Ennui...

Cela faisait longtemps qu'Adanedhel n'était plus venue dans le dortoir des Serdaigles seulement pour dormir... Habituellement, elle y passait le moins de temps possible, évitant cet endroit, ainsi que la salle comme et la Grande Salle, au maximum... Dès qu'elle ne trouvait pas le sommeil, elle s'éclipsait dans la forêt ou sur le terrain de Quidditch... Quand elle voulait travailler, elle le faisait dans le parc ou à la bibliothèque... Non, vraiment, elle n'aimait pas cet endroit, fréquenté par bien trop de personnes à son goût... Quoique, pour le moment, il n'y avait personne... C'était peut-être pour cela qu'elle restait là, après tout... Alors qu'elle ne parvenait pas à dormir... Qu'elle s'ennuyait à mourir... Et dire qu'elle n'avait rien à faire pour s'occuper... Pas même des devoirs à faire : elle les avait tous rendus… Elle avait beau se dire qu’elle n’avait vraiment pas atterrit dans la maison qui lui correspondait, elle en avait quand même certaines caractéristiques indéniables…
Assise en tailleurs sur son lit aux baldaquins largement ouverts, la jeune fille avait la tête posée sur son poing gauche et tenait sa baguette de l’autre. En guise de pyjama, elle était vêtue d’une brassière de type sport, orange au centre et noire autour, ainsi que d’un pantalon moulant, qui aurait tout aussi bien convenu à une coureuse du cent mètres, dans les mêmes tons. Elle ne semblait pas souffrir du froid de ce début de novembre, comme si, lorsqu’elle n’avait rien à faire, aucun évènement extérieur ne pouvait l’atteindre…

*J’ m’ennuie…*

Songea-t-elle avec lassitude, déçue du manque d’action chronique auquel elle était confrontée… Elle, la terreur des Aigles, toujours actives, toujours à courir partout et à chercher quelque chose demandant intelligence et force à faire, assise sur un lit sans visiblement la moindre envie et le moindre projet…
Elle avait bien pensé à faire une nouvelle escapade sur le terrain de Quidditch, mais il était encore trop tôt pour qu’elle soit sûre de ne pas croiser un quelconque fâcheux sur son chemin… Monde cruel que celui qui condamnait une telle force de la nature ivre d’action à l’immobilité… Poussant un soupire sonore, la quatrième année balaya une nouvelle fois la pièce dans la quelle elle se trouvait d’un regard terriblement perçant. Il lui semblait en connaître les moindres détails à fond… Rien ne lui échappait, pas même un petit tas d’avions en papiers au pied d’un autre lit, certainement abandonnés par quelques élèves un peu plus joyeuses qu’elle… D’un geste las, elle agita sa baguette dans leur direction en murmurant l’incantation du sortilège d’attraction. Une douzaine de ces engins volants éphémères atterrirent sur son lit et, au moyen d’un sortilège de lévitation, elle les fit tournoyer autour de sa tête. D’un geste de la baguette toujours vif malgré ce temps qui s’écoulait trop lentement et d’un :

"Colorum !"

Rapide, elle les peint d’une couleur vert forêt qui lui semblait plus séduisante que tout ce blanc… Et puis ça changeait un peu du Bleu, toujours ce Bleu, qui englobait Salle Commune et Dortoir… Elle avait toujours adoré le vert… Avec des gestes lents, elle modifia les positions des avions en papiers, se souvenant encore, malgré le temps qui avait passé, de ce petit cours avec l’AM et Dorian, quand elle avait appris que l’on pouvait jeter un sortilège de plusieurs manières… Elle avait d’ailleurs réussit… La preuve en était ces avions, semblant liés par des fils couleur d’invisible, qui changeaient sans cesse de disposition, tous en vol au même moment… Dorian… Depuis combien de temps ne l’avait-elle pas vu ? Elle n’en savait rien… Il lui manquait terriblement et pourtant, pourtant, elle se refusait à en parler, à l’admettre… Elle, l’unique, l’indomptable, avait cruellement besoin de gens pour s’appuyer… Et le plus important d’entre eux avait disparu de sa vie depuis un long moment…

*Pensons à autre chose…*

S’ordonna la Batteuse de talent en tournant son esprit vers la veille… Le fil de ses pensées fut coupé par la porte du dortoir, qui s’ouvrit soudain… Surprise, elle leva sa baguette par pur réflexe et fixa toute son attention sur celui ou celle qui allait entrer… Involontairement, elle envoya les avions droit sur l’importun, et la petite troupe s’abattit sur la tête du nouvel arrivant en un grand fracas de papier froissé…

Keith trouvait que l'idée de la cravate indiquant au premier coup d'oeil l'appartenance des élèves à telle ou telle maison était une invention de toute première utilité, et lui permettait ainsi d'obtenir immédiatement une caractéristique importante de chaque personne qu'il croisait, sans même avoir à s'attarder ou lui adresser la parole. Le garçon s'était donc longuement promené dans tous les couloirs qui lui étaient accessibles, sans se formaliser de se perdre -car après tout il n'avait rien à faire et finissait toujours par retrouver un endroit qu'il avait mémorisé- et étudiant à loisir les attitudes de chaque groupe croisé.

Il était tout de même relativement impressionnant de constater que l'écransante majorité des étudiants de Poudlard se conformaient à la couleur de leur cravate à la limite de la perfection. Perfection toute relative, mais perfection quand même.

*Il est fort, le Choixpeau, manifestement il commet peu d'erreurs...*, s'étonna intérieurement le jeune homme tout en essayant de se figurer quel type de sort avait bien pu être jeté sur l'objet pour le rendre si fin psychologue.

Et à propos de psychologie... Si tous correspondaient au stéréotype attendu pour chaque maison, il y avait de fortes chances pour que les quartiers de Serdaigle soient baignés dans une ambiance studieuse et appliquée. Quelle horreur! Le brouhaha qui semblait régner dans la grande salle aux heures d'affluence laissait heureusement supposer qu'un peu d'agitation était envisageable.

Tout de même intrigué, Keith se dirigea vers les dortoirs bleus où il ne s'était pas encore spécialement attardé, espérant trouver quelques élèves d'années supérieures pour lui fournir des renseignements sur la question. Par manque de chance, non seulement la chambrée du garçon était déserte, mais en plus il semblait en être de même pour l'intégralité du dortoir des garçons.

S'apprêtant à repartir vers les pièces communes, le jeune Serdaigle crut entendre un éclat de voix féminine étouffée, probablement par les murs et/ou portes qui les séparaient, quelque part derrière lui.

*Du monde chez les filles? Je suppose que j'ai pas le droit d'y aller, mais c'est toujours mieux que de rester dans les couloirs à rien faire...*

D'autant plus que son étude sur la couleur des cravates était terminée. Il fit donc résolument volte-face et poussa la porte de la première chambre qui se présenta à lui... Où il fut accueilli par une salve d'avions en papier en pleine figure.

"Tu dois être au moins en troisième année...", adressa-t-il sans préambule à la 'pilote' desdits avions, ne se formalisant pas d'avoir encaissé toute l'armée de papier et affichant son demi-sourire habituel.

Lorsqu'elle se rendit enfin compte de ce qu'elle faisait, Adanedhel fit un brusque geste de la baguette vers la droite et les avions en papiers s'écrasèrent contre la vitre de la chambre, masquant pour un instant la vue magnifique qu'elle livrait sur le parc, plongé sous sa couverture couleur de nuit... Après avoir vérifié d'un rapide coup d'oeil que l'intrus n'avait pas de baguette à la main, la Quatrième année rangea sa baguette dans sa ceinture avec un moulinet rapide, son regard couleur ténèbre posé sur le nouvel arrivant... Chose étonnante, c'était un jeune garçon... Elle ne devait pas être à ne se soucier que très vaguement des règlements... D'une voix sans émotions, elle précisa simplement :

"Quatrième."

N'ayant que peu l'habitude de s'accorder plus de familiarités ou de mots superflus.
Elle s'autorisa à détailler l'intrus du regard et nota des cheveux bruns, un demi-sourire, une paire de superbes yeux noirs, un blason Bleu et Bronze sur lequel se tenait un Aigle royal, ainsi qu'un air plutôt jeune... Quoiqu'elle n'était peut-être pas exceptionnellement bien placée pour parler...

"Et toi, tu dois être en Première année..."

Supposa-t-elle, n'ayant jamais croisé la tête du jeune homme...
Il lui parut évident qu'il avait un don certain pour détecter le pouvoir que nécessitait tel ou tel sortilège et qu'il avait dû être trompé par sa petite taille... Elle osa même aller jusqu'à croire qu'il avait eu une éducation sorcière... En effet, être capable de reconnaître les possibilités de quelqu'un en regardant les sorts qu'il lançait demandait un certain entraînement... Et des connaissances...
Après ces quelques instants de réflexion silencieuse, elle se rendit soudain compte qu'elle n'était pas franchement présentable... Elle fit semblant de ne pas s'en soucier et bondit de son lit avec des mouvements félins.

"Perdu ?"

Demanda la Batteuse des Aigles, dans le but d'aider son nouveau condisciple, même si elle n'était pas du genre garde d'enfant.

Keith suivit des yeux le mouvement des avions qui se détournaient brusquement de leur trajectoire et allaient vivement percuter la fenêtre avec un intérêt certain, mais toujours voilé par l'expression neutre que l'enfant présentait en quasi-permanence. Les réflexes de la jeune fille étaient prompts; un tel automatisme en matière de magie montrait bien que celle-ci avait quelques années de plus que le garçon, qui avait beau avoir lu des centaines de pages à propos des tenants et aboutissants de l'usage de la baguette, il n'était même pas sûr de savoir tenir la sienne correctement.

Aussi il ne fut pas étonné d'apprendre que son interlocutrice en était à sa quatrième année d'études, ce qui en un sens était assez enthousiasmant pour ce que cela laissait présager du contenu d'hypothétiques futurs cours. Le garçon nota mentalement qu'en plus de ça, la tenue détendue qu'elle avait endossée -même pas la cravate!... S'il l'avait croisée ainsi dans un couloir elle aurait nettement enrichi son étude sur la question, dommage- l'amenait à supposer que celle-ci ne récapitulait pas une quelconque leçon fraîchement apprise, mais était plutôt probablement en train de se distraire.

Il s'autorisa quelques pas pour franchir la maigre distance qui séparait le seuil de la porte de la pièce à proprement parler et s'adossa au premier mur venu, croisant pensivement les bras et adressant un regard détaché à son aînée qui venait de quitter le lit sur lequel elle était précédemment affalée.

"Keith Baarzad, première année effectivement. Mais pas perdu", précisa-t-il avec un froncement de sourcils contrarié. "Je suis venu ici parce que le dortoir des garçons est complètement vide"

Il ne jugea pas utile d'en préciser plus, peu soucieux d'avoir une logique personnelle somme toute passablement alambiquée, et qu'il devait être peu courant que les garçons -de première année, à fortiori- viennent tranquillement se promener dans les dortoirs féminins.

Sans ajouter un mot de plus, Adanedhel observa son condisciple s'avancer dans le coeur de la pièce. Elle aimait étudier les gens du regard et tenter ainsi de deviner ce qu'ils pouvaient lui cacher ou ce que leur personnalité avait de particulier. Elle n'aimait pas les gens sans réelle personnalité... Mais visiblement, ce garçon-là en avait. Pour braver l'interdit, il fallait déjà avoir envie de se détacher du lot... Ou avoir fais un paris idiot... Ou avoir envie de voir des filles pas très habillées...

*Et voilà, je commence déjà à m'ouvrir des milliers de possibilités...*

Se réprimanda la jeune fille, qui savait que, si elle se laissait partir dans l'un de ses multiples délires, elle n'était pas sortie de l'auberge...
Sans aucun doute le garçon avait-il beaucoup étudié. Elle avait remarqué son regard étrange, qui avait suivi sa baguette, lorsqu'elle avait détourné les avions... Il devait être fichtrement attiré par la magie... Et puis il avait un talent certain pour débarasser son visage de toute émotion. Il était rare qu'elle aie la chance de rencontrer des personnes ayant cette étrange habitude et elle prévoyait qu'ils devaient avoir d'autres points communs...
Le Première année - car s'en était un - s'adossa au mur et pris une position qu'elle avait plus ou moins l'habitude d'adopter. Les regards des deux enfants se croisèrent et l'aînée des deux laissa le soin au plus jeune de rompre le silence tranquille dans lequel ils étaient plongés. Elle ne fut pas surprise de voir qu'elle l'avait contrarié en le supposant perdu et nota donc qu'il était débrouillard. C'était fou ce que l'on pouvait apprendre - ou du moin supposer - sur les gens rien qu'en les regardant... Elle eut un instant un éclat ambré dans le regard quand elle se rendit compte qu'ils devaient avoir à peu près la même logique puis, puisqu'il lui avait dévoilé son nom, elle lui dévoila le sien.

"Adanedhel Iluvatar, accessoirement Batteuse de l'Equipe."

Fit-elle pour l'éclairer un peu sur sa personnalité des plus complexes... Inutile de lui révéler qu'elle était aussi Capitaine, après tout il l'apprendrait bien assez tôt...
Heureusement pour lui, elle n'était pas Préfète - elle ne respectait certainement pas suffisemment les règlements pour ça - sinon elle aurait été obligée de retirer des points à sa propre maison - qui en manquait toujours cruellement - pour intrusion dans le dortoir féminin...
Venant briser la tranquilité de l'instant, un vif éclair zébra le ciel de nuit de l'autre côté de la fenêtre. La Bleu et Bronze tourna immédiatement le regard vers la fenêtre, alors que le tonerre raisonnait en faisant trembler tout le château...

Adanedhel attarda furtivement son regard sur le garçon, et celui-ci supposa à raison que ce coup d'oeil confirmait à lui seul ses estimations en matière de fréquence de visites inter-dortoirs. Il se demandait bien en quoi le simple fait de se trouver dans le dortoir des filles était à blâmer, tant qu'il n'y faisait rien de répréhensible...

Et à vrai dire, il se figurait assez mal ce qu'il aurait pu y faire d'autre que de discuter tranquillement dans la mesure où premièrement, il ne maîtrisait pas un sort, et secondement, il n'était absolument pas versé dans le vandalisme, activité totalement dénuée d'élégance. Beurk.
Keith était assez fin pour deviner que le vandalisme n'était pas l'inquiétude première des autorités à propos des dortoirs, mais aussi encore assez jeune pour que ça ne lui effleure pas l'esprit de si prêter et bien assez niais pour être convaincu que ce constat frapperait n'importe qui comme une évidence, et qu'en somme sa présence dans les dortoirs des filles était d'une certaine manière tout à fait justifiée.

Et puis, l'occupante des lieux était plus sympathique que ce à quoi le garçon s'était attendu -il n'appréciait les filles que très moyennement. Au moins celle-ci n'avait pas vivement protesté à l'intrusion du jeune homme, n'avait pas lancé un flot de paroles plus inutiles les unes que les autres, ne s'était pas lancée dans une assomante dissertation à propos de cartes Chocogrenouilles -quel intérêt de s'octroyer volontairement des crises de foie pour collectionner des images qu'on pouvait trouver dans le premier bouquin venu?-, en résumé, n'avait pas eu une réaction que le jeune Baarzad aurait aisément imaginé sur la plupart des élèves qu'il lui avait été donné de croiser depuis son arrivée à Poudlard, "rencontrer" étant encore un trop grand mot.

"Adanedhel Iluvatar, accessoirement Batteuse de l'Equipe.", se présenta laconiquement la jeune fille.
Keith ouvrit la bouche pour poser une question et la referma aussitôt, non à cause de l'éclair qui venait de déchirer avec fracas l'obscurité ambiante, mais parce qu'un instant la question *L'équipe de quoi?* lui avait effleuré l'esprit. L'équipe de quidditch, évidemment.

Le garçon s'approcha de la fenêtre pour contempler l'orage, se demandant encore pourquoi il avait d'abord songé à une équipe de baseball, alors qu'il savait pertinemment que ce sport n'était pratiqué que par les Moldus... Probablement parce que lui-même avait récemment joué à utiliser son balais -il ne savait pas voler avec mais l'objet l'intéressait- comme une batte, quelques jours avant de prendre le Poudlard Express. A cette pensée -le souvenir du nombre de vases et miroir cassés qui avait royalement échappé à l'attention de ses parents lorsqu'il étaient rentrés l'amusait assez-, son ébauche de sourire se fit imperceptiblement plus marquée, tandis qu'une pluie diluvienne s'abattait dehors.

"...On sort?", demanda-t-il subitement, une fois de plus sans ressentir le moindre besoin d' expliquer le raisonnement préalable.

Les zébrures du ciel couleur d'encre se répercutaient dans les yeux ébène d'Adanedhel Iluvatar. Elle semblait absorbée par l'extérieur. Les éléments se déchaînaient. La lumière menait un combat que tous savaient perdus d'avance contre l'obscurité... Une telle intensité, un tel déploiement de puissance fascinait la jeune fille. L'air frémit doucement à ses côtés et elle n'eut pas besoin de détourner la tête pour se rendre compte que son nouveau compagnon de chambrée était venu à ses côtés... Etrange comme un simple orage pouvait fasciner des enfants d'un peu plus d'une dizaine d'années alors qu'il effrayait habituellement les tous, tous petits. Pour sa part, la pré-adolescente avait l'impression que chacune des zébrures argentées sur le ciel de ténèbres se répercutait à l'intérieur d'elle même.
La question aussi subite que peu à propos de ce qu'il convenait d'appeller son interlocuteur, faute de meilleurs mots, la fit revenir à la réalité. La voix de l'enfant était douce et semblait s'apparenter très exactement à son sourire. Sourire qui semblait machinal à la Quatrième année, car il restait toujours le même... Mais mieux valait un demi-sourire habituel qu'une expression renfrognée occasionnelle... Sans perdre du temps en vaines explications, ou contredictions qui n'auraient mené à rien, la jeune fille se décolla de la vitre, acquiessa brièvement du chef et se tourna vers son lit.
En quelques gestes rapides, elle enfila un T-shirt aux manches longues à la teinte verte foncée, ainsi qu'un pantalon de toile peu adaptée aux conditions climatiques entièrement noire. Elle enfila ses baskets et vérifia d'un mouvement de la main que sa baguette se trouvait bien à sa ceinture.
Elle alla ouvrir la porte à son condisciple et demanda d'une voix moins désespérément vide qu'à l'ordinaire, car elle sonnait un peu plus, joyeuse :

"Tu veux aller où, exactement ?"

Tant qu'il s'agissait d'expéditions noctures, tout lui convenait...