"Connie!" Le cri fut suivi d'un tambour de poings sur la porte de la minuscule salle de bains. "Connie, dépêche-toi! Rosie n'est pas prête!"

Connie soupira, adressant au miroir embué une grimace exaspérée. Le miroir imita son expression sans commentaire. La faute à qui, si Rosie n'était pas prête? Maman l'avait laissé dormir pendant que les autres prenaient leur petit déjeuner. "C'est son anniversaire, après tout," Maman avait dit. Anniversaire ou pas, c'était aussi la rentrée, après les vacances de Noël. Rosie détestait la maternelle. Sa soudaine fatigue était sans doute due plus à la peur d'y retourner qu'à un petit plaisir pour fêter ses quatre ans.

L'aînée de la famille finit de sécher ses formes généreuses et les longues boucles oranges de ses cheveux. Avant de s'habiller, elle observa une fois de plus les traits grossiers de son visage rond. A Poudlard, ses "amies" lui avaient conseillé de manger moins. Ce n'était pas la peine de renforcer le stéréotype des gros Poufsouffles - "bien sûr, toi, tu n'es pas grosse, juste un peu enveloppée, mais tu vois ce que je veux dire." Oui, elle voyait, pas de problème. Elle se demandait ce que ces mêmes filles diraient, maintenant qu'elle avait à peine assez d'argent pour faire deux repas par jour, et qu'elle n'avait pas perdu un gramme.

En parlant d'argent, elle se demandait ce qu'elle pourrait acheter pour Rosie. La petite n'avait pas une goutte de magie en elle, mais peut-être que Connie pourrait tricher un peu, lui donner un objet enchanté. Elle adorait les photos qui bougeaient. Peut-être un miroir de poche magique? Rien qui la mette en danger, juste un gadget. Elle irait voir sur le Chemin de Traverse pendant sa pause déjeuner, si elle avait le temps. Sinon, elle espérait que les boutiques seraient encore ouvertes après sa journée de travail à Ste Mangouste.

Elle enfila rapidement son uniforme et sortit en trombe de la salle de bains. Sa mère étouffa un rire en la voyant dans ses vêtement sorciers. Pas comme si elle les portait tous les matins. Connie ne commenta pas, et évita de croiser son regard.

"Au fait, on est le cinq aujourd'hui," Maman rappela dans son dos alors qu'elle était déjà prête à partir.

"Oui, je sais, c'est l'anniversaire de… Oh."

Bien sûr, le cinq. Le dernier jour où le loyer pouvait être payé sans frais de retards. Les cinq du mois arrivaient si vite qu'elle avait l'impression que le 5 décembre n'était que la semaine passée. Connie fronça les sourcils malgré elle. Elle pouvait oublier le cadeau de Rosie, si elle devait faire un tour à Gringotts pour changer son salaire sorcier en argent moldu. Après ça, non seulement les boutiques seraient fermées, elle n'aurait sans doute plus rien à dépenser.

Sans un mot, elle quitta l'appartement, claquant la porte derrière elle. Elle savait bien que sa mère faisait des heures supplémentaires à la supérette du coin pour s'assurer que les enfants avaient assez dans leur assiette, mais Connie ne pouvait pas s'empêcher de penser que payer le loyer n'était pas son rôle. Bien sûr, elle avait vingt ans, maintenant, donc son rôle n'était pas non plus de vivre avec sa mère, ou de dormir sur le canapé du salon parce que Max et Benny avaient décidé qu'ils étaient trop âgés pour dormir avec une fille.

De temps en temps, elle vérifiait les annonces pour appartements à louer. Avec la nouvelle loi lui interdisant de s'établir en zone moldue, les choix étaient réduits. Le Chemin de Traverse était très cher, comme le reste de Londres. L'Allée des Embrumes… Elle n'aurait pas dû faire la difficile, parce que ce n'était pas bien pire que là où elle vivait maintenant, mais elle avait du mal à se faire à l'idée de vivre dans un endroit pareil, surtout en tant que fille de moldu. Il restait la solution de déménager quelque part dans la campagne anglaise. Mais dans ce cas, il faudrait qu'elle trouve un nouveau travail. Personne ne pouvait dire qu'elle avait de bonnes qualifications. Et puis, qui s'occuperait de ses frères et soeur?

A l'extérieur, le froid perçait directement à travers ses couches de vêtements. Son souffle produisait de petits nuages de fumée s'échappant de la masse de cheveux roux, de l'écharpe et du bonnet qui étaient pratiquement tout ce que l'on pouvait voir de Connie. Les autres passants qui attendaient le bus avec elle n'étaient pas en meilleure condition. Pour la centième fois cet hiver, elle maudit le fait que son appartement construit dans les années 80 n'avait pas de cheminée à relier au réseau de cheminette, ou que Poudlard ait fermé juste au moment où les leçons de transplanage auraient dû commencer. Du coup, elle n'avait pas beaucoup d'options pour aller au travail: c'était prendre le bus ou marcher jusqu'à Ste Mangouste.

Il ne fallait pas croire qu'elle était guérisseuse ou même assistante. Après que Poudlard avait fermé, au milieu de sa sixième année, elle avait tenté de trouver un travail. Malheureusement, la communauté sorcière n'était pas au meilleur de sa forme, et elle avait fini caissière dans la même supérette que sa mère. Après quelques mois, elle n'avait plus pu supporter de devoir passer non seulement ses soirées, mais aussi ses journées avec elle, et cette fois elle avait étendu ses recherches, jusqu'à trouver ce poste de femme de ménage à Ste Mangouste. Le travail était dégoûtant en soi, puisqu'il s'agissait d'un hôpital, mais au moins elle avait eu droit à de nombreuses leçons de sortilèges de nettoyage, et elle était devenue une sorte d'experte. Elle avait ramené ses talents à la maison, ce qui permettait non seulement de s'occuper du ménage plus rapidement, mais aussi d'amuser les petits.

C'était à peu près tout ce en quoi elle excellait. Elle n'avait jamais eu de très bonnes notes à Poudlard. Pas que ses pouvoirs magiques ne soient pas à la hauteur, mais l'école n'avait jamais été sa tasse de thé. Normalement, ceux qui n'aimaient pas les cours théoriques brillaient dans d'autres domaines, comme le Quidditch ou le chant ou les animaux magiques… Mais elle était incapable de trouver son équilibre sur un balai, elle avait une voix de crapaud enroué, et avait peu de patience pour les animaux. Lorsque Poudlard avait ouvert à nouveau, elle était de toutes façons trop âgée pour continuer ses études, et elle avait donc gardé son travail, sans vraiment plus d'ambition.

Il y avait juste un tout petit événement qui l'avait tirée de sa torpeur, mais c'était il y avait presqu'un an, et elle n'avait pas essayé de poursuivre cette envie. En mai dernier, elle avait assisté au discours de Harry Potter, un sorcier célèbre à peine plus âgé qu'elle, qui opposait la division du monde en sorciers contre moldus. Elle avait repensé au moment où elle avait découvert qu'elle était une sorcière, lorsqu'elle avait reçu sa lettre de Poudlard. A l'époque, sa mère était contre l'idée de l'envoyer en pension loin de ce qu'ils connaissaient, mais ils vivaient encore avec Bob, le père de Max et Benny, et lui avait trouvé que c'était une merveilleuse idée. Bien sûr, il avait fallu dépenser pas mal d'argent en livres, baguette et autres grigris ridicules, comme disait Maman, mais au moins après ça, elle passerait l'année à l'école, et ne leur coûterait pas un centime en nourriture ou autres.

Seulement, il n'y avait pas que sa mère, qui trouvait ridicule de l'envoyer dans une école de sorcellerie. Certains sorciers eux-mêmes ne manquèrent pas de lui faire comprendre qu'elle n'était pas la bienvenue, que ce soit parce qu'elle était pauvre, grosse ou "sang-de-bourbe", comme ils disaient. L'année suivante, l'école était devenu un enfer tel que seule la peur d'imposer un nouvel estomac à sa famille l'avait retenue de supplier sa mère de la ramener à la maison. L'année avait fini dans une bataille mémorable, à laquelle Connie n'avait pas participé, puisqu'elle n'avait que douze ans, après tout. C'était la première fois qu'elle se souvenait de voir Harry Potter, quand il avait fait une entrée fracassante au château.

Les choses s'étaient un peu calmées après ça, mais ce n'était pas si facile, et maintenant que la séparation revenait peu à peu, Connie ne savait pas où elle trouverait sa place, surtout avec un travail aussi insignifiant que femme de ménage dans un hôpital. Elle aurait voulu contacter cet homme, elle aurait voulu proposer ses services, s'opposer aux nouvelles mesures et finalement se sentir utile.

Mais à quoi bon? Personne ne voudrait d'elle, quelle que soit l'organisation. Elle n'était pas intelligente, pas particulièrement puissante ou rapide, elle ne pouvait pas faire de donations, et elle n'avait pas d'influence ou de relations importantes. Pour l'instant, il vaudrait mieux se concentrer sur la nécessité de gagner assez d'argent pour continuer à payer le loyer, plutôt que sur une guerre d'idéologies.

Elle descendit du bus à l'arrêt le plus proche de l'hôpital où elle travaillait. Les passants lançaient des regards bizarres à son uniforme, et lorsqu'elle s'arrêta pour parler à un mannequin dans la vitrine d'un magasin à l'abandon, elle entendit une dame soupirer.

"Si jeune, si c'est pas malheureux."

Pauvre, grosse, sang-de-bourbe, et cinglée à ses heures, apparemment.