Aux aurores

Ce dimanche matin-là, à cinq heures et demie du matin, William arpentait les couloirs du château. Il avait été réveillé en sursaut par une cabriole de Peeves, l'esprit frappeur, dans son dortoir, et n'avait pu se rendormir. Fou de rage, il avait fini par se lever et s'habiller pour aller prendre son petit déjeuner, mais il était encore trop tôt; la Grande Salle était déserte, et rien n'était encore servi. Le petit Gryffondor, qui commençait à avoir froid, s'était donc mis à marcher en attendant l'heure du petit déjeuner, à la recherche -qui sait?- d'une bêtise à faire. Il évita les cachots où sa dernière virée l'avait jeté dans les pattes de Rogue, et préféra se balader dans les étages. Dans ses poches, il avait pris la précaution de glisser, en plus de sa baguette magique, quelques Bombabouses, des pétards mouillés du docteur Flibuste, et divers autres articles ludiques...
Il s'arrêta dans un couloir désert du troisième étage, et réfléchit, sa baguette à la main. Une fois convaincu que personne ne se trouvait dans les parages, il trouva dommage de gaspiller une Bombabouse, et renonça à son projet. Il reprit alors sa marche, maudissant Peeves, et s'engagea dans l'escalier pour descendre d'un étage.
Un peu distrait, Will ne fit pas attention à la marche escamotable de cet escalier, et se prit le pied dedans. Le jeune Gryffondor perdit l'équilibre et roula jusqu'au troisième étage. Il se releva, endolori, dans une odeur épouvantable; dans sa chute, quelques Bombabouses avaient éclaté.

Pourquoi était-elle réveillée si tôt ? Merlin seul le savait. En plus elle était encore fatiguée. Alors résignée, elle avait attrapé une lettre à poster et était montée à la volière. Peut-être pourrait-elle se rendormir plus tard. Attraper une chouette de bonne humeur avait été une longue épopée, et elle ressortait de la volière avec des griffures sur les bras et de méchante humeur (pour changer de d'habitude).

En consolation, elle pensa aller prendre un petit déjeuner, tout en se passant un mouchoir sur ses griffures pour arrêter les quelques gouttes de sang qui s'en échappaient par-ci par-là. Mais quelque chose la fit s'arrêter net. Une odeur, plus particulièrement. Une très désagréable odeur, souvent caractéristique de...

"Peeves" siffla t-elle.

C'est qu'elle avait un compte à régler avec lui. Elle se mit donc à courir dans la direction de l'odeur en essayant d'omettre ses nausées et arriva face à un élève de Gryffondor, qu'elle connaissait de vue, prisonnier d'une marche et des Bombabouses éclatées non loin de lui.

Elle fut partagée entre l'envie de rire et celle de faire demi-tour en le laissant se débrouiller, en sadique qu'elle était. Mais elle ne fit ni l'un ni l'autre. Elle alla d'abord ouvrir toutes les fenêtres qu'elle pouvait atteindre avant de se replanter devant lui avec son air orgeuilleux qui lui valait sa réputation.

"C'était pas très malin de ta part." lança t-elle d'un ton suffisant. "D'autant plus que maintenant, Rusard ne va pas tarder."

Celui-là, il avait des yeux partout.

"C'est bien pour ne pas perdre de points, que je t'aide."

Elle lui tendit sa petite main qui, contrairement aux apparences, renfermait assez de force pour le tirer de là. A ce qu'on disait, c'était très douloureux.

Pas de chance pour William, des pas précipités se rapprochaient de lui... A en juger par la hâte que manifestait la personne, c'était quelqu'un qui avait très envie de prendre un élève sur le fait... Rusard, bien entendu! Will n'avait guère de chance de lui échapper, d'autant que sa chaussure était restée coincée dans la marche, un peu plus haut... Nul doute qu'avec une simple chaussure, l'abominable concierge parviendrait à remonter jusqu'à lui. Le petit Gryffondor estima donc préférable d'attendre, et il se pencha pour estimer l'état de sa cheville, le temps que Rusard se montre.
En fait de Rusard, c'est une petite Gryffondor de première année qui se montra- Will l'avait remarquée, car elle faisait montre d'une arrogance peu commune. D'ailleurs, elle venait s'adresser à lui sur un ton exaspérant de dédain, et qui ne fut pas du goût de Will.
Le jeune Gryffondor n'avait pas besoin de la main si gentiment tendue par sa camarade, car il avait eu la chance de ne pas rester coincé dans la marche. Il ne fit donc aucun geste vers elle, et répliqua, sur un ton sec qui n'était pas fréquent qu'il utilise:

-Dis donc, pimbêche, tu te prends pour qui? Tu crois que tu parles à ton chien, là?

Il glissa la main dans sa poche, prêt à dégainer sa baguette magique, au cas où. Cette attitude orgueilleuse lui semblait déplorable- sauf chez les Serpentard chez qui elle était habituelle- et il espérait qu'elle en changerait très vite...

[Ah, tiens, j'avais mal lu ^^ Maieuh il est méchant, la pauvre Jeanne ! lol]

La fillette n'apprécia pas du tout la façon dont il la traita. A la rigueur, un ton égal au sien serait passé, mais si l'on y rajoutait les insultes, cela pouvait vite dégénérer. A croire qu'elle allait contaminer toute sa maison, avec son caractère.

Et contrairement aux attentes de William, l'attitude de Jeanne n'allait pas en s'améliorant. Elle déclara d'un ton amusé, abandonnant son ton hautain pour un sarcastique :

"Oh, je t'en prie, je parle à mon chien un peu mieux que ça. Pimbêche, tu dis ? Original. D'habitude, c'est sale peste."

Son regard se posa sur la main dans la poche du garçon. Elle avait assez de logique pour comprendre que s'il n'en mettait qu'une, c'était pour y attraper un objet, et il n'était pas difficile de deviner lequel. Les élèves, ici, quand ils se sentaient menaçés sortaient tous leurs baguettes, même les enfants de moldus. Elle, elle sortait les griffes mais chacun ses préférences.

Elle détailla son visage, gardant ses bras croisés et déclara après quelques secondes :

"Tu t'appelles William, c'est ça ?"

Un léger sourire mesquin prit place sur ses lèvres alors qu'une réplique allait fuser, mais son regard fut attiré par un objet coloré, comme une papillote et elle se baissa pour le ramasser. Tout le monde aurait reconnu un pétard. Pas elle. Elle en oublia sa mesquinerie et ses airs supérieurs, et une véritable expression de curiosité s'empara de tout ses traits.

"ça doit être à toi, ça. Qu'est-ce que c'est ?"

Elle l'interrogea du regard avant de se replonger dans la contemplation de l'objet coloré.

Une peste qui faisait de l'humour. La chance... Vraiment la personne sur qui William rêvait de tomber un dimanche matin, peu avant six heures. Lorsqu'elle confia qu'elle parlait à son chien mieux qu'à son camarade, Will afficha un sourire dédaigneux à rendre jaloux un Serpentard, et grogna:

-Bien sûr, entre sales bêtes...

A la question sur son prénom, il ne répondit pas, se contentant d'un hochement de tête. Il n'avait pas envie de se perdre dans une conversation mondaine avec cette charmante demoiselle. Le sourire de ladite demoiselle ne lui disait rien qui vaille. Qu'avait-elle contre son prénom? bien sûr, ça sentait le Moldu à cent lieues, mais il préférait ça à... mettons Severus, tiens. A bien y réfléchir, il ne savait plus trop comment s'appelai la donzelle, mais il ne le demanda pas. Elle pouvait bien s'appeler Agrippine, Bidule ou Cunégonde, ça lui était égal... il n'avait pas tellement l'intention de la fréquenter.
Will fut étonné lorsque la jeune et charmante Gryffondor plongea sur le pétard, et se redressa avec l'air... presque normal... Elle ne le regardait plus comme s'il avait été une flaque de vomi sur le tapis de sa chambre, non... elle avait presque l'air de considérer qu'ils appartenaient à la même espèce, et qu'un langage commun pouvait les rapprocher... Will répondit sans grand enthousiasme, entraîné par sa bonne éducation qui commandait de ne point laisser les gens parler sans se donner la peine de répondre:

-Tu ne connais pas? mais... d'où tu sors? C'est un pétard. Un pétard mouillé du docteur Flibuste, très exactement. Explosion garantie sans chaleur. Tu veux le faire exploser?

Un pétard ? Non, elle n'en avait jamais entendu parler. Il fallait avouer que même issue de famille sorcier, elle avait vécu à la moldue, dans un manoir reculé de tout et qu'elle n'avait jamais fréquenté personne (probablement une des raisons de son sale caractère).

Elle restait partagée entre l'envie de le faire exploser et le mépris qu'elle se devait d'adopter. Enfin quoi, qu'y avait-il d'extraordinaire à faire exploser un pétard ?

*Oui, mais il est sorcier*

Son âme de fillette de onze ans repris le dessus sur son caractère de vieille mégère et ses yeux se plantèrent dans ceux de Will. Cela pouvait paraitre étrange qu'elle se soit calmé ainsi, mais c'était parce qu'il lui avait répondu. Habituellement les gens n'avaient pas de répartie et cela ne l'amusait pas. Et puis les objets sorciers la fascinaient.

"ça explose et c'est tout ? Pas d'étincelles colorées ou un truc de ce genre ? Sinon, ce n'est qu'un pétard ordinaire et banal." fit-elle légèrement déçue.

C'était tout de même plus agréable d'avoir une conversation normale... William était un garçon plutôt calme, et il n'aimait pas tellement les altercations. Bien sûr, il ne se laissait pas faire pour autant, mais ce genre de situations le mettait toujours très mal à l'aise. Maintenant que sa camarade avait cessé de lui lancer des regards méprisants dignes de Rogue, Will trouvait la rencontre beaucoup moins désagréable.
Il n'en revenait pas... Cette fille ne connaissait pas les pétards du docteur Flibuste!, une pure merveille de l'artisanat sorcier pourtant! Il fallait y remédier au plus vite, et Will expliqua:

-Non, ce n'est pas tout. Ce sont comme de petits feux d'artifice... Ils font des étincelles de toutes les couleurs qui rebondissent contre les murs. En général, l'effet dure vingt minutes... Tu veux voir? Je te préviens, ça fait un boucan pas possible...

Will imagina Rusard, en pyjama rayé, un bonnet de nuit sur la tête, se hâtant vers la source de ce désordre... ce pourrait être amusant.. Après tout, pourquoi ne pas profiter d'être réveillé aux aurores pour sonner le réveil du concierge? Un large sourire aux lèvres, Will sortit sa baguette magique et la pointa sur le pétard, en demandant à sa camarade:

-Alors, je le fais?

Jeanne écouta les explications de William au sujet du pétard et perçut dans sa voix l'impatience et l'envie de passer à l'acte, ce qui accrut sa curiosité. Mais quelque part, cette partie de ses émotions l'effraya un peu. En effet, depuis un certain moment dans son enfance, elle s'était toujours arrangée pour cacher ses émotions, son père l'y aidant en l'emmenant vivre dans un manoir reculé de tous. Depuis ce jour, elle n’avait plus jamais parlé à personne, prenant ses cours avec un précepteur. Elle vouait une haine peut compréhensible envers le monde et ne comprenait pas pourquoi un simple objet sorcier pouvait la calmer et la rendre sociable à ce point. D’un côté, elle l’avait souhaité, peu avant son arrivée à Poudlard. Ici, personne ne la connaissait et elle pourrait peut-être se faire des amis… mais non, sa fierté et son orgueil avaient pris le dessus et elle s’était déjà faite une réputation qui, elle le savait, n’était pas prête de s’éteindre. Elle était la peste de Gryffondor, ou la Griffy qui se prenait pour un serpent.

Elle se demandait donc quelle partie de son âme écouter : la fillette de onze ans avide de découvertes, ou la femme aigrie et acariâtre ? Se balançant sur ses pieds, elle opta pour une troisième solution et releva la tête vers William. Son visage, sans arborer d’expression hautaine, gardait une neutralité qui contrastait avec son regard. Car même si elle ne le sentait pas, ses yeux s’étaient mis à pétiller d’amusement. Elle croisa les bras et autorisa un sourire à s’installer sur ses lèvres deux petites secondes. Reculant d’un pas, elle déclara d’une voix aussi neutre que possible :

"C’est d’accord… après tout, il est grand temps pour les élèves de se lever."

Et ses yeux se reposèrent à nouveau sur la baguette, pointée vers le pétard. Tout était bon pour ennuyer Rusard qu’elle détestait au plus haut point. Il avait l’habitude de courir partout, alors une fois de plus où une fois de moins ne ferait pas grande différence. D’ailleurs, les salles de classes étaient parfois ouvertes, au cas où vraiment il faudrait se cacher.

Finalement, elle commençait à être plutôt sympathique, cette fille... Elle essayait bien de se donner de grands airs, mais William voyait qu'elle avait envie de se laisser aller... Lui n'avait pas ce genre de problèmes, il se comportait toujours avec spontanéité. Mais il avait remarqué que certains élèves, surtout ceux qui venaient de vieilles familles de sorciers, tâchaient de paraître plus indifférents qu'ils ne l'étaient réellement... Will ne voyait pas l'intérêt de cette attitude, mais qu'importe? Chacun fait comme il l'entend... Avant de taper sur le pétard, il avertit:

-Tu devrais te tenir prête à filer... Le bruit risque d'être assez fort, et puisque tu ne veux pas perdre de points...

Ayant parlé, il donna un petit coup de baguette magique sur le pétard qu'il jeta à quelques mètres. La détonation fut assoudissante et résonna longuement sous les voûtes du couloir. Mais le spectacle était plutôt réussi: le pétard avait émis une multitude d'étincelles rouges et bleues, en forme d'étoiles, qui rebondissaient contre les mur. On aurait dit que les étincelles se poursuivaient... Will s'aperçut que sa camarade n'avait pas bougé, et il proposa, à voix assez haute pour couvrir le bruit des étincelles qui fusaient:

-Si on s'éloignait? Rusard ne devrait pas tarder, maintenant...

Lorsqu'il lui lança l'avertissement, l'allusion à la perte de points la piqua au vif mais elle n'eut pas le temps de prendre un air outré. Il venait de donner un coup de baguette sur le pétard, et maintenant il le balançait avant de s'éloigner, ce qu'elle n'avait pas remarqué, trop occupée à suivre la trajectoire de l'objet qui, sans prévenir, explosa avec la force d'une bombe. Ses pupilles se dilatèrent sous le coup de l'étonnement, et elle sursauta.

Mais l'étonnement fit place à une agréable surprise. Pour être coloré, ça l'était ! Les étincelles de diverses formes se multipliaient à une vitesse folle, en changeant de couleur de façon aléatoire. Très joli, vraiment. Ses yeux bleus-gris suivaient un serpentin qui décrivait des courbes géométriques assez amusantes mais l'appel de William la fit détourner le regard vers lui, reprenant un air renfrogné. A quoi bon lui montrer ça si c'était pour déguerpir après ? Elle n'avait pas peur de Rusard, il suffisait de dire que cela venait de Peeves, cela passait toujours avec elle. Quoique cette fois, il demandrait à ce que les poches soient vidées.

Elle lâcha un soupir résigné inaudible dans ce vacarme assourdissant et le suivit à contrecoeur, d'abord marchant pour tenter de garder une contenance, puis finit par accélérer pour ne pas le perdre de vue. Il ne manquerait plus qu'une accusation (partiellement) injuste à son égard.

"Et où comptes-tu aller ?" demanda t-elle finallement, une fois qu'elle l'eut rejoint.

L'idéal aurait été un endroit pas trop éloigné pour continuer à regarder les étincelles, et éventuellement un Rusard fou de rage.

La réaction de la jeune Gryffondor était exactement telle que William l'avait prévue. Elle avait laissé de côté ses grands airs, pour simplement admirer le spectacle... Elle en devenait plus sympathique, même si elle risquait de ne pas tolérer d'être une petite fille ordinaire. Will eut un souvenir fugitif de son propre émerveillement lorsqu'il avait pour la première fois assisté à l'explosion de pétards du docteur Flibuste... Il avait eu la chance d'en voir exploser plusieurs à la fois, ce qui avait donné un spectacle époustouflant... Pour le moment, il n'était plus temps d'en allumer d'autres. Rusard devait déjà être sur le sentier de la guerre, son affreuse chatte sur ses talons. Will répondit dans un murmure à la question de sa camarade:

-Pas loin... Juste là, regarde...

Il s'approcha d'une tapisserie et la souleva. Elle masquait l'entrée d'un passage secret... Ce serait le poste d'observation idéal... et si Miss Teigne flairait une présence, les deux Gryffondor n'auraient qu'à filer par l'autre bout du passage. Will leva la tapisserie pour que sa camarade puisse passer, puis il s'y glissa lui-même et s'appuya contre le mur, admirant le feu d'artifice par l'interstice entre la muraille et la tapisserie. Il se tourna ensuite vers sa camarade et demanda:

-Alors, le spectacle est à ton goût?

Il songea qu'il faudrait qu'il lui demande son prénom, puisqu'il ne pouvait absolument pas s'en souvenir, mais remit cette question à plus tard. Unfeulement venait de se faire entendre. Miss Teigne, hérissée, crachait et grognait sous les étincelles.

Jeanne l’observa calmement se diriger vers une imposante tapisserie qu’il souleva.

*ça alors* pensa t-elle, loin d’imaginer une chose pareille.

La tapisserie renfermait un long tunnel, assez large pour qu’ils puissent y marcher côte à côte, mais tellement long que l’horizon se perdait en une noirceur insondable. Elle n’avait pas vraiment envie d’entrer là-dedans, il lui semblait que William la prenait pour ce qu’elle n’était pas : une fillette calme et normale. C’était juste un jour où elle était fatiguée et paraissait sociable. Oui, c’était ça. Néanmoins, elle n’avait pas envie de se faire coller une seconde fois pour la semaine. Nettoyer des chaudrons était désagréable, surtout quand le professeur renversait « malencontreusement » une substance huileuse et gluante dans un desdits chaudrons, qui savait de quoi était capable le concierge ?

Elle soupira et entra rapidement derrière la tapisserie, William à sa suite, et le noir les enveloppa presque totalement, si ce n’était l’interstice où se trouvait le jeune garçon. Jeanne alla jeter un coup d’œil à l’opposé. Les étincelles ne semblaient pas vouloir se calmer, et dans la pénombre, elle s’autorisa à sourire, un vrai sourire franc, un sourire sincère.

Elle l’abandonna cependant lorsqu’il lui pausa une question. Elle allait répondre par l’affirmative mais un feulement la coupa dans son élan. La chatte de Rusard paraissait en proie à une crise d’hystérie, à l’image de son maître. Elle laissa échapper un rire narquois, les yeux étincelants de méchanceté.

"Sale bête." siffla t-elle.

Elle regarda William et demanda :

"Elle peut nous entendre dans ce vacarme ?"

Car si elle les perçait à jour et décidait de s'asseoir devant la tapisserie, Rusard les trouverait forcément.

William arborait un large sourire. Miss Teigne affolée par les étincelles, cherchant tant bien que mal à se défendre, on n'aurait pu rêver mieux... Le petit Gryffondor ne distinguait pas bien le visage de sa camarade, mais son murmure hostile à l'affreuse bête lui indiqua qu'elle aussi se réjouissait de la mésaventure de l'auxiliaire de Rusard. Will était pourtant un grand ami des animaux, il n'aurait jamais imaginé pouvoir détester ainsi un simple chat... mais Miss Teigne était ce qui se faisait de pire en matière de chat. Abandonnant son coin de mur, Will se rapprocha de la fillette pour pouvoir se faire entendre sans hurler, et indiqua:

-Nous entendre, je ne pense pas, mais nous sentir, probablement... Elle a un odorat très développé, et en plus, je sens un peu la Bombabouse, l'odeur que Rusard déteste le plus... elle va certainement s'apercevoir de notre présence. Mais il suffit de filer par ce passage, et on sort à côté de la statue de Eûrk le Cradingue, dans l'aile est...

Rusard, cependant, ne paraissait nulle part, et Will se demanda ce qui lui était arrivé. D'habitude, le concierge était plus rapide que cela... Ou alors, il était précisément en train de prendre sa douche mensuelle. Miss Teigne arriva à surmonter sa fureur et s'enfuit ventre à terre. On pouvait désormais être sûr que Rusard n'allait pas tarder. Will entendit un bruit de pas, et souffla:

-Avec mon odeur, il vaut mieux que je ne reste pas là, la sale bête nous trouverait tout de suite... Je file. Au plaisir de vous revoir, Miss.

Il s'élança silencieusement dans le passage secret, en direction de la tour de Gryffondor où il pourrait se changer, laissant sa camarade observer le spectacle.

Il se rapprocha pour pouvoir parler tranquillement et elle laissa échapper un rire légèrement moqueur. Elle ne connaissait personne qui ne détestait pas cette odeur, mais c'est vrai que concernant Rusard, cette odeur était synonyme de "crime" et de nettoyage.

L'aile est. Elle ne savait même pas où ça se trouvait. Elle pinça les lèvres pour ne pas le lui dire, il lui suffirait de le suivre puisqu'ils allaient s'en aller. Et puis les statues se ressemblaient toutes, selon elle.

Elle regarda la chatte filer à toute vitesse et ponctua cette fuite par un bref haussement de sourcils victorieux. Mais des pas la firent changer d'expression. Voilà, le concierge venait d'arriver, avec ses yeux exhorbités, son allure crasseuse, ses bajoues frémissantes et ses sifflements de rage. Tout en lui exprimait le dégoût.

"Il a les yeux plus gros que d'habitude, tu ne trouves pas ?" plaisanta t-elle.

Mais elle n'obtint aucune réponse. A bien y regarder, l'odeur que dégageait son camarade avait elle aussi disparue... tout comme lui. Trop occupée qu'elle était à fixer Rusard, elle n'avait pas entendu qu'il s'en allait.

Se retournant vivement, elle voyait qu'il avait déjà presque disparu. Alors, dans l'angoisse et la contrarieté de se retrouver seule ici (par sa faute en plus, il l'avait convaincue de faire exploser ce pétard !) elle oublia qu'elle ne devait ni crier ni courir, l'instinct repris le dessus, et elle s'écria, faisant un pas en avant :

"Hey !"

Au moment même ou cette simple exclamation franchissait ses lèvres, elle aurait voulu la retenir. Une sueur froide s'empara d'elle et ses yeux s'agrandirent de surprise et de crainte.

*Oh, non*

Elle s'élança en courant à la suite de William et le percuta de plein fouet involontairement. Enfin quoi, il devait l'avoir entendue crier non ? Peut-être la surprise avait interrompu ses pas, à lui aussi.

"J'ai pas fait exprès, alors avance maintenant, j'ai pas envie d'avoir une autre heure de colle !" siffla t-elle, ses yeux lançant des éclairs.

Elle passa son bras sous le sien pour le tirer en avant et maugréa :

"Si tu m'avais pas laissée toute seule, aussi !"

William s'arrêta de courir, glacé. Elle venait de crier, de l'appeler... avec une voix assez forte pour ameuter tout le château. Cette fille était donc folle?... Il hésita un instant, partagé entre l'envie de fuir et celle d'aller la rejoindre, mais sa réflexion fut interrompue par un choc violent qui le fit tomber. La voix autoritaire qui s'adressa à lui appartenait à la petite Gryffondor qu'il venait de quitter, et Will se releva, rassuré sur son sort. Il reprit sa route vers la sortie, aussi silencieusement que possible, mais non sans ronchonner:

-Hé, je t'avais dit que je partais! il fallait écouter!

Il avait chuchoté plus qu'il n'avait parlé, juste pour ne pas laisser cette furie lui reprocher des choses qu'il n'avait pas faites. Tout en galopant, il songea qu'il n'aimerait pas être à la place de son futur mari... qu'est-ce qu'il prendrait, le pauvre!
Il s'arrêta de nouveau, à l'extrémité du passage, et tapota le mur de sa baguette magique. Le pan de mur s'écarta et livra passage aux deux enfants. Will allait sortir lorsqu'un bruit de pas, derrière eux, le fit sursauter:

-Viens! dépêche-to! Il nous suit!

Elle s'empêcha de renchérir un retentissant "non, tu me l'as pas dit !" et se contenta de fusiller du regard le tunnel. Elle ne voulait pas le mettre en colère, si jamais il la plantait là ?

En attendant, il fallait courrir, et ils faisaient ça à merveille. Déjà, William lui montrait l'extremité du passage et elle s'autorisa un soupir de soulagement. Un bref, soulagement à dire vrai. Des pas pressés et un souffle de boeuf caractéristiques se faisaient entendre derrière eux et William prononça la phrase qui confirma les pensées de Jeanne. Diable. Il avait du souffle, le vieux Rusard.

"Mais balance-lui un truc !" s'exclama t-elle.

C'était une bonne solution si on souhaitait son renvoi, n'est-ce pas ?

"Non, non, c'est pas ça que je voulais dire... la bibliothèque est loin d'ici ? On peut s'y planquer sinon... quoique Pince appréciera pas... tu connais bien un autre passage, non ? Je suis qu'en première année, moi ! Je sais même pas où on est ici !"

En attendant une réponse qu'elle espérait rapide, elle regarda le passage se refermer, leur accordant une seconde de sursis, le temps qu'il le réouvre quand il serait au bout du tunnel.

"Ou une salle de classe ?" se dit-elle à voix haute en regardant les nombreuses portes.

Rusard devait s'entraîner régulièrement pour avoir un tel souffle... Il avait de l'autonomie, comme un vrai sportif! Pourtant, les deux enfants entendaient sa respiration sifflante, une respiration qui n'avait rien d'athlétique... On aurait plutôt dit qu'il était en train d'agoniser, d'avoir une crise d'asthme... mais il tenait le rythme, l'ordure! Jeanne- son prénom venait de revenir à l'esprit de William, sans qu'il en soit tout à fait sûr- s'excitait contre son camarade, et il sentait sur ses épaules toute la responsabilité de leur retour. Fais quelque chose, débarrasse-nous de Rusard, trouve un chemin, tout lui retombait dessus!
Il s'arrêta un instant à la sortie du passage pour réfléchir, puis reprit sa course, lançant seulement à Jeanne:

-Viens, suis-moi!

Il s'était élancé vers la gauche, en direction de l'escalier, sa camarade sur ses talons. S'ils arrivaient à monter à l'étage supérieur, un autre passage secret permettait de monter jusqu'au sixième étage, l'étage de leur salle commune... Bon, d'accord, le passage secret en question se trouvait à l'autre bout du château, dans l'aile ouest, mais Jeanne n'avait pas besoin de le savoir. Avant de prendre l'excalier, Will alluma un nouveau pétard qu'il jeta sur le palier de l'étage au-dessous, pour tromper Rusard. Il grimpa ensuite l'escalier, silencieusement, bondissant plus qu'il ne courait. Derrière eux, les bruits des pas et du souffle du concierge s'étaient atténués.

-Par ici, vite! souffla Will en montrant un couloir désert.

Heureusement qu'il avait de la ressource. Il se remit à courrir vers les escaliers.

*Oh non, pas les escaliers* pensa t-elle.

Les escaliers la détestaient. Il suffisait qu'elle en emprunte un pour qu'il se mette à bouger et qu'il l'emmène dans l'exact opposé de la direction voulue. Peut-être que sa malédiction n'atteindrait pas William.

Elle se demanda pourquoi il s'était arrêté, avant de remarquer qu'il allumait un nouveau pétard. Aucune question n'eut le temps de franchir ses lèvres : il le jeta à l'étage en dessous. Il fallait avouer qu'elle était étonnée. Dans sa panique, elle n'y aurait jamais pensé. William grimpait déjà les escaliers à vive allure sans attendre l'explosion, alors elle le suivit, quelque peu fatiguée (elle ne courrait pas beaucoup). Arriva l'étage supérieur. Elle souffla pour exprimer à la fois son soulagement et son épuisement.

"Par ici" dit-il.

N'avait-il donc aucun répit pour elle ? Elle fronça les sourcils et ne bougea pas pour autant.

"Alors on marche." imposa t-elle de sa voix fatiguée. "Rusard est parti, et moi j'en peux plus"

Elle avait soif maintenant. Elle alla à sa hauteur en marchant et déclara d'un ton un peu plus expressif :

"En tout cas, je trouve que t'as une bonne présence d'esprit. J'avoue que je n'aurais jamais songé à envoyer un pétard en dessous... tu dois faire ça souvent pour avoir une telle endurance, non ?"

Elle n'avait même pas remarqué qu'elle venait de lui faire un compliment.

Il semblait que la ruse, pourtant grossière, employée par William, avait porté ses fruits. Plus aucun bruit de pas ou de respiration sifflante ne leur parvenait; Rusard avait probablement dirigé ses recherches sur le lieu de l'explosion du deuxième pétard, ce qui permit aux deux enfants de ralentir un peu la cadence. Will n'était pas trop essoufflé- il était plutôt sportif et avait pas mal d'endurance- mais Jeanne semblait hors d'haleine. Sous l'effet de la fatigue peut-être, elle devenait presque aimable, comme le remarqua Will. Ne venait-elle pas de lui faire compliment pour sa présence d'esprit? Le Gryffondor sourit- amusé par ce changement de comportement certes, mais aussi sincèrement flatté- et répondit:

-Oh, je fais du sport régulièrement... et c'est vrai que je me suis habitué à fuir Rusard... Il ne m'a encore jamais eu, précisa-t-il avec fierté.

Autant dire que ce n'était pas aujourd'hui que ça commencerait... A force, Will avait repéré quelques faiblesses chez le concierge, notamment sa tendance à se précipiter vers le bruit sans se demander si ce n'était pas qu'une feinte... Une fois de plus, cela avait fonctionné. Tout en marchant, William se tourna vers sa camarade et demanda en souriant:

-Bon, j'espère que cette promenade matinale t'a plu? Tu ne garderas pas un trop mauvais souvenir de moi?

Il ne l'avait encore jamais eu... ses yeux s'éclairaient soudain et elle s'exclama :

"Le lâcher de botrucs dans le couloir des enchantements, c'était toi ? Il y a eu un bruit d'explosion juste après, semblable à celui-ci !"

Quel quand charivari, ce jour-là ! Les botrucs avaient sauté sur pas mal d'élèves. Jeanne en avait même cassé un sans aucun remords et personne n'avait jamais su qui était à l'origine de ce sale coup. Rusard avait pourtant interrogé pas moins de la moitié des élèves, elle y compris. Ordinairement, Rusard attrapait toujours les coupables.

"On dirait que tu affectionnes particulièrement les pétards." songea t-elle tout haut.

Elle le regarda lorsqu'elle le vit se tourner vers lui avec un sourire. Un gentil sourire qu'on ne lui avait encore jamais adressé. Peut-être devrait-elle être fatiguée plus souvent ?

"On verra bien... je te dirais ça quand on se recroisera." dit-elle d'un ton neutre, avec cependant un regard amical.

En toute verité, elle avait appreçié la balade autant que sa nouvelle connaissance. Peut-être allait-elle se mettre à jeter des pétards, elle aussi.

-Eh bien... il est possible que j'aie eu un petit rôle dans cette histoire, en effet, répondit William sur un ton sérieux et solennel qui ne lui allait guère.
Il avait entendu des élèves plus âgés parler de Botrucs à l'issue d'un cours de soins aux créatures magiques, l'année précédente, et avait été très intéressé. Dès qu'il avait pu, à son retour à Poudlard, il avait subtilisé quelques-unes de ces créatures -juste pour jeter un coup d'oeil- mais elles lui avaient échappé juste au moment où il passait dans le couloir d'Enchantements. En somme, il ne l'avait pas fait exprès... Les Botrucs avaient semé une panique indescriptible, et Will avait estimé préférable de s'éclipser... Quant au pétard, il avait servi, comme aujourd'hui, à dérouter Rusard. Will fit un clin d'oeil et affirma:

-J'aime bien faire du bruit. Mais attention, je ne suis pas le seul!

Qui dans ce château n'aimait pas cela, sinon quelques tristes individus qui ne connaissaient rien à rien? Les élèves normaux étaient en général ravis de faire le plus de bruit possible.
Le regard de Jeanne avait changé, et Will songea que cela lui allait mieux. Ses airs de grande dame hautaine étaient tellement déplaisants... au moins, quand elle se laissait aller, elle ressemblait à une petite fille de onze ans...

-Tu envisages la possibilité de me recroiser... et de me parler... donc ça n'a pas dû te déplaire, déclara-t-il joyeusement.

Ils s'étaient engagés dans leur millème escalier, entre le cinquième et le sixième étage.