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12h40.

On redresse le menton, on regarde droit devant, et on arrondit les hanches en marchant. Les stilettos assortis à la pochette de peau de dragon claquent sur le sol marbré. La longue cape de poils de licorne virevolte au gré des mouvements, laissant de temps en temps entrevoir une robe de cachemire beige pâle aux broderies dorées. On jette un ou deux petits coups d’œil indifférents ici et là, le temps de lancer des œillades enflammées pour faire rougir les pontes attablés qui n’attendent que ça. S’ils tournent la tête sur notre passage, c’est gagné.

Depuis longtemps déjà, Mercedes avait appris à se faire remarquer. Dans la Grande Salle et en cours à la lointaine époque de Poudlard, comme dans les réceptions et les grands restaurants maintenant, c’était finalement la même chose : tourner les têtes à ceux qui la voyaient faire son entrée.

Et cette fois-là encore, en rejoignant la table réservée à son intention, elle vit son talent confirmé. Pas moins de trois hommes s’étaient interrompus dans leurs conversations pour la regarder s’avancer dans la salle à l’atmosphère feutrée. D’ailleurs, même le serveur qui l’avait accompagnée pour lui montrer le chemin la fixait avec une lueur égrillarde dans le regard.

Ces hommes...tous des chiens ! Qu’ils s’étonnent après qu’on profite d’eux, est-ce qu’ils ne le méritaient pas ?

C’était d’ailleurs pour ça qu’elle était là. Son amant du moment, un gros bonnet du Ministère qui, comme bien d’autres, venait se consoler de son mariage malheureux dans ses beaux bras blancs, n’avait rien trouvé de mieux que de la convoquer dans ce nouveau restaurant pour la mettre en contact avec quelqu’un qu’elle aimerait rencontrer, avait-il dit.

Mercedes, qui n’avait aucune idée de ce qui se préparait, avait commencé par l’envoyer péter dans les ronces. Mais quand, deux jours plus tôt, Hector était rentré de l’école avec une éruption de varicelle, elle avait aussitôt compris qu’il vaudrait mieux passer le moins de temps possible à la maison si elle voulait éviter la corvée de s’occuper de lui. Et dans ce cas, pourquoi ne pas aller à ce fichu rendez-vous, au moins pour voir de quoi il s’agissait ?

Et quand ses yeux se posèrent sur le fameux « contact », elle sut qu’elle avait bien fait de venir. Lawrence Hawkesworth, l’un des avocats les plus prometteurs du barreau sorcier, d’après ce qu’elle en avait entendu dire. Plusieurs fois, leurs chemins s’étaient croisés, pas assez longtemps pour qu’ils puissent faire réellement connaissance, mais assez pour lui donner envie de vérifier que les avocats ont la langue aussi bien pendue qu’on le dit.

Tendant une main blanche et fine comme un cou de cygne au juriste, elle ne lui répondit que d’un sourire énigmatique, tandis que le serveur s’empressait de tirer sa chaise en arrière d’un air affairé.

- Je vois qu’il ne s’est pas moqué de nous, commenta-t-elle d’un air narquois en avisant les lustres de cristal qui pendaient au plafond et les boiseries lambrissées qui tapissaient les murs.

Après que le serveur gominé l’ait débarrassée de sa cape, elle s’assit gracieusement et reporta son regard d’émeraude sur Lawrence. Décidément, Hector avait été bien avisé d’attraper la varicelle ! Il faudrait qu’elle pense à lui ramener un cadeau en rentrant.

- Je ne savais pas que c’était à vous qu’il pensait quand il m’a prévenue. La légende qui veut que les avocats passent leur vie enfermés dans leur bureau ou dans une salle de tribunal serait donc fausse ?, commenta-t-elle d’un air taquin.

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Haussant son fin sourcil parfaitement dessiné, Mercedes transperça Lawrence du regard quelques secondes avant de décider de prendre sa remarque à la légère.

Après tout, si elle avait décelé la plus petite once de jugement dans le ton de sa voix ou dans ses yeux, elle ne se serait pas gênée pour lui expliquer sa façon de penser avant de prendre son sac et de le laisser planté là. Mais il n’en était rien.

Et puis de toute façon, franchement, qu’y avait-il à juger ? Etait-ce sa faute à elle si les hommes la courtisaient ? Ou s’ils ne savaient lui témoigner leur attachement qu’en la couvrant de cadeaux et en l’emmenant en voyage sur des îles paradisiaques ? Bon, oui, il y en avait parfois un qui était marié, mais ce n’était tout de même pas elle qui allait les chercher, si ? De toute façon, marié ou pas, on ne dit pas non à une parure en diamants, alors zut.

Elle sourit donc à l’avocat, les yeux pétillants, tandis que le serveur gominé s’empressait de revenir à leur table menus en main.

- Vous n’en auriez pas vraiment besoin, d’ailleurs, lui répondit-elle en recevant le sien, indifférente à l’intérêt grossier que lui manifestait le serveur.

Elle lui lança un petit regard par en dessous, comme hésitant à formuler sa pensée, puis ouvrit son menu en continuant.

- Pour qu’il réussisse à vous convaincre de venir déjeuner avec une presque parfaite inconnue, il faut qu’il vous ait dans ses petits papiers aussi...

Elle tourna les pages de la carte avec un petit sourire montrant qu’elle ne faisait que badiner. La dernière fois qu’elle avait voulu fourrer son nez dans les nébuleuses et sombres affaires des pontes du Ministère, elle avait failli passer le plus sale quart d’heure de sa vie. On ne l’y reprendrait plus.

Presque aussitôt, le serveur, qui n’était pas parti très loin, revint les voir au pas de charge pour prendre leurs commandes. Un peu trop vite au goût de Mercedes. Comment était-on censé passer commande si on n’avait même pas le temps de voir les plats ? Il ferait mieux d'aller s'enlever les quarante kilos de gel qu'il avait sur la tête au lieu de venir les embêter. Elle leva la tête vers lui et, d’un geste gracieux mais impérieux, lui fit signe qu’ils n’avaient encore rien choisi.

Elle reporta ensuite son attention sur Lawrence, et, se penchant vers lui avec un grand sourire, lui chuchota d’un ton de comploteuse :

- On dirait bien que vous avez tapé dans l’œil de quelqu’un, maître...

Puis, du menton, elle désigna prestement Mr Vivelle Dop qui s’éloignait vers deux sorciers aux allures de ministre et attablés non loin d'eux.

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A l’instant précis où Lawrence fit apparaître le coffret, un phénomène curieux se produisit. Dans les yeux de chat de Mercedes, qui auraient alors dû briller d’une excitation nouvelle à la vue de ce nouveau présent, l’étincelle d’amusement et d’entrain qui luisait depuis son entrée dans le restaurant s’effaça, ne laissant place qu’à un intérêt poli.

Elle s’en était trop fait offrir, elle en avait trop capricieusement refusés, elle en avait trop envoyés valdinguer dans des accès de rage, pour ne pas deviner d’avance ce qui se trouvait dans cet écrin. Des bijoux. Encore, toujours, des bijoux.

Mercedes n’était pas tombée sur la tête, non. Mais quelque part, très loin en son for intérieur, elle commençait à en avoir assez. Assez de ne plus être surprise. Ces messieurs tout bouffis d’importance, avec leurs grands airs, qui régnaient en maîtres chez eux et dans leurs bureaux et lui obéissaient pourtant au doigt et à l’œil, ils étaient tous si...prévisibles. Des missives dégoulinant d’admiration, des dîners, des présents somptueux...tout semblait réglé comme du papier à musique, elle pouvait parfois presque deviner ce qu’ils lui diraient ou lui offriraient.

Au début, éblouie d’avoir trouvé un moyen si aisé de garder son train de vie habituel malgré la ruine et ses deux bébés à nourrir, elle s’en était accoutumée. Mais maintenant qu’elle n’avait plus vraiment besoin de ces buffles imbus de leurs ridicules petites personnes (car une fois qu’on a connu la ruine, on épargne, on place, on investit), maintenant qu’elle ne les fréquentait surtout plus que par amusement, il lui semblait que quelque chose, en elle, aspirait à plus. Beaucoup plus.
Plus que des parures, plus que des soieries, elle voulait...elle voulait...comment dit-on cela...être surprise ? Avoir le souffle coupé ?

Oui, quelque chose dans ce goût-là.

Et ce n’était pas avec un énième collier que celui-là lui couperait le souffle.

Laissant ses longs doigts effilés courir sur le velours de l’écrin, elle releva ses prunelles émeraude sur l’avocat qui lui faisait face, et lui sourit.

- Et que faites-vous d’autre de votre temps libre, cher maître, quand vous ne brisez pas les cœurs des serveurs ?, demanda-t-elle, toujours sans ouvrir le coffret.

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Lawrence ne se trompait pas. Ce qu’il faisait de son temps, Mercedes s’en fichait comme d’une brouette. Mais est-ce qu’il ne fallait pas meubler la conversation ? Le silence indifférent qui avait suivi l’apparition du cadeau magique, s’il s’était prolongé, en serait devenu très gênant. Surtout pour son expéditeur.
Et elle ne pouvait décemment pas sauter sur la table pour s’épancher d’un air tragique à grands coups de « Nooon encore des diamants ma vie est siiii monotone ! ».

Mais si la réponse de l’avocat ne fut écoutée que d’une oreille distraite, la jeune femme se demandant s’il fallait ou pas ouvrir ce présent, la proposition qui suivit fut accueillie par un grand sourire de surprise ravie.

- Partir ?, répéta-t-elle dans un chuchotement excité, imitant les airs de conspirateur de son interlocuteur, mais pour aller où ?

Dans ton c... eeeeuh non c’est pas ça la bonne suite.

*fouille ses papiers* Ah !

Sans attendre de réponse, Mercedes jeta un petit coup d’œil autour d’elle. Certes, il ne s’était pas moqué d’elle en réservant une table dans ce restaurant...un petit pincement de culpabilité lui serra le cœur. Elle ne pouvait tout de même pas partir comme ça...Ils n’avaient même pas encore regardé la carte...Quoi qu’en fait ça valait mieux de partir maintenant. Se barrer tout d’un coup juste après avoir lu le menu (et les prix presque aussi longs que les noms des plats), ça ne le faisait vraiment pas.

Oui mais même. Partir comme ça ! Alors qu’il lui avait réservé exprès une si bonne table dans un si bon restaurant ! Et pour s'en aller avec un parfait inconnu en plus !

Elle regarda Lawrence plus attentivement. Bon, elle le connaissait déjà, mais ils n’avaient pas gardé les cochons ensemble non plus.
Et si ce n’était qu’une ruse pour l’attirer dans une ruelle sombre et la découper en morceaux avant de prélever les meilleurs pour les exposer dans sa collection personnelle dans sa cave secrète où personne d’autre que son assistant maléfique et bossu n’avait accès ?

Mercedes, tu regardes trop la télé. Et les ruelles sombres, en plein midi et à cette période de l’année, on n’en trouve qu’en Antarctique.
De toute façon, où est passé ton goût du risque ?

- Très bien, décida-t-elle finalement en se levant et en reprenant sa cape que le serveur (qui les observait à présent d’un air apeuré) avait posée sur le dossier de sa chaise ouvragée.

En avant pour l’aventure ! Bon, aventure est un bien grand mot c’est vrai. Après tout, ils n’allaient pas vraiment à la chasse aux magyars.
Mais malgré ses airs réservés et secrets, Lawrence semblait plein de surprises. Ne venait-il pas de lancer l’idée de quitter le restaurant ? Tout ce qu’il pouvait lui proposer (enfin presque tout) valait cent fois mieux que de rester coincés ici à se bailler des gentillesses à la figure.

Elle finissait de nouer sa cape quand le serveur les rejoignit, blanc comme un bout de craie. Heureusement qu'elle s'était dépêchée : quelques secondes plus tôt et il s’empressait de l’aider à la remettre !

- Mademoiselle, monsieur, y a-t-il un probl...

Mais Mercedes, qui en avait assez de l'avoir sur le dos, ne le laissa pas finir ses marmottements. Avec un grand sourire, elle lui planta l’écrin dédaigné dans sa main gantée de blanc.

- Tenez, lui dit-elle d’un ton que, malgré le murmure, l’on sentait joyeux et moqueur, offrez ça à votre petite amie, pour vous faire pardonner de lorgner les autres femmes aussi outrageusement.

- Mais...m...

Elle ne savait pas si le gominé avait vraiment une petite amie, elle ne faisait que supposer. Mais à son humble avis, personne sur terre ne se mettait autant de gel sur la tête à moins d’y avoir été forcé par des « Il reste encore un épi làààààà !!! » hystériques.

Et de toute façon, elle s’en fichait bien. Ignorant les balbutiements hébétés du serveur qui restait bêtement planté devant eux, elle tourna la tête vers Lawrence et lui sourit à nouveau.

Tant pis pour l’autre abruti. Son cadeau et son restaurant idiots, il pouvait se les mettre quelque part. S’il tenait tant que ça à elle, il n’avait qu’à venir le lui montrer lui-même.

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