Au Bar du Truand [ PV Ultan ]

Belle nuit, vraiment. Du moins, du point de vue de la jeune fille qui sortait de l’université, en direction du chemin de Traverse, un fin sourire éclairant son visage caché par sa large capuche. L’ample cape noire dans laquelle elle s’était enveloppée formait autour d’elle une carapace qui ne faisait apparaitre ses courbes féminines qu’à de rares occasions, cachant ainsi aux regards vitreux des passants de cette heure tardive sa véritable identité. Se savoir à l’abri des regards des autres, sans pour autant se couper du monde alentour, procurait à la jeune femme un sentiment de liberté enivrant.

Agréable nuit, certainement. La pluie ruisselait doucement du ciel, noyant petit à petit les rues de flaques d’eau grisâtres, et sur la cape sombre de Cybèle, elle scintillait comme des petites gouttes d’argent, reflétant la lumière sans éclat des réverbères de l’allée des Embrumes. Que faisait-elle ici, jeune étudiante, à cette heure de la nuit ? Aucune personne normalement constituée, de sexe féminin d’autant plus, ne se serait aventurée de plein grès dans cette ruelle mal famée.

Mais Cybèle, elle se pensait tout à fait normale, avait ce trait de caractère qui dictait si vivement sa conduite de tous les jours. Cette envie de vivre un peu dangereusement, de se battre peut-être. Cette pointe d’anxiété qui brulait doucement son ventre lorsqu’un passant aux allures louches et fortes la guettait d’un regard avait pour elle quelque chose d’excitant, comme cela pouvait l’être pour un jeu. Oh, bien sur, l’allée des Embrune, si elle n’était pas vraiment réputé pour sa propreté, son honnêteté et sa sécurité, n’était pas non plus un endroit où l'on risqauit mille dangers... Mais Cybèle n’entendait pas non plus risquer sa vie à chaque détour de rue, et on pouvait faire à cet endroit des rencontres si intéressantes…

Par ce fait, la jeune fille connaissait fort bien l’allée. Elle avait apprit à ne plus se perdre, à se repérer, peut-être même à éviter les véritables coupe-gorges, ceux où l’on risquait tellement plus que son argent. D’un pas assuré, Cyb’ tourna à droite, dans une ruelle noire, qualifiée d’impasse, et poussa la porte d’un établissement aux allures sales et menaçantes. Marché noir ?! Que non ! Il ne s’agissait que d’un bar très fréquenté par ceux qui vivaient continuellement dans ce quartier de Londres, des marchands aux receleurs, en passant par les voleurs de bas étage… Bar des Truands. Un nom bien pompeux pour ce qu’on y trouvait, la plupart du temps…

Parmi cette foule de joyeuses canailles, des soulards en tous genres mélangés aux sombres mines d’homme en noirs, la tenue peu excentrique de la demoiselle n’attira pas grands regards. Au contraire, les yeux vitreux des fêtards passaient vite leur chemin en apercevant cette cape sombre qui était, habituellement et dans ce quartier, le signe de sorciers pas forcément puissants mais sans pitié. Ce n’était donc pas par caprice que Cybèle avait choisit son déguisement. On la prenait pour une mangemorte mais ne l’était pas plus que la plupart de ceux qui affichait cet air dur et ce vêtement de nuit. A vrai dire, peu de ces sorciers ne venaient s’amuser dans ce tripot, et la jeune étudiante ne l’avait pas comprit lors de sa première visite.

Un fin sourire invisible sous sa capuche éclaira son visage fin. Elle se remémora un vague instant sa première venue ici. Son sang n’avait fait qu’un tour lorsqu’un vieillard bienveillant et édenté lui avait expliqué que ces silhouettes encapuchonnées étaient celles des serviteurs du plus redouté de tous les sorciers. Bouillonnante, elle n’avait su retenir sa langue lorsqu’une main graisseuse était venue se poser sur son tee-shirt, et son propriétaire, tout de noir vêtu, s’était retrouvé dehors, alors que Cybèle avait la ferme intention de se battre, avec baguette ou sans. Il ne lui suffit que de quelques instants pour comprendre que les dires du vieil homme étaient bels et bien infondés. Le pervers, stupefixié avant même d’avoir eu le temps de sortir sa baguette, n’avait pas sur son avant-bras la marque tant recherchée et redoutée. Ce n’était qu’un rebut de cette allée, qui, pour inciter à un respect qu’il ne méritait pas, se faisait passer pour un sorcier de haute envergure.

Cybèle revint à elle, libérée de ses pensées, et se glissa souplement entre les clients du bar pour s’approcher d’une table libre. Un passage au comptoir lui permis d’acheter une boisson alcoolisée qui ne se trouvait nulle part ailleurs, et lorsqu’elle fut enfin assise sur son fauteuil, la jeune femme poussa un soupir détendu. Cette pointe de peur recherchée n’avait plus sa place dans ce décor trop connu, mais l’atmosphère bruyante du lieu lui offrait une distraction agréable.

Une dispute éclata, peu loin d’elle, pour une histoire d’argent et d’addition. Trop commun pour qu’elle s’y intéresse. Ses yeux étaient fixés sur une transaction qui s’effectuait dans un coin de la pièce. Son imagination débordante lui permit de trouver de nombreuses solutions à ce petit trafic, et elle aurait pût continuer ainsi longtemps si la bagarre d’à coté n’avait pas légèrement dégénéré. Les deux hommes étaient passés aux poings, ici, les duels étaient aussi rares qu’inutile, et un verre vola dans sa direction. Cybèle ne dut qu’à un reflexe aussi prodigieux que chanceux d’éviter l’objet qui s’éparpilla en de nombreux morceaux, presque à ses pieds.

Mais suite à son geste brusque, sa capuche glissa, laissant apparaitre aux vus et aux sus de tous son visage féminin. Sa tignasse d’un roses pâles tranchaient nettement avec sa cape obscure, et alors qu’elle rabaissa rapidement le bout de tissu sur ses cheveux, ses yeux émeraudes étincelèrent un instant, vifs et aux aguets, à la recherche de potentiels indiscrets.