Après le repas, les Affaires... [pv Elina]

Après un début très fort, le repas se concluait calmement, sans coup de théâtre. Le silence se succédait au bruit, l’enthousiasme à l’indifférence. Une page de vie quotidienne venait de s’écrire. Une page vite tournée, vite oubliée. Les cliquetis des couverts se taisaient, les dernières rumeurs se dirigeaient vers la sortie. Les mets ne nourrissaient plus les critiques et les ragots, amassés tout au long de la matinée et, tout en profitant de la dernière demie heure de repos, on en revenait aux platitudes, aux devoirs, aux professeurs, aux emplois du temps, à ces conversations qui se répétaient inlassablement chaque jour, chaque année, toutes générations confondues. On avait vidé tous les sujets possibles comme on avait vidé les plats. Certains résistaient encore à la tendance en répétant ce qu’ils avaient déjà dit contre celui ou celle sur qui se portait en ce jour la vindicte populaire, d’autres en revanche se perdaient dans des échanges bien différents…

C’était le cas d’Isaac et d’un autre garçon de Serpentard, rencontré sur le tard. Les deux comparses en étaient à des délibérations hautement diplomatiques destinées à marchander le prix de la carte du Comte de Saint Germain. Carte rare que tout bon collectionneur se devait de posséder. Et Isaac, fils de moldus qui ne manifestait pas beaucoup d’intérêts pour la magie, se brûlait de passion pour les cartes de sorciers depuis qu’on lui avait fait découvrir les chocogrenouilles dans le Poudlard Express. Il en faisait son commerce, et ce n’était certainement pas pour découvrir le nom d’illustres sorciers. L’appât du jeu, du gain, l’idée de ses petites arnaques futures l’attiraient avant tout. Par ce biais, il retrouvait enfin une activité familière aux cours de récréation moldues lorsqu’il s’agissait de collecter les cartes brillantes du dernier dessin animé japonais à la mode. Isaac adorait négocier, surtout lorsque l’interlocuteur savait lui opposer une bonne résistance.

Beaux parleurs, manipulateurs et maîtres de l’illusion, les serpentards étaient de loin ceux qui lui offraient les échanges les plus intéressants, les plus animés, même si moins fructueux. – Et, bien sûr, un lot non négligeable de critiques appétissantes quand l’heure était aux ragots -. Si Isaac se gardait bien de chanter la gloire des Serpentards – le monde des moldus y était un peu trop mal perçu et leur lâcheté le révoltait parfois – pour ces deux points il n’aurait jamais idée de changer de maison. En ce jour d’ailleurs, le débat entre les deux collectionneurs était serré, aussi peu honnête d’un côté comme de l’autre, mais Isaac prenait doucement le dessus…

La fin des affaires marqua sa victoire. Il acquérait le fameux comte au prix d’Orphée et de Nostradamus qu’il avait déjà en triple (mais vous pensez bien que l’autre n’en sut rien). Le visage fendu d’un large sourire, il contempla son nouveau trésor, puis en lu le descriptif.
Date de naissance : inconnue mais supposée très lointaine.
Date de mort officielle : 1780.
Isaac arqua un sourcil. Les parcours biographiques des grands sorciers étaient vraiment singuliers. C’était plutôt amusant lorsque l’on savait que les petits moldus devaient connaître sur le bout des doigts les dates des personnages les plus célèbres.
« Personnage mystérieux au nom et à l’origine inconnue, le comte de Saint Germain a découvert une pierre philosophale capable de créer des diamants. Très actif au XVIIIe siècle, qui retient son titre, il s’est effacé de la société en 1780 en emportant son secret avec lui. »

- Des diamants ! Wah il est balèze ce gars ! commenta-t-il à haute voix avec une pointe d’enthousiasme. Si sa naissance est si lointaine les livres d’histoire se trompent en affirmant que Nicolas Flamel est l’inventeur de la pierre philosophale non ?

Mais deux jeunes filles venaient de détourner l’attention de son interlocuteur en revenant le chercher toutes excitées pour lui apprendre il ne savait quelle bêtise et aucune réponse ne lui fut apporté. Son acrimonie s’empara aussitôt de lui et il s’écria :

- Ben vas-y ! Surtout ne me répond pas espèce d’arriéré des Carpates !

Et, après avoir lancé cette insulte improvisée – les sorciers avaient des expressions tellement étranges que celle-ci existait peut-être… Il trouvait que ça sonnait bien en tout cas. – il posa un regard absent sur l’homme sans âge qui le fixait dans le cadre de la carte. La réponse l’importait peu dans le fond. Il ne s’agissait que de la préoccupation d’un instant.

Elina n'avait aucune espèce d'envie de rendre à la table des Serpentard, mais elle se disait que maintenant ou plus tard, cela revenait absolument au même. C'était histoire de dire qu'elle avait obéit aux conseils avisés de madame Pomfresh qui lui disait qu'elle devait manger après avoir subit ses soins aux jambes. La jeune Serpent n'avait en vérité aucune envie d'obéir, elle voulait simplement qu'on l'aperçoive dans la Grande Salle pour que l'on dise qu'elle s'y était rendue. Après, n'ayant pas faim, elle comptait bien s'en aller aussi vite qu'elle le pourrait. Il ne fallait surtout pas croire qu'elle était pleine de bonnes intentions ou qu'elle allait lier une conversation avec la première personne venue, même si celle-ci se trouvait être à Serpentard. Elle ne tenait absolument pas à se faire des amis, et c'était ce qui la caractérisait tant. Elle n'avait pas l'air intéressée par la moindre discussion, elle ne cherchait ni amitié, ni pitié, ni haine chez les autres. Tout ce qu'elle souhaitait, c'était qu'il la laisse avant tout tranquille. C'était le cas en ce début de soirée, où la grande salle devait être complètement bondée et où elle allait certainement attirer des regards gênants, choses qu'elle préférait hautement éviter. Pourtant, c'était comme si elle s'attendait toujours à ce qui allait se passer, comme si aucun évènement ne pouvait l'étonner...Mais elle se trompait, et elle allait s'en rendre compte à ses dépends.

A peine eut-elle pénétré dans la Grande Salle que la Table des Serpentard se fit plus silencieuse. Au début, Elina n'y avait prêté aucune attention, et par conséquent, elle avait gardé son visage impassible. Mais à peine fut-elle assise que déjà les regards s'étaient tous tournés vers elle, murmurant que ça y est, l'handicapée était arrivée...Il n'y avait rien de pire pour la mettre d'humeur massacrante, mais cette fois elle avait décidé de ne pas y prêter trop attention, même si ce genre de regard la gênait beaucoup. Elle soupira et entendit un garçon à peine plus âgé qu'elle dire qu'elle aurait mieux fait de s'acheter un fauteuil roulant étant donné la lenteur à laquelle elle devait se déplacer. C'était la phrase de trop, et cela fit s'effondrer complètement le peu de patience qu'elle avait encore au fond d'elle. Ses mains se crispèrent légèrement, posées sur ses jambes, même si son visage restait parfaitement impassible. Elle se demandait quelle punition elle allait affliger à cet imbécile de première...

D'après ce qu'Elina avait pu remarquer, l'élève était certain qu'elle ne l'avait pas entendu et c'était un avantage non négligeable dont elle comptait bien profiter. Elle eut un mince sourire cynique avant de poser son regard sur le pichet de jus de citrouillée fraîchement pressé qui était juste à la portée de sa main. Sa vengeance allait bientôt avoir lieu et elle était certaine d'une chose, c'était qu'elle se sentirait bien mieux après...Attrappant le pichet mine de rien, elle ne tarda pas à se mettre en équilibre comme elle le pu et ainsi verser tout le contenu du pichet sur l'élève qui lui avait manqué de respect. Elina n'était pas du genre rancunière, mais elle détestait par dessus tout que l'on utilise son handicap pour se moquer ouvertement d'elle...

" La prochaine fois que tu souhaites te moquer de quelqu'un qui a du mal à se défendre, regarde si cette personne n'est pas en face de toi, pauvre cloche! "

Elina avait eu un sourire cynique juste avant de reprendre ses béquilles et se relever pour quitter cet horrible endroit. C'était bien la dernière fois qu'elle venait se restaurer à cette heure, et qu'elle laissait quelqu'un se moquer d'elle sans réagir tout de suite. C'était sans doute parce que ses jambes lui faisaient encore atrocement mal...Quoi qu'il en soit, elle se dirigea sans aucun regret vers la sortie, et elle fit sans faire exprès tomber son petit ras de cou rouge sur un élève. Avant d'avancer trop vite, elle se rendit compte qu'elle l'avait perdu et le reprit sans mal. Cet élève était visiblement de son âge, et semblait bien intéressé par les cartes rares...Elina soupira avant de reprendre son pendentif et de se diriger une fois de plus vers la sortie. Il était plus que temps qu'elle regagne la salle commune afin d'arrêter les frais...

Dix… quinze… vingt… Vingt-cinq… Sans se hâter vers la sortie comme les autres Isaac s’amusait à compter ses cartes. En quatre mois il en avait amassé une centaine. Sa collection devenait conséquente et il en tirait une fierté si superficielle que seul lui était en mesure de la comprendre. A sa table quelques groupes d’élèves ricanaient encore mais il ne chercha pas à tendre l’oreille. Les moqueries de ces individus là étaient généralement d’assez mauvais goût. On pouvait rire de tout, on ne pouvait pas rire à tout. La différence résidait dans la forme et dans l’instant. Beaucoup trop de Serpentards cherchaient maladroitement à cultiver leur image de méchant. A vouloir trop en faire, on se décrédibilise vite, et d’autres savaient intervenir pour leur imposer des digues... A quelques chaises de lui une petite algarade éclata. Alerté par quelques exclamations consternées, Isaac se détourna vivement de son butin pour découvrir l’un de ses camarades peu estimé dégoulinant de liquide orange. Face à lui, une jeune fille de son année, connue pour être handicapée, le jaugeait sévèrement. Sa réplique lui permis de comprendre la situation, qui pouvait se deviner aisément et il ne put s’empêcher de sourire, à l’instar du reste de sa table, et même des autres maisons. En voilà un qui, pour une fois, amuserait franchement tout le monde…

Le petit numéro terminé, Isaac s’intéressa à nouveau à ses cartes. Une petite sorcière était justement en train de lui tirer la langue et, très joueur, il en fit de même en imaginant un illustre personnage du monde moldu arborer ce type d’expression sur les photographies historique. Les sorciers au moins avaient un certain sens de l’autodérision, et ne se complaisaient pas les images graves et guindées. Retrouvant son sérieux, il commença à rassembler son paquet quant un petit objet échoua sur sa tête avant de tomber sur le sol. Le jeune garçon se retourna aussitôt, prêt à faire un commentaire mais ce qu’il vit stoppa net son élan de colère. Le projectile venait de la petit fille en béquilles, il n’allait tout de même pas crier haro sur elle. Isaac savait se tenir. Ce n’était pas de la pitié mais de la compréhension. Il baissa la tête afin de retrouver le petit collier rouge et s’apprêta à le ramasser mais la demoiselle fut plus rapide que lui et s’en empara en soupirant. Les sourcils d’Isaac se froncèrent. Etait-elle capable d’offrir une humeur plus agréable ? Puis sans s'attarder davantage, il scruta la pièce. Quelques minutes avaient suffi à la vider complètement. S’il ne retenait pas la Serpentard il allait bientôt se retrouver tout seul et il n’aimait pas se sentir seul... Sa décision fut vite prise. Un plan d'approche en têt, il se redressa d'un bond, attrapa le dos d’une chaise et la fit glisser sur le parquet en courant afin de foncer sans délicatesse sur la jeune fille qui s’y affala sans avoir le temps de protester.

- Eh ! Reste encore un peu ! Ton joli coup de tout à l’heure les a fait fuir, il parlait bien sûr de la mauvaise compagnie de leur table, et nous n’avons pas encore pris le thé !

Peu soucieux de sa réaction il lui fit un clin d’œil, posa une chaise devant elle, en tira une autre pour lui, sortit sa baguette de sa poche et transforma la chaise du milieu en une petite table ronde, sans style et un peu penchée. Il avait beau être doué en métamorphose, il était encore débutant. Cette histoire de thé n’était qu’un prétexte. En théorie, on n’en servait jamais à la fin du dîner. Isaac voulait juste avoir une excuse pour rester plus longtemps ici, loin du bruit des couloirs et de sa salle commune. Et puis, il n’aimait pas les éternels blasés. Il se faisait toujours un devoir de les distraire. Ça l’occupait.

- Il est hors de question que je te laisse quitter ce lieu avec une humeur si maussade, dit-il en laissant malicieusement sa bouche et ses yeux tomber.

La décision de la jeune fille était prise et par conséquent irréfutable. Elle ne souhaitait nullement rester ne serait-ce qu'une minute de plus dans cet horrible endroit, et elle n'était pas sûre d'avoir très envie d'y remettre les pieds un jour. Pourtant, c'était une obligation si elle voulait manger pouvaient penser certains. Erreur! Elina était parfaitement capable de descendre chaque nuit aux cuisines en faisant le moins de bruit possible. Bien sûr, si elle brillait trop par son absence, cela finirait par se remarquer et elle serait dans de beaux draps...Mais elle s'en fichait. La jeune Serpent n'avait aucune connaissance, aucun ami à retrouver dans cette horrible salle, si bien que cela ne lui offrait absolument aucune raison d'y rester ou d'y venir. On l'avait prévenue que ses débuts à Poudlard seraient difficiles, mais elle ne s'attendait pas du tout à être confrontée avec tant d'ardeur à une dure réalité! Tout ce à quoi elle s'attendait au départ, c'était de simples moqueries sans importance, auxquelles elle avait l'habitude de répondre. Mais là, la moquerie était poussée jusqu'à la méchanceté, et c'était surtout des élèves de sa maison qui la blâmaient d'une telle manière. Elina avait de plus en plus de mal à supporter tout ceci, mais elle ne comptait pas quitter Poudlard, pas question. Elle avait sa fierté, et partir reviendrait à dire qu'ils avaient gagné...Et cette june fille à l'apparence si froide et distante préférait milles fois danser toute nue sous la pluie plutôt que de laisser des idiots gagner du terrain et la destabiliser.

Avant même qu'elle soit parvenue à quitter la Grande Salle, celle-ci s'était complètement vidée, si bien qu'Elina pensait être complètement seule désormais. Mais ce vide lui rappelait une chose fort désagréable, c'était qu'elle marchait à une lenteur et que cela la gênait parfois...Mais avant qu'elle n'ait pu vraiment quitter la salle comme elle comptait le faire avant même d'être insultée, quelqu'un la rattrapa, en la poussant avec une chaise. Le peu d'équilibre de la jeune fille s'effondra alors comme un château de cartes, et elle eut heureusement le réflexe d'attraper ses béquilles avant que celles-ci ne tombent. Elle s'était donc affalée sans aucune douceur sur la chaise, et s'apprêtait à fusiller du regard celui ou celle qui avait osé lui faire ça, mais elle fut complètement destabilisée par les paroles que l'élève prononça. Elle se souvenait de son visage, elle avait fait tomber son pendentif sur lui il n'y avait pas cinq minutes...Elle eut un soupir mais également une expression vaste de surprise lorsqu'il osa dire qu'ils n'avaient pas eu le temps de prendre le thé. Etait-il fou ou s'était-il cogné la tête? La jeune fille n'en savait rien, mais elle ne pouvait pas s'empêcher de le trouver bien étrange. Elle était probablement troublée parce que c'était la première fois que l'on s'adressait à elle sans vouloir se moquer et sans cynisme.

L'élève fit soudainement un clin d'oeil à Elina, et cela acheva la jeune fille. De par ce fait, elle n'osa plus rien dire, comme si elle avait peur de me vexer ou pire, de le blesser. En d'autres circonstances, elle n'en aurait rien eut à faire, mais les circonstances étaient assez spéciales cette fois. Elles étaient mêmes tellement spéciales qu'elle se demanda un instant si elle ne rêvait pas tellement tout ceci était irréel. Après tout, l'inviter à prendre le thé était une chose, la pousser avec violence comme il venait de le faire en était une autre! Une seule certitude perdurait dans le coeur de la jeune fille: Elle allait lui demander la raison de tels agissements envers sa personne.

" Je ne savais pas qu'il était coutume de prendre le thé après le dîner...Et puis, pour ta gouverne, mon intention n'était pas de faire 'fuir' tout le monde comme tu dis si agréablement, c'était plutôt de remettre à sa place cet imbécile qui se croyait tout permis. "

Elina était complètement égale à elle même, froide et distante. Disons simplement qu'elle agissait ainsi non pas pour faire fuir le garçon, mais plutôt pour éviter de montrer sa surprise. C'était ainsi, elle ne montrait jamais ses sentiments, même à quelqu'un qui étaient de la même année qu'elle et surtout de la même maison. Après tout, elle n'avait jamais fait de différence entre les maisons, car pour elle, un élève est un élève, et un imbécile restera toujours un imbécile, quelque soit sa maison! Mais l'heure n'était pas à la réflexion sur la maison ni même sur son propre comportement, elle était sur une question existentielle: pourquoi l'avait-il invitée à prendre le thé? Pour s'excuser de n'avoir rien fait pour l'aider? Non, il ne la connaissait même pas. Pour se montrer agréable? C'était inutile, les Serpentard faisaient très rarement cela, même entre eux. Pour le fun? Elle ne pensait pas que ce soit le genre de la maison le concernant...Après, Elina était très peu douée pour juger les gens sur les apparences, et préférait bien souvent s'abstenir de tout jugement hâtif. C'était ce qui l'avait sauvée à maintes reprises dans son existence d'ailleurs...

Avant même qu'Elina ait pu lui poser la question qui lui brûlait les lèvres, le garçon mis en place un vrai service à thé, ainsi qu'une petite table. Si jamais elle avait pu faire abstraction de tout ce qui se trouvait autour d'elle, elle aurait presque pu croire qu'elle prenait le thé chez elle...Mais c'était loin d'être le cas, parce que la compagnie de cet élève était bien plus agréable que celle de ses parents qui passaient le plus clair de leur temps à se faire plaindre en prenant pour prétexte le handicap de leur fille. Elina fut contrainte de laisser se briser son masque de glace en laissait échapper sa large surprise sur son visage. Ainsi, la raison était celle-ci, lui empêcher d'avoir une humeur maussade? Il se fourvoyait, elle était d'excellente humeur par rapport à bien des fois où elle explosait de colère! Mais tant pis, elle n'avait aucune envie de le contrarier, elle allait bien entendu le laisser avec son envie...

Avant même de répondre, Elina se pencha légèrement et posa sa main sur le front du garçon. Elle se retira bien vite avec une mine qui se voulait contrariée juste avant d'avoir un léger rire. Elle voulait lui montrer qu'il n'y avait nul besoin de tout cette cérémonie pour la faire changer d'humeur...Juste une petite rencontre de ce type pouvait suffire, la preuve...

" Tu as dû attraper une mauvais coup de froid je pense...Je ne sais pas pourquoi tu veux me faire passer ma mauvaise humeur, mais sache qu'elle uniquement là parce que cet imbécile m'a gâché toute envie d'être souriante. Je ne suis pas à l'aise, c'est tout. Mais tu sais, tu peux le dire que tu ne voulais pas être tout seul. Je ne vais pas m'offusquer, tu es la première personne à me traiter comme un être humain. "

Elina avait pratiquement cessé de sourire, mais les traits de son visage s'étaient adoucits, preuve qu'elle n'était plus en colère et qu'elle avait oublié un instant sa rage et sa tristesse. En vérité, c'était un peu comme s'il l'avait sauvée d'une mauvaise soirée, ce n'était pas si mal en fin de compte. Un jour, il fallait qu'elle pense à avoir une idée aussi surprenante, afin d'éviter de sentir qu'elle ne l'avait pas remercié. Pour toute autre réponse, la jeune Serpent sortit sa baguette et fit apparaître à l'aide d'une importante concentration un service à thé et une théière remplie d'un thé fumant. Il avait déjà fournit la table et les chaises, Elina pouvait bien participer...

" Maintenant qu'on est là, je propose qu'on boive ce thé...Non? Je peux essayer de faire apparaître des biscuits, parce qu'un thé sans biscuits ce n'est pas un vrai thé, mais je ne garantis pas le résultat à vrai dire...Je ne suis pas aussi douée que toi en Métamorphose. "

Personne d'autre qu'Isaac n'aurait osé brusquer une handicapée comme il l'avait fait. Selon l'opinion publique, il venait de manquer à son devoir, de lui manquer de respect, de faire preuve de bêtise et d'inhumanité. Et soyez sûr que les élèves qui se moquaient de la jeune fille toute à l'heure s'en seraient choqués. Ainsi allait l'hypocrisie populaire. On se complaisait dans des règles de savoir vivre. Elles établissent les fondements du jugement. Les enfreindre peut anéantir toute une réputation. Refuser cette culture du paraître revenait à attirer le mépris conventionnel des ces "braves gens" qui se croyaient en droit de dormir la conscience tranquille… Les codes de la sociétés rendaient les bonnes actions très accessibles... Malgré son origine, Isaac échappait à cette logique formatée. Il la refusait par nature, non pour choquer. Pourquoi ne se comporterait-il pas avec cette jeune fille de la même façon qu'il l'aurait fait avec une autre ? Croyez vous qu'elle aurait apprécié un traitement de faveur ? Certainement pas. Elle devait en subir tous les jours. Tous les jours on devait lui lancer sa faiblesse à la figure en voulant "bien faire". A sa place, il ne le supporterait pas. Et puis, compatir au malheur des autres était très ennuyeux… On s'engageait toujours dans les mêmes conversations. Personne n'en avait envie, mais on empruntait toujours cette voie, "pour bien faire", pour laisser croire que les problèmes de l'autre avaient de l'importance. Le sujet était vite épuisé, à moins de supporter le récit détaillé des mésaventures de la "pauvre créature". Un récit relaté sans passion, et écouté sans attention. Tant de gens étaient là pour faire semblant. Il pouvait bien de permettre de rester indifférent. Il voulait une camarade, pas une personne à plaindre, c'était déjà trop courant...

La réaction de la serpentard prouva qu'on ne l'avait pas habituée à ce type d'attitude. Il ne s'excusa pas, ne chercha pas à savoir s'il lui avait fait mal et lui fit une proposition pour le moins inattendue. Peu de serpentards possédaient un caractère aussi jovial que le sien, et, si on se contentait de cette façade, on s'étonnerait presque du choix du choixpeau. Isaac jouait beaucoup de ce caractère. La jeune fille était désarçonnée et il en était ravi. Provoquer une rencontre par la surprise était la plus belle manière de faire connaissance. C'était aussi une très bonne manière de tester l'interlocuteur. Il voyait bien qu'elle ne savait pas comment réagir. Ses condisciples l'avaient plus habituée aux sarcasmes qu'aux invitations amicales. Devait-elle blâmer son geste, lui être favorable ou rire à une curieuse blague ? Il devinait les questions qui se bousculaient dans sa tête et s'en amusaient beaucoup. Son regard pétillait de malice. Elle opta pour un réplique classique. Froide, cassante, guindée. On renonçait difficilement à ses habitudes. Un sourire en coin s'esquissa sur les lèvres d'Isaac. D'un air vague il répondit "mais oui…. Mais oui…" comme s'il s'en fichait éperdument. Son masque de glace ne l'intéressait pas. Il en guettait les fissures car il sentait bien qu'à cet instant il ne demandait qu'à tomber.

Passé sa métamorphose, un changement palpable fut à relever chez la demoiselle. Sans mot dire, elle se pencha sur lui et posa une main sur son front. Isaac leva des yeux étonnés. Le prenait-elle pour un malade ou s'amusait-elle du comique des gestes ? Comme elle éclata de rire, il opta pour la seconde solution et lui envoya un large sourire. Quelque chose dans l'atmosphère venait de changer. Il était enchanté d'être à l'origine de ce changement. Cela faisait parti de ses petites gloires personnelles. Des gloires positives, sans prétentions, sans mauvaises conséquences. Il aimait avoir une bonne influence sur les autres, parce qu'il ne se sentait vivre qu'à travers les autres. La solitude n'avait pour lui aucun sens. Elle parla enfin, et il l'écouta, plus attentif qu'auparavant. Elle mentionna à nouveau le garçon stupide qui l'avait vexé un peu plus tôt. Sans son intervention, il ne serait peut-être pas venu vers elle. Au fond, il ne pouvait nier que le désir de montrer qu'il valait mieux que ces individus avait motivé ses actes. Arquant à nouveau ses lèvres il répliqua :

- Alors je serais l'imbécile qui te donnera envie de sourire. J'ai bien compris que tu n'étais pas très à l'aise à cette table… tu communique trop peu avec les autres. Et vois-tu, c'est plus fort que moi, quand je remarque un solitaire, j'ai envie d'aller vers lui. Puisque ces personnes sont peu expansives en publique on ne sait pas toujours à quoi s'attendre. C'est en partie pour ça que peu osent les déloger de leur marasme. Mais moi j'aime les surprises, comme j'aime surprendre… - Il marqua une courte pause. - Et en effet, je n'aime pas être tout seul. Le hasard a voulu que tu sois l'une des dernières à sortir et c'est très bien comme ça. – Sur un ton un peu plus brusque il reprit : - Ne va pas croire cependant que je me serais précipité sur n'importe qui. Je ne suis pas désespéré à ce point… Et j'ai pour habitude de ne pas marquer de différence entre les gens, quelques soient leurs origines et leur état. Je sais à quel point ça peut être agaçant et je n'ai pas envie d'être agaçant. Il paraît que je suis trop humain. Il paraît aussi que si c'est un idéal dans la théorie, ce n'est pas une qualité dans la pratique…

Il eut un sourire presque navré. On ne cessait de lui reprocher ce naturel et cette franchise que l'on encourageait chez les autres… "Je suis le plus humain des hommes et personne n'est prêt à me le pardonner", cette phrase lui revenait souvent. Il ne se souvenait plus de la personne qui l'avait prononcée mais elle l'avait profondément marquée. Pendant ce temps, sa convive, qui était entrée dans son "jeu, venait de fournir le service à thé et de souligner l'absence de biscuits. Ce à quoi il s'exclama aussitôt :

- Bonne idée ! Tu te débrouille pas mal non plus. J'ai la chance d'être né avec un don pour la métamorphose… Une grâce divine qui m'empêchera peut-être d'être un sorcier complètement raté ! – ajouta-il avec un petit rire - Mais je ne me suis encore jamais essayé à la métamorphose de nourriture et je préfèrerais éviter de nous empoisonner… -Il feignit de réfléchit un instant et poursuivit avec un sourire espiègle : - quoique ça te permettrait de mesurer la différence entre mon état normal et mes délires post-agoniques… Bon attend… je vais essayer un truc !

Il jeta ces derniers mots sans transition et se leva pour retourner vers la table des serpentards. Lorsqu'il manquait quelque chose, les élèves donnaient parfois quelques coups dessus pour le demander et l'aliment souhaité apparaissait. Seulement, ça ne marchait qu'avec les plats au menu et les assaisonnements… Pour des petits gâteaux secs, il pouvait toujours tenter le coup…

- Des biscuits, dit-il en donnant trois coups sur la table.
Rien ne se produisit. Il recommença avec plus de vigueur.
- Des Biscuits s'il vous plait ! s'écria-t-il.
Rien. Avec un peu d'espoir il regarda sous la table, sans plus de résultats avant de considérer cette satanée planche de bois avec un air contrarié. Son poing s'abattit violemment dessus tandis qu'il s'écriait :
- Des biscuits pour le thé ! AIE !!!

Des larmes de douleur lui montèrent aux yeux et il s'aprêtait déjà à donner un coup de pied furieux dans une chaise quant le met demandé apparu enfin. Son humeur changea du tout au tout. D'un pas léger, il retourna près de sa compagne (en secouant tout de même sa main endolorie) et posa le plat sur la table en lançant joyeusement :

- Voilààà ! Au fait, nous n'avons toujours pas eu l'occasion de nous présenter. Moi c'est Isaac Deniel. Mais je préfère que l'on m'appelle Zack.

Décidément, cet élève de la même maison qu’elle était bien surprenant. Il était incroyablement humain pour quelqu’un que l’on pouvait juger très froid et intéressé, comme tous les Serpentard. Elina était jugée légèrement différemment. Elle était froide, mais pas forcément jugée comme intéressée…Plutôt comme cruelle. Elle pouvait l’être sans vraiment de difficultés, parce qu’elle détestait par-dessus tout qu’on le soit avec elle sans raison. C’était trop souvent le cas, comme ce soir par exemple, et elle avait été abominablement mal à l’aise. Il ne fallait pas s’étonner qu’elle soit si froide, elle ne pouvait pas se permettre d’être trop gentille, cela reviendrait à dire que ceux qui lui faisaient du mal avaient raison. Et elle préférait milles fois danser toute nue sous la pluie plutôt que de leur laisser ce plaisir, ce privilège de la malmener sans y être invité. C’était un peu comme si elle laissait Rusard faire le garde chiourme avec elle, après l’avoir bousculée et faite tomber dans les escaliers. C’était à un point tel que parfois elle se demandait si elle était vraiment faite pour vivre avec les autres. Une île déserte la concernant n’était peut-être pas une solution à exclure, elle ne pouvait pas dire que c’était quelque chose qu’elle ne désirait pas en somme…

Elina avait remarqué que l’élève lui avait renvoyé un large sourire alors qu’elle avait réussit à rire, et pensait ne pas se tromper en disant qu’il devait être assez fier pour vouloir faire mieux que les imbéciles. Elle ne pouvait pas le lui reprocher, étant donné qu’elle avait toujours eu la même envie, mais de manière très légèrement différente. La jeune Serpent prouvait toujours ce qu’elle avait à prouver seule, sans la compagnie de personne. Si le garçon en face d’elle semblait ne pas aimer être seul, elle adorait ne pas avoir la moindre compagnie. Elle se sentait plus libre, et avait l’impression que l’air autour d’elle était plus pur. Non pas que la présence du garçon la gênait, au contraire, sinon elle ne se serait jamais permise de rire avec tant de franchise. Elle avait seulement besoin de retrouver son équilibre, sa paix intérieure, et pour cela, il fallait à tout prix qu’elle soit seule. C’était l’inconvénient d’avoir un tempérament ardent comme le sien, elle n’acceptait jamais d’avoir réellement tort…Et tant pis pour ceux qui n’acceptaient pas sa manière de voir les choses.

Elina perdit littéralement son sourire en écoutant ce que le jeune garçon était en train de lui dicter. Il la jugeait un peu trop bien à son goût, et cela ne pouvait que la gêner. Elle pouvait sans aucune peine dire qu’il n’était pas vraiment gêné, et un peu trop sûr de lui. Il disait ne pas ‘jeter son dévolu’ sur n’importe qui, mais il l’avait tout de même choisie au hasard, cela se lisait dans son regard comme si elle était en train de lire une page d’un livre. Il était étonnant, c’était une certitude, mais il n’en restait pas moins un élève de Serpentard sûr et certain de ses qualités. Encore une fois, elle ne pouvait pas lui reprocher ce trait de caractère, étant donné qu’elle avait un peu le même d’une certaine façon. Elle non plus ne laissait pas ses sentiments à la portée de n’importe qui, et elle était certaine d’avoir raison en agissant ainsi. Résultat, elle se coupait effectivement du monde extérieur. Mais c’était son choix, et elle ne voyait pas très bien en quoi il avait le droit de s’en mêler…A moins qu’il ne s’oblige à agir ainsi, mais Elina en doutait fortement.

« Alors selon toi, je suis trop coupée du monde, c’est ça ? Et tu crois peut-être que ces mots vont me faire changer d’avis ? Au contraire, cette façon de dire, je la déteste. Tu ne sais rien de moi…Tu ne sais pas pourquoi j’agis de cette manière, et je n’ai absolument aucune raison de te révéler mes raisons. Tes attentions m’ont peut-être fait plaisir, je dois l’admettre, parce que tu es bien le premier qui n’agit pas comme un idiot avec moi, mais ce n’est nullement une raison pour te croire meilleur…Nous sommes tous pareils, nous sommes humains, et le fait de juger quelqu’un simplement parce qu’il se coupe volontairement du monde est complètement puéril, j’avais espéré que tu l’avais compris de toi-même. »

Elina était un peu injuste dans ses paroles, elle s’en rendait compte mais ne pouvait s’empêcher de dicter de tels mots. C’était plus fort qu’elle, il fallait qu’elle parle, qu’elle se libère, qu’elle énonce ce qui n’allait pas et ce qui la faisait si grandement souffrir. Comme pour se faire pardonner, elle plongea un regard encore plus sincère que les précédents comme pour s’excuser d’avance de ce qu’elle venait injustement de dire. Il ne fallait pas qu’elle s’en prenne à lui, à quoi bon ? Cela n’allait pas lui rendre son insouciance perdue, elle n’allait pas se sentir mieux, au contraire, elle allait même se sentir encore plus mal, c’était une certitude. C’était pourquoi elle serra violemment ses poings sur sa jupe, comme si elle souhaitait dire quelque chose, pour s’excuser ou du moins s’expliquer, mais que les mots ne sortaient pas…Etrange, c’était la première fois qu’elle perdait autant le contrôle d’elle-même…

« Tu n’es pas trop humain, tu es juste ce qu’il faut. Quelque part, je t’envie un peu, parce que je ne sais pas comment réagir. Ca me trouble, tu me troubles en vérité. Alors pardonne mes mots, mais je pense que j’avais besoin de dire ce que je ressentais. Je deviendrais folle si je ne pouvais pas le faire. Et puis tu n’es pas un sorcier raté, tu es débutant, comme moi. Il faut pouvoir accepter le fait que l’on est pas parfait…Je ne suis pas parfaite, je suis emplie de défauts. Je suis irritante, je me demande si tu as bien fait de me choisir moi pour combler ta solitude… »

Elina eut un mince sourire moqueur, tentant avec le peu d’aisance qu’elle avait encore, de détendre l’atmosphère. C’était la moindre des choses, après tout, c’était à cause d’elle que celle-ci s’était alourdie. Il fallait bien qu’elle se rattrape avec ce qu’elle pouvait…La jeune Serpent eut un rire étouffé en voyant le garçon s’escrimer pour qu’ils aient des biscuits pour le thé. Elle se serait énervée bien avant lui à sa place, mais fort heureusement, il avait pris les devants. Elle sursauta néanmoins et perdit presque son sourire en entendant qu’il s’était fait mal, et, ne sachant pas quoi faire, elle se contenta de le regarder avec des yeux incrédules. En revenant près d’elle, il agita sa main en posant le plat. Il s’était donc fait mal, elle n’avait pas rêvé…Ce fut pourquoi, dès qu’il se rassit, elle s’empressa de prendre la main à laquelle il avait mal pour la masser tout doucement. Elle savait fait preuve de douceur lorsqu’elle était avec quelqu’un de confiance. Et puis, c’était un peu sa façon de se faire pardonner sa mauvaise conduite.

Sans avoir vraiment honte cette fois, Elina déposa un baiser sur la main du jeune homme, comme si elle pouvait soigner sa douleur comme ça. C’était étrange, c’était la première fois qu’elle faisait cela alors qu’elle ne connaissait guère la personne. Elle releva doucement son regard ainsi que son visage, mais sans lâcher sa main pour autant. C’était à ce moment là qu’il s’était présenté, et elle se permit donc un sourire plus sincère que jamais. Au moins, elle n’était pas mal à l’aise en sa présence, c’était un bon point pour lui.

« Je manque à tous mes devoirs, habituellement, c’est la première chose que je fais…Je m’appelle Elina Ixilis…Mais tu peux m’appeler Eli si tu veux. Enchantée, Zack. Tu as encore mal à ta main ? Tu veux que je continue à la masser ? Un bisou, ça fait toujours du bien aussi… »

A ses mots, Elina eut un léger sourire moqueur suivit d’un clin d’œil. Si on la connaissait bien, on pouvait remarquer qu’elle savait plaisanter, elle aussi…

Isaac parlait souvent avec enthousiasme et énergie. Très disert, il se laissait davantage guider par les mots que par l'expression de ses interlocuteurs. Insensible aux changements d'humeurs il suivait toujours son idée première, l'élan de la franchise. Son manque de tact et sa maîtrise de l'improvisation en faisaient un personnage difficile à saisir. En temps normal, il pouvait rebondir sur tous les murs qui se présentaient à lui, et ce de façon tellement rapide qui ne les remarquait pas lui même. La réaction d'Elina demandait un retour en arrière, une recherche mentale. A quel moment ne s'étaient-ils pas compris ? Où avait-il laissé planer sans le vouloir une sorte de double sens ? Si le jeune garçon fut assez surpris par la violence de sa réponse, il ne fit pas ce travail. La culpabilité le survola. Tout était très clair dans son esprit. Il n'avait jamais pensé ou souhaité laisser croire qu'il comptait s'occuper de son intégration, que les personnes seules lui paraissaient anormales ou d'autres bêtises de ce genre. Il ne prétendait pas être un modèle à suivre en matière de comportement humain et connaissait la valeur de la solitude. Il n'ignorait pas non plus les maux et mal êtres qui pouvaient conduire à l'isolement. Seuls les imbéciles heureux n'étaient jamais touchés par les vagues à l'âme. Les solitaires l'attiraient en partie pour des raisons plus égoïstes. S'il appréciait les activités de groupe, il aimait aussi se distraire d'une seule personne et ne pas avoir à la partager avec un "élément perturbateur" qui lui serait préféré.

D'ordinaire, il ne supportait les gens qui montaient sur leurs grands cheveaux en tirant des conclusions hâtives et erronées mais, aujourd'hui, il n'en fit rien. Il n'avait pas envie de s'énerver avec la jeune fille car il sentait que sa colère était passagère. Elle n'était pas à mettre sur le compte de la stupidité. Perturbée dans son quotidien, elle éprouvait le besoin de brandir un bouclier. Il l'en excusait, parce qu'il savait que, dans une situation similaire, il aurait pu réagir de cette façon. Ainsi, il sut contenir ses pulsions. La laissa "vider son sac" en affectant un stoïcisme étonnant et se félicita de son attitude lorsque les "explications" vinrent. Elina retrouva vite son calme. Ses prunelles se couvrirent d'un voile de compréhension. Il acquiesça vaguement et ne releva pas son passage sur cette histoire de "sorcier raté". L'attention le touchait mais tant qu'il pouvait éviter de s'étaler sur ses "problèmes", il le faisait. S'il laissait les autres se confier à lui, il ne se confiait presque jamais aux autres. Avant de partir chercher les fameux biscuits il déclara, sur un ton un peu abrupt mais dénué d'agressivité :

- Selon moi, tu es parano. J'ai pour habitude de toujours dire ce que je pense. Il n'y a pas de conclusions à tirer. Que tu sois coupé du monde, que tu le reste, crois moi, je m'en fiche. Je ne te connais pas, je ne vois pas pourquoi je chercherais à te porter une "aide" que tu ne m'as même pas demandé. Je vis dans l'instant. Je ne couve pas d'intention précises lorsque je vais à la rencontre de quelqu'un. Mes ambitions sont très limitées. Si je te fais sourire, ça me suffit, je ne prétend pas t'ouvrir au monde. Non. Là, le "monde" se réduit à moi et le reste n'a absolument aucune importance. Et crois moi, quelque soit les mauvaises expériences qui t'ont conduit à réagir ainsi, si j'étais mal intentionné ou condescendant, tu l'aurais su de suite.

De retour, il poursuivit comme si rien n'était venu interrompre leur conversation. Cette fois, un sourire était apparu sur ses lèvres, et sa voix était plus douce.

- Les rencontres tiennent plus à un jeu de hasard. On ne choisit pas, on trie ensuite. Nous avons tous des défauts. Mieux vaut connaître de suite ceux de l'autre et composer avec que d'en avoir une image trop positive et se retrouver déçu par la suite. Je ne te reprocherais pas ton acrimonie car au fond, je le suis peut être plus que toi…

Il lui envoya un clin d'œil. Il parlait en connaissance de cause. Combien de personnes avait-il perdu à cause de son mauvais caractère ? Trop de gens se fiaient aux premières impressions et à ce que la surface voulait bien laisser voir. C'est pour ça qu'il préférait se montrer brutal dès le début. Ça lui épargnait la tristesse d'un abandon… Le contact de la main d'Elina ne fit tressaillir légèrement, plus de surprise que de gêne. Il lui lança un regard un peu ahuri, comme s'il attendait qu'elle lui donne une ligne de conduite précise. Comment devait-il réagir en effet ? Finalement, il la laissa faire. Ses gestes soulageaient la douleur qu'il essayait de cacher et il sentait que s'était "important" pour elle, que ce comportement était rare. Perplexe, il la regarda embrasser sa main. Là encore, il ne se sentit pas gêné, il en vint même à se demander s'il devait l'être. Afin de ne plus y penser, il profita de cet instant pour passer aux présentations.

- Ravi de te connaître Eli ! – Comme pour protester à sa manière, il retourna la main de la jeune fille dans la sienne et y déposa un baiser à son tour. La perspective de se faire à nouveau embrasser ne l'enchantait pas cependant. Aussi, il déclina maladroitement sa proposition : - Heu… Non non ça va c'est passé. – Puis, il adopta une attitude machiste ridicule et s'exclama : - Tu me prend pour qui ? Je suis un homme fort moi ! – Il plia un de ses bras (qui flottait dans sa manche) et le tendit presque aussitôt pour saisir la théière et servir le thé. – Tes lèvres te seront plus utiles pour boire le thé !