Il se souvenait donc encore des endroits où il trouvait des bouquins sur le sujet, et pris soudain la main du jeune homme – sans qu'il ait eu le temps de répondre à ses questions sur son « défilé », parce que les réponses lui fasaient un peu peur - pour l'entrainer vers une obscure librairie planquée dans un petit coin, et qui avait pour principale caractéristique d'être assez complet niveau bouquin de métamorphose.

- Là, tu vas trouver ton bouquin !

Il le planta devant, et resta en face de lui, un peu biscuit dans le cul pour le coup.

Le gamin était rentré dans la boutique, et si seulement Aludra avait été un peu moins con, il ne l'aurait pas suivi. Pour tout un tas de raison, pour le fait qu'on ne suit pas un parfait inconnu, qu'on ne joue pas à la tarlouze quand on fait parti d'une organisation extrémiste. Pour ça et pour le reste. Détournement de mineur, ça peut mener très loin, même si il ne s'était rien passé. Un type qui parle aigu, qui a le mot « suce » sur son T-shirt, qui porte un pantalon moulant, et surtout qui suit un gamin de quatorze ans mignon, ça fait quoi ... ? Ça fait des embrouilles. Du moins aux yeux des autres. Mais tout ça, Aludra s'en tamponnait le coquillard, d'ailleurs il n'y avait même pas pensé (mais il pense à quoi alors ?).
Le jeune prit un bouquin dans un rayon, et Aludra, un peu sans gêne, lu par dessus son épaule. Un bouquin sur les métamorphomages ? Un peu costaud quand même non ? Le problème d'Aludra, c'était que son champ d'ignorance était sans borne, il n'en savait donc pas trop sur le sujet, et n'arrivait pas à précisément définir ce qu'était un ADN. Merde, l'élite intellectuelle est parmi nous, faut faire quoi ? ... ou alors le problème le concernait de près ou de loin, et Aludra partant du principe qu'un métamorphomage, c'est un mec très malade, il avait un peu les foies. Ça devait pas être Alix le malade, il n'en avait pas l'air. Sa maman ? Un ami (ah non il en avait pas, c'est vrai) ? Sa sœur ? Autant lui poser la question non ?
Aludra n'eut pas le temps d'ouvrir la bouche que le jeune homme était parti payer ses achats. Il le suivit donc docilement. Ouh là, sacrée somme. Celui là, il devait quand même avoir un peu de pognon. Lui, avec son boulot de merde, il ne pouvait pas en dire autant.
Bon, maintenant qu'il était cérébralement disponible, Aludra allait pouvoir lui demander quant au métamorphomage, ce qu'il voulu faire en ouvrant la bouche, mais il fut encore une fois doublée par la question qui tue. Enfin elle tuait pas spécialement, mais quand même il se sentait doublé, et il fallait qu'il trouve vite une réponde pour pouvoir poser la sienne de question.

- Ouais, allez.

Le ouais allez de quelqu'un qui se mouille pas trop. Juste pour le fun, pour voir, pas de prise de risque pas d'enthousiasme déplacé. Comme ça si c'est un plan où on le vole, le tue et le viol (dans cet ordre), il pourrait dire au moment où la lame s'enfoncera dans son ventre « bah t'façon j'savais que c'était pas vrai ». Le ouais allez, c'est un truc de gens prudents qui veulent faire semblant de prendre des risques.

- Le truc du bouquin sur les métamorphomages, c'est un machin qui te concerne ou tu t'intéresse juste beaucoup à la métamorphose ?

Ben voilà, il l'avait casée, sa question. Et c'était une question qu'il estimait intéressante car lui même aimait bien la métamorphose, il avait même eu optimal à ses ASPIC pour cette matière là, c'est dire si ça l'intéressait. Malheureusement il n'avait pas pu continuer sur cette voie, et là on entame tout un monologue sur les rêves brisés, les espoirs déçus et tout ça. Blah blah blah. Vous connaissez la chanson. Si Aludra n'était pas totalement foutu, il était quand même sacrément emmerdé. Oui bien sûr il pouvait reprendre ses études tout ça, rien ne l'en empêchait. Mais il faudrait que son frère meurt, ou qu'il disparaisse. Bref, que la chape de plomb qui étouffait Aludra ne soit plus là et qu'il puisse vivre sans trop se prendre la tête. Les mangemorts, qu'il croyait libérateur, n'était qu'une contrainte de plus qui lui imposait une morale et des valeurs. Il avait crû y adhéré plus librement, le con.