*Quelle idée, ce rendez-vous à Godric’s Hollow !…*
Échappant un grognement sous le choc que lui infligea le poteau de métal vertical planté devant lui en percutant sa tête, Drago maugréa intérieurement contre l’initiative de son père. Quelques mois plus tôt, il aurait été ravi de recevoir cette missive, sur l’heure du petit déjeuner dans la Grande Salle de Poudlard. Longtemps, il s’était langui d’obtenir quelconque considération de son géniteur implacable, longtemps il avait espéré se montrer digne de son attention, mais, peu à peu, ses espoirs chétifs s’étaient accoutumé à l’absence de réponse du côté paternel. Ses ambitions relationnelles à son égard s’étaient amenuisé et ses convictions flageolantes au sujet de ses déficiences émotionnelles s’étaient endurci. À force de répétitions et d’assimilation de la vérité, l’idée que lui et son père ne puissent jamais en venir à partager des rapports autres que froids, élémentaires, propres aux convenances, s’était estompé en lui.
Aujourd’hui, maladroitement engoncé entre deux sièges inconfortables du Magicobus, le jeune Malefoy n’arrivait pas à concevoir que son père ait sollicité un entretien avec sa personne sans arrière-pensée. Peut-être voulait-il lui faire part des desseins qu’il avait établi à son intention de son côté. Du rôle qu’il aurait à jouer sur le tableau du Seigneur des Ténèbres. Certainement. De son avenir. De sa manière de se comporter. Sur la tâche qui lui incombait, à savoir représenter dignement l’honneur de sa famille. Toutes ces formalités dont il ne manquait pas de lui rappeler l’absolue nécessité à chacune de leurs entrevues. Mais, tout cela n’expliquait en rien le lieu de leur rencontre qu’avait déterminé monsieur Malefoy. Ce coin perdu, si loin de Poudlard ou de leur résidence. Cet endroit éloigné qui l’avait contraint à emprunter les services de transport en commun infréquentables du ministère pour s’y rendre. Un autre coup de frein immodéré du chauffeur du bus l’enjoignit à se cogner la tête pour une énième fois.
- Godric’s Hollow ! Débarquement pour Godric’s Hollow ! annonça l’adolescent boutonneux en charge du service à la clientèle avec un clin d’œil à Drago.
Celui-ci lui répondit par une grimace méprisante empreinte d’un dédain mal-dissimulé en se frottant le front frénétiquement à l’endroit où, probablement, une petite bosse ferait certainement son apparition d’ici peu. Après s’être débattu avec une ceinture de sécurité particulièrement harassante qui s’était entortillé autour de sa cheville et refusait de le laisser partir, il passa devant Stan «Boutons Plein La Face» Rocade et accéda au palier extérieur, excédé. Un nouveau juron lui échappa alors qu’il dégringolait les escaliers pour s’écrouler à plat ventre sur le pavé dallé en bordure de la rue. Cet imbécile de chauffard de bus avait appuyé sur le champignon et avait emporté le bus dans l’atmosphère avec lui avant de laisser le temps à Drago d’en descendre totalement. Quel imbécile, quel moyen de transport grossier, indigne, quelle… Oh. En se redressant, Drago aperçut un homme, assis face à lui, élégamment appuyé à sa canne, qui le fixait posément. Le garçon déglutit et passa une main précipitée sur sa robe de sorcier pour la défroisser et en déloger la saleté qui s’y était accolée lors de son séjour sur le trottoir.
- Bonjour père, esquissa-t-il d’une voix monocorde secondant ses salutations par un léger signe de tête conforme aux convenances.
Puis, embarrassé de soutenir son regard suite à l’humiliation qu’il venait de subir devant lui, Drago détourna la tête. D’un mouvement circulaire, il détailla les environs, entrevit les deux monuments de pierre sans leur accorder une attention particulière, pour indubitablement revenir sur son père. Lui seul semblait étinceler dans cet endroit des plus maussades. La place était plutôt triste, sans passants pour l’égayer, sans autre activité que la danse mélancolique des feuilles mortes sous le vent pour l’animer – mais encore là, cette distraction était des plus taciturnes. Une faible brise réveillait quelques mèches dans la chevelure lustrée de Lucius Malefoy, sans toutefois oser s’imposer totalement. Pour une centre ville, c’était plutôt pénible. Le jeune Drago se décida, sans plus de cérémonie, à poser la question qui l’avait fait fulminer intérieurement tout le long de son trajet d’enfer.
- Pourquoi cet endroit ? Pourquoi nous rencontrer ici, si loin de l’école ou du manoir ?… Je… Hé ! Ce sont les parents Potter ?!
Les inscriptions gravés sur le piédestal du monument venaient de s’ériger un sens dans l’esprit de l’adolescent et, stupéfait, il n’avait pas eu le temps de gérer sa surprise avant que ne s’envole son exclamation.