Cours n°9 de Magie Fondamentale : 16 novembre 2000

« Je ramasserai le devoir de trois d’entre vous en début de cours, comme toujours. A jeudi prochain ! »

Les derniers mots donnèrent immédiatement lieu à ce brouhaha caractéristique du rangement par des étudiants pressés d’aller manger. Certains, moins intéressés par le cours sans doute, se précipitaient déjà vers la sortie avec l’enthousiasme de celui qui avait commencé à remettre ses affaires dans son sac cinq minutes avant l’heure prévue. Dorian ne s’en offusquait pas particulièrement ; les étudiants étaient majoritairement intéressés et attentifs, rendant les leçons plus intéressantes à donner qu’il ne l’aurait cru à la signature de son contrat. Et pourtant chaque petit élément capable de lui rappeler son ancienne profession lui faisait regretter de l’avoir quittée.

Des éléments comme ceux qu’avait su exploiter l’un des élèves dans sa dissertation, et qui lui valurent d’être apostrophé par Dorian avant d’avoir pu se soustraire à sa vue.

« Mr Reed, j’aimerais vous parler. »

Victor Reed, surnommé Vic, comptait parmi les éléments les plus prometteurs de sa promo. Si Dorian n’avait pas été voir chaque dossier scolaire jusqu’à présent, la correction de sa dissertation l’y avait poussé presque immédiatement. Et quelle n’avait été sa surprise de constater qu’un jeune archéologue – il méritait le titre après deux ans de chantier en Mongolie – partageait les bancs de l’Université avec des jeunes gens tout juste sortis de Poudlard.

« Votre copie m’a beaucoup surpris, annonça-t-il en passant sur l’avant de son bureau pour s’y appuyer, le sourire aux lèvres. J’imagine qu’une partie des données sur lesquelles vous vous appuyez sont directement issues des recherches sur le chantier archéologique où vous avez travaillé ? »

Malgré ses craintes, la vie à l'UMA était définitivement plus calme que celle à Poudlard, du moins était-ce ce qu'il avait pris en trois mois. Plus d'autonomie et moins de rivalité parmi les élèves laissaient la place belle aux cours et aux recherches. Certes, après quatre ans de vie en solitaire, il conservait fréquemment cette impression de porter une chape de plomb faite de cours obligatoires et d'horaires précis, mais rien qu'il ne puisse souffrir avec le sourire. Si ses voyages lui avaient bien appris quelque chose, c'était la capacité à s'adapter à tout, y compris aux exigences d'un intérêt discutable. A la limite, travailler auprès d'un historien râleur et pointilleux lui avait fait comprendre que les attentes qui semblaient stupides et décalées étaient loin de s'arrêter aux bancs de l'école.
Au moins les devoirs du Professeur Lovelace n'étaient pas de ceux-ci. Bien au contraire, Vic trouvait facilement le moyen d'y tisser ses propres connaissances de terrain, liant aisément la théorie à sa pratique. Un regard sur son dernier devoir rendu le jour-même, à la note excellente, suffisait à faire comprendre que ce n'était pas juste une impression de sa part.

Ce n'était pas pour autant qu'il s'attendait à être interpellé en fin de cours, le professeur fondant sur lui avec la délicatesse d'un rapace sur sa proie. Jusqu'à présent, Vic l'avait toujours évité, autant par manque d'envie de se faire remarquer que par la réputation que lui avaient fait ses collègues en Mongolie. Arrogant, dédaigneux, obtus et dominateur n'étaient pas les seuls termes qu'il avait entendu à son égard, mais définitivement les plus polis. Dans un environnement en vase clos où les langues se délient vite et où dire du mal de ses confrères devient un sport à la veillée, il avait appris à prendre les commentaires avec un grain de sel, mais avait perduré un certain malaise à son égard qui ne l'avait pas poussé à vouloir se rapprocher de l'ancien magi-archéologue. L'inverse ne semblait pas se confirmer. Avec un certain fatalisme, Vic hissa son sac sur son épaule et se dirigea vers l'estrade pour y recevoir un compliment, qui, si mérité, le surprit tout de même.

«  A aucun moment vous n'avez limité le devoir à ce que nous avons appris en cours. Il me semblait dommage de me contenter de reparler des runes futhark dont la connaissance est extensive alors que j'avais assez de données sur le khalkha pour faire un devoir potable. Certes, une bonne partie reste encore hypothétique, mais mon équipe...  enfin mon ex-équipe reste assez assurée de pouvoir avoir des publications validées par la Revue Archéologique d'ici l'année prochaine. »

Le petit rappel qu'il n'en faisait plus parti était désagréable. Cette expédition avait fait partie de sa vie assez longtemps pour qu'il ait eu l'envie de voir les résultats jusqu'au bout. Ceci dit, Gellis avait raison : formaliser ses connaissances à l'UMA ne serait qu'un plus par la suite. Et qu'était 5 ans d'étude à la lumière d'une vie de sorcier ?

Le léger malaise de son étudiant ne passa pas inaperçu, mais Dorian se sentit rassuré de le voir répondre avec la même assurance dont il semblait faire preuve habituellement. Un sourire léger aux lèvres, le professeur hocha la tête pour confirmer au jeune homme qu’il avait bien fait, notant l’information finale dans un coin de sa tête pour une vérification ultérieure. Il avait, lui aussi, quelques parutions de son ancienne équipe à suivre.

« Je vois. Vous avez bien fait, je préfère quand d’autres pistes que celles données en cours sont évoquées. »

Il n’était pas là, après tout, pour délivrer un savoir que les étudiants auraient à apprendre sans recherches plus approfondies de leur part. Dorian donnait des éléments de compréhension de base, il ne délivrait pas toutes les connaissances sur la magie – ne serait-ce que pour des raisons de temps : une vie n’y suffirait jamais.

« Mais je suis curieux. Les archéologues retournent rarement sur les bancs d’une école. Pourquoi avoir quitté l’équipe de Gao pour venir ici ? »

Et le ton léger, malgré ses efforts, ne suffisait pas à masquer l’inimité entre les deux hommes.

Dorian ne tenait pas à prendre son étudiant et ancien collègue en tenaille – qu’il ait fait partie de l’équipe de l’autre archéologue ne justifierait pas d’inclure dans leur discorde une personne tiers – mais la question l’intriguait vraiment. Lui-même ne s’imaginait pas, à vingt-deux ans, aller à l’UMA après avoir goûté à la vie d’archéologue. D’ailleurs il ne l’avait pas fait, puisqu’il s’était jeté très vite dans la carrière de Briseur de sorts et n’avait cherché à en sortir que pour la promesse d’autres aventures. Le choix de son cadet lui paraissait invraisemblable.

Il était rafraîchissant de voir que l'animosité n'était pas à sens unique. Le chef de l'expédition s'était montré à la fois exigeant et adorable avec son équipe et personne n'avait quitté volontairement l'expédition avant sa fin. D'un autre côté, c'était aussi la pire langue de vipère possible, avec un avis sur tout et sur tous, rarement bon qui plus est. A part sur ceux de sa propre patrie, sur lesquels il s'était montré plus silencieux qu'une tombe. Un léger sourire avait fait son chemin sur le visage de Vic à l'évocation de la vie pendant l'expédition.

« Parce que l'expédition arrivait à son terme sur le terrain. Le financement a été coupé jusqu'aux fameuses publications. J'imagine que notre mécène voulait avoir les fruits de ses investissements avant de relancer les recherches. Je suis resté un moment à travailler avec Gellis – je ne sais pas si vous avez entendu parler de lui, c'est un vieil historien ronchon mais incollable sur l'histoire magique de l'Asie de la dynastie Qing. Pour simplifier, il m'a convaincu que prendre le temps de travailler la théorie ne pourrait que faire du bien quand je retournerai sur le terrain. Que la vie d'un sorcier était suffisamment longue pour s'offrir le luxe de quelques années de plus d'études. J'ai trouvé son hypothèse assez intéressante pour décider de la mettre en pratique. »

D'ailleurs, à y réfléchir, c'était même une différence fondamentale entre l'éducation sorcière et l'éducation moldue. Vic avait soutenu qu'il s'agissait tout simplement de l'arrogance profonde des sorciers qui les poussaient à croire que la magie leur suffisait à tout et qu'il n'avait guère besoin de pousser leur apprentissage plus loin, à part les quelques savants et érudits qui iraient s'enfermer dans une quelconque bibliothèque obscure. Une des théories qui lui avait valu son fameux Troll en étude des moldus à Poudlard.

« D'ailleurs, vous ne vous considérez plus comme archéologue puisque vous avez décidé de retourner sur les bancs de l'école ? »

Certes, pas le même banc que le sien, mais ce n'était qu'un petit détail. Il ne s'était pas inscrit à l'UMA pour se re-métamorphoser en élève docile et obéissant qui ne faisait que répondre aux questions. Si un jour il avait été ainsi d'ailleurs.

Gellis oui, il situait parfaitement l’historien dont il avait suivi les travaux de loin. Dorian n’avait jamais eu l’occasion de lui parler ; ils n’avaient pas les mêmes centres d’intérêts historiques et en dépit de sa curiosité, l’archéologue devenu professeur avait appris à sélectionner ses sources pour ne pas trop se disperser. Il connaissait toutefois le caractère du personnage décrit si joliment par l’étudiant.

Etudiant dont l’assurance plaisait définitivement à Dorian, en dépit d’une question douloureuse qui le fit grimacer. Elle était de bonne guerre cependant, lui-même ayant sans doute réveillé le déplaisir de l’étudiant à l’idée d’être coincé ici. Sa réponse en elle-même était d’ailleurs révélatrice. Le professeur n’était pas assez naïf pour croire que le jeune homme ne se doutait pas déjà de la réponse.

« C’est une question difficile à laquelle je n’ai pas trouvé de réponse en trois mois. Je suppose qu’on ne cesse jamais vraiment de l’être. »

Pas après plus de dix ans dans le métier du moins.

« Et ma présence ici n’est pas totalement dénuée de liens avec. Si mon travail permet de créer quelques vocations, je n’aurais pas perdu mon temps. »

Au demeurant il fallait tout de même admettre qu’il aimait enseigner (il aimait moins la correction de copies, et compatissait avec les professeurs de Poudlard qui n’en avait pas que trois après chaque cours à corriger).

« Ceci étant dit, je vous entends peu en classe. Pourquoi ne pas partager vos connaissances avec les autres ? »

Ou me contredire parfois, garda-t-il pour lui.

Un haussement d'épaule s'associa avec un regard morne pour traduire tout le bien que pensait l'étudiant de la participation orale au sein de l'amphi Merlin. Dire qu'il pensait avoir fini de souffrir ce calvaire après ses années à Poudlard, où participer relever plus du devoir envers sa maison que d'une envie profonde de participer à la vie de la classe. Au bout d'un moment, certes, les deux se mêlaient, mais il avait eu tôt fait de se débarrasser de cette mauvaise habitude une fois ses ASPIC en poche.

« Je n'aime pas particulièrement m'exprimer devant une grande assemblée. Pour tout dire, j'ai même horreur de devoir hausser le ton pour me faire entendre, alors en amphi... »

Oui, Vic s'était fait à l'idée qu'il ne serait jamais un grand leader charismatique apte à motiver et hypnotiser les foule. Il s'y était résolu quelque part pendant son enfance dans une école moldue, avait confirmé cette opinion durant son adolescence dans le monde sorcier, et n'avait même pas chercher à s'y confronter dans le monde adulte. Et contrairement à ce que pourraient en dire certains, cette compétence ne lui avait jamais manqué. Il pouvait suffisamment bien défendre ses opinions quand il le fallait, merci bien.
Vic jeta un coup d'oeil circulaire sur la salle maintenant vide, fuie par ses camarades qui avaient hâte de prendre leur pause avant l'après-midi de cours – ou de travail personnel, voir de repos selon les personnes. Par moment, la vague de camaraderie des Pouffsouffle qui les poussaient à s'attendre les uns les autres en fin de cours lui manquait. Les avantages et les inconvénients d'avoir quitté la petite école pour la cour des grands, et de ne pas chercher à s'y intégrer plus que nécessaire.

«  De toute façon, la plupart de mes collègues découvrent une bonne partie des notions présentées et leurs arguments sont les plus usuels. Je ne suis pas sur que ce serait leur faire un cadeau qu'ajouter des notions exotiques dont ils n'ont même pas l'idée pour la plupart. »

Vic se mordilla les lèvres et sentit le rouge lui monter aux joues, soudain conscient de la façon dont ses explications pouvaient être prises.

«  Je ne cherche pas à me montrer condescendant à leur égard... Je veux dire... sur certains points nos critères de références ne sont pas les mêmes. Ne peuvent pas être les mêmes vu le temps que j'ai passé sur le terrain. A chacun de chercher ses connaissances pour les faire siennes, je ne suis pas professeur. »finit-il piteusement.

Le sourire de Dorian se fit définitivement amusé vers la fin de la tirade du jeune homme, qu’il imaginait bien la queue et les oreilles basses maintenant qu’il modérait ses propos. Il rit, même, lorsqu’il termina, moins pour se moquer que pour la situation.

« Vous êtes définitivement moins fort en gueule que ne l’est Gao, statua-t-il, toujours joyeux. Mais soit, je n’insisterai pas. Vous n’êtes plus à Poudlard et je ne tiens pas à vous forcer à participer. Ceci étant dit, si vous voulez discuter certains éléments de cours en-dehors de l’amphithéâtre, n’hésitez pas. »

Ce qui pouvait passer pour du favoritisme n’en était pas vraiment ; chaque étudiant était le bienvenu pour approfondir le cours ou poser ses questions loin des oreilles des autres, mais dans le cas présent, l’échange – si échange il y avait un jour – serait certainement plus égalitaire qu’avec les autres élèves. Dorian espérait toutefois que les plus prometteurs d'entre eux parviendraient à acquérir suffisamment de connaissances dans sa matière pour permettre des discussions - même en cours - plus poussées qu'actuellement.

« Ce qui m’amène toutefois à ma seconde question. Je compte participer à la journée d’orientation de Poudlard cette année pour parler du métier de magi-archéologue. Vous seriez intéressé pour venir avec moi ? »