Cela faisait une bonne heure que Page était étendue dans le parc, profitant du soleil de la fin d'après-midi. Le cours de duel terminé, elle avait filé sans attendre personne, pas même Daneel. Elle avait besoin de réfléchir un peu.

Avait-elle vraiment réagi impulsivement comme semblait le dire ce Raven si étrange ? Non.
Elle ne regrettait rien. Elle avait adopté la bonne attitude. Il fallait qu'elle soit honnête avec elle-même, et c'est ce qu'elle avait fait en quittant le cours. Le fait qu'elle soit revenue brûlait encore un peu son ego, mais elle l'avait certainement fait de la meilleure manière qui soit. Au moins n'avait-elle pas trop fait perdre de points à sa Maison. Mais elle se demandait vraiment quelle serait la réaction des autres gryffons lorsqu'elle rentrerait en salle commune. La fillette avait été tellement furieuse durant le cours qu'elle ne s'était pas vraiment préoccupée du regard des autres, Lions ou pas d'ailleurs. Harry avait-il trouvé sa réaction puérile ? William allait-il lui passer un bon vieux savon ? Après tout, le préfet avait perdu des points à cause de l'altercation que la fillette avait eue avec Cyanur. Il ne devait pas être très content de son attitude.

La petite irlandaise poussa un soupir et passa sa main dans ses cheveux massacrés. Il faudrait bien qu'elle rentre. Il était plus que temps de tenter un cheveux drux en plus de ça. Mais en salle commune cela serait plus sûr. Au moins il y aurait des plus vieux pour rattraper si elle faisait des bêtises.
La fillette se décida donc enfin à se relever et à se mettre tranquillement en direction de la salle commune.

Elle traversa le château, mains dans les poches, faisant une grimace à tous ceux qui la dévisageaient. Ils n'avaient jamais vu une coupe de cheveux super tendance ? C'était la nouvelle mode pour cet été pour prévenir à certains désagréments en cours de duel. "Pour vous rebeller contre cet idiot de Raven, contactez Page McHenry. Pas cher, rapide, efficace et bien court derrière les oreilles".

La fillette arriva d'un pas nonchalant devant le portrait de la grosse dame et lui lâcha le mot de passe d'un ton blasé.

- C'est bien le mot de passe mais... Tu es nouvelle ma petite ? Je ne crois pas t'avoir déjà vue...

- Oh, laissez tomber, c'est ma nouvelle coupe, lui répondit-elle avec un regard noir.

La grosse Dame prit un air outré mais pivota tout de même, dévoilant le passage vers la salle commune.
Page entra enfin dans le quartier général des lions. Quelques élèves la regardèrent, mi amusés mi méprisants. La rouquine poussa un profond soupir, jeta sa sacoche à côté d'un des canapés et s'y laissa tomber lourdement, s'enfouissant sous les coussins. La journée avait été pénible. Du coin de l'oeil, elle vit une des silhouettes attablées se lever et venir dans sa direction. Allez, il fallait bien qu'elle y passe, par ce savon...

Page n'avait pas tort ; son préfet bien-aimé l'attendait de pied ferme- enfin, façon de parler puisqu'il était confortablement installé dans un fauteuil, à essayer de rédiger sa dissertation de potions... Donc, de pied relativement ferme.
De temps à autre, William levait les yeux de son travail qui n'avançait guère, à la fois pour guetter l'arrivée de Page et pour lancer des regards assassins à une bande de deuxième année un peu trop bruyants à son goût. Les insolents ne semblaient guère s'en émouvoir, au demeurant ; et même, l'un d'entre eux, un blond qui roulait des mécaniques pour des filles admiratives, avait l'air plutôt fier de lui. A chaque coup d'oeil du préfet, il bombait le torse, un sourire crétin aux lèvres...

*Attends que je te colle une retenue, toi, espèce de bellâtre, et tu feras moins le malin...* songea William en soulignant rageusement le titre d'un paragraphe.

Le portrait de la grosse dame pivota, laissant entrer Page, et le rouquin se leva brusquement. Le blondinet se tassa sur sa chaise, l'air effaré, craignant que le préfet ne se jette sur lui.... William passa sans lui accorder un regard, alla s'installer sur le canapé de Page, et entreprit d'enlever les coussins pour voir sa camarade qui s'était cachée derrière. La rouquine s'était complètement enfoncée dans le canapé, et seul émergeait le haut de son crâne ravagé par la coupe de cheveux. Les filles à moitié chauves, ce n'était pas tellement le genre de William . Plongeant une main dans la poche de sa robe, il en tira une petite fiole qu'il tendit à Page, en expliquant d'un ton dégagé :

-Potion capillaire. Je suis allé chercher ça à l'infirmerie, je pensais que tu n'aurais pas le coeur d'y aller toi-même... On dirait que j'ai eu raison...

Le ton de sa voix n'était pas particulièrement froid ; il n'avait guère envie de passer un savon à sa camarade, qui pourtant semblait redouter une remontée de bretelles mémorable.

Il était amusant d'observer les effets de la potion capillaire en direct, et William eut un sourire lorsque Page se frotta la tête avec le liquide ; presque aussitôt, sa tignasse rousse commença à repousser, aussi désordonnée et emmêlée qu'avant l'intervention de Raven. Bon, le risque était d'avoir une poussée de poils sur les mains aussi, à l'endroit où la potion avait touché, mais Madame Pomfresh avait affirmé que c'était rarissime, et que ça ne durait pas plus d'une heure ou deux. Inutile d'affoler Page avec ça ; elle semblait se méfier du préfet, et s'imaginerait qu'il avait voulu se venger du cours de duel, ce qui n'était pas le cas.
Elle ne tarda d'ailleurs pas à déballer le sujet, en s'empêtrant un peu dans ses explications d'ailleurs ; William la laissa aller jusqu'au bout de ses balbutiements, de façon peu charitable, laissa un instant de silence, puis affirma :

-Ecoute, Page. Les points, c'est pas ta faute... C'est le prof qui s'amuse à faire n'importe quoi, il les aurait enlevés de toute façon. Ensuite, ton comportement en cours.... en fait, je m'en fiche. Tu fais comme tu veux. Je comprends très bien que tu n'aies pas apprécié son comportement, moi aussi je me serais énervé s'il avait osé toucher à cette fière crinière rousse...

Il sourit en passant une main dans son épaisse chevelure flamboyante- Page comprendrait- et il ajouta, en baissant la voix :

-En parlant de crinière rousse... On devrait faire quelque chose à son sujet, non ?

Le message était clair pour Page, tout en restant assez obscur pour d'éventuelles oreilles indiscrètes. On n'était jamais à l'abri d'une trahison, ou d'une simple indiscrétion. Le préfet croisa ses mains sur sa nuque et s'étira paisiblement, en attendant la réponse de Page.

L'allusion avait été comprise au quart de tour, comme il se devait, et William eut un sourire de connivence. Comme il était agréable de pouvoir se comprendre à demi-mot avec quelqu'un, de pouvoir planifier une action de représailles sans crainte d'être entendu...
Page avait changé de mine, passant d'un air mi-rebelle, mi-confus à une attitude attentive... Le préfet avait prononcé les mots les plus adaptés à la situation. Décidément, cette idée des BR était excellente, et permettait à William de prendre des initiatives valorisantes. Résister à Ombrage, la narguer, se moquer d'elle sous son gros nez, voilà qui réussissait au rouquin... Au début, il n'avait pas osé bouger, et il s'était senti honteux ; mais le secret des BR, ainsi que le succès de leur première action, était comme un titre de gloire pour lui. Il avait l'impression de détenir un secret essentiel, et d'être devenu un autre. De plus, de nombreux élèves avaient approuvé la première action des BR, ce qui avait constitué un encouragement et une fierté pour les deux conspirateurs.
Réjoui par ces souvenirs, le préfet adressa un sourire entendu à Page, et répondit :

-Bien sûr que je peux t'aider... dans la mesure de mes compétences, bien sûr, mais je ferai ce que je pourrai... disons ce soir, à sept heures et demie, dans la salle de cours... ça te va ?Tu m'expliqueras sur place ce que je peux faire pour t'aider... Tu auras besoin de quelque chose en particulier ?

La Salle sur demande regorgeait de tout le matériel possible et imaginable pour leurs travaux, mais William préférait s'assurer que l'idée de Page ne nécessiterait rien de spécial...
Autour d'eux, personne ne s'intéressait à leur conversation. De toute façon, qui aurait soupçonné l'intègre et limite fayot préfet de Gryffondor de manigancer des actions anti-Ombragiennes, en compagnie d'une innocente première année ? Qui aurait imaginé que c'étaient ces deux-là qui avaient créé une telle panique quelques jours auparavant, au point qu'Ombrage avait convoqué toute l'école pour exprimer son mécontentement ? Les deux rouquins ne semblaient pas particulièrement menaçants, et n'avaient rien des révolutionnaires qu'imaginait Ombrage... Passant à nouveau une main dans ses cheveux, William remarqua que ceux de Page avaient presque retrouvé leur longueur, et il murmura, en ponctuant sa phrase d'un hochement de tête :

-Voilà, tout est rentré dans l'ordre...

Page avait retrouvé sa tignasse, mais surtout le signe de ralliement des BR- et Raven avait commis une terrible erreur en s'attaquant à ce signe de reconnaissance.

[Pour la suite, c'est par ici !]