Être de retour au pays et savoir qu'il allait y rester lui donnait des frissons désagréables chaque fois qu'il s'en souvenait. Il évitait d'y penser. Depuis ses 18 ans, Dorian s'était fait un devoir de voyager et bouger régulièrement, de ne pas se laisser aller à la sédentarité. N'allait-il pas très vite le regretter ? Depuis qu'il avait été à son entretien d'embauche, puis avait signé son contrat, un poids lui pesait sur l'estomac. Louer la petite maison en banlieue de Londres achevait maintenant sa prise de conscience. Il n'y était que depuis trois jours, mais la pensée persistante de ce qu'il devenait lui faisait froid dans le dos. Ne manquaient que la femme et les enfants pour qu'il rentre dans le rang, au plus grand plaisir de ses parents, à sa plus grande crainte.

L'archéologue – pardon, enseignant maintenant – attrapa un carton vide qu'il plia manuellement. Se servir de la magie aurait été plus facile, mais beaucoup trop rapide. Au contraire, il traînait le plus possible pour repousser le moment où il ferait face au vide de sa nouvelle demeure. Quelle idée de préférer ça à un appartement... mais au moins ici il pourrait travailler librement et entreposer la multitude d'objets et livres que ses parents et un garde-meuble moldu avaient mis à l'abri jusqu'à présent. Il y en avait énormément et ils donnaient à la petite maison – deux étages, cinq pièces habitables, une cave et un petit jardin – un air d'exotisme. Les statuettes de bois, masques à plumes et autres objets insolites jonchaient le sol et recouvraient ses quelques meubles.

Tout à son observation, Dorian tarda à réaliser que la sonnette d'entrée résonnait. Une invention moldue plus pratique que le heurtoir de ses parents, mais rien de surprenant puisqu'il avait volontairement choisi de vivre au beau milieu des non-sorciers. Il avait d'ailleurs une liste longue comme le bras d'incantations de protection et de discrétion à lancer sur la maison pour être certain de ne pas se faire remarquer. Dorian envisagea un instant de demander son aide à Clyde, mais renonça à le faire alors qu'il n'était plus qu'à quelques pas de la porte.

La sonnette vibra encore.

« J'arrive. »

La clef tourna dans la serrure, il appuya sur la poignée et tira vers lui pour ouvrir. Comme prévu, son frère se trouvait face à lui. Il lui adressa un sourire réservé, de ceux qu'il faisait lorsqu'il ne savait pas très bien sur quel pied danser. Des années - peut-être dix ans, sans doute plus – qu'il ne s'était pas retrouvé seul avec son cadet... Trouveraient-ils seulement des choses à se dire, une fois le sujet de leur passion commune usé jusqu'à la moelle ?

« Entre, j'ai déjà sorti les bières. »

Mentalement, Clyde était aussi hésitant et circonspect que Dorian. Depuis qu’il avait quitté Poudlard, puis la maison familiale, tout n’avait été qu’une fuite en avant. Mais il n’avait aucun passé douloureux à fuir, aucune situation familiale indésirable, juste la routine et la grisaille londonienne qui le hantaient parfois dans ses cauchemars. Même durant ses années de voyage et de découverte, même avec les nombreux foyers qui l’avaient accueillis à bras ouverts, il ne s’était jamais vraiment posé. Son esprit avait continué de vagabonder, toujours, et sa maison n’était nulle part ailleurs que sur la route.

Et maintenant, il se tenait en face de cette stupide porte. De l’autre côté, il pouvait entendre Rick en train de s’activer et de déballer ses cartons. Sans doute lui passait-il par la tête les mêmes idées sordides que celles que Clyde avait eu en déballant ses propres cartons. Et il savait bien que si c’était le cas, plus il le laisserait ruminer, plus longtemps le vieux aurait de la peine à s’y faire. Non, l’idéal pour s’habituer, c’était de se comporter normalement et de faire comme si la situation n’était pas si dramatique. Il sonna donc, une première fois. Rien. Puis après quelques instants, une deuxième. Des bruits derrière la porte, puis son frère qui apparu dans l’encadrure.

Clyde commença par lui rendre son sourire, puis entra et fit quelques pas dans la pièce principale, écrasant un carton vide au passage.

« T’as de la place. »

Le ton, mi-intéressé, mi-perplexe, réfléchissait bien son état d’esprit. Que faire d’autant de place ? Lui-même s’était loué un petit deux pièces à Manchester, et il trouvait le moyen de ne plus savoir quoi faire de ses quelques espaces de rangement. Il finit par rejoindre Dorian à la cuisine, et posa ses fesses sur le rebord du plan de travail.

« Hm, tu…Tu sais quand tu commence le travail ? »

Banalités sur banalités. Avec un peu d’espoir, l’alcool délierait les langues.

Il repoussa doucement le battant de bois qui se referma dans un claquement sec, mais bref. Sans échos, le couloir étant trop étroit pour rappeler à quel point le vide remplissait la maison. Sans le savoir, ses pensées suivirent le cours de celles de son frère. Pourquoi si grand ? La seule chose à laquelle il avait songé en voyant la maison était qu'il pourrait y entasser tout ce qu'il voulait. Le but inavoué étant de poursuivre ses recherches, peut-être participer à un ou deux chantiers archéologiques, avec ce que ça impliquait de trucs à ramener chez soi pour les préserver. Il verrait bien ce qui pouvait se faire en Grande-Bretagne.

« Hm. Un peu trop en fait. »

Dorian se dirigea sans attendre vers la table à manger où il attrapa une canette de Guinness qu'il tendit à son frère après l'avoir rejoint au cœur de la pièce.

« Je commence le 18 septembre, mais j'irai sans doute aux Portes Ouvertes. Et toi, tu as du travail ? Maman m'a dit que tu comptais rester en Grande-Bretagne aussi. »

L'enthousiasme fuyait sa voix. Oh il était plutôt content de pouvoir voir son frère un peu plus, de nouer enfin des liens plus proches que ceux fabriqués par courrier, que ceux créés lors des réunions de famille ou durant les quelques périodes où ils étaient retrouvés, occupés dans la même partie du monde au même moment. Parfois au même endroit. Rarement. Pas assez souvent de son point de vue en fait.

Quand Clyde eut récupéré la canette, Dorian, toujours songeur, en profita pour aller dégager de la place sur le canapé neuf. Il sentait encore le magasin où il l'avait acheté, c'en était désespérant, mais quitte à emménager, l'archéologue – professeur... - avait préféré opter pour du neuf en matière de canapé et literie. Pour les meubles en revanche, le choix de l'occasion s'imposa de lui-même. Trop de neuf l'aurait achevé, il les préférait avec un peu d'histoire derrière eux.

Ses yeux parcoururent la cuisine, se posant sur les différents objets que Rick avait ramené de l’étranger. Un sourire se posa sur ses lèvres, sans qu’il le remarque, et il se saisit de la canette que lui tendait le plus âgé de la fratrie. Un pschiiit plus tard, il en buvait une bonne gorgée. Clyde avait particulièrement apprécié les quelques semaines ou ils avaient pu se retrouver pour le travail, au cours des années précédentes. Quelques trop rares semaines ou il avait pu côtoyer son frère régulièrement, avant que chacun finisse par continuer son bout de chemin une fois leurs contrats respectifs remplis. Si on lui avait dit à l’époque qu’ils se retrouveraient tout deux à Londres, avec un appartement, pour une pendaison de crémaillère, il en aurait sans doute rit jaune.

« Tu vas avoir plein d’élèves qui vont tomber sous ton charme. T’as déjà prévu un plan de secours pour échapper aux midinettes qui voudront prendre ton nom de famille ? »

Un léger rire lui échappa. Il n’imaginait pas une telle chose se produire, évidemment, mais effrayer Dorian avec était drôle. Le cadet le suivit jusqu’au salon, et se laissa ensuite tomber dans le canapé sans attendre, avant de froncer le nez en sentant l’odeur de neuf.

« Ouais. J’ai eu la réponse hier. Intégré à la brigade des tireurs de baguettes d’élite. »

Un sourire couillon plus tard, il reprit.

« Je vais pouvoir te mettre aux arrêts pour délit de sale gueule. »

« Toutes mes félicitations. »

La phrase était sincère, pourtant son ton virait à la moquerie. Gentille, évidemment. Savoir son frère dans une unité d'élite ne le surprenait pas particulièrement : il ne l'aurait pas imaginé ailleurs. Déjà très étonné de voir qu'il comptait effectivement rester un moment, Dorian ne s'en serait probablement pas remis s'il avait choisi un travail tranquille. Quant à la menace, elle passait très joyeusement d'une oreille à l'autre et se fit la malle avant qu'il puisse la considérer sérieusement.

« Pour répondre à ta première question, j'envisageais de leur donner ton adresse. Tu es plus proche de leur âge que moi, vous trouverez sans doute de quoi échanger. »

Son sourire se fit plus franc. Les quelques habitudes prises entre eux semblaient revenir d'elles-même, il en était rassuré. Plus détendu, Dorian alla s'appuyer contre la table à manger, elle-même coincée contre l'un des murs. Il fit face à Clyde quelques secondes avant de se sentir glisser, de se retourner et d'incanter un sort silencieux pour faire léviter les trois babioles en chute libre avant qu'elles touchent le sol. Sa baguette était restée sur un carton plus loin. Question d'habitude, il y avait longtemps qu'il s'en passait pour faire léviter les objets qui chutaient. A trop vivre au milieu d'un joyeux bazar, on finissait par développer quelques réflexes salvateurs.

Les trois babioles concernées retournèrent donc bien sagement sur la table, derrière lui, contre le mur où s'élevait déjà un tas d'objets plus ou moins utiles. Il repéra une pile d'assiettes qu'il renonça à ranger tout de suite. Pourquoi traînaient-elles là, d'ailleurs ?

« Où en étais-je ? Ah oui, ton adresse. Tu vas rester chez les parents pendant combien de temps encore ? La malédiction est presque partie maintenant, non ? » finit-il par demander en accordant à nouveau son attention à son petit frère.

Il leva les yeux au ciel. Entre les deux frères, le ton avait toujours été à l’amour vache, aux saloperies et à une certaine forme de moquerie permanente. Clyde taxait Rick de vieux, Rick le traitait comme un gamin. Et la raison pour laquelle l’un comme l’autre le supportaient était une forme de respect mutuel tacite, qu’ils ne se sentaient absolument pas le besoin d’expliciter.

« Merci. Je commence lundi prochain. J’espère que ça va pas mettre trop de temps à remuer de tous les côtés, je vais m’ennuyer ferme, sinon. »

Un léger rire lui échappa ensuite. Il jeta à son frère un regard lourd de sens, sachant très bien qu’il ne s’entendrait pas avec des jeunots, sauf s’il s’agissait de leur soutirer leur argent ou de nouer un contact utile professionnellement, et encore moins avec des jeunots citadins.

« Non, ça ira… »

Il le laissa s’occuper de ses babioles, et but une gorgée de bière, avant de reprendre.

« De toute manière, si je suis plus proche de leur âge, toi tu es plus proche physiquement. J’ai pris un appartement, un petit machin, à Manchester. Centre vile. Et pour te répondre…La malédiction est complètement oubliée. »

Pour prouver ses dires, d’un coup de baguette rapide, il fit apparaitre une petite balle qu’il lança sans attendre sur Rick – histoire de tester ses réflexes, et si possible de le forcer à renverser sa bière.

« L’endroit qui l’a causé, en revanche, je risque pas de l’oublier. J’y retournerai d’ici quelques temps, je pense. »

La balle fut rattrapée d'une main, l'autre tenant périlleusement la canette de bière que le mouvement brusque avait mis en péril. Il n'y avait que Clyde pour vouloir fêter son emménagement en voulant salir le sol avec de la bière collante. Heureusement, Rick le connaissait suffisamment pour anticiper une partie de ses âneries, celles de ce genre notamment. Ce fut donc d'un murmure qu'il fit disparaître la balle en écoutant son cadet.

La promesse dans le ton de voix de Clyde le fit sourire. A peine posé, son frère envisageait déjà de repartir. De mémoire, il ne lui semblait pas que d’autres membres de la famille aient autant la bougeotte qu'eux. Certains avaient changé de villes, bien sûr. D'autres plus rares vivaient dorénavant à l'étranger, mais hormis eux, personne n'avait fait le choix de déménager très régulièrement. Le plus âgé savait parfaitement qu'il avait influencé Clyde lorsqu'il était adolescent, que ses cartes postales, cadeaux d'origines lointaines, récits d'exploit, etc. avaient fait naître chez son frère l'envie de découvrir le monde. Aujourd'hui, il en était plus heureux que jamais, car les deux frères se comprenaient.

« Je ne sais toujours pas comment tu t'es retrouvé maudit d'ailleurs. Les parents n'y ont pas compris grand chose. Tu étais en Namibie, c'est ça ? »

Le sourire satisfait qui ourlait ses lèvres ne disparu pas, même après que Rick eu attrapé la balle et l’ait faite disparaitre. Il trouverait bien une autre manière de dégueulasser un peu son appartement en guise de crémaillère, ça il ne se faisait pas de soucis. Il observa encore un peu la nouvelle tanière du jeune professeur, but une nouvelle gorgée, et reprit la parole.

« La Namibie oui. Ils ont une très bonne bière locale, d’ailleurs. Enfin bref, il y a énormément de légendes, en Afrique, mais comme tu dois le savoir, pour cause de culture orale et du peu de livres écrits, c’est difficile d’en avoir une idée globale. J’ai régulièrement entendu parler d’un endroit ou les sorciers africains menacent d’envoyer leurs enfants s’ils n’obéissent pas. Un peu comme notre croquemitaine local. Il s’est trouvé que l’endroit existe bien, un village hanté et abandonné depuis longtemps. J’ai recoupé mes infos sur le sujet, j’ai localisé le village, et il semblerait que ce soit une malédiction provenant d’une grotte proche qui ait causé l’abandon de l’endroit. »

A ce point, il jeta un nouveau regard entendu au plus vieux. Pour quiconque connaissait Clyde, il était plus qu’évident que c’était un véritable appel à y mettre les pieds, pour lui.

« J’avais quelques intéressés, des touristes comme des chercheurs ou des anciens de la région, qui étaient intéressés à y aller. Finalement, nous ne sommes que trois à avoir atteint la destination. Un espèce de sort de protection fait fuir les gens de peur quand ils approchent. Un genre de terreur irrationnelle, j’en étais transi, et une fois le village traversé et la grotte atteinte, plus rien. Du tout. Plus de peur…Plus de magie. Impossible de l’explorer clairement quand le moindre sort devient une plaie à jeter. On a du abandonner et je suis revenu pour me faire soigner. »

Et d’un trait, pour ponctuer son récit, il termina sa bière avant de balancer la canette vide sur Dorian, histoire de.

Une canette qui, par la magie des informulés, se transforma en oiseau mouche et voleta il ne savait trop où. Dorian ne s'inquiétait pas : dès que le sort de métamorphose serait levé, il retrouverait l'objet inanimé dans un coin de la maison. Il regretta brièvement de ne pas l'avoir plutôt envoyer en ligne droite jusqu'à la poubelle. Avec de la malchance, les dernières gouttes de bière se répandrait quelque part lorsque la canette redeviendrait canette.

« Je vois. La prochaine fois il faudra prendre du matériel moldu. Torche, cordes... Et si je peux te donner un conseil, évite les touristes comme la peste. Pour un qui va se tenir à carreau, 4 se chargeront de massacrer ce que tu cherches. Je ne sais pas combien de fois j'ai vu ça en Bolivie, c'est à donner envie de les enterrer vivants... »

Agacement, joie et une multitude d'autres émotions traversèrent son visage, éclairèrent ses traits et animèrent sa voix. Il ne souriait plus vraiment, mais s'était redressé, plus vivant et présent qu'auparavant. Parler de son travail – le seul qu'il considérait vraiment comme tel pour le moment – provoquait toujours chez lui ce genre de réactions passionnées, celles qui le faisaient marcher de long en large pendant qu'il se lançait dans une diatribe sur un sujet ou un autre qui lui tenait à cœur. Il se retint cette fois, mais se décolla de la table.

« Je suppose que tu payais tout de ta poche ? Vous aviez quel équipement ? »

Un léger sifflement lui échappa. Sympa l’oiseau mouche. Et les réflexes de Dorian étaient toujours aussi bon, quoi qu’un poil plus lents que les siens. Mais même en tant qu’archéologue, il fallait pouvoir se défendre et se gérer quand on était sur le terrain, il n’y avait donc rien de surprenant à ce que son frère sache réagir. Peut-être que s’il lui sautait sur le poil, il serait un peu plus surpris. Mais avant de passer au catch et à la lutte, il fallait d’abord qu’ils s’apprivoisent mutuellement.

« -C’est ce que je pense faire. »

Il se redressa à son tour, et réussit à s’extraire par il ne savait quel miracle du canapé ventouse. Après quelques mouvements de jambe pour se détendre, il reprit.

« Je sais que c’est de la connerie les touristes, mais la, j’avais pas trop le choix. L’un des types qui finançait en grande partie et qui avait partagé ses infos avait insisté pour venir, avec sa femme et sa belle fille. Une calamité. Si ça avait été mon argent, je les aurais envoyer sur les roses. »

S’approchant d’un carton, Clyde s’amusa à y donner quelques petits coups de pied, avant de le déchiqueter méthodiquement du bout des chaussures.

« C’est pour ça que la prochaine fois, on aura du matériel moldu en rab’ et des gens expérimentés seulement, le tout financé par ma poche. Ca devrait limiter les catastrophes. »

Le plus jeune releva les yeux et capta le regard du plus âgé.

« Tu pourrais même en faire partie, si ça t’intéresse. Je peux m’arranger pour le faire durant les vacances, t’auras des trucs à raconter à tes étudiants comme ça. »


Travailler avec Dorian lui avait manqué. C'était agréable d'avoir quelqu'un qui comprenait en quelques mots, ou parfois en un geste, ce que vous vouliez dire. Quelqu'un avec un aussi bon instinct que lui même, et qui pouvait se débrouiller en cas de coup dur. Quelqu'un dont les suggestions étaient actuellement pertinente, et non pas un déluge de conneries congénitales.

Des vacances. Par Merlin, il allait avoir des vacances ? Mais quelle idée ! La seule chose qu'il avait jamais considéré comme tel jusqu'à présent n'avait, précisément, rien de quelconques vacances. Les temps morts entre deux boulots consistaient surtout à chercher des financements pour telle ou telle expédition ou, moins drôle, se retrouver kidnappé pour des repas de famille longs comme l'Amazone. A n'avoir ni femme, ni enfant, Dorian avait complètement oublié que l'année scolaire était ponctuée de périodes de repos communément nommées vacances, et le plus souvent attendues avec impatience. Il se promit à lui-même de ne donner aucun devoir à ses étudiants qu'il devrait corriger durant ces semaines là : il les réserverait à des activités autrement plus intéressantes. Et l'offre de son frère allumait presque des feux au fond de ses yeux.

« Avec plaisir. Je n'ai pas encore mon emploi du temps, mais s'il me le permet, je pourrais y participer un peu plus que durant les vacances scolaires. »

Il l'espérait tout en s'interrogeant. L'emploi du temps, on ne le lui donnerait pas avant un moment, peut-être quelques semaines. Dorian n'était pas très au fait des habitudes scolaires des enseignants, ne s'étant jamais vraiment intéressé à la chose auparavant. S'il avait effectivement donné quelques cours au cours de sa carrière, il s'agissait plus de former les petits nouveaux ou de donner des bases à des gamins curieux qu'autre chose. Dans tous les cas, il ne s’agissait que d'éducation basique. Là... Mais malgré tout, la magie fondamentale restait son domaine d'expertise et il ne doutait pas du plaisir qu'il prendrait à transmettre ses connaissances. Il faudrait juste qu'il s'organise correctement pour avoir le temps de mener cours, corrections et recherches en parallèle.

Dorian but la fin de sa bière d'une traite en sortant de ses pensées et posa la canette sur la table derrière lui sans regarder ce qu'il faisait. Par chance, elle ne tomba pas.

« Dans la mesure du possible, j'aimerais t'aider à monter ton expédition. »

Tranquillement, après s’être redressé, Clyde s’approcha d’un carton à demi-ouvert qui trainait en haut d’une pile, à peu près à hauteur de ses yeux. Il l’ouvrit d’une main, et jeta un œil à l’intérieur. Des livres. Des tas et des tas de livres, bien rangés, à la couverture en cuir colorée. Loin au fond de lui, son âme de Serdaigle indécrottable céda, et il plongea sa main dans le carton pour commencer à feuilleter un livre. Histoire précolombienne, pas sa période ni sa région favorite, mais lire les notes de son frère en marge du bouquin l’amusait grandement. Une flèche par-ci, un commentaire par la. Il garda le bouquin en main après l’avoir parcouru rapidement et se tourna à nouveau vers le plus âgé.

« J’imagine que ça doit plus ou moins ressembler aux horaires de Poudlard. Tu vas avoir masse de vacances. »

Vacances. Voilà qui faisait bizarre pour quelqu’un qui n’avait jamais vraiment l’impression de travailler, au final. Le concept de repos ne lui était pas étranger, évidemment. La pression non-stop durant des mois n’était pas gérable, même en période de crise il fallait réussir à trouver des moments durant lesquels on pouvait se détendre. Le cadet était doué pour ça, la gestion de crise et de situation d’urgence avait été le cœur de son travail durant longtemps. Ainsi, le concept d’avoir des vacances lui passait un brin au dessus de la tête, et le seul avantage qu’il y voyait était de pouvoir continuer à travailler sur ses recherches en parallèle. Et apparemment, à en juger par le désespoir dans le regard de Rick et à sa proposition, son frère partageait son ressenti. Une lueur s’éveilla dans son regard au moment de lui répondre.

« Avec plaisir. J’attend des documents qui pourraient nous aider, j’te le dirai quand je les aurais. On pourra s’y mettre tout de suite. En espérant que tes élèves ne te crèvent pas complètement à la tache et que tu te retrouve bon à rien après le boulot. »

Et une pique de plus, une. Lui qui craignait de n’avoir rien à dire à son frère retrouvait finalement bien rapidement ses marques.

Le temps passait au gré des tic tac de l'horloge et pourtant Dorian ne le voyait pas filer. Lorsqu'au lieu de répondre à son frère il prit le temps de lever les yeux vers le mur d'en face pour y lire l'heure, l'archéologue fut surpris de constater qu'un quart d'heure déjà s'était écoulé depuis l'arrivée du cadet. Un petit frère qui avec le temps finissait par lui ressembler, avec dix ans de moins et l'air plus malicieux.

A l'extérieur, le bruit d'une moto passant à toute allure emplit la rue et vint lui sonner désagréablement aux oreilles. Son regard se porta sur la fenêtre d'où il ne vit rien sinon quelques passants qui se moquaient bien de ça, puis il en revint à son frère dont il attendait que son attention se détache du livre. Un bel ouvrage d'ailleurs, qui aurait sa place dans son bureau à l'UMA. Dorian se souvint qu'il devait aussi retrouver son grand poster Indiana Jones. Un poster vieux comme le monde, acheté longtemps auparavant et abîmé par les récurrents voyages auxquels il avait eu droit.

« Je ne m'inquiète pas pour ça, assure-toi plutôt de faire correctement les choses sans te laisser distraire par ton travail. Tu auras moins de périodes de repos que moi. »

L'idée l'en-chan-tait. L'archéologue se demandait encore comment les professeurs de Poudlard supportaient tant de semaines à n'avoir rien de mieux à faire que corriger des copies. Il faudrait qu'il rende visite à Mc Gonagall et Flitwick pour en discuter avec eux un jour. Un jour. N'ayant guère été mémorable à l'école sinon par ses notes respectables et son intérêt marqué pour l'Histoire de la Magie, il doutait de toute façon que les professeurs le reconnaissent.

« Tu sais si Binns est toujours professeur à Poudlard ? » finit-il par demander à brûle-pourpoint.

Ah, s’il y avait bien une chose dont Clyde était sur de ne jamais manquer, c’était d’énergie. Il en avait toujours trop eu, au point ou malgré son intérêt pour les études, il avait été intenable à Poudlard. Toujours en train de remuer, de gigoter, de perturber la classe. Puis, une fois sorti du collège, il n’avait pas pris la peine de continuer à étudier, et sa bougeotte l’avait emmené à l’autre bout du monde. Si avec le temps, à l’extérieur, il était devenu bien plus flegmatique et placide, réagissant toujours avec calme, à l’intérieur ses réactions étaient tout autres. Toujours débordant d’énergie, de volonté, à la limite de l’hyperactivité, il lui arrivait de passer des journées sans faire plus de 30minutes de pause pour manger, travaillant avec acharnement du soir au matin, et de pouvoir recommencer le lendemain et les semaines qui suivent.

Même si évidemment, un rythme pareil finissait par le fatiguer, il était doué pour trouver son repos dans les petites choses. Une sieste par ici, quelques moments de lecture par la, un moment pour se délasser sous la douche. Cela lui suffisait souvent pour repartir du bon pied, peu enclin qu’il était à se soucier des problèmes, préférant simplement les régler avant qu’ils ne prennent trop d’ampleur.

« Ouais, ptet’ bien. Mais je résiste bien à la pression, je ne me fais pas de soucis. »

La chose la plus difficile à gérer, au final, serait la sédentarité et la routine. Se lever tous les matins dans le même appartement, et aller au travail pour rencontrer les mêmes collègues. Aller faire ses courses, avoir un frigo à remplir…Tout des choses dont il avait perdu l’habitude.

Clyde fronca ensuite les sourcils en entendant son frère mentionner le professeur fantomatique.

« J’espère bien que non. »

Le plus jeune avait toujours abhorré le professeur Binns. Son intérêt pour l’histoire de la magie ne lui était venu que de son frère, et sans lui, il aurait sans doute échoué lamentablement aux différents examens.

« Mais franchement j’en sais rien, il y était encore quand j’en suis parti en tout cas. »

Le souvenir du fantôme au ton monocorde s’imposa à son esprit lorsqu’il prit note de chercher la réponse par lui-même. Même pour lui qui avait adoré sa matière, le professeur avait été d’un ennui sans limite à ses yeux. Dorian avait trouvé son savoir dans les livres de la bibliothèque de Poudlard et ceux achetés sur le Chemin de Traverse. Comme il ne s’était pas attardé en Grande-Bretagne une fois ses ASPIC en poche, le dorénavant enseignant n’avait jamais mis les pieds à la Bibliothèque Magique du pays. Une erreur qu’il lui faudrait réparer.

« Je chercherai alors. »

Un mince sourire étira ses traits. Il observa son frère sans mot dire pendant quelques secondes, se demandant en lui-même à quel point Clyde était pareil à lui sur ce point.

« Bizarrement, je connais mieux l’actualité colombienne – sorcière ou pas – que celle de mon propre pays. Oh, et puisque j’en parle, ton expédition sera pour la Namibie, c’est ça ? » Il n’attendit pas la réponse. « Tu peux m’en dire plus ? J’irai compléter en faisan quelques recherches, ça me donnera un bon prétexte pour aller voir de plus près à quoi ressemble la bibliothèque nationale. »

Son sourire s’agrandit sensiblement alors que son regard devenait malicieux. Un trait de famille qu’on ne devinait pas toujours chez lui.

Clyde réalisa au moment ou son frère le mentionna qu’il n’avait lui-même jamais mis les pieds dans la bibliothèque magique nationale. Pour une raison obscure, peut-être était-ce les livres qu’il l’y incitaient, il n’avait aucun problème pour se tenir tranquille dans une bibliothèque. Leur salles de lecture et de travail étaient d’ailleurs ses endroits favoris dès qu’il devait se concentrer. Au contraire d’une école, faite pour expérimenter la vie et apprendre, une bibliothèque représentait un temple du savoir, dédié à la concentration et au calme productif. Et bien que sa notion du sacré soit très aléatoire, il avait toujours été réceptif à cet aspect des bibliothèques.

« Ils feraient mieux de te filer un tourneur de temps pour que t’ailles filer des cours à Poudlard…Ce serait plus intéressant que cette vieille baudruche. »

Il n’en doutait pas, Dorian aurait su intéresser les élèves à l’histoire magique. Pour quelle raison obscure infligeait-on un professeur pareil aux élèves, Clyde ne le comprendrait définitivement jamais. Peut-être était-ce dans un soucis de mixité ? Pour éviter le racisme anti fantôme ou merlin savait quelle autre connerie ? Il soupira, avant d’hocher la tête.

« Namibie, oui. La langue officielle c’est l’anglais, mais te leurre pas, ils le parlent pas franchement bien. Mes contacts les plus importants le parlent, pour le reste il te faudra pouvoir parler afrikaans. Pour avoir une bonne idée de leur histoire, un de leurs historiens moldus, Frederik Ngoy, à écrit des livres intéressants. Sinon, l’endroit en question se trouve proche de la mer, et on va crever de chaud, alors emmène ton maillot de bain. »

Son frère était l’enthousiasme même. Souriant, communicatif, enjoué et visiblement pressé d’y retourner. Les informations que Clyde lui offrait se rangeaient d’elle-même dans le bon tiroir de son esprit. La langue, il irait voir à la Bibliothèque ce qu’il trouverait sur le sujet. Dorian connaissait quelques sorts de traduction plus ou moins précis, mais préférait toujours avoir quelques rudiments linguistiques locaux. Et il aimait apprendre les langues.

Le maillot de bain, décida-t-il, mériterait un détour côté moldu. Ce n’était pas qu’ils avaient un choix incroyable pour les hommes – Dorian n’avait jamais trouvé à se plaindre de celui des dames – mais les sorciers ignoraient apparemment tout du maillot de bain. Un sort de métamorphose et hop (et cela, ce n’était que quand ils allaient se baigner). Un comble sur une île, maintenant qu’il y songeait. Il ignorait comment la jeunesse avait résolu ce problème, peut-être les choses avaient-elles changé depuis qu'il avait quitté durablement le Royaume-Uni. Bref.

Il se renseignerait, aussi, sur l'endroit où ils travailleraient. L’archéologue – ex-archéologue, se corrigea-t-il avec obstination – préférait avoir un dossier très complet sur les lieux où il partait en expédition. Question de sécurité. Et il avait une mémoire assez précise pour se rappeler des choses essentielles une fois sur place.

« J’en prend bonne note, assura-t-il. Les autorités locales pensent quoi de ce genre d’équipées sur leur territoire ? »

Pour les gens qui connaissaient Clyde en dehors de la sphère privée, le fait qu’il soit enthousiaste n’était pas aussi évident que pour Dorian. L’homme faisait toujours attention à garder un certain calme. Non pas parce qu’il aimait se donner un genre ou pour s’empêcher de trop s’agiter. Mais quand on sert de guide durant plusieurs années, avoir le rôle du type calme et qui garde la tête froide rassure quand même bien plus qu’un jeune chien fou excité, qui se jette au devant du danger en jappant joyeusement. Et quand bien même le maintenant employé du ministère refusait cette comparaison, il était sur que son frère ne manquait pas de le penser, parfois. Souvent même. Ainsi donc, pour des raisons de réputation et de professionnalisme, Clyde savait se montrer d’une retenue incroyable.

Retenue dont il refusait catégoriquement de faire preuve avec Dorian. Il était bien plus drôle de le faire tourner en bourrique pour ensuite se comporter comme un adulte respectable en publique. Il pouvait ainsi observer l’air exaspéré du plus âgé lorsqu’il assurait aux bonnes gens être une personne sérieuse, pendant que mentalement il planifiait déjà de quelle manière il allait pouvoir se marrer un coup lorsqu’il en aurait l’occasion.
Il haussa ensuite les épaules en entendant la question de son frère, se rapprocha un peu de loin et lui assena un léger coup de poing sur l’épaule.

« Les autorités ? La dernière fois que j’ai vérifié, elles avaient pas leur mot à dire dans mes affaires. »

Un brin rebelle, il était surtout d’une prudence incroyable vis-à-vis des gouvernements en général. Que ses actions soient légales ou pas, il préférait ne jamais avoir affaire a ce genre de personnes. Ici, il n’avait pas tellement eu le choix pour trouver un travail convenable, mais là-bas….

« Enfin, ne t’inquiète pas. Pour cette expédition, oui. Le lieu est normalement restreint d’accès mais j’ai obtenu les autorisations. »

Il ne dirait juste pas comment.

Malgré son exubérance en privé et sa retenue parfois toute relative en public – selon qui se trouvait là – son petit frère avait toujours su garder pour lui ses secrets. Ceux-ci du reste étaient bien plus nombreux qu’on ne le croyait et Dorian ne se faisait pas beaucoup d’illusions : il n’en imaginait sans doute même pas la moitié.

Réparti à Serdaigle alors que lui-même était à Gryffondor, Clyde avait très tôt développé cet aspect de sa personnalité le poussant à la cachoterie et aux moyens détournés ; ceux qui ne laissaient pas de traces. Ce petit côté Serpentard était répandu dans la famille, chose d’autant plus amusante qu’aucun d’entre eux ne s’était jamais retrouvé dans la maison des roublards. La discrétion passait sans doute par-là d’ailleurs : ne pas être au milieu des serpents. Objectivement, les Lovelace aspiraient à être les meilleurs dans leur domaine ; pas nécessairement à être reconnus comme tels.

« Je ne poserai aucune question, affirma-t-il avec un sourire aux lèvres, évoquant évidemment la méthode d’obtention desdites autorisations. Tu voudras une autre bière ? »

Dorian se déplaça dans la pièce, contournant son cadet pour récupérer deux canettes dont une qu’il lui tendit sans attendre de réponse. Il fut bien inspiré ; Clyde se saisit de sa bière et la discussion reprit paisiblement.

[The end]