Randy se surprit en réalisant qu’il ne se rappelait plus beaucoup de son pays. Il y avait vécu et y avait fait ses études, il s’y était installé lorsqu’il avait fondé sa famille, mais il avait surtout voyagé. Enormément. En comptant les mois mis bout à bout, le voyageur n’était pas certain d’avoir réellement passé les deux tiers de son existence au pays.

D’abord, il y avait eu ses nombreuses années comme militaire dans la Royal Navy. Il se souvenait assez des doutes de ses proches sorciers face à sa décision d’aller vivre avec cette autre partie de la population tellement méconnue du monde magique. Puis il y avait eu la perte de sa famille et une année de folie presque littérale où il avait fini par toucher le fond. La paix était arrivée à temps pour lui éviter d’aller trop loin, il en gardait néanmoins comme derniers vestiges visibles plusieurs cicatrices et un alcoolisme chronique qui s’était un peu atténué depuis la fin du conflit.

Le sorcier avait alors entreprit de faire sa vie ailleurs lorsqu’une dernière traque l’avait amené tout droit en Bulgarie, à l’aube du mois d’août 1998. Il y avait croisé Elanor Levika, membre de l’Ordre comme lui, aussi démolie qu’il avait pu l’être, et ils s’étaient consolés. Un moment de répits qui d’un commun accord n’avait guère duré, mais ne les avait pas empêché de se recontacter depuis, pour prendre des nouvelles, en donner, échanger quelques informations. Peu de hiboux postaux, assez pour savoir ce qu’ils voulaient savoir. Ca leur avait suffit.

Lui avait refait sa vie en Europe de l’Est, d’abord comme garde du corps, puis après quelques semaines à se chercher une fois son contrat achevé, Randy s’était réengagé. Ce n’était certes pas une armée régulière – Merlin non, elle n’était même pas moldue ! – et il s’agissait plutôt d’une bande de mercenaires alors employée pour protéger des convois et expéditions de tout poil. Il avait vu du pays et pas qu’un peu. Une dernière mission en Albanie l’avait toutefois mis sur la trace d’un homme qu’il avait longuement recherché. Un assassin, comme lui, mais pas du même camp. Celui qu’Elanor avait mis tant de cœur à chercher, et qu’il pouvait aider à retrouver.

Finalement, sa mission avait prit fin lorsque l’expédition albanaise était rentrée au bercail. Randy avait prit un congé, le premier en trois ans, ou à tout le moins le premier qui en méritait le nom. L’actuel mercenaire et éternel voyageur était à trois jours de reprendre le travail. On le trouvait alors dans un bar où il n’avait jamais mis les pieds jusqu’à présent, mais où Elanor l’y rejoindrait.

Le châtain était de retour au pays pour la première fois en deux ans.

Son regard traversa la salle tandis qu’il venait d’entrer au Grizz’Light. Ici et du haut de ses quarante ans, Randy avait l’impression très particulière, à la limite du désagréable, d’avoir beaucoup vieilli. Vingt ans plus tôt, cette ambiance lui aurait inspiré bien des choses : la joie, la perspective de soirées bien arrosées, la drague, les colères de celle qui serait plus tard sa femme. En cet instant, il se sentait surtout déplacé et se demanda si le lieu était vraiment adapté.

L’ancien soldat haussa les épaules pour lui-même et quitta son poste d’observation pour rejoindre le bar. Le cocktail spécial pour lui – il était curieux – et une bieuraubeurre pour l’employée du Ministère qui le rejoindrait bientôt. Randy se dirigea ensuite vers une table éloignée du reste. Elle était installée à l’un des coins, discrète. Il se mit dos au mur de sorte à n’avoir personne derrière lui tout en voyant l’entièreté de la pièce. Alors, les boissons installées devant lui dont l’une – la sienne – qu’il sirotait déjà, le mercenaire attendit Elanor, les yeux voyageant à travers la salle pour l’occuper.

Elanor. Il la trouva changée. Plus mature – elle avait vieilli un peu elle aussi – et pourtant plus jeune dans l’attitude lui sembla-t-il. Plus légère du moins, et pour un brin de fille qui n’avait pas beaucoup plus que la moitié de son âge, il trouvait ça rassurant.

Randy ne se leva pas tout de suite. Elle le cherchait il le voyait bien, mais la jeune femme le connaissait et finirait bien par le trouver. Son sourire s’agrandit chaleureusement lorsqu’elle le remarqua enfin ; sitôt qu’elle fut près de lui, Randy se leva pour une accolade brève, mais qui en disait plus long que les mots sur la joie qu’il éprouvait à la revoir après tout ce temps.

« Ca me fait plaisir aussi. Tu as l’air d’aller mieux. » commenta-t-il en se rasseyant.

La voir plonger en piqué sur sa bieraubeurre l’amusa bien un peu, mais il ne dit rien et récupéra son propre verre dans lequel il but une nouvelle gorgée. Randy se demanda soudainement s’il avait bien fait. Elanor s’était reconstruite elle aussi – avec plus de brio que lui-même apparemment – et en lui apportant ces informations, il prenait le risque de la faire replonger dans un tourbillon de colère et de peine qu’il préférait lui épargner.

« Que deviens-tu depuis la dernière fois ? »

« C’est juste. »

Il y eut un léger silence confortable, de son point de vue à tout le moins, pendant qu’il rassemblait ses pensées et ses souvenirs d’Albanie et des quelques autres pays où il avait mieux les pieds ces dernières années. Pas tant que ça, mais considérant le peu de temps écoulé… C’était déjà pas mal.

« Je repars dans deux jours. »

Aucune explication ne vint franchir ses lèvres, parce qu’il n’y en avait aucune qu’Elanor ne connût pas déjà. Elle n’avait certes pas le détail de sa vie là-bas, mais savait pourquoi il y était, financièrement ou moralement. Quant à ses activités à elle, il ne commenta pas mais avait bien entendu. Effectivement, elle l’avait évoqué lors d’un précédent hibou, raison pour laquelle il se contenta de hocher la tête en souriant en coin lorsqu’elle lui en parla. Il n’y revint pas.

« C’est un peu étrange de revenir au pays après tout ce temps... »

Un nouveau silence, aussi songeur qu’attristé.

Cette fois Randy hésita vraiment. Il était là, il lui dirait ce qu’elle se désespérait de savoir depuis un long moment. Il fallait sans doute ça pour que la page soit tournée, mais il s’inquiétait pour elle. N’étant toutefois pas du genre à tourner autour du pot, malgré le plaisir qu’il prenait à lui parler de visu, le mercenaire préféra aborder le sujet directement. Un peu abrupt, peut-être, mais ils étaient là pour ça, non ?

« J’ai croisé le chemin de l’un de nos… amis, commença-t-il en accentuant le dernier mot avec tout le dégoût que ça lui inspirait. C’était il y a une semaine ou deux, en Albanie. Je t’ai envoyé le hibou quelques jours après.

Il m’a donné trois noms qui correspondent à ce que tu m’as dit. Je te les ai noté sur un papier avec ce que je sais d’eux. Pas grand-chose malheureusement, mais j’espère que ça t’aidera. »

Il fouilla dans l’une de ses poches quelques secondes et lui tendit une petite feuille pliée en quatre. Du papier blanc d’imprimante, quelques noms et éléments écrits au stylo bic bleu. Beaucoup et peu à la fois.

La raison de sa venue n’était pourtant pas un grand mystère, mais il se sentit légèrement coupable face à la déferlante d’émotions qui traversa le visage d’Elanor. Sa main tenait toujours le papier ; il attendait qu’elle le prenne, ce qu’elle ne fit pas, figée dans la douleur ou la surprise, il ne savait pas vraiment. Finalement elle s’en saisit, mais Randy ne baissa pas son bras. Son regard fila du visage de la jeune femme aux doigts de celle-ci, qu’il aurait juré avoir vu trembler. Il finit par les lui attraper doucement, refermant une main chaude sur celle de la jeune Anglo-slave.

« Elanor, tu en fais ce que tu en veux. Si tu veux passer à autre chose, ne pas les voir, ne plus chercher, personne ne t’en tiendra rigueur. » Il marqua une brève pause, le ton et le visage soucieux. « Et certainement pas moi. Tu me les as demandés il y a longtemps, mais je ne te force pas la main. Fais juste ce qui te fait te sentir le mieux, c’est la seule chose qui compte vraiment. »

Est-ce que ça suffirait ? Il en doutait. Sans savoir exactement quelles pensées traversaient l’esprit de l’ancienne étudiante, Randy les devinaient contradictoires et embrouillées. Il aurait aimé pouvoir l’aider avec ça, mais quoi qu’ils fussent l’un comme l’autre adepte des dialogues courts, aidés en cela par une compréhension mutuelle aiguisée, il n’était pas dans son esprit et ne savait pas ce qui la perturbait le plus en ce moment. Le châtain retira toutefois sa main.

Elle avait le choix.

On pouvait librement s’interroger sur l’importance de quelques larmes. En voyant celles d’Elanor juste avant qu’elle se lève d’un bond, Randy se prit à être soulagé. Mieux valait ça que tout garder en soi, sans jamais rien laissé paraître. Il en savait quelque chose puisqu’aussi destructeur que ce soit, lui-même était bien incapable de réellement laisser filtrer sa peine, même trois ans après alors qu’il avait au moins une amie sur qui compter. Et aujourd’hui, il la bouleversait.

La tentation de commander un autre cocktail était forte. Il termina le sien d’une traite – il n’en restait plus grand-chose – et lutta pour ne pas appeler un serveur et en prendre un deuxième. Il venait voir Elanor ici-même, alors qu’il n’avait jamais eu envie de revenir en Angleterre après son départ, et ce n’était pas pour lui montrer qu’il supportait toujours aussi bien l’alcool.

Jouant tout d’abord avec son verre en attendant qu’elle revienne, l’Anglais finit par attraper le papier posé sur la table. Il ne le déplia pas. Lui connaissait par cœur ce qui y était écrit, il savait aussi à quel point une part d’Elanor en avait besoin. Sans doute était-ce pour ça qu’il avait cuisiné le Mangemort, pour ça qu’il l’avait contactée elle, pour ça qu’il était là, peu importe à quel point il remuait la vase. Pourquoi maintenant, il l’ignorait et ne voulait pas se poser la question.

Quand finalement la jeune femme sortit des WC, il se redressa sur son siège et chercha à lire son visage. Sans un mot, Randy cala alors le papier entre deux doigts, et lorsqu’elle fut tout prêt, tendit le bras pour qu’elle le prenne. Elanor avait pris sa décision, il le savait.

Elanor réapparut, l’œil déterminé. Elle se rassit alors qu'il lui retendit le bout de papier, mais elle termina sa bièreaubeurre et héla la serveuse pour lui commander deux cocktails. Elle allait incontestablement en avoir besoin pour poursuivre et elle se doutait bien que Randy n'allait certainement pas refuser un second verre. Elle ne souhaitait pas l'encourager, mais après tout la situation s'y prêtait bien.

L'attente fut longue et Elanor la passa à se regarder les mains posées sur la table à distance de celles de Randy. Non pas que le contact de ce dernier ne la dérangeait, mais elle ne souhaitait pas non plus l'encourager. L'heure n'était pas à ce genre de retrouvailles et elle n'était pas certaine que ce soit une excellente idée compte tenu de sa relation actuelle avec Manu. Pourquoi se focalisait-elle à nouveau sur lui ? Randy n'avait rien à voir avec lui et leur relation n'avait jamais été comparable. Bref. La serveuse daigna enfin arriver pour les servir.

L'employée du ministère avala une première gorgée, grimaça légèrement sur la dureté de l'alcool puis elle fixa son regard sur le petit papier toujours tenu par son ami. Soit. Elle allait l'ouvrir.

Elle tendit la main, il rapprocha la sienne et elle l'attrapa pour le rapprocher d'elle. Son coeur battait mais son courage n'allait pas faillir maintenant. Elle était décidé, comme le jour où elle était arrivée devant le 12, square Grimmaurd.

Elle l'ouvrit, fébrilement :

Citation :

Andreïev Bourdassov (Russe), habite à Moscow.

Marié à Hel Elena Bourdassov, née Afonine. Un fils, 10 ans. Mangemort (1996). Pourquoi RU sous V ? Protégé (par qui ?)


Matthias Leonov (Biélo-anglais). Disparu depuis Bataille de Poudlard.

Fils politicien russe et héritière écossaise. Sang-pur, doit avoir du soutien en B. 26 ans, femme décédée le 2 mai. A toujours vécu au RU.


??? Jefferson (anglais). Serait en France.

A vécu en Pologne de 56 à 89. Difficile à trouver ensuite. Femme ? Enfants ? Possible LG. Env 55 ans.

Elle lut. Et elle réalisa assez rapidement qu'elle ne saurait que faire de ces informations. Comment le retrouver ? Que faire ? Comment s'y prendre ? Elle était à présent si près du but, mais quelle était la suite des événements.

La brunette releva le visage et croisa le regard de Randy, l'air un peu dépité.

Et on fait quoi maintenant ?

Il haussa les épaules alors qu’on leur apportait deux cocktails. Le serveur parti, Randy garda le silence quelques secondes avant de répondre à la question posée.

« Certains membres de l’Ordre accepteront sans doute de t’aider. Je vais voir ce que je peux trouver là où on m’envoie, j’ai quelques contacts. Là je n’ai pas eu le temps de rassembler plus d’informations. »

S’il avait mis du temps à arriver alors que son congé avait débuté une semaine plus tôt, c’était d’ailleurs pour en obtenir un peu plus, notamment sur le fameux Jefferson dont il n’avait guère eu que le nom au début.

« Quant à la suite, reprit-il après une respiration, je suppose qu’il faudra la confier à la Justice Magique. »

Une part de lui-même se montrait beaucoup moins prompt à en appeler à Elle. L’eau n’avait qu’un peu coulé sous les ponts et pourtant le monde sorcier du Royaume-Uni se perdait en conflits absurdes à propos des moldus (ou plus récemment de la pureté des mœurs) plutôt qu’à la remise en ordre de ses affaires. Randy avait eu confiance en Kingsley, mais doutait davantage du Ministre élu à sa suite. Et le Ministre faisait la loi.

« Si ça ne suffit pas, on se débrouillera sans. » lâcha-t-il finalement.

Les membres de l'Ordre du Phénix avaient pour la plupart repris leur vie en main. Elle n'était pas aussi certaine que Randy que l'un d'eux veuillent risquer sa vie pour rétablir la justice. Ils en avaient déjà tellement bavés. Quand elle se rappelait la tête de leur Professeur de Soins Magiques qui passaient beaucoup de temps à boire du whisky en cachette dans son bureau, ou Harry, Hermione qu'elle croisait régulièrement dans les couloirs. Et elle dans tout ça ? Qui l'aiderait réellement ? Et surtout à qui pouvait-elle se permettre de demander de l'aide. Chacun avait eu sa part de peine dans cette histoire et elle n'était pas sûre de devoir faire subir aux autres des démarches de plus.

Il lui promettait de faire encore des recherches. Et dire qu'il lui avait accordé de son temps alors qu'elle même avait laissé tomber. Ne devrait-elle pas avoir honte d'avoir ne serait-ce qu'un instant, hésité à prendre ce qu'il lui donnait ? Vraiment quelle ingrate. Elle lui sourit de son sourire le plus sincère.

Merci Randy... ça me touche beaucoup que tu sois venu...

Probablement était-il venu pour rien et probablement que ces pistes ne mèneraient nulles part. Mais il la prenait au sérieux et ça c'était franchement gratifiant. Plus gratifiant que tout ce qu'on avait pu faire pour elle jusqu'à présent. Le tueur de son oncle avait été descendu par la Dame Rouge, mais celui de Lacey courait toujours et ça, c'était pire que tout ce qu'on pouvait avoir au monde. Elle sourcilla cependant lorsqu'il parla de la Justice Magique. Vraiment ? Était-il si dupe ?

As-tu entendu parler d'un seul procès de Mangemort ? Ils les ont tous fait tuer par la Dame Rouge pour éviter d'avoir à leur faire des procès. Ce n'est pas ce que j'attends réellement de la Justice.

A ce moment là autant se faire justice soi-même et autant contacter elle-même la Dame Rouge. Elle en avait largement les moyens. Elanor pourrait également choisir l'option de la facilité et la lancer aux trousses des trois types et lui demander de leur tirer les verres du nez. Mais elle valait mieux que ça, elle n'allait pas faire tuer un père de famille, si peu scrupuleux soit-il, s'il n'était pas le responsable de la mort de l'homme de sa vie. Son visage s'était rembrunit et elle s'était replongée dans son cocktail, l'air pensif.

« Si ça ne suffit pas, on se débrouillera sans. »

Elle releva ses yeux qui s'illuminèrent lorsqu'elle entendit les paroles de Randy. Alors il serait prêt à l'aider encore plus que ça ? Si c'était le cas, elle se devait de chercher aussi de son coté et de manière plus scrupuleuse. Après tout elle n'était pas obligée de demander la lune aux anciens membres de l'Ordre du Phénix, elle pouvait aussi s'adresser à certains en particuliers pour leur demander des informations capitales. Et pourquoi ne pas tenter sa chance auprès de Natalee Shevelin ? Auror de renommée. Celle-ci avait surement dû reprendre du service. Et elle avait suffisamment de famille à l'Est pour fouiner aussi de ce coté-là. N'avait-elle d'ailleurs pas déjà reçu une invitation pour Thanksgiving ?

Ouais... On se débrouillera sans la justice s'ils ne veulent pas se bouger. Mais hors de question que tu poursuive seul les recherches, je vais pas rester ici à attendre que tu m'en amène. Où dois-tu repartir ?

Un léger sourire étira ses lèvres ; il le cacha derrière son cocktail lorsqu’il en but une gorgée. La perspective de se débrouiller sans chaperon – comprendre par là sans que la Justice s’en même – semblait enthousiasmer Elanor plus qu’il ne l’aurait cru. Randy savait qu’il aurait du condamner ça, mais il n’était plus assez naïf ou miséricordieux pour croire que le Magenmagot ce qu'il fallait. Et ce fameux Lacey s’était retourné contre les Mangemorts, lui avait dit Elanor. Retourné était le terme. Il ne bénéficierait pas du capital sympathie nécessaire pour forcer les choses.

En fait, pour être franc envers lui-même, il n’en bénéficiait pas avec lui. S’il n’y avait pas eu la douleur de la jeune femme, Randy se serait contenté d’un haussement d’épaules indifférent. Mais il y avait Elanor et il voulait bien la croire lorsqu’elle le défendait. Loyal jusqu’au bout, et désespérément en manque de combat à mener.

« En Albanie, mais je n’y resterai sans doute pas longtemps. Il faudra juste attendre qu’on nous dise où on nous envoie cette fois. »

Le châtain but une partie de son verre qu’il reposa alors sur la table, la main toujours autour de lui. Son regard vert accrocha celui de la brune, se fit perçant.

« J’ai beaucoup entendu parler de cette Dame Rouge. Tu n’es pas tentée de la contacter ? »

Randy haussa les sourcils à la question et se repassa rapidement l’intégralité de sa réponse. Il en retint quelques points bien précis : elle savait comment joindre la fameuse Dame rouge, elle n’en avait pas réellement l’intention pour le moment et cherchait une solution alternative, plus légale. Bien. Ils avaient au moins un plan de secours.

Il y avait ensuite la question de la fine frontière entre le Bien et le Mal, deux notions dont Randy doutait de plus en plus de la justesse. La question de la moralité lui échappait peu à peu malgré une vie entière à la défendre, à défendre la Justice – celle-là même en laquelle il ne portait plus d’espoir – et à défendre un peuple qui, pour ce qui était des sorciers britanniques, le décevait un peu plus chaque jour.

« Moi ? »

Un rire bref, un peu sec et totalement cynique lui échappa. Lui ? La question était tellement… judicieuse, en fait. Elle tapait précisément dans la partie de sa vie dont il ne parlait jamais, à personne, pas même elle. Elanor en connaissait quelques éléments très succincts – il avait perdu des proches à cause des mangemorts et avait quitté l’armée moldue pour prendre part au conflit – mais guère plus.

« Je ferai ce que j’ai fait, ce que je fais actuellement. »

Il inspira, tenta un sourire chaleureux et finalement vida d’une traite son cocktail (ce qu’il en restait). Puis il s’expliqua.

« Pendant la guerre j’ai perdu des proches, j’ai traqué leurs assassins, j’ai fini par les trouver. Le dernier en Bulgarie. » Un mince sourire réussi cette fois, parce qu’elle voyait forcément à quelle période il faisait référence. « Je me suis sali les mains, et je ne te le souhaite pas. Ça ne laisse personne indemne, surtout quand ça n’est justifié par rien de plus que la colère et la vengeance. »

« C’est… difficile à dire. »

Les gens s’attendaient toujours à ce que la réponse à cette question soit un oui ou un non tranché. Une réponse simple à une question qui ne l’était qu’en apparence. Est-ce qu’on se sent mieux ? Oui et non. Peut-être. Le tout à la fois plus probablement. Le maelström d’émotions dans lequel on bouillonnait à ce moment-là de sa vie ne laissait pas beaucoup de place à la clarté sentimentale, psychologiques. Même plusieurs années après, il n’avait pas de réponse définitive, au mieux, il s‘était accoutumé à un état de fait. Sans trop y penser, Randy jeta un sort de silence autour d’eux pour garder le caractère confidentiel de leur conversation.

« Ça n’apporte rien, et le soulagement ne vient pas de la vengeance. Je suppose que la réponse diffère beaucoup de la personne qui t’en parlera. »

Il savait qu’il n’aidait pas, en cet instant, mais Randy gagnait du temps. La partie de lui qui ne se concentrait pas sur la conversation pesait le pour et le contre. Il savait, peu importe comment, que ce qu’il lui dirait jouerait sur la décision de la jeune femme. Et finalement, pour son bien à elle, il en dévoila un peu plus sur lui-même.

« Toutes les morts de ma famille depuis plus d’un siècle, ou presque toutes, sont liées à des guerres. Des guerres moldues ou sorcières sans réelle distinction. Parfois par hasard, souvent par engagement. Ça a été le cas de mon père en 75, de ma mère il y a trois ans. »

Il se tut. La phrase suivante resta bloquée dans sa gorge et il regarda son verre dorénavant vide avec une lueur de désespoir vite masquée. Son regard revint vers Elanor, et se posa pourtant derrière elle et non réellement sur son visage.

« De ma femme et de mes deux fils également. »

Le silence, encore, réparateur dans le cas présent. Il lui fallut quelques secondes pour faire passer la boule dans la gorge, celle qui faisait mal parce qu’on ne pleurait pas, qu’en fait on en était même incapable. Et quand ce fut fait, il ancra enfin son regard dans celui de la jeune femme.

« Tuer leurs assassins n’a rien changé à la douleur, j’ai juste le sentiment d’avoir fait mon devoir en ne les ayant pas laisser en réchapper. Je ne pense pas que tu puisses obtenir mieux qu'un soulagement relatif à cette idée. Retiens seulement qu'il y a une énorme différence entre toi et moi : du sang sur les mains, j’en avais déjà. Et pour être totalement franc, je préférerais que ce ne soit jamais ton cas. Alors si un jour tu décides que tu les veux les voir morts, je comprendrai, mais parles m’en avant. Cette partie-là, je peux m’en charger pour toi. »

Ce n’était pas exactement le résultat qu’il aurait voulu obtenir. Il l’aidait et il n’avait pas l’intention de lui tourner le dos, mais de tout son cœur, Randy aurait voulu la voir accepter une vie sans haine, colère ou vengeance. Qu’elle tourne la page et connaisse autre chose, car une fois embarquée réellement là-dedans, elle aurait bien plus de mal à en sortir. Si elle en sortait. L’ancien Poufsouffle doutait néanmoins qu’elle ait réellement et totalement conscience de ça. Elle réclamait justice, quitte à l’obtenir de ses mains, ou de ses mains à lui car il ne faisait jamais de promesses en l’air.

Malgré tout, le fait qu’elle lui témoigne son affection et sa compassion était réconfortant. Il avait accepté de vivre avec son fardeau, de vivre en ne cherchant plus à reconstruire quelque chose. Sans doute qu’une part de lui était morte ce jour-là. On le lui avait déjà dit lors de ses voyages, il était brisé. Un peu de réconfort, même minime et de toute façon insuffisant, faisait toujours du bien, surtout quand on ne s’en accordait plus soi-même. Pour ça, il lui adressa un léger sourire qu’il voulu chaleureux sans être sûr d’effacer réellement la gravité qui le faisait parler, puis retira doucement ses mains pour les ramener vers lui.

« J’espère qu’ils répondront à ton appel, mais je crois que beaucoup d’entre eux ont laissé la guerre derrière eux. Il est probable qu’ils refusent. »

Lee. Natalee Shevelin, sans doute, que lui-même n’avait jamais vraiment croisé mais dont il avait eu quelques échos. Avec de la chance – il espérait qu’elle le fasse – l’Auror viendrait en aide à Elanor et leur simplifierait la tâche. Randy se contenta d’un signe de tête pour signifier à la jeune femme que c’était une bonne idée.

Leur rencontre touchait à sa fin. Le mercenaire aurait pu lui proposer de venir avec lui dans un petit restaurant tranquille, de parler de choses et d’autres plus légères, mais il avait besoin de digérer la conversation, les informations et le retour émotionnel dû à sa confession. Quitte à boire plus que de raison, le châtain préférait qu’elle n’en soit pas témoin, d’autant qu’il n’était ni d’humeur loquace, ni d’humeur sociable.

« Je vais te laisser, commença-t-il à brûle-pourpoint avec un sourire d’excuse. Il me reste quelques affaires à régler en ville. »

La question était purement rhétorique. Elle lui en parlerait forcément puisqu’ils y travailleraient ensemble. Il faudrait néanmoins qu’il lui envoie un hibou en premier pour lui dire où adresser le sien, une fois qu’il saurait où exactement son prochain contrat se déroulerait.

« Et les boissons sont pour moi, si tu veux reprendre quelque chose, n'hésite pas. »