-Je ne veux pas le savoir ! Vous m’aviez promis un poulain de licorne pour aujourd’hui, m’aviez expressément contacté pour me dire que l’attente serait quasi nulle et tout ce que je constate c’est qu’il n’est toujours pas arrivé. Alors plutôt que de vous trouver des excuses, vous feriez mieux de vous mettre au travail pour m’en trouver un. Surtout toi Dimitri, si je me retrouve incapable de tenir ma part du marché à cause de ce contretemps, c’est ta tête qui va tomber, je t’en fais la promesse. Et au sens le plus littéral qui soit.

Un hochement de tête frénétique suivit immédiatement ces paroles et le Dimitri en question ainsi que ses hommes disparurent de la cheminée dans une fumée verdâtre. Quant à Mikhaïl, il s’enfonça dans son fauteuil en se massant les tempes. Il avait besoin d’un verre de vodka, peu importât qu’il fut à peine huit heures du matin. Il avait besoin de se calmer et la liqueur transparente y arrivait mieux que tout autre chose au monde. Il sortit donc sa baguette du tiroir de son bureau où elle reposait tranquillement quand il était dans la pièce et lévita la bouteille ainsi qu’un verre jusqu’à lui. Il se versa ensuite une bonne quantité et avala le tout d’un coup. Le coup de fouet fut immédiat. L’alcool le réchauffant de l’intérieur et lui laissant une sensation de bien-être que bien peu de choses réussissaient désormais à lui fournir.

Il profita alors de son calme retrouvé pour réviser les éléments portés à sa connaissance jusqu’à présent. Trois mois auparavant, il avait commandé à une potioniste recommandée par le jeune Bower une potion de force des plus particulières et lui avait, pour cela, fourni dix millilitres de sang de Re’em. Il s’était engagé à lui payer tous les ingrédients dont elle aurait besoin et, si l’expérience se révélait un succès, en paiement, il s’arrangerait pour lui fournir un poulain de licorne pour ses recherches. Or, la veille, Miss Herety avait contacté le manoir annonçant la réussite de ses expériences. Elle devait venir prouver ses dires aujourd’hui. Ainsi, le mafieux avait immédiatement contacté ses relations à travers le monde pour savoir qui serait à même de lui fournir un poulain de licorne dans les jours à venir. En effet, il était bien conscient qu’un transfert pareil n’allait pas se faire du jour au lendemain. Pourtant, à peine avait-il fait sa demande que, quelques heures plus tard, Dimitri Ivanev, un braconnier free-lance avec lequel il avait déjà collaboré en plus d’une occasion, le contactait pour lui annoncer la bonne nouvelle : il se trouvait qu’il était justement en possession d’une licorne et de son poulain et pouvait le livrer à Mikhaïl pour le lendemain à condition que 3000 gallions soient virés sur son compte.

Connaissant le bonhomme, Mikhaïl n’avait accepté de verser qu’un acompte de mille gallions pour concrétiser le contrat, le reste serait envoyé une fois le poulain au manoir. Ivanev avait accepté et la transaction s’était mise en marche. Seulement, le matin-même, Ivanev avait appelé par cheminée pour annoncer un « contretemps ». Les douanes du pays où ils se trouvaient venaient de lancer un nouveau programme de sécurité et faire sortir le poulain du pays allait se révélait plus difficile que prévu. En temps normal, Mikhaïl aurait compris, à vrai dire il ne se serait même jamais attendu à avoir le poulain en moins de vingt-quatre mais le fait qu’Ivanev lui promette l’impossible pour mieux le lui retirer à la dernière minute lui avait fait perdre patience. Ça et il était énervé contre lui-même pour avoir oublié la règle d’or du mafieux : quand tout se passe comme il faut, c’est qu’il y a anguille sous roche. Et maintenant, Arkady venait de lui annoncer l’arrivée imminente de sa jeune associée et il était encore sur les nerfs. Ce qui n’était jamais recommandable avant un rendez-vous d’affaires, encore moins si la potion était effectivement un succès comme la jeune femme le prétendait. Enfin, après sa première déception, il attendait de voir les résultats de ses propres yeux avant de crier victoire.

Il en était là de ses réflexions lorsqu’on toqua à la porte. Il reconnut immédiatement la manière professionnelle de frapper d’Arkady, son majordome, et fit disparaître toute trace de sa petite beuverie matinale avant d’enlever une poussière inexistante de sa robe. Il aurait préféré que le rendez-vous ait lieu un peu plus tard, le temps que les résidus de sa colère se dissipent totalement mais il était trop tard pour faire marche arrière. Il se leva donc et serra la main de la potioniste avant de lui faire signe de s’asseoir face à lui.

-Je comprends, je suis également un oiseau du matin ne vous inquiétez donc pas. Et puis, vous êtes porteuse de bonnes nouvelles si l’on ne m’a pas trompé alors comment pourrais-je vous en vouloir ?

Il lui adressa un bref sourire et en vint directement au cœur du problème.

-D’ailleurs, si ce n’est pas trop demander, je voudrais bien avoir une petite démonstration. J’imagine que vous devez avoir fait assez de potion pour pouvoir en utiliser quelques gouttes et vérifier vos dires. Ou me trompais-je ?

Il espérait que non, car il n’était pas du genre à se contenter de prendre la parole de qui que ce soit pour argent comptant. Si la jeune femme voulait son paiement, elle allait devoir démontrer qu’elle avait effectivement accompli sa tâche. Une fois ces détails réglés, ils pourraient ensuite en revenir au problème du poulain de licorne.

Elle n’avait pas testé la potion ? Etait-ce là une blague d’un goût douteux ou bien les propos de la potioniste étaient-ils sérieux ? Réalisait-elle seulement la portée de ses paroles ? La gravité de la situation ? Se rendait-elle compte que Mikhaïl n’était pas le genre d’homme qui se contentait d’accorder sa confiance aux gens puis de les payer grassement avant de repartir vérifier si leurs dires étaient vrais ? Dans son monde à lui, les choses fonctionnaient à l’envers. Avant d’ouvrir le portemonnaie, vous exigiez des preuves de résultat. Or, dans le cas présent, la jeune femme osait prétendre à la réussite sans avoir ne serait-ce que testé le produit qu’elle lui apportait. Elle était soit impudente, soit inconsciente. Néanmoins, elle semblait ne pas avoir pas fini ses explications, il se décida donc à lui laisser une chance et une seule de le convaincre. Non pas qu’il fût quelqu’un de particulièrement patient, bien au contraire, mais il avait trop investi dans ce projet pour ne pas écouter jusqu’au bout sa seule chance de réussite. Cependant, l’expression fermée de son visage laissait bien clair à son interlocutrice qu’elle avait intérêt à avoir une excuse en béton de ne pas avoir testé la potion.

-Bien sûr, j'ai testé cette formule sur d'autres ingrédients qui me sont plus accessibles, et le résultat a été très concluant !

C’était un début. Il aurait nettement préféré qu’elle teste la potion elle-même, néanmoins ses vagues souvenirs de Potions rendaient l’explication de la jeune femme tout à fait plausible. Pour renforcer les effets du sang de Re’em, une distillation était évidemment nécessaire, de là, gâcher le produit original lors de plusieurs essais ratés aurait été inacceptable. La méthode de substitution semblait donc être -et de loin- préférable. Cela ne valait pas un test définitivement concluant mais, dans la situation présente, c’était sûrement ce qui s’en rapprochait le plus. Et, il semblait bien qu’il allait devoir s’en contenter, que cela lui plaise ou non. Néanmoins, une chose était sûre, il exigeait d’assister à au moins un test. Sinon, rien ne l’assurait que les propos de la potioniste n’étaient pas qu’une excellente couverture pour cacher son échec. Et toutes les potions de purge qu’elle lui offrirait en échange ne changeraient rien à son opinion. Comme l’avait dit quelqu’un de très sage bien des siècles auparavant : « Je veux le voir pour le croire ».

-Je comprends le problème auquel vous avez dû faire face et me congratule que vous ayez su le contourner si profitablement. Néanmoins, vous comprendrez que je suis un homme d’affaires, et je ne peux remplir ma part de notre marché sans assister à au moins un test convaincant. Car, s’il est très facile de dire ce que l’on veut, seule une preuve tangible a valeur de réussite ou, le cas échéant, d’échec. Par conséquent, voilà ce que je vous propose, Mademoiselle.

Continuant de parler, il ouvrit le dossier qu’il était en train de parcourir avant l’arrivée d’Evangeline et le lui présenta. S’y trouvait une photo animée d’un poulain de licorne ne dépassant probablement pas les deux-trois mois de vie qui s’élançait campagne à travers en direction de celle qui était sans doute aucun sa mère. Cette dernière avait un port royal et son charisme transparaissait dans sa posture, quant à son poulain, c’était une boule d’énergie qui, malgré tout, gardait une grâce infinie dans ses mouvements d’enfant excité. Le paysage ressemblait à la plupart des forêts d’Europe centrale mais il eut été difficile d’être plus précis.

-Voici le poulain que je vous avais promis en cas de réussite de votre travail. Après votre appel hier, je me suis arrangé pour m’en procurer un. Néanmoins, vous comprendrez que la logistique du transport d’une espèce protégée comporte certaines spécificités qui font que celui-ci devrait durer encore quelques temps. Il ne pourra donc être en ma possession que d’ici au plus tôt un ou deux jours. Voici donc ma proposition.

Il lui reprit le dossier des mains, lança un sort en russe à la photo et cette dernière se dédoubla. Il lui tendit ensuite le double.

-Nous avons tous deux rencontré quelques contretemps dans la réussite de notre part du marché. Ainsi, pour pouvoir respectivement prouver à l’autre que notre parole se base sur du concret et pas seulement de belles paroles, je vous propose que nous nous revoyions d’ici deux jours. A vous de m’apporter une de vos potions tests à base d’autres ingrédients pour me prouver que les effets de ceux-ci ont en effet été bien augmentés. Quant à moi, j’aurais à ce moment-là votre poulain. De cette façon, tout le monde a ce qu’il désire. Qu’en pensez-vous ?

Les deux jours qu’il s’était donnés pour obtenir le poulain de licorne ne furent définitivement pas de trop. En effet, Ivanev ne s’était pas moqué de lui en lui disant que les douaniers croates prenaient désormais leur travail bien plus au sérieux depuis qu’un réseau international de braconniers avait profité de leur défaut de coordination avec leurs homologues moldus pour faire passer par Zagreb un chargement majeur de Povrebines en provenance direct de Novossibirsk avant de les envoyer à l’acheteur au Canada. Ce n’était que la curiosité d’un tout jeune douanier moldu qui s’était étonné que personne ne veuille s’approcher de la marchandise parce que, selon ses collègues plus âgés et conséquemment nettement plus superstitieux, elle « envoyait de mauvaises ondes » qui avait permis de découvrir ces drôles de petits cailloux velus qui déprimaient toute personne s’en approchant. L’équivalent des Oubliators croates avaient donc été immédiatement envoyés sur place pour inventer une quelconque histoire sur une nouvelle drogue encore non diffusée et récupérer le chargement. Or, évidemment, à partir de ce jour, toutes les douanes moldues croates disposaient désormais en leur sein d’un sorcier sous couverture. Ainsi, le plan initial d’Ivanev de faire passer le poulain dont la corne était encore quasiment inexistante pour un simple poulain de cheval grâce à un charme de désillusion mineur était parti aux oubliettes.

A partir de là, lui et ses hommes avaient dû recourir aux anciennes méthodes consistant à éviter les douanes purement et simplement. Sauf que se déplacer à travers les montagnes avec un poulain tout juste sevré de sa mère n’était pas une tâche aisée, loin de là. Plus d’une fois ils avaient failli le perdre, recourant finalement aux méthodes extrêmes, à savoir le droguer de manière à ce que le moindre papillon ne le distraie pas. D’après ce qu’avait compris Mikhaïl des explications d’Ivanev, le reste du trajet jusqu’à l’aéroport privé en Slovénie, de l’autre côté de la frontière, s’était révélé sans encombre. Cependant, l’animal avait mal supporté le vol jusqu’à Londres, apparemment peu habitué à de telles altitudes. Par conséquent, une fois sur le territoire anglais, il avait encore fallu prendre une demi-journée pour s’assurer que le poulain était bien remis de ses émotions et que son état de santé ne risquait pas de compromettre la transaction avec Miss Herety. Il n’était donc arrivé au manoir Dmitriev que quelques heures auparavant.

Par précaution, Mikhaïl avait fait appeler une de ses propres soigneurs pour faire un examen complet au poulain et ce n’est que lorsque cette dernière l’avait assuré que, mis à part une certaine fatigue nerveuse sans aucun doute due aux changements majeurs qu’il avait subi en l’espace de quarante-huit heures, l’animal était en parfaite santé qu’il s’était détendu. C’était sa réputation qui était en jeu après tout. Car, s’il se plaisait à laisser bien clair à quiconque se jouait de lui qu’il s’agissait là d’une idée fort mal avisée, il tenait également particulièrement à apparaître comme irréprochable vis-à-vis de ses associés en affaires. Ainsi donc, s’il avait promis un poulain à Miss Herety, un poulain elle aurait et sans problème aucun, je vous prie.

C’est donc l’esprit désormais tranquillisé qu’il reçut la potionniste, constatant une fois de plus que les Anglais n’étaient pas préparés aux températures hivernales. Un jour ou l’autre l’un ou l’une d’entre eux finirait congelé par Svarog ! Il était cependant trop éduqué pour le faire remarquer à son invitée, il lui adressa donc un sourire cordial de bienvenue et l’arrêta alors qu’elle s’apprêtait à déposer son manteau sur le dossier de son fauteuil, il avait d’autres projets pour eux deux ce soir.

-Ne vous découvrez pas Mademoiselle. J’ai quelque chose à vous montrer avant que vous ne me fassiez votre démonstration.

Il s’empara alors de son propre pardessus et l’enfila tandis qu’il poursuivait son discours.

-J’ai en effet considéré qu’après vous avoir forcé à me préparer une nouvelle potion, la moindre des politesses consistait à vous prouver ma bonne foi en vous accompagnant tout d’abord voir votre récompense en chair et en os. Suivez-moi donc je vous prie, notre jeune invité se trouve dans les enclos derrière le jardin.

Ils sortirent du bureau, Mikhaïl prenant la tête du convoi et se retrouvèrent bien vite dans le magnifique jardin du manoir. Natalia en était très fière et en prenait un soin quasi maladif mais Mikhaïl devait bien avouer que sa femme aurait pu avoir un passe-temps plus embêtant. Au moins celui-ci lui permettait d’en mettre plein la vue à ses invités et c’était loin d’être inutile dans certaines circonstances. Néanmoins, ils n’étaient pas ici pour la beauté du paysage, sans compter que sa compagne était habillée un peu trop légèrement pour la température extérieure, il se dépêcha donc de rejoindre le bout du jardin et prononça une phrase en russe face à la haie fermant le domaine. Celle-ci s’ouvrit suffisamment pour laisser passer un homme adulte en pleine forme et le mafieux pénétra en son sein tout en s’adressant de nouveau à Evangeline.

-Ne vous étonnez pas de la sensation désagréable que vous allez ressentir, ce sont les sortilèges de protection qui s’activent automatiquement. Mais, s’ils ne ressentent aucun danger émanant de vous, vous ne risquez rien.

Ils arrivèrent devant un enclos à ciel ouvert pour le moment vide et Mikhaïl le laissa sur leur gauche pour se diriger droit vers ce qui ressemblait étrangement à un paddock pour poneys. Un homme d’une trentaine d’années sortit alors d’un bâtiment juste à côté et s’inclina respectueusement devant Mikhaïl.

-Il dort Mr Dmitriev mais vous pouvez vous approchez.
-Merci Feodor, vous pouvez disposer.

L’homme s’éclipsa alors immédiatement et Mikhaïl fit signe à Evangeline de le suivre jusqu’à la porte du paddock. Ils se penchèrent ensuite doucement et la vue qui s’offrit à eux alla jusqu’à prendre à la gorge le vieux mafieux qui en avait pourtant vu d’autres. Le poulain était allongé, les quatre pattes repliées sous son corps et sa tête reposant doucement sur un des murs du paddock, dormant du sommeil des innocents. La scène était tout simplement magnifique.