Ressortir son Medneff lui causait toujours une drôle d’impression. C’était un peu comme retrouver un vieil ami que l’on ne croise que de temps en temps, mais le genre d’ami avec lequel, peu importe les mois voire les années qui se sont écoulés depuis vos dernières retrouvailles, lorsque vous vous retrouvez, tout recommence comme au premier jour. Comme si votre amitié n’avait jamais vraiment connu d’interruption, vous vous connaissez toujours aussi bien, vous riez toujours aux mêmes blagues, vous vous énervez toujours pour les mêmes raisons, bref rien n’a changé.

Dans le cas précis de son balai, le Russe avait toujours eu cette même sensation chaque fois qu’il le ressortait de sa malle. Cela n’arrivait en effet pas si souvent que cela car il était loin d’être un fervent amateur de Quidditch et ce, même s’il pouvait apprécier un bon match de temps à autres, soutenait toujours l’équipe de sa maison par instinct de solidarité et vouait un quasi-culte à Victor Krum – en même temps l’attrapeur bulgare était un dieu vivant ! Néanmoins, si le Quidditch, sport par équipe s’il en était – sans compter son côté ultra-violent dont Alekseï et sa batte étaient un exemple brillant – ne l’attrayait pas plus que cela, il appréciait réellement de voler. La sensation de liberté que le vol lui offrait avait en effet toujours été une échappatoire bienvenue à ses problèmes. Cependant, force était de constater que, récemment, sa vie se portait plutôt bien entre Lev, Arabella et Akiko. Il n’avait par conséquent pas tellement ressenti le besoin ces derniers temps de ressortir son fidèle « destrier des airs » comme sa mère aimait à l’appeler de manière franchement ridicule. Mais, alors pourquoi choisir de lui faire prendre l’air précisément en ce samedi plutôt frisquet de novembre ?

La réponse était simple en apparence : entraînement de Quidditch inter-maisons. Si on y regardait un peu plus en profondeur néanmoins, ça n’aurait nullement dû le concerner vu qu’il était trop solitaire pour jouer au Quidd’. Néanmoins Serpentard avait perdu son attrapeuse depuis la disparition inexpliquée de la circulation de Megan, le Préfet avait donc accepté de se proposer en tant que remplaçant en attendant que le poste soit repris par quelqu’un de plus motivé. Car, si le poste d’Attrapeur correspondait à sa personnalité et ses goûts personnels (un rôle solitaire où il ne s’agissait que d’aller vite et d’être agile sur son balai), être Préfet lui prenait déjà suffisamment de temps comme ça, il n’était en conséquence pas particulièrement motivé pour être en plus Attrapeur des Serpents. Enfin, en attendant d’être remplacé, encore fallait-il s’entraîner pour le match inter-maisons à venir sinon il risquait d’être complètement rouillé le jour J.

Il s’assura donc une dernière fois que l’instrument de vol était en bon état - autrement dit que le manche ne comportait pas d’échardes, que les étriers étaient bien attachés et que le bout était correctement huilé – puis, enfilant la tenue dans laquelle il avait pour habitude de voler en temps normal (un pantalon souple noir, un polo à col roulé noir aussi, une gabardine longue beige et ses gants en peau de dragon), il prit la direction du stade avec son casque de protection sous le bras. Car, il avait déjà fait l’expérience d’une mauvaise chute et il se contrefichait d’avoir l’air idiot, tant qu’il était protégé c’était l’essentiel. Puis, une fois arrivé sur place, il remarqua tout de suite Ambrine en train d’installer le matériel et s’approcha pour lui souhaiter le bonjour.

-Alors, Pomfresh t’a enfin autorisé à remettre le pied à l’étrier ?

Sixième année d’Ethel et troisième année pour laquelle elle renouvelait son inscription au Quidditch. Etrange, me direz-vous, pour quelqu’un atteint de vertige et à qui on avait fortement déconseillé de monter sur un balai. Mais, la galloise était une Lionne avant tout et son courage_ou plutôt son besoin irrasatiable de défier le danger pour prouver qu’elle était capable de faire comme tout le monde_ l’avait, encore une fois, poussée à remonter sur un balai. Ou plutôt était-ce la déception de voir peu d’inscription, sur le tableau, cette année-là, encore. Lorsqu’elle avait regardé le tableau d’affichage pour y ajouter son nom, elle avait remarqué qu’elle ne serait pas la seule représentante des rouge & or sur le terrain. Au moins, il y aurait quelqu’un pour remonter l’honneur des Lions si jamais.

Il fallait dire qu’elle n’était pas si douée que ça. Vous allez me dire qu’il faut bien avoir au moins une faille quelque part, sinon ce n’est pas marrant d’être sans arrêt parfait.

La galloise avait permis à Gryffondor de gagner quelques points grâce au Quidditch, lors de sa quatrième année. Quand elle y repensait, elle mettait plutôt cet exploit sur le coup du hasard. D’ailleurs, cela aurait dû être Page qui aurait pu marquer ses points. Ethel l’avait juste remplacée suite à une blessure rencontrée sur le terrain. Il y avait bien eu une autre tentative contre Poufsouffle, la même année, mais elle s’était avérée moins concluante. Enfin, là où la cadette Perks marquait surtout des points, c’était dans l’art d’attirer les cognards. Là, on pouvait dire qu’elle avait la palme d’or. D’ailleurs, pour la charrier, ses camarades l’avaient longuement surnommée « attrape-cognards ». Ce qui la faisait rarement rire.

Cela dit, la jeune fille avait renouvelé son inscription dès qu’elle avait entendu parler de la réouverture du Quidditch. Mc Gonagall lui avait suggéré de montrer l’exemple en tant que préfète en chef et vu que c’était Ambrine qui avait suggéré l’idée et bien, elle avait tout simplement suivi.

C’était Samedi. Et, au lieu de faire comme beaucoup d’élèves de l’école et rester à se prélasser au lit jusqu’à pas d’heure, Miss Perks avait déserté le dortoir assez tôt, filé dans la salle de bain des préfets et enfilé sa tenue d’entrainement. Ensuite, elle était descendu dans la grande salle, avait avalé un solide déjeuner et rejoignait maintenant le terrain d’entrainement.

Son balai_ où plutôt le balai que lui avait légué Sally-Anne_ tenait encore le coup. Mais, si elle continuait encore le Quidditch l’année prochaine, il faudrait sans doute qu’elle en change. Elle aurait pu emprunter celui de Billy. Mais, encore une fois, elle ne savait pas où ce bougre avait pu encore s’échapper. Sans doute était-il encore en retenue pour avoir sécher les cours … Elle n’était pas dans les têtes de classe et était loin d’être une Miss Parfaite, mais l’attitude presque trop puérile de son petit-copain avait parfois tendance à la faire exploser. Tant pis. Elle règlerait tout ça à son retour.

C’est  Pomfresh qui ferait une drôle de tête lorsqu’elle apprendrait qu’Ethel avait décidé de remettre, encore une fois, le couvert avec le Quidditch. Il valait donc mieux pour elle qu’elle reste sur le balai au maximum.

Une fois les portes du château franchies, Ethel arriva enfin sur le terrain de Quidditch où quelques élèves étaient déjà présents. Fort heureusement pour eux, malgré la fraicheur de l’hiver, le ciel semblait clément pour aujourd’hui. Il n’y avait plus qu’à espérer qu’il le reste !

Parmi les élèves déjà présents, Ethel en reconnaissait déjà certains. Il y avait Ambrine, à l’origine de leur réunion ici et Ace, tous les deux de Poufsouffle ; Nikolaï représentait, pour l’instant, à lui seul la maison Serpentard ; Et, avec Sandro et Liloo, la maison Gryffondor semblait être la plus représentée. Pas un seul représentant pour Serdaigle. Ce qui était étrange. Surtout que les meilleurs joueurs des Aigles étaient, pour la plupart, maintenant partis à l’université. Il fallait donc quelques têtes nouvelles.

Une fois à leur hauteur, elle salua tout le monde et tout particulièrement Ambrine :

« Bonjour tout  le monde ! Ambrine, j’ai affiché ton mot en salle commune. J’espère que cela attirera encore un peu de monde avant que l’on ne commence ! »

Au vu de la moue que sa question provoqua chez Ambrine, il sut qu’il avait mis les pieds dans le plat et se réprimanda mentalement pour n’avoir pas anticipé le désappointement de son amie. Il avait pourtant été éduqué pour ne jamais indisposer involontairement ses interlocuteurs – volontairement c’était une autre histoire – encore moins lorsqu’il s’agissait de membres de la gente féminine. Malheureusement, l’ambiance détendue du château avait tendance à lui faire oublier toutes ses bonnes manières pour laisser affleurer toute la rudesse de l’adolescent en pleine construction identitaire qu’il était sous le vernis de l’éducation de marque qu’il avait reçue.

Néanmoins, il eut de la chance sur ce coup-là car l’arrivée impromptue de Portgas détourna l’attention d’Ambrine de lui, lui évitant d’avoir à chercher un moyen de rattraper sa bourde. Il se permit d’ailleurs un sourire légèrement moqueur en voyant sa collègue préfète ventiler ses frustrations sur son malheureux camarade de maison qui avait eu la mauvaise idée d’arriver à balai. Il croyait connaître néanmoins suffisamment la Blaireaute pour deviner que la menace ne serait jamais mise à exécution, encore moins à l’encontre d’un membre des Jaunes-et-Noirs. De plus, l’arrivée d’une petite Gryffondor détendit immédiatement l’atmosphère puisque Ambrine retrouva le sourire à l’instant. Elle semblait d’ailleurs bien connaître la jeune Lionne au vu de la complicité avec laquelle elle s’adressa à elle.

Cependant, personne n’eut l’occasion de s’attarder plus longuement sur les relations entre les deux filles puisqu’un énergumène qui – au vu de son « exploit » ne pouvait appartenir qu’à la maison des Rouge-et-Or – attira l’attention de tous en décollant d’une des fenêtres de la tour des Griffons. A croire qu’il était dans leurs gènes d’attirer systématiquement les regards. Enfin, pour une fois, ce n’était que provoquant et pas particulièrement dangereux alors Nikolaï n’y porta qu’un intérêt limité. Tout au moins jusqu’à ce que l’individu se pose à leurs côtés et qu’il reconnaisse sa voix.

Un fois passée la première surprise de voir réapparaître Sandro qu’il croyait disparu de la circulation depuis le temps qu’il ne l’avait plus croisé en cours, il ne put retenir un nouveau sourire narquois à l’écoute des mêmes réprimandes que Portgas avait reçues précédemment désormais adressées à Sandro. Il commençait à mieux comprendre pourquoi McGonagall avait choisi Ambrine en tant que préfète, elle pouvait se révéler particulièrement féroce quand il s’y mettait la petite Blaireaute. Enfin, dans le fond, il était bien content de revoir Sandro dont la tendance à se fourrer dans des situations toujours tendancieuses lui avait manqué – bien qu’il ne le reconnaîtrait que sous l’influence de Véritasérum bien sûr – il adressa donc un sourire à son camarade ainsi qu’un hochement de tête accueillant mais n’eut pas l’occasion d’en faire plus puisqu’Ambrine s’empressa de mettre un frein à toute velléité de vol des participants en leur expliquant qu’ils allaient avant tout commencer par des étirements de manière à éviter tout claquage malvenu.

Dire que l’annonce fit plaisir au Russe aurait été un peu excessif, néanmoins il savait la nécessité d’échauffer son corps avant de décoller, surtout dans le cas où il voudrait ensuite se lancer dans les acrobaties aériennes. En effet, rien de mieux qu’une crampe à l’avant-bras au moment fatidique d’un looping pour se retrouver à l’infirmerie suite à une chute malencontreuse. Il suivit donc les exercices dictés par leur jeune coach à la lettre, bien qu’il réalisât à son grand désarroi que le fait de ne pas avoir sorti son balai de son étui depuis plusieurs mois n’avait rien fait pour arranger sa souplesse déjà plutôt limitée en temps normal. En effet, il avait beau avoir d’excellents réflexes, ses muscles n’en étaient pas pour autant entraînés à s’étirer en tous les sens et il ressentit bien vite le manque d’entraînement. Il se permit donc un léger soupir de soulagement lorsque la séance de torture se termina enfin et grimpa sur son Medneff dès que l’autorisation lui en fut donnée.

Commencer par se lancer le Souaffle lui convenait, c’était une bonne façon de revenir aux bases, il espérait seulement ne pas avoir à trop s’attarder sur cette partie-là de l’entraînement car s’il avait postulé au poste d’Attrapeur outre son tempérament solitaire c’était en très grande partie car il n’était pas le meilleur qui fut au moment de viser. Il se débrouillait dans les situations basiques mais dès que la cible commençait à être en mouvement ou autre, il ne valait pas beaucoup plus qu’un clou. Son truc c’était attraper, récupérer, pas lancer. Au pire, il aurait donc pu remplacer un gardien – et encore, il trouvait le rôle un peu trop violent à son goût – mais certainement pas un Poursuiveur, il s’agissait là d’une certitude.

Felix referma l’ouvrage intitulé « Monstres et autres créatures des fonds marins » qu’il venait de terminer. S’il s’était montré plus raisonnable, il aurait ouvert son livre d’Histoire de la Magie, car cela faisait un bon moment qu’il n’était plus en mesure de suivre le cours. La dernière fois que le professeur l’avait interrogé à propos de la première révolte des Gobelins, il s’était senti si embarrassé qu’il s’étonnait à présent de voir que ses joues avaient finalement réussi à retrouver leur couleur originelle.

Felix n’était pas de ces enfants qui savaient s’impliquer dans une discipline qui ne les intéressait pas. Si on l’avait questionné sur les dragons d’Europe orientale ou l’alimentation commune des Sombrals, il vous aurait répondu du tac au tac, avec un sourire confiant et satisfait qui en disait long sur sa connaissance approfondie du sujet. Mais personne ne se donnait la peine de lui demander ce qu’il savait ou pensait à propos de telle ou telle chose. Chacun vaquait à ses occupations. Jusqu’alors d’ailleurs, Felix ne s’était lié avec personne.

Soudain, un éclat de voix jovial le tira de sa mélancolie – le simple fait de devoir se plonger dans un manuel d’Histoire suffisait à le rendre mélancolique – et il tourna la tête en direction de la provenance de cette voix. Un petit attroupement d’élèves s’était regroupé autour du panneau d’affichage de la salle commune.

– Chouette, c’est aujourd’hui !

– Oui, je me suis levé tôt exprès. Je n’oserais pas y aller, je suis nul sur un balai. Mais je vais regarder, c’est sûr !

Felix devina immédiatement qu’il était question de Quidditch, et malgré le fait qu’il n’aimât pas beaucoup se mêler aux autres, il consentit à se lever de sa chaise et s’approcher de l’affiche. Felix Van Dust était certes farouche et renfermé, ce qui n’encourageait guère les contacts, mais ce tempérament sauvage n’était pas la seule raison qui empêchait les autres de l’approcher de trop près. Durant toute sa vie – et cela ne changerait pas de sitôt – Felix avait été tiraillé entre deux univers, deux modes de pensées. Chez les Serpentard, il passait pour un faible et un paria, par son caractère trop tendre à leur goût. Sans parler du déshonneur qu’il impliquait par sa seule personne pour sa famille. Mais il ne se sentait pas tellement mieux chez les Gryffondor, car en particulier pour les enfants de sorciers, la maison Van Dust était réputée et non pour les raisons les plus louables… Beaucoup d’élèves de Gryffondor se montraient ainsi distants voire froids avec Felix, comme s’ils se méfiaient de son héritage ou qu’ils voulaient bien lui signifier qu’ils n’étaient pas de ceux qui apprécient la compagnie d’un Van Dust.

Felix subissait cette froideur sans en être trop triste ni trop affecté, après tout, il n’avait jamais vraiment connu d’autre attitude à son égard. Mais, c’est vrai, il se sentait quand même un peu seul.

Ne prêtant pas garde aux regards durcis de certains camarades, il lut l’écriteau avec attention et s’éloigna les sourcils froncés, en pleine réflexion. Cela valait-il le coup ? La journée ne faisait que commencer et elle promettait d’être ennuyeuse. Cela faisait plusieurs samedis de suite qu’il se contentait de parcourir des livres sur les monstres ou de déambuler dans les couloirs du château, tâchant d’éviter ses frères aînés. Allez, Felix, montre que tu es un vrai Gryffondor !

Il vit alors la jeune Liloo Marvich, une fille de sa classe, quitter la salle commune d’un air jovial. Il ne faisait aucun doute qu’elle se rendait au terrain de Quidditch. Ce fut ce qui décida pour de bon le garçon, qui attrapa sa cape noire et son écharpe rouge et or, avant de dévaler les escaliers.

Il n’aurait pas loupé le début de la séance s’il n’avait pas percuté un grand de Serpentard au passage, qui décida de lui faire payer cet affront. Le temps que Mr Flitwick, qui passait par là, réagît à la vue de son jeune élève lévitant dans les airs la tête en bas, Felix avait déjà perdu un temps précieux. Il ne prit même pas le temps de savoir si une punition serait attribuée à son assaillant ni même de répondre aux inquiétudes de son enseignant. Il n’avait pas le temps, il n’avait vraiment pas le temps !

Ce fut en courant qu’il gagna le stade de Quidditch, où un groupe d’élèves s’exerçait déjà. Pourvu qu’il ne soit pas trop tard. Il reconnut Liloo, aussi réjouie qu’un gourmand devant un gâteau au chocolat. Il y avait aussi Sandro Britto, qui partageait son dortoir, et la Préfète-en-Chef qu’il croisait régulièrement puisque c’était une Gryffondor. La jeune fille qui parlait présentement, ce devait être la Préfète de Poufsouffle, mais c’était pour une toute autre raison que Felix la connaissait. C’était une Illunia, et même si dans sa famille il était le seul à s’intéresser au sport sorcier, il n’en était pas plus ignorant que les autres ! Ainsi, ce nom lui était bien familier. Elle ne pouvait qu’être liée à Logan Illunia, le pousuiveur des Pies de Montrose. Elle paraissait en tous cas fort énergique. Il y avait aussi un autre Poufsouffle, et… un Serpentard. Le Préfet, même.  Felix évita de le regarder dans les yeux.

Manifestement, tout était déjà en place et une expression lourde de déception passa sur le visage rond de Felix. Il devait être trop tard. Essoufflé, les cheveux en pétard, il s’arrêta près de la Préfète de Poufsouffle qui se trouvait dos à lui.


– Excusez-moi. Je suis Felix Van Dust. Je crois que je suis en retard. Est-ce que je peux essayer aussi ?