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 Père & Fils.
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  • Aïlin Bower
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MessageSujet: Père & Fils.   Père & Fils. EmptyLun 24 Oct - 22:53:35

Titre de ta nouvelle
Père et fils.

Présentation de l'histoire
Par un pur hasard, Aïlin, maintenant héritier légitime du manoir et de la fortune des Bower, trouve des documents confidentiels appartenant à son défunt père. Le contenu de ces papiers se révèleront être une surprise sans précédent pour le jeune homme. Et si l'histoire n'était pas toujours ce que l'on pensait qu'elle fut ?

Protagonistes
Aïlin Bower, Devin Bower, et peut-être d'autres.

Catégorie et genre
Post-Poudlard - Dramatique
Nombre de chapitres
I don't know !
Complet
Nein !





Père & Fils.


  Aïlin posa le dernier point sur le morceau de parchemin, puis apposa d'un geste sûr sa signature sur le bas de la missive, qu'il réservait au gobelin chargé de son compte en banque à Gringott's. Il prit sa baguette magique, ornée de rainures d'ambre en spirale, et fit chauffer la cire rouge réservée à l'apposition du sceau des Bower. Elle tomba au compte goutte sur le papier, encore brûlante, avant d'être écrasée par le tampon à l'effigie de ses armoiries. C'était un rituel qui lui avait semblé bien étrange, les premiers temps. Presque surréaliste. Aujourd'hui, il s'y était habitué, plus à l'aise avec son nouveau statut. Ses responsabilités ne lui permettaient pas qu'il s'étonne encore de ces habitudes devenues coutumières chez les sorciers de son rang et qui faisaient en cela partie intégrante de ses démarches en tant que « Lord ».
  Ce sentiment d'usurpation s'était atténué, pour finalement disparaître au fil des mois au profit d'une certaine satisfaction. Et d'une fierté évidente. Son nom, dégradé par les frasques de sa famille n'était pas complètement déchu et déshonoré. Ces officialités le prouvaient, promettant avec elles, peut-être, un jour meilleur pour la vieille famille irlandaise. Le dernier des héritiers y travaillait d'ailleurs, et cela passait par un tas de prérogatives fatigantes mais nécessaires, telles que choisir les placements dans lesquels il était profitable d'investir une part de sa richesse, avec les conseils avisés d'avocats et de comptables qui, grassement payés, s'avéraient dignes de confiance.

  Son dernier rendez-vous de ce type avait quitté le manoir depuis une demi-heure déjà, laissant son jeune employé à la rédaction des documents visant à investir dans la création d'un dispensaire dans le nord de l'Irlande, où les sorciers démunis par la guerre pourraient se faire soigner à moindre frais. Cette disposition, en plus d'être tout à fait honorable, permettait une défiscalisation assez conséquente, ce qui n'était pas à négliger.

  Par delà la fenêtre grande ouverte du vaste bureau patientait un hibou robuste, fermement accroché à la branche d'un arbre. Ses yeux globuleux allaient de-ci, de-là, cherchant peut-être quelque rongeur à capturer dans ses serres épaisses. Mais, discipliné, il se contenta d'obéir à son maître et de traverser la pièce lorsque celui-ci l'appela. Il se posa dans un bruissement d'ailes sur le rebord du bureau en chêne et jeta un regard perçant aux mains qui scellaient le parchemin roulé pour l'accrocher finalement à l'une de ses pattes. L'animal, habitué à ce genre de traitement, tendit une serre aux griffes aiguisées et, sans autre cérémonie, s'envola vers Gringott's dès qu'Aïlin lui en eut donné l'ordre. L'oiseau disparut de son champ de vision et l'héritier ramassa la paperasse éparpillée sur le bureau, puis ouvrit l'un des épais tiroir. Néanmoins, quelque chose arrêta son geste. La liasse dans les mains, il scruta un petit objet doré dans un recoin du tiroir, qu'un éclat de soleil venait de faire étinceler. Il se pencha, les sourcils froncés. C'était un genre de bouton en or, dans lequel était gravé la marque de fabrique de l'artisan qui avait conçu le bureau. Néanmoins, quelque chose l'intriguait. Il ressemblait davantage à un dispositif mécanique qu'à une publicité élégante, qui n'avait d'ailleurs pas lieu d'être cachée. Aïlin reposa les parchemins sur le bureau et ouvrit plus en grand le tiroir. L'étrange objet semblait usé sur son milieu, comme si on y avait passé les doigts pendant des années. Il hésita. Était-ce encore une énième cachette de son père ? Bower craignait de découvrir ce que ce bouton lui réservait. Il avait eu assez à faire avec la réserve paternelle et les divers objets de magie noire qui avaient parfois manqué de le blesser grièvement alors qu'il s'en débarrassait. Le jeune homme inspira profondément et appuya sur le bouton tout en regrettant déjà sa curiosité. Il n'avait de toute façon pas le choix et était forcé de savoir ce qu'il se cachait dans son manoir, pour sa propre sécurité et pour se préserver de tout potentiel ennui. Si Devin Bower avait encore enfoui des reliques illégales quelque part, il préférait être au courant plutôt que de le découvrir avec les contrôleurs du Ministère.

  Sous le doigt de l'irlandais, le bouton pivota sur lui-même dans un petit déclic, puis s'enfonça lentement dans le bois du meuble. Il y eut une série de mouvements et, tout à coup, le fond du tiroir s'ouvrit sur un double fond, contenant un tas de papiers marqués d'une mention manuscrite affichant « personnel ». Des papiers, il ne s'agissait seulement que de papiers.
  Aïlin eut un soupir soulagé. L'héritier pointa sa baguette magique au-dessus du double fond, et une sphère transparente, remuée par de petites vaguelettes, apparut. Ç'aurait été trop simple, bien entendu. Son père avait toujours été un homme prudent lorsqu'il savait courir un risque. Il aurait été inconcevable qu'il ne protège pas des documents confidentiels par quelque sortilège. Tout le problème était de savoir quels étaient les effets de la protection magique et surtout, comment la contrer. Il avança la pointe de sa baguette avec prudence, jusqu'à heurter la bulle protectrice. Les vagues s'accentuèrent, brunirent puis noircirent pour se transformer en véritable pierre, semblable à de l'onyx. Interloqué, Aïlin observa ce sortilège. Il n'en avait jamais vu de pareils et sa curiosité, de fait, s'en trouvait accrue. Que pouvait bien renfermer ces parchemins pour que Devin prenne tant de soin à les rendre inaccessibles ? Il attendit un instant, mais plus rien ne se produisit.

« Finite. »

  Prononça Aïlin sans même y croire. À sa grande surprise, la pierre changea pourtant de nouveau. Les vaguelettes réapparurent et, bientôt, une écriture en lettres rouges apparut à la surface du globe, qui se figea de nouveau.

« Tá Bower fuil ach rochtain ar mo rúin. »

  S'écrivit-il. « Seul le sang Bower peut accéder à mes secrets. » Traduisit instantanément Aïlin. La situation atteignait des combles d'étrangeté. Jamais il n'avait été mentionné dans le testament, à sa connaissance, l'existence de documents destinés aux enfants de Devin. Il n'avait même pas lu ne serait-ce qu'une mention énigmatique à ce sujet. Torin avait-il été au courant de cette cachette ? Jamais, en tout cas, il n'en avait insinué l'existence, mais cela n'était pas étonnant. Torin l'avait toujours estimé indigne des secrets familiaux et ne lui avait dévoilé les maigres informations qu'il connaissait qu'au compte-goutte.
  Aïlin tapota la sphère à coup de baguette, mais rien ne se passa. Sûrement fallait-il que la protection « reconnaisse » celui qui cherchait à mettre la main sur les documents. Alors, avec une lenteur démesurée, le sorcier approcha sa main libre de la pierre jusqu'à finalement poser sa paume contre la matière froide et lisse. Rien. Il se pencha plus en avant, tandis qu'il sentait une légère moiteur se répandre sur sa main. Les lettres semblaient faites dans... Il regarda sa paume empreinte de traces rouges. Du sang.
  Son regard se détourna pour se figer sur un petit coutelas, que Devin avait utilisé comme coupe-papier. Il n'avait pas besoin de prendre l'objet en main pour se rendre compte que la lame était trop aiguisée pour un simple outil de bureau. Il le prit sans plus d'hésitation, lâcha sa baguette et se trancha la main dans sa longueur d'un geste sec. La ligne qu'avait laissé le couteau sur sa paume s'ouvrit, rougit, puis libéra un mince filet de sang, qui gonfla bientôt jusqu'à dégouliner en direction de son poignet. Sans plus de cérémonie, Bower posa sa main sur la sphère protectrice.
Un cri de douleur s'échappa d'entre ses lèvres avant même qu'il n'ait le temps de saisir ce qui était en train de se produire. De mince fils noirs, tels des serpents, s'enroulèrent autour de sa main et il sentit une succion profondément désagréable s'opérer au niveau de la plaie. Peu à peu, la protection virait du noir au rouge, par volutes tout d'abord, puis jusqu'à former un écran de sang.

« Vicieux jusqu'au bout, n'est-ce pas ? »

  Argua Aïlin en observant avec une grimace la sphère s'amollir, puis se volatiliser complètement. C'était bien son père tout craché. Si la douleur n'avait pas été aussi intense, son héritier en aurait presque rit. Au lieu de quoi, ce fut un gloussement aigre et étouffé qui résonna dans sa gorge. Il attrapa d'un geste sec les papiers, presque avec dégoût, les laissa tomber sur le bureau et ouvrit d'un geste méprisant la couverture du premier dossier de la pile. Un titre manuscrit, affichant la couleur du contenu du tas de parchemins apparut sous son regard, suivit d'une liste de noms. « À n'utiliser qu'en dernier recours ». Ministres corrompus, diplomates véreux, mangemorts, agent-doubles pour le compte du Seigneur des Ténèbres, tous les contacts peu recommandables de Devin étaient inscrit sur cette feuille, avec en annotation des numéros de page en marge du métier qu'ils exerçait.
  Le nom des Bodom, notamment, y figurait. Il suivit la page qui renvoyait à un contenu sur la famille, et se figea. Il avait sous les yeux des documents prouvant l'allégeance des Bodom à la cause Mangemort, des témoignages, des adresses où figuraient les preuves récupérées avant que le département de la Justice ne mette la main dessus, et quantité d'autres informations qui, présentées à un membre de la justice magique, aurait mené tout droit les parents de Narcissa à Azkaban, s'ils n'avaient pas été morts bien évidemment. Il tourna les pages, jusqu'à tomber sur un autre nom dont la liste des méfaits étaient aussi explicite.
  Certains étaient encore en vie, blancs de toute accusation ou presque, tels que Ryann Araley. De la petite frappe au plus sanguinaire des mangemorts, tous y passaient. Certains dossiers contenaient seulement quelques petites informations, mais assez néanmoins pour jeter le doute sur qui les lisait et pousser n'importe quel auror à mener l'enquête. Il avait un véritable trésor entre les mains, minutieusement rassemblé par son père.
  C'était donc ainsi, qu'il avait su se préserver de toute accusation jusqu'à la fin de la première guerre. Un rire s'échappa d'entre les lèvres du dernier des Bower. Malgré toute la rancoeur qu'il vouait à son père, il ne pouvait s'empêcher d'éprouver une certaine admiration pour son intelligence et sa ruse. Aïlin le revit s'enfermer à double tour dans ce même bureau pendant de longues heures. Ainsi, il s'employait pendant ces moments de solitude à rassembler tout ce qu'il possédait contre ses propres alliés. Stratégie redoutable pour se protéger de toute retombée néfaste. L'esprit retors, il avait même rédigé quelques anecdotes peu orthodoxes sur les mœurs des personnages qu'il citait. Et tout cela, à présent, lui revenait.

  Aïlin s'enfonça dans le dossier confortable de son fauteuil, pensif. Il n'avait aucune idée de ce qu'il devait faire avec ces documents particulièrement compromettants. Comment, d'ailleurs, avait-il pu rassembler autant d'éléments contre ses propres connaissances ? Avait-ce été son rôle, au sein des mangemorts ? Effacer les preuves, les cacher ? Avait-il en secret répertorié la liste des crimes et méfaits commis, ou avait-ce été un ordre du Seigneur des Ténèbres ? Il n'y avait plus personne, aujourd'hui, pour répondre à ses interrogations. Avait-ce été pour cela, qu'il avait été impératif que Devin Bower demeure un homme d'apparence respectable au yeux de la communauté sorcière ? Un sorcier de sang-pur, sans à priori contre les moldus ? Était-ce pour protéger ces documents qu'il avait été contraint d'épouser une moldue, lorsque le doute avait commencé à planer sur ses idéaux ? Une descente d'Auror au manoir aurait risqué de compromettre tous les partisans du Lord. Il était tout bonnement incroyable que tout cela ait été rassemblé au même endroit. Devin avait certainement fait des copies de tout ce qui était tombé entre ses mains, pour son usage personnel. Il ne voyait que cette explication.

  Quelqu'un frappa à la porte, extirpant Aïlin de ces considérations. Il referma vivement le dossier tout en le repoussant et attrapa à la volée le petit papier rectangulaire qui voltigea sous l'effet d'un coup de vent. Il le plaqua contre le bois du bureau, la partie vierge en vue, avant de se retourner en direction de la porte.

« Oui ?
- Monsieur Bower ? C'est moi, Jenny. Puis-je entrer un instant ?
- Oui, bien sûr, entrez. »

  La vieille femme rondelette passa la tête dans l'entrebâillement de la porte et jeta un regard aimable sur son jeune maître.
« Je souhaitais simplement vous prévenir que Miss Bodom vient de rentrer au manoir.
- Ah. Merci Jenny. J'en ai encore pour un petit moment ici, je descendrai tout à l'heure. »

  La servante s'éclipsa et un lourd silence retomba dans le bureau.
  Pendant un instant, Narcissa obnubila son esprit. Que devait-il faire à son sujet ? Garder de tels documents sur sa famille lui apparaissait comme quelque chose de malsain, de traître, bien qu'il n'y fut pour rien. Cependant, il ignorait la façon de lui remettre un tel dossier et lui expliquer comment il avait ce dernier en sa possession. La situation était délicate. D'autant plus que s'il se montrait sincère avec la sorcière, il soupçonnait qu'elle veuille en découvrir davantage sur le reste de sa « collection ». Elle était à domicile pour se servir, ou fouiller dans le domaine pour mettre la main sur ces intrigants potins de mangemorts. Autant dire que c'était tenter le diable. Ne sachant que faire à son sujet, Aïlin remit ce problème à plus tard.

  Le regard du jeune homme glissa jusqu'à sa main. Ce qu'il tenait entre ses doigts n'était pas un morceau de parchemin. Il reconnu la matière caractéristique d'une photo. Encore une curiosité de Devin Bower. Qu'est-ce que cela pouvait bien être, cette fois ? Se demanda-t-il, sourcils froncés, avant de retourner la photo afin d'en voir le contenu. Aïlin eut un sursaut de surprise. C'était lui lorsqu'il était enfant, cependant, les gens qui l'entouraient ne lui disaient absolument rien. Un homme grand, aux épaules carrées, avait sa grosse main posée sur l'épaule encore frêle du jeune Aïlin, tandis qu'une femme au chignon sophistiqué lançait un regard austère au photographe. Personne ne souriait, personne ne bougeait, ou presque. De temps à autre, le petit Aïlin jetait un regard méfiant à l'homme qui se tenait derrière lui. Il y avait un détail qui le dérangeait. La photo semblait particulièrement vieille et ses couleurs encore chatoyantes renvoyaient des yeux du garçon un éclat gris, et non bleu. Il y avait une légère différence dans les traits de son visage, à peine discernable, même pour lui. Une crampe compressa son cœur lorsqu'il comprit qu'il ne s'agissait pas de lui, mais de son père alors qu'il n'avait qu'une dizaine d'années. Jamais il n'aurait imaginé une telle ressemblance. Le souffle coupé, il examina avec fascination les rares mouvements de son père. Il y avait dans son regard une mélancolie indubitable. Comme si quelque chose venait de se produire. Il retourna la photo et découvrit une annotation difficile à déchiffrer.
« Décembre 1957, enterrement de Devin Bower »
  Aïlin ne comprit pas tout de suite, puis se souvint que c'était aussi le nom de son arrière grand-père. Y avait-il d'autres photos comme celles-ci ? Aïlin n'était pas certain de vouloir le savoir. Il laissa tomber la photographie et jeta un regard accusateur aux parchemins disposés en pile tandis qu'un profond soupir s'extirpait d'entre ses lèvres. Voir ce père tyrannique en petit garçon réservé, presque craintif, avait quelque chose d'inconcevable. Pire, c'était oppressant. Jamais il n'avait songé au passé de son père, et voilà qu'il y était confronté sans aucune préparation. Imaginer cet homme conserver des photos de famille était cocasse, absurde, pour Aïlin. Mais Devin semblait ne pas avoir toujours été l'homme qu'il avait connu. Il ne savait s'il avait envie de savoir ce qu'il avait vécu, ce qui l'avait rendu aussi mauvais avec sa propre engeance. Son regard se tourna sur le tiroir tandis qu'il s'apprêtait à ranger ces drôles de reliques mais il remarqua qu'il restait encore quelque chose dans le double fond. Un épais carnet relié de cuir, élimé à chaque recoin, béant sur des feuilles gondolées par le temps. D'autres photos dépassaient légèrement du livret. Ce fut plus fort que lui. Il tendit la main et attrapa l'objet fatigué par les années. La première photo qu'il vit fut celle d'un homme trentenaire, au regard d'acier perçant et aux cheveux d'un noir de jais qui tombaient de part et d'autre de son visage émacié. Encore une fois, il ressemblait de façon frappante à son dernier fils, malgré l'éclat délétère qui traversait ses prunelles. Son sourire était fier, sa carrure athlétique. Il semblait d'une sûreté démesurée et Aïlin l'imagina sans mal assit sur sa fortune et sa renommé, en pleine force de l'âge et l'esprit encore plein d'ambitions. Le pli de sa bouche avait quelque chose d'étrange. Il émanait de cette mimique une sorte de frustration ou de colère refoulée, différente cependant de celle qu'il lui avait connue. Sûrement avait-il déjà épousé Bronach et eut son premier fils, Torin. Nerveux, Aïlin ouvrit le carnet.

Père & Fils. Devinv10
J'ai géré pour la ressemblance, hein ?
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  • Aïlin Bower
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MessageSujet: Re: Père & Fils.   Père & Fils. EmptyMar 25 Oct - 17:07:04

Carnet de Devin Bower.
Le 23 Mai 1981.

  « Eamon est mort, et j'en suis fort aise. Je n'avais pas connu tel soulagement depuis la première fois que j'ai fait l'amour à une femme. La comparaison peut paraître un peu rustre, mais je ne trouve pas qu'il y ait jouissance plus proche du sexe que celle s'emparant de soi lorsque l'on donne la mort. Je ne pensais pas que cela serait si simple, finalement, de tuer son propre père.
  Peut-être est-ce la troisième naissance de cette poulinière qui m'a poussé à mettre un terme définitif à cet élément perturbateur, qui n'avait de cesse de me faire des problèmes malgré le fait que j'en ai déjà bien assez. Un enfant me suffisait. À sa manière, il est bien fait. Son sang impur me répugne, mais c'est un garçon discipliné. Il apprend vite et je sens en lui palpiter une redoutable intelligence. Certainement devrais-je me méfier de lui, plus tard. M'est avis qu'il cherchera à dépasser son père. Je le lis dans ses yeux. Ils sont pareils aux miens, d'ailleurs. J'ai l'espoir que la souillure de son sang passera inaperçu, écartée par la grandeur de son nom et du passé qui s'y rattache, alliés à son intelligence. Malgré tout, je n'ose me faire trop d'espoir. Quelque chose en lui est dissonant. L'appel du sein maternel s'est effacé trop tard et je soupçonne la cracmole d'y être pour quelque chose. Elle a fait apparaître une vague dégénérescence en lui. Je le ressens. Les liens ne sont pas totalement coupés, bien qu'il s'applique à ignorer cet intruse qui n'aurait jamais dû mettre un jour les pieds au sein de notre demeure.
  Quand je pense à ces siècles de pureté gâchée... Quand j'y pense, je crois que je deviens fou. Eamon aussi en devenait fou, mais lui méritait de le devenir. Si j'avais pu briser sa conscience au point qu'il en meure, cela m'aurait évité bien des peines. Le petit dernier fut certainement l'évènement qui m'a poussé à commettre un tel geste. C'est trop pour un seul homme. Jamais je ne pourrais obtenir d'eux trois la perfection. En rassemblant les trois, prenant le meilleur en eux, peut-être... Mais que les trois soient dignes de porter leur nom, je crains que cela ne serait qu'une douce illusion, si je me plaisais à le penser.
  Ultan est robuste. Trop turbulent. Torin semble avoir écopé de tout le stoïcisme et le sang-froid que j'aurais aimé voir en chacun de mes fils, n'en laissant plus assez pour son puîné. Celui-là semble d'ailleurs perturbé par l'arrivée du dernier. Heureusement, Torin me cause bien moins de souci. Je suis trop occupé pour m'attarder à raisonner Ultan. Me livrer à ces basses occupations est un temps précieux que je perd pour moi-même. Il a raison, après tout, cette arrivée me perturbe également. Je ne sais même pas quel nom donner à ce poupon. J'avais pensé à Braonáin, en hommage à tous les ennuis supplémentaires dont il m'afflige par sa naissance, mais cela fait un peu trop connoté et je n'aime guère ces sonorités. Je crois qu'Aïlin conviendrait mieux. Aïlin, le cadet. Le faon. Espérons qu'il sache devenir cerf.

  Tout de même... C'est à croire que le peu de fois que je comble mes appétits avec cette femme, elle enfante. Elle tient parfaitement son rôle au sein de la famille, sur ce point. Je ne peux que la haïr davantage. A-t-on déjà vu créature plus soumise que cette femelle ? Son regard mièvre et le pli craintif de sa bouche me donne instantanément envie de la battre jusqu'au sang. C'est plus fort que moi. Je hais ses petites mains crispées qui se tortillent l'une contre l'autre, comme si elle désirait s'arracher les doigts. Ma magie lui fait peur et elle jalouse ma supériorité. Elle n'a jamais rien eu à faire dans ce monde. J'aurais dû me trancher le sexe plutôt que d'épouser cette misère ambulante, ce jour maudit où on m'y a contraint. Pourrais-je me pardonner un jour d'avoir cédé si facilement, d'avoir brisé la pure lignée de mes ancêtres ? J'aimerais vomir cette frustration qui agite mes entrailles.
  Sûrement ai-je été bien cruel dans une vie antécédente, pour mériter pareil châtiment aujourd'hui. Au moins, ce soir Eamon ne peut plus éructer des insultes à mon endroit. J'apprécie l'ironie qu'il soit mort sur un ultime sourire. »


Dernière édition par Aïlin Bower le Dim 19 Aoû - 14:41:19, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: Père & Fils.   Père & Fils. EmptyMar 25 Oct - 17:43:37

Le 13 Octobre 1958.

  « J'aime Maeve. C'est la seule dame respectable que je connaisse. Mère ne supporte pas me voir aller chez elle, elle me l'a interdit il y a de cela trois jours. Mais je ne tenais déjà plus. J'y suis allé, en passant par la fenêtre de ma chambre et en m'enfuyant avant que le soleil ne se lève. Je me suis retrouvé bien gêné, car je crois que je l'ai réveillé en venant sonner si tôt à sa porte. Elle portait une robe de nuit de soie ocre, fermée par une ceinture sur ses hanches. Elle ressemblait à une guêpe, dans sa tunique, avec ses cheveux bruns ceints d'un bandeau de la même couleur que sa tenue. Elle est fine et douce. En tout cas, elle l'est avec moi. Elle m'a accueillit malgré l'heure indue et m'a fait un chocolat chaud en m'installant dans son salon. Nous n'avons pas parlé, au début. Elle s'est installé près de moi, dans son fauteuil, et a lu un livre tandis que je buvais en silence. Je ne peux pas m'empêcher de la regarder, quand je suis près d'elle. Des fois, elle me renvoie mon regard et me prête un de ses sourires qui me réchauffe plus que n'importe quel chocolat chaud. Un jour, j'aimerais m'installer contre elle, près de sa poitrine qui se soulève et s'abaisse avec lenteur.   J'ignore comment elle réagirait. Mère, elle, n'aime pas ce genre de chose. Elle trouve cela inconvenant de la part d'un futur Lord. Pourtant, je l'ai déjà surprise accepter ces marques d'affection de la part de père, et bien plus encore. Je n'ai pas pu dormir de la nuit ce soir là, et ces images restent gravées dans ma mémoire. Je n'arrive plus à penser à autre chose, même lorsque c'est la main de Maeve qui me touche. Ses mains, lorsqu'elle les glisse dans mes cheveux, sont plus chaudes que celles de mère. J'aimerais rester toujours auprès d'elle mais, lorsque mère vient me récupérer avec un air désapprobateur, je me rend compte que cela n'est pas possible et que je suis un mauvais fils, à désirer une telle chose.
  Ce matin, je lui ai dit que je l'aimais. Je lui ai dit comme cela : « Je t'aime Maeve. » Elle a tourné ses grands yeux bruns vers moi et a rit. Jamais un rire ne m'a autant percé le cœur. Puis elle a sourit et, tout en m'adressant son regard plein d'amusement, m'a répondu : « Moi aussi je t'aime, mon petit. » J'ai cru ressentir la plus grande joie de ma vie, avant qu'elle ne plonge à nouveau les yeux dans son livre, tout en hochant la tête avec cet air encore hilare, comme si cela n'avait pas grande importance.
  Puis mère est venue me chercher, elle est restée sur le pas de la porte et n'a pas prononcé un seul mot. Je me suis caché derrière l'entrebâillement de la porte, pour les observer. Maeve s'est excusée puis lui a dit qu'elle n'avait pas osé me ramener au manoir, craignant de réveiller le foyer. Mère n'a rien répondu, elle ne l'a même pas regardé. J'ai compris à ce moment que les deux femmes avaient déjà eu une conversation à mon sujet. Mère m'avait interdit de retourner dans la maison de Maeve, et elle avait interdit Maeve de m'ouvrir sa porte. Je suis retourné près du canapé. Quand elle est venue me chercher dans le salon pour me ramener à ma mère, elle m'a fait un clin d'oeil et a glissé un chocolat dans la poche de mon veston. Pourtant, elle me semblait triste. La main froide de mère m'a attrapé l'épaule et nous sommes rentré au manoir.
  Nous sommes le soir, et mère n'a toujours pas levé sa punition. Je n'ai pas le droit de manger quoi que ce soit jusqu'à nouvel ordre. Heureusement, j'ai encore le chocolat de Maeve dans ma poche. J'attendrai seulement que mon ventre gronde et que mon appétit soit insoutenable pour me résoudre à l'avaler. Je sais à quel point il est bon, attendre sera dur, mais savoir qu'il s'agit d'un cadeau de Maeve m'aide à tenir. »
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MessageSujet: Re: Père & Fils.   Père & Fils. EmptyMer 26 Oct - 19:20:13

Courant 1994.

« Qu'est-ce que cette histoire, Aïlin ?
- Je vous demande pardon, père ?
  Devin s'approcha d'un pas assuré de son plus jeune fils. Ses yeux, aussi étonnant cela semblait-il, n'étaient seulement que désapprobateurs. Aucun éclair furieux, aucune noirceur n'assombrissait leur éclat. Seuls ses sourcils étaient sévèrement froncés. C'était néanmoins assez pour impressionner instinctivement le Serdaigle. Il l'observa, méfiant, se poster à quelques centimètres de lui. Il se leva raidement de son fauteuil, laissa tomber son livre encore ouvert sur l'accoudoir et ses yeux demeurèrent braqués dans ceux du Lord Bower, sans plus les quitter.
- Aurais-je mal agit ?
  La gifle vola avant que le dernier l'écho du mot n'ait le temps de s'éteindre dans le vaste salon. Aïlin ferma les yeux, la tête tournée sous l'impact de la main lestement lancée contre sa joue. La haine monta instantanément, sans qu'il ne put la contenir. Disparaître, c'était tout ce qu'il souhaitait. Disparaître de cet endroit maudit, ou que cela soit son père. Il le haïssait. Il le répugnait. Cette pulsion était si viscérale qu'il n'osa relever les yeux, pas même lorsque son géniteur le lui ordonna, de crainte que cela ne se lise au fond de ses prunelles d'azur.
- Père t'as demandé de le regarder, Aïlin.
  Appuya Torin, qui se tenait bien droit devant la cheminée, insensible au drame qui risquait encore de se produire sous ses yeux.
- Torin. Dehors.
  L'aîné jeta un regard interloqué à Devin et Aïlin suivit du coin de l'oeil son frère obéir en silence. Il sentait, malgré tout, l'effluve de l'indignation le poursuivre. Difficile, n'était-il pas, de se soumettre au même traitement que son cadet ? Pensa l'adolescent, amer. Lorsque la porte se ferma et que l'écho des pas se tarirent, Devin Bower marcha jusqu'à son fauteuil fétiche et s'y installa avec grâce. D'un geste, il invita son fils à en faire de même, face à lui. Aïlin s'exécuta avec prudence, peu habitué à ce genre de convenance. Que cherchait-il encore ? L'angoisse lui tordait l'estomac.
- Il y a des moments qui viennent dans la vie d'un père, où il doit confier certaine choses à son fils. Toute la difficulté de cet exercice, c'est qu'il sait qu'à ce moment où il les dira, le fils ne sera pas en âge de comprendre. Et toi, Aïlin, tu es intelligent, mais il y a bien des choses que tu ne comprend pas. J'espère néanmoins que la façon dont je te façonne portera un jour ses fruits.
  Les yeux du garçon s'agrandirent légèrement, rien qu'un instant.
- Sais-tu qu'en réalité, tu devrais être honoré du traitement de faveur que je te fais, fils.
- Je ne comprend effectivement pas, rétorqua Aïlin d'une voix blanche.
- Je sais. Mais le jour où tu seras seul... Et bien, tu sauras pourquoi je ne t'ai jamais traité comme tes deux frères. Tu as besoin de plus qu'eux. D'une autorité plus rigoureuse. Tu es différent d'eux. Tu as besoin d'être cadré, je ne cesse de te le répéter. J'avais l'espoir que du haut de tes quatorze ans, maintenant, tu comprenne. Il n'en est rien et crois-moi, cela m'afflige. Tu es précoce sur bien des points, mais pas dans ce domaine.
  Les yeux gris de son père fixèrent Aïlin avec une tel intensité qu'il se sentit observé de l'intérieur, comme si ces prunelles scrutatrices pouvaient lire jusque dans son âme. Un sentiment intense de gêne s'éveilla en lui et il bougea légèrement contre le dossier de son fauteuil. Il eut envie de baisser le regard, de ciller, mais il en fut incapable. Le compliment détourné de son père, aussi, lui avait noué la gorge. Il aurait préféré lire le mensonge au fond ce regard plutôt que la plus parfaite des honnêtetés. Jamais, ô grand jamais ce père n'avait souligné une quelconque qualité chez son dernier fils.

- Peu importe. Je sais pour Clarisse McBrien.
  En un instant, le monde s'effondra. Le vertige s'empara d'Aïlin avec une force brutale. Il eut l'impression de chuter dans un gouffre. Punition, ce fut le seul mot qui vint à son esprit. Torin l'avait trahit, il avait promit de n'en rien dire tant qu'il demeurait tranquille, mais lui faire confiance avait bien évidemment été une erreur.
- La faiblesse de ton cœur va te perdre. Il faut que tu cesse maintenant, Aïlin, ou il sera trop tard lorsque tu te rendra compte d'à quel point tu t'es fourvoyé. La plèbe est là pour éprouver et se plier aux émotions dévastatrices de leur coeur. Nous sommes au-dessus de cela. Nous sommes nés pour diriger, dans l'ombre pour l'instant, peut-être, mais diriger malgré tout. Tout homme raisonnable d'un rang tel que le tien le comprend. L'épithumia, jeune homme, est l'âme de la foule. Pour gouverner, il faut t'émanciper de cette part de ton âme. Si tu veux effectivement t'élever comme ton père, tu dois aussi comprendre que le cœur des femmes est empoisonné de cette gangrène, de ces pulsions grégaires qui...
- Je ne veux pas m'élever comme vous, père !

  Les yeux de Devin devinrent fixes. Plus aucune émotion ne transparut sur les traits de son visage. Aïlin, qui s'était légèrement relevé de son fauteuil, se laissa retomber contre le dossier, sans force. Puis les traits de son père se crispèrent, le pli de sa lèvre se transforma en un rictus abominable.
- Comment oses-tu ? Comment oses-tu hausser ainsi le ton contre ton propre père ? Qu'ai-je fait pour mériter un fils aussi déméritant ? Ne t'ai-je pas montré l'exemple, n'ai-je pas fait de toi ce qui tu es ? N'ai-je pas forgé ton âme pour le reste de tes jours ?

  Aïlin lui lança un regard de défi malgré son effroi. Ses yeux parlaient pour lui. Devin se leva avec fureur et s'approcha de son fils à grands pas. Sa main l'attrapa au col de sa chemise et le releva de son fauteuil.
- Tu es minable Aïlin, minable ! Quand comprendras-tu que les femmes ne sont pas des êtres dignes de confiance ? Peux-tu te targuer d'avoir un quelconque appui de la part de ta moldue de mère ? De ta sœur ? Crois-tu vraiment qu'elles te défendraient ? Elles pleureraient ta peau si tu venais à disparaître, mais c'est tout ce qu'elles sauraient faire, regretter ! Il n'y aura pas une femelle pour te tendre la main le jour où tu te retrouvera seul ! Pas une seule qui ne te sauve de ton désarroi ! Pas une seule femme, jamais, ne comblera le vide qui est en toi, Aïlin !
  Prononça-t-il d'une voix dure, vénéneuse. Il le repoussa si sèchement qu'Aïlin manqua de s'effondrer contre le rebord de la table basse. Appuyé à cette dernière, il ne tenta pas même de se redresser, le regard braqué, obstiné, quelque part près des pieds de son géniteur.
- Tu es seul contre le monde entier et tu le seras toujours. Personne ne te sauvera et tu ne seras jamais personne, m'entends-tu, personne, tant que tu n'auras pas compris cela !
  Il fulminait. Sa poitrine se s'élevait et se rabaissait à un rythme effréné et la veine à sa tempe battait la mesure chaotique de son pouls.
- Oublies McBrien. Parce qu'il s'agit d'une femme et que tu n'es pas en âge de comprendre la moindre chose à leur cœur tortueux, mais aussi parce qu'il s'agit d'une infâme fille de père impur. Avoir un tel père est la pire des abominations. J'ignore comment avec des gènes si viciés, elle peut même maîtriser la magie. Si j'apprend que tu vois encore cette fille, ainsi que ta sœur, je te promet Aïlin que le traitement de faveur que je te réserve s'intensifiera jusqu'à ce que tu sois en âge de te raisonner enfin seul. »
  La cape de Devin Bower voltigea tandis qu'il se retournait et Aïlin écouta le claquement de sa semelle sur le carrelage. La porte heurta brutalement le chambranle en se refermant, et il se retrouva seul.
  Seul dans son bureau, avec ce souvenir qui n'allait faire que le hanter au fil de sa lecture. Une sueur froide coulait sur sa nuque. Pâle comme la mort, l'héritier tourna les pages, au hasard, sans savoir que chercher, les doigts tremblants encore de ce songe éveillé. Malgré l'écho tonitruant que lui renvoyait son cœur, il savait que c'était trop tard. Il devait lire jusqu'au bout. Pour comprendre, enfin. Il avait besoin comprendre depuis trop longtemps.
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MessageSujet: Re: Père & Fils.   Père & Fils. EmptyMar 1 Nov - 14:16:20

Carnet de Devin Bower.
Le 19 Octobre 1958.

Le coup de baguette vrilla mes doigts, et, bien que cela ne fut pas très douloureux, j'en éprouvai une vive blessure. Je jetai un regard à mon précepteur tout en immobilisant mes mains au-dessus du clavier.
- Faux ! Encore, faux, Monsieur Bower. Combien de fois vais-je devoir vous reprendre sur cette partition ? Elle devrait vous être entrée dans la tête, à présent. Un gentilhomme se doit de connaître à la perfection ses gammes et avoir un jeu habile. Vous ne travaillez pas assez. La paresse est le pire défaut qu'un futur Lord puisse avoir.
  Me dit-il, et j'en ressentis un froid glacial.
- Ne m'observez pas de cette façon. Il n'y a que contre vous que vous puissiez être en colère ! Cessez maintenant, ou j'en parlerais à votre mère.
  Je baissai le regard et, lorsqu'il me fit signe de reprendre, je repris, la sonate depuis le début comme il était coutume avec mon maître de musique. Une hésitation, sur la fin, m'a valu cette punition. Je déteste le piano. Mes doigts s'envolèrent à nouveau sur les touches, et j'eus l'impression de bien jouer, mais un soupir exaspéré s'extirpa des lèvres de Monsieur Callaghan, froissant un peu plus mon orgueil. Le rythme s'accélérait, j'y mettais plus de violence, j'y mettais toute ma rancoeur vis-à-vis de cet instrument du diable et de cet homme exécrable.
  Mère entra à ce moment. L'homme se leva, mais je demeurai, moi, assis, à jouer, sans lever un regard vers elle. La punition qu'elle m'avait infligée et la faim que j'avais ressenti pendant trois longs jours me faisait ressentir une colère insoutenable vis-à-vis d'elle.
  Ma mère, je vous déteste. Mon jeu devint particulièrement agressif, et je sentais l'atmosphère, peu à peu, se charger d'électricité. À moins que cela fut seulement l'expérience de mes propres émotions. J'achevai sans fausse note la mélodie, sur un ton lugubre. Lorsque j'enlevai mes mains du piano, le lourd silence fut coupé par un applaudissement. J'haussai le menton, surprit. Un autre homme se tenait là, droit et fier, devant mon piano. Il ne souriait pas, mais ses yeux brillaient de satisfaction.
- Voilà ce que j'appelle de la passion ! Commenta-t-il avec un enthousiasme calculé. Le jeune Monsieur Bower a du talent, il mérite toute votre attention, Milord. Avec de la rigueur, nul doute que vous saurez en tirer tout son potentiel.
- N'ayez pas de doute, Monsieur...?
- Lord Ó Haonghusa.
- Enchanté, Lord. Cet enfant bénéficie d'un traitement de faveur. Il serait dommage de gâcher l'éducation d'un Bower par trop de mollesse. Reprenez Devin, avec plus de mesure. Vos emportements abiment nos oreilles.
  Le rire de ce Lord Ó Haonghusa me vrilla les tympans.
- Cela suffit pour aujourd'hui, mon cher Augustin. Monsieur Bower a quartier libre pour l'instant. N'oubliez pas, mon enfant, d'être présent dans la salle d'étude à trois heures, pour vos leçons de chimie.
- Bien, mère. Merci, mère.

  Je me levai, le cœur encore gonflé de rage, sans regarder autre chose que le vernissage impeccable de mes chaussures.
- Vous êtes bien bonne, Madame, avec cet enfant. Son caractère tempétueux doit vous causer bien des soucis.
  Je n'entendis pas la réponse de ma mère, mais je présumais qu'elle camouflait habilement sa cruauté derrière un commentaire apitoyé à mon propos. Je ne voulais pas entendre ses lamentations à mon sujet. Et je ne voulais pas, non plus, la voir en compagnie de cet homme qui vient trop souvent à la maison, lorsque père est absent.

  L'elfe de maison transplana à côté de moi et suivit mes grandes enjambées colériques à petits pas précipités.
- Le jeune Monsieur Bower désire-t-il une tasse de thé, comme à son habitude ?
- Non, je n'en ai pas envie aujourd'hui.
- Ses leçons de piano se sont mal passées, n'est-ce pas ? Demanda l'elfe d'une petite voix apitoyée.
- Comme toujours, Airt. Je ne serai plus que de la poussière d'os avant d'avoir su jouer l'ode de Beedle convenablement.
- J'aime beaucoup vous entendre jouer, moi, murmura la créature, d'une plus petite voix encore.
Qu'avais-je à me plaindre, alors, si un elfe qui n'y connaissait rien en musique appréciait mon jeu ? J'eus un petit rire aigre, et demanda à Airt de me laisser seul. Ce dernier disparu dans un « plop » tandis que je m'installais sur le banc de pierre, sous l'imitation de temple grec qui orne le jardin. Ma colère retombée, je sentais à présent une vive douleur.
  Je m'ennuie, ici. Le temps passe avec une lenteur démesurée, mes journées sont d'une monotonie intolérable. J'aimerais tellement aller à Poudlard, comme les autres jeunes gens de mon âge, mais mère a décidé que ce n'était pas un endroit fréquentable. Il y avait trop de sorciers au sang souillé et trop de voleurs de magie. Les autres faisaient ce qui leur semblait juste, disait-elle, mais elle jugeait cet endroit inapte à éduquer un garçon tel que moi. Les enseignants me laisseraient avoir de mauvaises fréquentations, au risque de souiller mon éducation et de m'influencer d'une façon inconvenante. Poudlard manque de rigueur et n'a pas un programme éducatif assez approfondi. Mère n'a cure qu'il s'agisse de la meilleure école de sorcellerie, seul son avis compte.
  Je me demande comment sont ces gens là. Les impurs et les voleurs. Mon ami Victor me dit dans ses courriers qu'ils sont abominables. Leur visage est laid, leur corps rachitique et leur usage de la magie totalement sporadique. En plus de cela, ils sont jaloux des vrais sorciers, et peuvent se montrer fourbes et cruels lorsqu'ils se réunissent entre eux. Certains ont même envahit la maison de Salazar Serpentard. Cela m'effraie de savoir qu'ils sont si nombreux, au vu de ce que j'apprend par ses courriers.
  Malgré tout, j'aurais aimé pouvoir aller à Poudlard. J'aurais pu voir de mes propres yeux, car malgré l'effroi que leur description attise en moi, cela m'étonne. Maeve ne ressemble pas à la description que me fait Victor des sang-mêlés. Elle est gentille, elle. Peut-être s'agit-il d'une exception, ou peut-être ne sont-ils pas tous comme cela.

  J'ai envie de la revoir. Je jette un regard au manoir, me demandant ce que peut bien faire ma mère, seule avec cet homme. Je sais seulement qu'elle ne viendra pas s'enquérir de mes activités avant que quinze heures sonnent. Elle ne descend même jamais de l'étage, quand cet Ó Haonghusa est présent. Cela suffit pour me décider. Je vais aller voir Maeve. Elle seule saura me distraire de mes sombres pensées.

  Je pousse le portillon qui me sépare de la petite cour qui mène à la demeure de Maeve, mais ce dernier résiste malgré mes efforts. J'observe le loquet, interdit, et découvre que pour la première fois, il est fermé à clef. Absente, me dis-je, déçu. Malgré tout, je ne peux m'empêcher de faire le tour des grilles de fer forgé, le regard rivé vers sa maison. Les fenêtres sont ouvertes, à mon grand étonnement. Pourquoi s'est-elle barricadée chez elle ? Cela ne lui ressemble pas. Néanmoins, nul doute que si je crie son nom, elle viendra me chercher. Qu'importe l'interdiction de ma mère, pour nous. Nous n'avons rien à nous reprocher tant qu'elle ne nous surprend pas. Je crie, les mains en porte-voix de part et d'autre de ma bouche. Je crois discerner un petit bruit, provenant de sa cuisine, mais Maeve ne vient pas à sa fenêtre. Je m'écrie encore une fois.
- Maeve ! Maeve ! Maeve !
  Je sens que ma voix porte, elle doit bien m'entendre, mais elle ne vient pas. J'insiste, résolu à obtenir une réponse, mais il faut cinq minutes pour que son visage, enfin, apparaisse dans le cadre de la fenêtre. Elle est bien là, elle ne m'avait seulement pas entendu jusqu'alors, et je sens mon cœur palpiter d'une joie recouvrée. J'ai soudainement envie de son chocolat chaud, de profiter de l'ombre de son jardin, sur l'un de ses bancs, un livre entre les mains pendant qu'elle cueillera des fleurs de Yucca qu'elle disposera sur la table de son salon, dans le beau vase de porcelaine. Je lui envoie un sourire et lui fait signe de la main, mais elle ne répond pas à mon enthousiasme.
- Rentre chez toi, Devin ! Tu n'as rien à faire ici ! L'entends-je dire.
Ma main se fige dans les airs, puis retombe doucement. Je n'arrive pas à croire à ce qu'elle vient de me dire, si bien que je pense avoir cauchemardé éveillé. Mon sourire figé lui est encore adressé. Je ne comprend pas.
- Mais je...
- Va-t-en, te dis-je ! S'il-te-plaît mon garçon, ne rend pas les choses plus difficiles.
- Un simple bonjour. Je voudrais vous souhaiter un simple bonjour...
- Non, Devin ! Je ne veux plus te voir ici.
  Son visage se ferme au moment même où elle prononce ces mots. Mon cœur, quant à lui, se brise.
  Son visage disparaît de l'encadrement de la fenêtre, jusqu'à ne devenir plus qu'une ombre. Dans la pénombre de sa cuisine, je devine la silhouette d'un homme, qui pose son bras autour de ses frêles épaules. Je les vois s'en aller, ne devine plus que le chignon lâche de Maeve. Puis je ne vois plus rien d'autre que les murs pâles de la cuisine. Les murs et la porte qui se ferme.
- Maeve !
  Mais mon appel reste sans réponse.
  Le dos raide, je tourne les talons. Maeve ne m'aime plus. Pire encore, Maeve a ouvert sa porte à un autre. Peut-être n'y a-t-il pas assez de place dans son cœur pour aimer deux personnes à la fois.
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  • Aïlin Bower
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MessageSujet: Re: Père & Fils.   Père & Fils. EmptyVen 30 Déc - 13:51:00

Carnet de Devin Bower.
Le 8 Janvier 1961.

- Bonjour Devin, je peux m'assoir ?
  Je tournai la tête et mon coeur rata un battement quand je vis la blonde magnifique qui m'adressait un sourire angélique. Eireen est la plus belle jeune femme que je n'ai jamais rencontré. Sa grâce tient du cygne, son sourire de l'archange. Il illumine mon coeur comme une promesse sublime. J'ai l'impression de voir les portes de l'Eden, lorsqu'il m'est adressé. Elle est fine, mais son corps n'est pas fragile, elle est, au contraire, entourée d'une aura de force tranquille et de détermination. Mais cet aspect obstiné de sa personnalité, contrairement à d'autres, est dépourvu d'agressivité. Au contraire. Tout est doux chez elle, jusqu'à la courbe arrondie de ses ongles fins, qui orne des mains dignes d'une princesse. Ah, que je l'aime, mon Eireen. Seulement, elle ne le sait pas. J'acquiesce et, alors qu'elle prend place avec élégance à mon côté, sur le banc, j'observe ses cheveux d'or onduler légèrement autour de sa nuque. Comme toujours, ils sont attachés par un chignon élégant mais simple. Un chignon qui n'est pas rigide et sophistiqué comme celui de mère, mais au contraire, légèrement lâche, qui ne tire pas ses traits en une espèce de grimace austère. Elle soupire tout en souriant, et sa poitrine se soulève sous le col de dentelle qui orne sa robe brune, presque dorée.
- Qu'il fait beau aujourd'hui... Cela fait du bien, un peu de soleil.
  Son verbe est toujours simple, mais les banalités de ce genre sont toujours agréables à l'oreille, lorsque cela vient de sa bouche. Néanmoins, je n'ai pas le coeur à la quitter des yeux pour suivre son regard, qui volette en direction du ciel.
- Est-ce parce que le temps gris s'est dissipé que tu reviens enfin ici ? Cela fait longtemps, que je ne t'ai plus vu te promener dans ce parc.
  Comme d'habitude, je n'ai d'abord pas su quoi lui répondre. Je ressens encore vivement cette désagréable impression d'être sot, mais, à présent, cela me fait sourire.
- En quelques sortes. J'ai été très occupé ces dernières semaines. Et j'ai accompagné père quelques jours en Allemagne, où il avait affaire.
- Oh... Il paraît que l'Allemagne possède des paysages magnifiques, j'espère que tu as pu en profiter.
- Oui, nous avons survolé la forêt noire à dos d'Hippogriffe. C'est très beau, en effet, mais les contrées allemandes ne sont pas aussi belles que les nôtres.
  Ce petit trait d'esprit nous a fait sourire tous deux, et Eireen se mit à me raconter le voyage que sa famille prévoit en Amérique.
  Eireen vient, comme moi, d'une famille de Sang-Pur pourvue d'une grande fortune. Ses manières sont irréprochables et elle aussi, semble soumise à une éducation stricte, très traditionnelle. Ce serait le genre de femme qui plairait à père. Elle possède tout ce qu'il faut pour qu'un jour, elle porte mon nom. Je n'aurais jamais soupçonné qu'un jour je puisse tomber amoureux d'une fille qui corresponde parfaitement à l'idéal de notre famille. Je ne me rend pas encore compte d'à quel point j'ai de la chance. Quand nos deux familles se rencontreront pour former une alliance, il ne s'agira pas que d'une histoire politique, mais également d'une histoire de coeur.

- Tu sais, Eireen, ta présence me manquera lorsque tu seras là-bas pendant ces deux mois et que je me promènerai seul ici.
- Tu me manqueras aussi beaucoup, Devin. Mais je ne manquerai pas de t'envoyer quelques hiboux, si tu le veux bien, et si, bien sûr, cela ne risque pas d'être mal perçu par Madame votre mère.
Eireen est une fille maline. Je ne lui ai jamais vraiment dit quoi que ce soit de particulier à propos de ma mère, mais elle a perçu avec une clarté surprenante la relation qui me lie à elle et la haine cordiale que je lui voue. Tant d'intelligence et de subtilité me surprennent.
- Je crains que cela soit difficile...
- Ah... Et bien, je me ferai passer pour l'un de tes amis. C'est tout naturel, qu'un ami écrive à un autre ami, n'est-ce pas ? Il n'y a rien d'indécent à cela.
  Elle m'adressa un sourire malicieux et je lui tournai un regard surpris en retour, avant de rire à la vue de ses yeux d'azur pétillants.
- Victor part justement pour la Bretagne en vue des fiançailles de son frère, d'ici deux semaines. Il y restera un mois entier.
- Quelle belle coïncidence ! Et bien, je serai Victor alors, mais j'espère que les courriers du véritable Victor et les miens ne se juxtaposeront pas, cela éveillerait les soupçons.
- Cela n'arrivera pas, il a tendance à préférer me narrer face à face ses aventures, tout en ayant soigneusement travaillé à les enjoliver avant son retour, je l'en soupçonne.
  Un rire clair lui échappa et, quand elle m'adressa un long regard, sans ciller, je sentis mon coeur s'emballer douloureusement.
- Je pars demain... Pendant au moins deux semaines, nous ne pourrons plus nous retrouver, ne serait-ce que par écrit...
  Murmura-t-elle, et je ne su quoi lui répondre. Ma gorge était trop sèche, me paraissait-il, pour que je parvienne de toute façon à émettre le moindre son. Fort heureusement, elle n'attendait aucune réponse. Ses yeux me le disaient. Elle avait quelque chose derrière la tête, et j'espérais autant que je craignais deviner ce dont il s'agissait.
- Je dois d'ailleurs rentrer, afin d'achever les derniers préparatifs avec ma mère. Cependant, cela me briserait le coeur de te quitter ainsi, sans un cadeau d'adieu...
  Déclara-t-elle d'une toute autre voix, tandis que son sourire amical se transformait en moue enjôleuse. Mon regard descendit sur ses lèvres, et je les vis s'approcher de moi. Alors que je relevais les yeux dans les siens, elle parcourut le peu de distance qui nous séparait pour déposer un chaste baiser sur mes lèvres. Devant mon air béat, elle se mit à rire et tourna les talons d'un pas dansant. Son regard brillant se posa une dernière fois sur moi, plein d'espièglerie, et je me vis lui courir après pour la prendre dans mes bras.
- Je t'interdis de m'oublier pendant ces deux mois, où je viendrais moi-même jusqu'à toi me rappeler à ton souvenir, dis-je en un semblant de menace, ce qui la fit davantage sourire.
- Et bien, permets-moi de te retourner le conseil. Moi aussi j'ai ma fierté, Monsieur Bower ! Allons, laisse-moi m'échapper, où mère ne me pardonnera pas mon retard ! Rit-elle, avant de repousser doucement mon étreinte en m'adressant son sourire le plus charmant. J'ouvris les bras et la laissa s'envoler loin de moi, avec autant de joie que de regret.
  Encore à présent, tandis que j'écris, je ne sais qui de la douleur de son absence ou du bonheur qu'elle m'a offert domine mes sentiments. Il me tarde de la retrouver.
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MessageSujet: Re: Père & Fils.   Père & Fils. EmptyVen 30 Déc - 16:19:42

5 Novembre 1999.

  La main d'Aïlin s'affaissa lentement contre la reliure de cuir du petit carnet. Ses yeux s'étaient clos malgré lui depuis de longues minutes, déjà. Il était épuisé. Depuis qu'il avait découvert cet étrange aveux écrit, le jeune Bower passait plus de temps à se tourner et se retourner dans les draps de son lit plutôt qu'à se laisser aller dans les limbes du sommeil. Ce soir, cependant, elles l'avaient prises par surprise, sans qu'il n'ait le temps de s'en rendre compte. Le carnet glissa, tandis qu'Aïlin tombait sans pouvoir se retenir dans l'obscurité apaisante qui accompagnait le sommeil.
  Le rêve, bientôt, le rattrapa. Il marchait d'un pas tranquille mais régulier sur un vaste terrain d'herbes rases. La pelouse épousait amoureusement la semelle de ses chaussures, tandis qu'il s'avançait vers un but qu'il n'apercevait pas encore mais, il en était sûr, allait bientôt se révéler à lui. Il n'y avait personne dans les tribunes du stade de quidditch. C'était à peine si un oiseau chantait. Tout était calme, si calme... Soudain, Aïlin aperçut ce vers quoi il marchait. Au bout du terrain, à quelques mètres devant lui, s'élevait la façade du manoir, ornée de vitres immenses et d'une lourde porte de chêne. Le jeune homme pressa le pas. Là était son but. La distance qui le séparait de chez lui se raccourcit plus vite qu'elle ne l'aurait dû et, en une seconde, il se vit pousser l'une des doubles portes.
  Le couloir semblait plus lumineux que jamais, tandis qu'il le traversait, écoutant l'écho de ses pas claquant contre le carrelage. L'atmosphère était chaleureuse, apaisante. Il bifurqua pour passer l'arche menant au salon, dépassa les statues de bronze qui encadraient l'entrée et se figea, surprit par la vision sublime qui apparut devant lui. Là, dans le large canapé auréolé de lumière, Clarisse dormait, lovée comme une chatte, ses bras nus recroquevillés près de son visage. Ses cils épais et sombres caressaient ses paupières inférieures, une longue mèche de cheveux roux tombait gracieusement contre sa joue en en suivant la courbe jusqu'au pli de sa bouche vermeille. Sa petite robe noire enrobait comme la main d'un homme l'échancrure de sa taille, surmontée par la chair arrondie de ses hanches et de sa croupe que sa position mettait en valeur. Elle respirait paisiblement, ainsi sur le côté, et ses genoux remontés contre sa poitrine lui laissaient le loisir de voir ses cuisses plus qu'il l'était raisonnable. Aïlin s'approcha d'elle comme un voleur d'un trésor inestimable. D'un pas lent, mesuré, comme hésitant, tandis que le désir coulait en lui comme le plus enivrant des alcools. Il n'osa plus même respirer, lorsqu'enfin, il se pencha sur elle en prenant appui d'un genou sur le rebord du fauteuil, et d'une main sur le dossier, au-dessus de l'épaule de la jeune femme. Son parfum fruité submergea ses narines, tandis que d'un geste délicat, il relevait quelques mèches de cheveux pour mieux observer son visage endormi. Puis, profitant de la torpeur de la belle, il glissa sa main sur sa cuisse nue et l'embrassa délicatement sur la joue, dans le creux de son cou, son épaule, descendant sur son corps avec plus de vigueur et de passion à mesure qu'il progressait. Quand sa main se refermait sur la cambrure de ses reins, il se vit au-dessus d'elle, et elle bien éveillée, ses grands yeux d'azur plongés dans les siens.

« Te voilà enfin.
  Murmura-t-elle en lui adressant un sourire serein, encore alangui de sommeil.
- Qu'est-ce que tu fais ici ? Rétorqua-t-il, bien que la raison de sa présence lui importait peu, en réalité.
- Je t'attendais... depuis longtemps, d'ailleurs. Des années, pour être plus précise.
- Je croyais que tu t'étais lassée de m'attendre, depuis tout ce temps.
- Moi je ne me suis jamais lassée.
- Moi non plus. » Souffla Aïlin, en se penchant sur ses lèvres qu'il ne cessait de regarder avec envie.
  Leur bouche s’emmêlèrent, et leur langue, leur souffle, leurs mains. Un soupir d'envie s'extirpa de sa poitrine et il lâcha l'une de ses mains pour caresser son épaule. La bretelle sa robe sauta, et cette dernière glissa jusqu'à dévoiler un sein, qu'Aïlin enferma sous ses doigts. Son corps s'écrasa contre celui de Clarisse qui se mouvait, lentement, indolemment, alors que ses cuisses s'élevaient et se resserrait de part et d'autre de ses hanches. Il croyait devenir fou de désir. Leurs soupirs rauques se mêlaient à l'instar de leur corps tandis qu'ils s'élevaient dans la pièce. Symphonie du désir le plus brut, le plus passionné. Il avait envie d'elle comme il n'avait jamais eu envie d'aucune autre femme. Il la désirait, voulait la posséder tout entière. Il n'aspirait qu'à se soumettre à ses désirs, lui offrir jusqu'à son âme. L'attrait qu'il éprouvait pour elle était une pulsion violente, irrationnelle, viscérale.
  Ils étaient faits pour être ensembles. Leur corps n'aspirait qu'à se mêler l'un à l'autre dans une étreinte charnelle. Le parfum délicieux de sa peau avait été engendré pour combler ses sens, pour broyer dans un étau de folie sa raison et consumer ses désirs jusqu'à la lie. Sa bouche descendait de ses lèvres jusqu'à sa poitrine et ses mains suivaient le même chemin jusqu'à ses hanches, froissant la petite robe qui roulait sous sa paume en dévoilant les courbes graciles de Clarisse. Elle était désormais sans autres apprêts que sa peau douce et satinée, que ses seins rebondis ornées de tétons rosés. Mais alors qu'il traçait un chemin de baisers et de caresses sur son ventre, contenant difficilement la fougue qui lui criait de se faire plus pressant et brutal, le corps de la belle rousse se raidit contre lui, ses mains agrippèrent ses poignets. Aïlin s'arrêta à regret et releva la tête vers elle, une lueur d'incompréhension dans le regard. Pourquoi l'arrêtait-elle ? N'était-ce pas ce qu'ils avaient toujours désiré ?
  Leur regard se rencontrèrent et il fut frappé par la neutralité avec laquelle elle l'observait.
- Clarisse...?
  Elle hocha lentement la tête pour toute réponse. Sa peau qui un instant auparavant paraissait si chaude, si douce, devint aussi froide que du marbre.
- En vérité, tu l'as perdue depuis bien longtemps. Mieux encore. Tu ne l'as jamais possédée. Je te l'ai déjà dit, tu es seul, et tu le seras toujours. Ce désir que tu crois aussi être sien n'existe que dans les plus bas tréfonds de ton âme. Comble les appétits de tes vices si cela t'es si nécessaire, mais cesse de te laisser dominer par eux car, tôt ou tard, tu en perdras la tête. Exactement comme moi, Aïlin. Exactement comme j'ai perdu l'esprit. Tu le sais aussi bien que moi... Toi et moi, nous sommes en tout point semblables.
  L'héritier Bower redressa le menton, pour voir avec stupeur la silhouette imposante de son père, là, à quelques pas à peine de lui, qui lui adressait un regard dépréciateur. Les sourcils de Devin se froncèrent, et sa main, gigantesque, entra dans le champ de vision du fils, jusqu'à ne plus lui laisser d'autre loisir que d'observer les lignes courbes qui parcouraient sa paume.
- Cesses de te faire gouverner par tes sentiments. Laisses-la et suis-moi !

  La main achevait de s'avançer pour l'attraper à l'instant où Aïlin rouvrit les yeux. Son éveil avait été soudain, brutal et sa respiration haletait encore, comme si tout cela était plus réel que de se trouver là, dans sa chambre baignée d'obscurité, seul avec pour unique compagnon le petit carnet de son père qui avait glissé sur le rebord du lit. Les images de son rêve le hantaient encore, saccadées mais délicieusement réelles. Le sentiment de culpabilité qui venait se nicher doucement au creux de ses entrailles avait un goût sucré, qui ne faisait qu'enflammer sa libido déjà criminellement attisée par ce rêve étrange. La gorge sèche, Aïlin jeta de côté ses couvertures et se leva pour se rendre à la salle de bain attenante à sa chambre.
  L'eau coula longtemps tandis qu'Aïlin demeurait la tête basse, les yeux fermés, appuyé du plat de ses mains de part et d'autre du lavabo. Il se décida enfin à s'asperger longuement le visage d'eau. Sa main glissa le long de sa tempe, puis de sa joue, et un soupir s'extirpa d'entre ses lèvres. Le père qui s'était adressé à lui dans ses songes avait raison. Il se faisait souffrir inutilement, il le savait. Néanmoins, c'était au-dessus de lui. Plus il cherchait à contrôler cette passion empreinte de désespoir, plus elle semblait le posséder. C'était un cercle infernal. Pourquoi cette fille était si obsédante ? Ils n'avaient été que de tout jeune gens lorsqu'ils s'étaient aimés. Le garçon tendre et naïf qu'il avait été était mort avec son innocence. Il lui avait menti, l'avait repoussée, l'avait blessée. Il s'était complu dans cette situation. Il éprouvait un plaisir sournois à le savoir, et entretenir cet élan de son cœur. C'était parfaitement malsain. Mais c'était cela qui lui donnait encore l'impression de vivre. La souffrance le faisait jouir, faute de connaître des sentiments plus élevés. Est-ce que cela changerait, s'il possédait à nouveau Clarisse ? S'il voulait être sincère avec lui-même, il devait bien admettre qu'il en doutait. Ce foisonnement d'émotions était trop dense, son intellect trop vicié pour que cela change de si tôt. Il était son propre bourreau, il l'avait toujours été. Il était le parfait le fils de son père.
  Aïlin baissa sèchement le levier du robinet, et l'eau cessa de couler. Son regard passa sur la lame étincelante de son rasoir, et s'y attarda. Il vit l'eau qui glissait en tourbillons dans le sillon du lavabo se teinter de rouge en se mélangeant à son propre sang, puis cligna des yeux pour effacer cette vision morbide qui avait assaillit son esprit. Sa main se tendit, ses doigts s'entrouvrirent autour de la lame aiguisée. Il l'attrapa, l'observa un long moment d'un œil critique. Son souffle se tarit un instant. Lorsque ses poumons relâchèrent enfin l'oxygène dont ils étaient imprégnés, il rangea le rasoir dans un tiroir, hors de sa vue. D'un pas lourd, il se dirigea vers sa chambre. Debout devant ses draps froissés, il contempla le petit carnet de cuir puis, après un moment qui sembla durer une éternité, l'attrapa et l'ouvrit à la page où il avait abandonné sa lecture. Cela lui coûtait plus qu'il ne se l'aurait imaginé de lire pareilles confessions, mais à présent, il ne pouvait plus s'arrêter.
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MessageSujet: Re: Père & Fils.   Père & Fils. EmptySam 18 Aoû - 17:34:03

Carnet de Devin Bower.
Le 15 Mars 1961.


  La journée du 6 Mars commençait sur un timide soleil qui signait la fin de l'hiver. Il faisait doux dans les jardins du Manoir, père et mère y prenaient le thé, comme à leur habitude lorsque le chef de famille revenait d'affaires. Ils s'échangeaient toujours très peu de mots et la présence de l'un comme de l'autre semblaient les indisposer, mais il persévéraient à respecter cette coutume comme s'il s'aimaient encore. ...S'il s'étaient jamais aimé. C'était un devoir comme les autres, une politesse qu'ils se faisaient seulement pour bien paraître aux yeux de l'autre. Je les y rejoignais rarement, mais aujourd'hui, j'avais quelque chose à leur dire. Je désirais épouser Eireen, je l'aimais, et je comptais obtenir leur approbation.
  Pour une fois, ma présence sembla les distraire positivement. Ils m'accueillirent avec politesse à leurs côtés, et l'elfe de maison m'apporta une tasse de thé fumante. C'était un ceylan absolument divin. Mère en avait fait importer du Sri Lanka par voie magique. C'était le meilleur qu'on puisse trouver. Je l'ai longuement savouré, avant d'oser enfin me lancer.

  — J'aimerais m'entretenir avec vous d'un projet que je nourris depuis quelques semaines.
  — Ah ! Voilà qui explique cette résurgence soudaine de savoir-vivre... commenta ma mère, cynique.
  — Oh, je vous en prie, taisez-vous ! rétorqua sèchement mon père. Expliquez-vous, Devin.
  Je cherchais bêtement mes mots, maintenant, incapable de trouver la formulation qui leur conviendrait le mieux. Ce n'était pas le moment pour m'attirer leurs foudres. Finalement, j'allai au plus simple tandis que père me pressait du regard.
  — Le hasard m'a amené à rencontrer une jeune femme tout à fait convenable dont je... je me suis épris. J'aimerais, si vous me le permettez, demander sa main à son père, lorsqu'ils reviendront d'Amérique.
Un silence époustouflé suivit ma franchise.
  — Mais enfin, Devin, vous êtes déjà engagé, rétorqua ma mère. Vous n'ignorez pas qu'une alliance a été formée avec la famille Catherwood à votre naissance, vous n'avez pas un mot à prononcer à ce sujet, mon enfant.
  Je m'y attendais, et je m'y étais préparé.
  — Père, rétorquai-je en ignorant superbement la Méduse qui me servait de mère, vous savez aussi bien que moi que Miss Catherwood n'est pas le meilleur parti que l'on puisse trouver. Je n'ai aucune envie d'être associé à sa tare...
  — Qui est donc cette jeune femme, Devin ?
  — Eamon, vous savez bien que nous ne pouvons pas rompre un contrat de cette façon. La famille Catherwood a toujours été bonne avec nous, ce sont des gens très respectables. Ce serait une erreur de s'en faire des...
  — Je vous ai demandé de vous taire. coupa Eamon.
  — Elle se prénomme Eireen, elle est l'unique fille de la famille Darcy.
  — Et elle serait de sang-pur, dites-vous ?
  — En effet, c'est ce qu'elle m'a dit.
  — Je suis sceptique, Devin. Je n'ai jamais entendu ce nom.
  — C'est évident, vous êtes trop occupé pour vous rendre compte que nous avons eu de nouveaux voisins, il y a quelques mois. Moi, je connais ce nom. Ils se prétendent de sang-pur, en effet, mais croyez-moi, j'en doute. Il y a bien peu de Darcy qui apparaissent dans les arbres généalogiques de nos familles, trop peu pour que leur sang n'ait pas été souillé. Pensez-vous vraiment qu'il est préférable d'épouser une sang-mêlée à une jeune femme dont la souche pure est assurée ?
  — Je vois que vous ne perdez pas votre temps pour vous assurer de la respectabilité de vos relations, mère. m'entendis-je répondre avec horreur.
  La réaction ne tarda pas. La main grande ouverte de mon père vint heurter ma tempe avec une force et une vitesse telle que je manquai de m'effondrer de ma chaise.
  — Je ne supporte plus cet insolent, déclara mère en se levant.
  Sans un regard pour moi, elle rentra au manoir.
  — Je ne la supporte plus non plus. déclarai-je.
  — Je ne supporte aucun de vous deux, et ce n'est pas pour autant que je m'abaisse à un tel comportement. Ayez au moins assez de respect envers celui dont vous hériterez tout pour conserver votre rang. Il n'y a rien de plus méprisable que l'absence de dignité. Vous n'épouserez pas votre Eireen, je me fie au regard de votre mère pour ce genre de chose. Elle dit certainement vrai, et cela ne m'inspire aucune confiance.
  — Vous savez comme moi qu'elle ment la plupart du temps.
  — Certes, mais imaginez-vous franchement que si les Darcy étaient des gens de sang-pur, ils ne seraient pas déjà venus se manifester à nous, d'autant plus qu'ils possèdent une fille à marier ? Étrange, pour une famille si irréprochable, que de ne pas approcher ses pairs... Votre naïveté est touchante, Devin.
  — Je sais distinguer le mensonge dans la bouche d'une femme. Ils ont certainement leurs raisons.
  — Vous voyez ce que vous voulez voir. Disparaissez de ma vue, ma décision est prise.

  Je me suis levé avec l'envie de l'étrangler, et ce désir ne m'a plus quitté depuis. J'ai pris ma décision en écrivant ces mots. J'épouserai Eireen, et je me fiche bien que son sang soit pur ou non. Je ne veux pas de cette cracmole de Bronach Catherwood. Je suis prêt à renier ma fortune si cela peut m'éviter une telle infamie.


Dernière édition par Aïlin Bower le Sam 18 Aoû - 22:10:40, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: Père & Fils.   Père & Fils. EmptySam 18 Aoû - 19:54:29

Carnet de Devin Bower.
Le 18 Mars 1961.


  Eireen a beaucoup ri de mon audace. Lorsque je me suis trouvé sous la fenêtre de sa chambre, j'ai cru qu'elle ne me permettrait jamais d'entrer, et surtout, qu'elle ne trouverait jamais le courage de quitter sa famille pour s'enfuir avec moi. Je m'attendais à ce qu'elle adopte ce comportement hautain que je connais à la plupart des femmes, me traitant d'enfant pour finalement me fermer sa porte au nez. Mais elle a ri et a préparé aussitôt quelques affaires. Pratique, elle ne s'est contentée que du strict nécessaire. Quelques robes, des tenues plus pratiques, et un petit pendentif qu'elle tient de son arrière-grand mère, qui lui est cher. Puis des potions, au cas où nous venions à en avoir besoin. Sa hardiesse était telle qu'elle m'a guidée jusqu'aux écuries, où nous avons pris deux chevaux ailés sur lesquels nous nous sommes enfuis. Nous ignorions où aller, quel visage ami saurait nous accueillir sans nous trahir. Cela avait été excitant. Du bonheur à l'état pur, comme jamais encore je n'en avais ressenti. Nous étions libres. Nous sommes libres.
  Nous venons de nous poser au sud de Sligo. Nous allons passer la nuit dans un hôtel moldu. Nous partirons en transplanant, car nous n'avons pas d'argent pour payer ces gens-là. Par chance, elle maîtrise à la perfection le sortilège de désillusion. Ainsi, nos chevaux paraissent tout à fait... moldus. J'en souris encore.
  Elle s'est déjà endormie. Je n'ose la rejoindre sur le lit, de peur de la réveiller ou de l'effrayer. Pourtant, c'est elle qui a proposé que nous partagions la chambre, je n'ai pas à me sentir coupable de son choix. Mais lorsque je la vois ainsi, il me vient d'autres désirs, des désirs que je n'avais jusqu'alors jamais osé envisager, des désirs qui m'enivrent tout entier, car je ne peux empêcher mon esprit de vagabonder vers des rêves que je n'ose, encore, réaliser. Je veux attendre. Je veux d'abord l'épouser.

Le 19 Mars 1961.


  Nous voilà maintenant à Londres. J'ai retiré une partie de l'argent de mon compte et nous avons loué avec un petit appartement sur le Chemin de Traverse. Ce n'est que pour quelques jours, le temps que nous nous marions. Le reste de ce que je possède, ainsi que sa dot, a été placé sur un autre compte, afin que nous puissions au plus vite nous procurer un foyer loin de ceux qui pourraient nous reconnaître et nous dénoncer. Ici, nous sommes beaucoup trop exposés. Nos parents nous retrouveraient bien vite, et je crains chaque fois que j'ose sortir de me retrouver face à mon père. Cependant, mon angoisse n'est pas assez forte pour évincer ma détermination, ma chère Eireen. Bientôt, je serai tiens, et tu seras mienne. Le mage viendra demain après midi. Ce ne sera pas le plus beau des mariages, mais après cela, plus personne ne pourra nous séparer. C'est tout ce qui compte.


Le 20 Mars 1961.


  C'est fait. C'est enfin fait. Je suis heureux, soulagé, la peur s'est envolée. Elle était magnifique, malgré qu'elle ne portait pas de blanc. Je garde encore sur mes lèvres le goût de son baiser, tandis qu'elle s'apprête pour la nuit dans la salle de bain. Je suis impatient et effrayé à la fois par l'idée qu'elle me rejoigne. Je voudrais la combler comme elle m'a comblé en m'acceptant pour époux. Je n'ai jamais fait ces choses-là, et j'ai peur de mal m'y prendre. Je me rassure en me disant qu'elle non plus, n'a jamais connu cela. Ce moment-là, je ne le noterai pas ici. Je veux garder ce souvenir aussi pur que je l'ai vécu, sans le corrompre par les mots.
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MessageSujet: Re: Père & Fils.   Père & Fils. EmptySam 18 Aoû - 20:07:09

7 Novembre 1999.


  Plus rien. Aïlin observa, interloqué, les pages blanches qui défilaient sous ses yeux. Son père qui avait pris tant de soin à couvrir chaque page de son écriture élégante avait négligé une dizaine de pages, avant que l'écriture ne reprenne, traitant d'un tout autre sujet. Pourquoi un homme amoureux avait-il cessé soudain de narrer son idylle ? Il s'était forcément passé quelque chose, bien qu'Aïlin ignorait quoi. Il avait certainement été retrouvé par son père. Un drame s'était peut-être produit, et Devin, brisé, blessé, avait dû se résoudre à tourner la page. Il avait épousé Bronach, et n'avais pas eu le cœur de reprendre son carnet avant la naissance de son premier fils.
Par acquis de conscience, Aïlin lança plusieurs sortilèges sur les pages vides avec l'espoir d'y voir apparaître quelque chose. Mais rien n'apparaissait. Furieux comme un camé en manque de sa dose, Aïlin maudit les mystères de son père et jeta le carnet au fond du tiroir de son bureau, avant d'aller s'échouer sur son lit.
  Devin avait aimé Eireen. Cela ne faisait pas l'ombre d'un doute. Pourquoi avait-il fini avec Bronach ? Qu'était devenue cette femme ? On pouvait imaginer le pire, qui expliquerait pourquoi Devin avait cessé de se battre alors qu'il était le plus déterminé des hommes. Il fallait qu'il sache, qu'il en ait le cœur net. Il devait s'assurer que cette femme était bel et bien morte. L'héritier avait pris sa décision. Il se leva et monta au troisième étage pour rejoindre les combles.


  La porte s'ouvrit sur une pièce sombre et poussiéreuse, où Aïlin avait laissé dépérir avec elle les dernières reliques de la famille Bower. Des objets hérités, dont il n'avait pas trouvé l'utilité, des photographies, des portraits noirs de poussière, des manuels de magie noire et des arbres généalogiques s'étalant sur des tentures encrassées. Le plancher grinça sous ses pas, tandis qu'il s'avançait vers l'étrange autel au bout du grenier, au-dessus duquel était fermé un épais rideau noir. Le jeune lord inspira profondément et tira la chaînette d'argent.

  Leur regard se rencontrèrent immédiatement. Il n'y avait nulle surprise sur le visage de son vis-à-vis, comme s'il s'était toujours attendu à cette visite. Un sourire glissa sur ses lèvres fines, et ses yeux gris se baissèrent sur la main du jeune homme, celle qui portait la chevalière.
  — Ainsi, ils sont morts tous les deux. J'ai toujours su, au fond, que ce serait toi mon héritier. Quel jour sommes-nous ?
  — Le 7 Novembre 99, père.
  Rétorqua Aïlin, d'apparence imperturbable. En réalité, son cœur cognait douloureusement son torse, à tel point qu'il se semblait proche de défaillir.
  — Tu as donc quitté Poudlard... As-tu suivi mes pas à l'ambassade ?
  — Non. Mais je crois que vous comprenez mieux que personne ce qu'il m'aurait coûté de ne pas suivre la voie qui est la mienne.
  Aïlin leva sa main gauche, qui tenait le carnet fermé, jusqu'aux visage de Devin. Celui-ci se contenta d'hausser les sourcils, avant de se laisser aller confortablement contre son fauteuil fétiche, sur lequel il avait été peint.
  — Moi qui pensais que mon dernier fils venait simplement se rappeler son vieux père... Et tu viens finalement me priver de mes derniers secrets. En quoi te sens-tu concerné, Aïlin ? Quelle importance cela a ? Aurais-tu des regrets ?
  — Quelle importance, vous n'êtes plus qu'un portrait...
  — Crois-tu ?
Devin se releva et s'approcha si près de son cadre qu'Aïlin recula instinctivement, comme s'il craignait de le voir dépasser le pourtour d'or qui le retenait prisonnier.
  — Tu n'auras rien, Aïlin. Rien tant que tu ne reconnaîtras pas à quel point tu t'es montré faible, inconstant et naïf. Tu n'as pas cru en moi, tu n'as pas été dévoué envers ton père, tu as préféré croire en ce qu'un fils trop ambitieux voulait bien te faire croire. En me méprisant comme tu l'as fait, c'est toi que tu as méprisé. Dis-moi, mon fils, as-tu une once de fierté ?
  — Si j'ai un honneur et si je possède quelques valeurs, ce n'est pas de votre fait.
  — Orgueilleux... Tu es triste à voir, Aïlin. Tu te persuades de t'être éduqué seul, comme si je n'avais pas eu la moindre influence sur toi, seulement pour te donner contenance. Ne me prend pas pour un idiot, fils. Tu es pâle comme la mort, tes traits sont tirés, tes yeux rouges. Tu dors peu, si seulement tu trouves le sommeil. Je suis certain que tu passes tes soirs à pleurer dans ton lit comme un petit garçon, comme l'orphelin que tu es. Voilà tout ce que tu as fait de toi. Un enfant seul, sans plus d'attache ni repère. Et tu oses te montrer si présomptueux devant moi. Tu ne tromperas pas ton père.
  — Vous me demandez de reconnaître mes torts, mais les vôtres sont nombreux.
  Un silence supplanta la réplique d'Aïlin, durant lequel Devin se redressa de toute sa hauteur. Il jaugea son fils des pieds à la tête, et un rictus amer glissa sur ses lèvres.
  — Tu me ressembles trop, tu finiras mal. ...Que veux-tu ?
  — La suite. Voilà ce que je veux. Qu'est devenue Eireen Darcy ?
  — Je l'ignore.
  Aïlin sentit la colère monter. Comme toujours, son père lui mentait, se jouait de lui et de ses désirs. Le sourire du patriarche s'accentua lorsqu'il vit sur Aïlin les signes de son impatience, ainsi qu'une rancune renaissante s'allumer dans ses yeux.
  — Mais je peux te dire ce qu'il est advenu de moi.
  Bower père glissa une main dans la poche de son veston pour en extirper un petit flacon de cristal, qu'il brandit devant le nez du fils, sans perdre une goutte de son air incrédule. Un mélange de moquerie et d'amusement demeurait sur son visage.
  — Comment... ?
  — Je suis mon meilleur gardien, imbécile. Tend ta main.
  Aïlin s'exécuta, non sans hésiter. L'espace d'une seconde, il eut l'impression de voir la main spectrale de son père sortir du tableau, mais rien, aucune peau, aucun souffle, ne l'effleura. Ce n'était qu'une illusion. En revanche, le flacon s'échappa bel et bien du tableau pour tomber en douceur dans sa main.
  Aïlin se recula de quelques pas et observa les filaments argentés qui flottaient encore, intacts, dans le récipient.
  — Tu as raison. J'ai eu tort. Mais aurais-tu été plus capable de comprendre ce que je te disais, si j'avais partagé avec toi ce que je te révèle aujourd'hui ? M'aurais-tu au moins cru, tant tu as toujours été persuadé d'être dans le vrai ?
  — Aujourd'hui je vous entend. Vous avez raison. Je regrette.

  Sans d'autres mots, Aïlin se détourna et marcha jusqu'à la sortie, le poing serré sur le flacon contenant les souvenirs de son père.
  — Aïlin.
L'héritier s'arrêta sans se retourner. Voir une seconde de plus le visage de son père lui paraissait insurmontable.
  — Tu as la possibilité de faire mieux que ce que j'ai fait. Ne te trompes pas de chemin.
  Malgré lui, Aïlin regarda une dernière fois son père. Celui-ci s'était rassit et ne semblait plus faire attention à lui. Son regard était perdu vers sa gauche, et le fils devinait qu'il contemplait le ciel par la fenêtre du salon. Une fenêtre qui n'existait que dans l'esprit de cette réplique d'âme, morte et pourtant, étrangement consciente. Il pressa le pas et s'en fut, retenant les larmes qui comprimaient sa poitrine.
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MessageSujet: Re: Père & Fils.   Père & Fils. EmptyDim 19 Aoû - 14:00:47

7 Novembre 1999.

  Aïlin était encore ébranlé, mais ses pas l'avaient machinalement mené jusqu'à son bureau, dans lequel attendait la pensine de son père. Il ouvrit une armoire et posa la relique sur la table, entre les objets de décoration et les papiers qu'il avait laissé là en oubliant de les ranger. Malgré sa taille imposante, la pensine était légère. Aussi légère qu'un souvenir. Le souffle rare, Aïlin décapsula le flacon qui contenait la pièce manquante à sa compréhension, puis versa son contenu dans le creux de sa main. Doucement, il le fit basculer au-dessus de la pensine, et les filaments d'argent se mêlèrent à l'eau cristalline, jusqu'à former des ombres, comme si la vie, soudain, s'animait sous la surface. Aïlin ferma les yeux, puis plongea la tête à l'intérieur de cet ultime secret, qui le happa tout entier.

  Lorsque les yeux d'Aïlin se posèrent sur le jeune homme qui achevait d'écrire dans son carnet déjà abimé par de nombreuses manipulation, une crampe comprima son cœur. Il avait l'impression d'observer son propre profil, alors qu'il avait quinze ans. Les mêmes cheveux de jais, mi-longs, tombaient de part et d'autre du visage un peu pâle de son père, le même pli barrait sa joue tandis qu'il écrivait, concentré. Leur maintient était presque semblable, si ce n'était qu'à cette âge, Aïlin n'avait pas le port aussi fier. Il semblait sûr de lui, convaincu, déterminé, certain d'avoir choisit la bonne route. Une légère appréhension, cependant, se lisait dans le plissement discret de ses yeux. Ses sourcils formaient un dessein plus sec, plus dur que ceux de son fils. Mais leur nez, leur bouche, le tracé fin de leur visage, étaient similaires. Devin n'avait pas le visage émacié, à cette époque. Ses gestes étaient vifs et précis. Il était d'une élégance rare.
  Aïlin n'osa pas s'approcher, tout d'abord. Il se surprenait à admirer son père, à le trouver beau, heureux. Le jeune homme glissa une longue main dans ses cheveux d'ébène, et se tourna dans un sursaut lorsque la porte de la salle de bain s'ouvrit. Père et fils tournèrent le regard vers la jeune femme qui s'avançait dans la chambre. Stupéfait, Aïlin l'observa regarder son père avec une tendresse excessive qui s'approchait de l'adoration. C'était une jeune femme magnifique. Une nuisette de soie blanche enveloppait sa taille gracile et ses seins naissants, ses cheveux étaient relevés dans un chignon doré qui mettait en valeur sa nuque fragile. Elle avait des joues de poupée, un peu rondes, des lèvres charnues. De grands yeux aux cils épais. Autant qu'il la regarda, Aïlin ne lui trouva aucun défaut. Et lorsqu'il braqua les yeux sur son père, il devina que lui non plus, ne lui en trouvait aucun. Un sourire amusé glissa sur les lèvres du fils.
  — Tu es splendide...
  Il avait une voix moins grave, plus suave que celle de son héritier.
  — J'espère que ce n'est pas seulement maintenant que tu t'en rends compte... sourit-elle en venant s'assoir sur le rebord du lit.
Un rire échappa à Devin et Aïlin observa avec fascination cet élan du cœur qu'il n'avait jamais connu chez son père. Celui-ci se leva et rejoignit sa jeune épouse, sans oser pour autant la toucher. Il se contentait, pour l'instant, de la dévorer du regard.
  — Tu as soif ? Ce serait dommage de gâcher la bouteille de champagne que nous nous sommes offert...
  — Tu as raison. Ne bouge pas, je m'en occupe.
  — Non... Laisse-moi te servir, ça me fait plaisir.
Eireen se leva et sortit de la chambre. Aïlin se décala tandis qu'elle s'apprêtait à le traverser, et hésita à la suivre. C'était stupide, il ne verrait rien. Le souvenir de son père s'arrêtait aux frontières de la chambre. Il s'approcha donc de lui, le regarda s'adosser avec aisance contre les oreillers et suivre des yeux la silhouette d'Eireen qui disparaissait.
  À cet instant, les yeux gris de son père lui rappelaient ceux de Lynn. On n'y discernait pas autant de douceur, néanmoins, une légère mélancolie, quelque chose de tendre, d'aimant, métamorphosaient ces iris qu'Aïlin avait toujours connues dures et froides. Il n'y avait pas encore d'aigreur, ou pas complètement. On y lisait de la force, de l'impulsivité, mais pas ce cadavre de colère glacée, figée, du Devin quarantenaire. Aïlin, lui, n'avait pas connu cette étape intermédiaire où il avait été sûr de qui il était, plein d'espoir et de promesses d'avenir. Il avait eu l'espoir, mais celui-ci s'était bien vite résigné à disparaître. Deviendrait-il, un jour, pire que lui ? N'était-il pas finalement voué à devenir fou, seul dans ce grand manoir hanté par les souvenirs ? Il n'avait plus personne à aimer, si ce n'était en rêve, mais ce rêve là n'était-il pas pire que la réalité ? N'y avait-il pas, déjà, quelque chose de pervers, de corrompu, à se complaire dans le songe ? Il s'était cru meilleur, il s'était cru indépendant. Mais il se voyait dans son père, et il voyait son père en lui. Il l'avait tué comme Devin avait tué son père. La folie, peut-être, l'avait déjà pris. Il était devenu un meurtrier bien plus vite que l'était devenu son géniteur. Seul face au souvenir heureux de Devin, l'héritier ne savait plus qui il était, ni ce qui vraiment, lui permettait encore de vivre. Quel mal se faisait-il ! Pourquoi le faisait-il ? Il sombrait dans les remords, s'acharnait sur lui-même maintenant qu'il n'avait plus personne sur qui épancher sa colère, sa douleur. S'il souffrait à présent, c'était de son propre fait. Il était responsable de son mal. Et il aimait cela. Tout son être saignait, et cela l'apaisait.
  — Père...
  — Me voilà ! claironna la voix d'Eireen en apparaissant avec deux coupes de champagne.
  Elle tendit à Devin celle qu'elle tenait dans sa main droite puis s'assit auprès de lui. Leurs cuisses se touchèrent, et dans un geste incontrôlé mais vrai, Devin glissa son bras derrière sa hanche pour la serrer contre lui.
  — À notre liberté, trinqua Devin en plongeant son regard dans celui de la jeune femme.
  Celle-ci sourit. Le tintement léger du cristal retentit dans la chambre. Il s'embrassèrent, puis chacun bu dans son verre, en silence.
  Aïlin s'appuya sur le rebord du bureau. Il sentait ses jambes faiblir et il se demandait quand elles ne parviendraient plus à supporter son poids.
  Ils rirent, discutèrent et burent joyeusement, comme les adolescents qu'ils étaient. Ils n'avaient pas l'air de se soucier du lendemain, ni de quoi que ce soit d'autre qu'eux-mêmes. Aïlin écoutait avec un mélange d'effroi et de fascination son père chercher ses mots, se montrer parfois gauche sans même le calculer, balbutier quand la beauté de son épouse le subjuguait trop. Il voyait sans y croire ces regards qui signifiaient tout, ses doigts se poser avec déférence, parfois, sur la peau nue d'Eireen. Jusqu'à ce que celle-ci l'embrasse en se glissant doucement au-dessus de lui. Puis tout devint flou.
  Un étrange tournis prit Aïlin tandis qu'il cherchait un appui dans ces méandres de formes et d'ombres abstraites. Tout tournait tellement, tout était si immatériel qu'il en eut la nausée. Pris dans ce piège difforme, il se résolut à s'accroupir et à fermer les yeux pour ne pas se sentir définitivement mal. Qu'était-il en train de se produire ? Le temps s'allongeait, rien ne revenait à la normal. Lorsqu'il ouvrait les yeux, Aïlin ne discernait rien d'autres que des couleurs si vives qu'elles en étaient douloureuses. Il ferma encore les yeux et les rouvrit. Tout était devenu noir.

  Tout à coup, les ombres et les formes revinrent. Quelqu'un était accroupi au chevet de Devin, étalé de tout son long sur le dos, au bas du lit. Le cœur d'Aïlin rata un battement. Il s'était passé quelque chose, quelque chose qu'il comprit sans même avoir eu la scène sous les yeux. Il eut envie de sortir de ce souvenir abominable, mais il en était incapable. C'était comme si une force supérieure le retenait coincé là.
  — Devin ! Devin ! Réveille-toi !
  Aïlin observa avec horreur Eamon gifler le jeune homme, qui esquissa quelques mouvements en grimaçant. Il ne semblait pas avoir la force de se relever. Le grand-père d'Aïlin se releva et alla chercher dans son sac, posé au-delà de sa vue, quelque chose qu'il fit avaler de force à son fils.
  — Imbécile ! Tu n'es qu'un imbécile, Devin ! Comment as-tu pu ? Réveille-toi ! Mon fils, réveille-toi !
  Malgré le désespoir qu'Aïlin eut l'impression de discerner dans cet appel, une nouvelle gifle claqua sur la joue verdâtre de Devin. Il semblait mort. Mais il ne l'était pas, il ne pouvait pas l'être. Aïlin se prit à l'espérer, comme s'il n'avait plus conscience d'être totalement lui-même, comme si le réel n'avait plus de prise à présent que le passé resurgissait.
  Eamon attrapa son fils dans ses bras et le souleva sans peine. C'était un homme bien bâtit, dont la carrure lui rappelait celle d'Ultan. Les yeux grand ouverts, Devin ne réagit pas lorsqu'il le déposa sur le lit. Ce fut seulement quand une grande femme aux cheveux bruns s'approcha vivement et lui renversa une cruche d'eau sur le visage qu'il sembla véritablement revenir à lui-même. Il sembla suffoquer un instant, se redressa et s'échoua presque aussitôt sur les oreillers. Il ferma les yeux et tout disparut à nouveau. Des voix inintelligibles continuèrent à s'élever dans la nuit, comme si elles passaient dans un filtre cotonneux, puis le silence reprit ses droits.


  Lorsque le jour parut enfin, Aïlin reconnut la chambre qui résidait dans les appartements du second étage du manoir. La lumière pâle du soleil frappait le carrelage ocre et illuminait les draps blancs sous lesquels s'éveillait Devin. Le jeune homme se redressa et poussa un cri d'effroi lorsqu'il découvrit l'endroit où il se trouvait. Maura Bower se leva de la chaise où elle patientait en brodant, puis s'installa au chevet de son fils. Elle était très pâle, ses traits étaient tirés sous son chignon serré et sa démarche, très droite, très raide, avait quelque chose de mécanique. Elle avait de beaux yeux bleus qui semblaient absorber et sublimer la moindre lueur qui effleurait la rétine. Si elle avait pleuré, elle n'en laissa rien paraître quand elle rencontra le regard de son fils.
  — Pourquoi suis-je ici ? demanda Devin d'une voix faible.
  — Estimez-vous heureux d'être dans votre chambre. Vous seriez mort si nous avions mis un jour de plus à vous trouver. Eamon estime que vous ne l'auriez pas volé.
  — Vous devez être déçus, en effet...
  — Je vous interdis de dire ça ! Oh, Devin ! Vous pourrez vous vanter de m'avoir fait vivre les pires moments de ma vie !
  Maura essuya nerveusement le dessous de son œil gauche en poussant un soupir qui semblait la déchirer toute entière.
  — Comment vous sentez-vous ?
  Devin semblait encore souffrir le martyr. Plus une parcelle de blanc ne demeurait dans ses yeux, et il avait le teint jaunâtre. Ses mains tremblaient ainsi que ses lèvres, et Aïlin devinait là plus que sa fureur d'être retourné en cage. Un mal intolérable le tiraillait. Son pouls devait heurter ses tempes avec violence, son foie brûler en excrétant les dernières parcelles de poison. Le fils reconnaissait les symptômes, et il réalisait à quel point son père était passé près de la mort.
  — Je vais bien... Que fais-je ici ?
  Malgré son état, il adressa un regard impérieux à sa mère. Celle-ci se leva aussitôt et se détourna, exaspérée par le peu de cas que faisait son fils de ses inquiétudes.
  — Nous vous avons retrouvé agonisant dans votre location sur le Chemin de Traverse. Cette putain avec qui vous vous êtes enfui avait disparu avec toutes vos affaires. Il ne restait plus rien d'elle quand nous sommes entrés. Il ne restait plus rien de vous non plus, et si nous n'étions pas parti à votre recherche, vous seriez mort comme un misérable ! Personne n'aurait pu vous identifier, puisqu'elle vous a pris jusqu'à vos papiers ! Vous m'entendez, Devin ? Vous targuez-vous encore, comme me l'a rapporté votre père, d'être capable de discerner le mensonge dans la bouche d'une femme ?
  — C'est impossible, vous mentez !
  Devin avait eu l'air de vouloir hurler, mais son cri s'était étranglé dans sa gorge. Il ne demeurait de sa colère qu'un gémissement misérable.
  — Ah oui, vraiment ? Et le poison ? Elle n'a même pas eu la noblesse de vous achever vite. Vous avez agonisé une semaine durant. L'appartement était ravagé par vos gesticulations de mourant. J'ignore comment vous avez trouvé la force de vous désaltérer, mais c'est tout ce qui vous a maintenu en vie jusqu'à ce que nous vous trouvions enfin.
  — Je suis certain que vous n'êtes pas étrangère à cette mascarade ! Vous avez toujours tout fait pour me brimer, pour me gâcher la vie ! Je vous hais ! Je vous tuerais sur le champ si j'en avais la force !
  — Taisez-vous ! Je vous interdis !
  — Vous m'interdisez quoi, mère ? Quels droits avez vous sur moi ? Pensez-vous que vous resteriez la seule femme de ma vie ? Mais vous n'avez jamais été personne, pour moi, si ce n'est le diable. J'échappai à votre contrôle, alors vous m'avez empoisonné et fait disparaître Eireen, c'est cela ? C'est bien cela ?!
Maura s'approcha d'un pas vif de son fils et lui administra une gifle qui résonna dans toute la chambre. Aïlin était horrifié par la scène qui se déroulait sous les yeux. Il s'appuya contre un mur, tremblant.
  — Vous n'êtes qu'un monstre ! hurla Maura. J'ai toujours fait mon devoir de mère, et vous, quand avez vous rempli votre rôle de fils ?
  — Quel rôle ai-je à tenir auprès de vous ? Vous et moi savons aussi bien ce que vous êtes...
  — Qu'est-ce que vous racontez ?
  — C'est vous la putain. La putain qui couche avec ce Lord Haonghusa depuis des années, dans le lit de mon père !
  — Vous n'avez aucune idée... balbutia la sorcière d'une voix blanche.
  — Vous m'avez pris Maeve, vous m'avez pris Eireen. Vous voulez me marier à une sale cracmole. Votre cruauté dépasse tout ce que j'avais imaginé. Vous m'avez laissé en vie.
  Un silence lugubre suivit les propos du fils.
  — Vous êtes comme votre père. Vous ne respectez rien, ni personne.
  Lady Bower tourna le dos à son fils. Lorsque la porte se ferma derrière elle, Devin se laissa tomber sur le dos, le souffle court, les poings serrés. Il n'avait plus rien de commun avec le jeune homme qu'il avait été, une semaine auparavant. Il fulminait de haine, autant contre sa mère que contre Eireen, car il savait au fond de lui, bien qu'il ne l'admettait pas encore, qu'il avait été dupé par elle. Soudain, il se releva pour crier à l'adresse de la porte :
  — Je vous hais, ma mère ! Je vous hais toutes !
  Tandis que Devin s'évanouissait, Aïlin se sentit tiré en arrière par une force irrésistible. Le soleil qui frappait les vitres du bureau lui brûla la rétine, et quelques larmes perlèrent dans ses yeux bleus.
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MessageSujet: Re: Père & Fils.   Père & Fils. EmptyMer 5 Juin - 1:12:39

  Il restait encore un souvenir. Un souvenir qu'Aïlin tenait maintenant dans le creux de sa main. Il n'était pas tombé du flacon avec les autres, et s'agitait paresseusement contre sa paume, tel un petit serpent. Il était plus épais que les autres, plus long, également. Il était pareil à un souvenir lourd à porter, un événement pénible qui avait longuement pesé sur la conscience. Aïlin craignait le pire, mais il le versa malgré tout dans la pensine. Lorsqu'il y plongea la tête, il bascula dans un autre lieu.

  C'était une belle maison de maître, à l'architecture typiquement anglaise. Deux familles buvaient le thé dans le salon, ouvert sur une charmante véranda remplie de fleurs. Une jeune femme aux cheveux bruns attira particulièrement l'attention de l'alchimiste. Elle semblait ne pas tenir en place, bien qu'elle s'efforçait de rester sagement assise sur le sofa. Face à elle, il reconnu sans le moindre mal Devin, qui faisait tous les efforts du monde pour ne pas croiser son regard, tandis qu'elle ne cessait de revenir sur lui avec un intérêt mal dissimulé. Auprès d'eux, Aïlin aperçut Maura et Eamon, ainsi que deux autres personnes qu'il n'avait jamais vu de sa vie. Il n'eut aucun mal à deviner qui étaient ces personnes, cependant. Il s'agissait de ses grands-parents maternels, et la jeune femme brune était Bronach.
Celle-ci était agitée. Elle tenait sa tasse très fermement, et triturait nerveusement l'anse. Parfois, elle reposait son breuvage, et se frottait les doigts ou passait une main dans ses longs cheveux lâches. Quelque chose d'étrange brillait dans son regard. Quelque chose qui mettait instantanément mal à l'aise, mais dont Aïlin ne percevait pas l'origine.

  « Et donc... entendit-il soudain en irlandais, si tôt le mariage prononcé, les terres de Leitrim seront à Devin, ainsi que la somme de cent cinquante mille gallions. Nous savons que ce jeune homme a un avenir particulièrement prometteur, et nous voulons y contribuer pour le bien être de nos deux familles. Cela vous conviendrait-il ?
  — C'est équitable... Néanmoins, je veux que Bronach porte une baguette magique sur elle pendant la cérémonie. » répondit Eamon.
  Aïlin entendit un hoquet se surprise, auquel ne tarda pas à s'ajouter un bris de porcelaine. Confuse, Bronach regarda sa tasse échouée sur le sol, fendue en deux.
  — Oh... P... Pardon, je suis vraiment confuse ! Je vais nettoyer cela.
  — Devin, ayez la galanterie d'aider Miss Catherwood. Il serait dommage qu'elle s'écorche un doigt avant la cérémonie. D'ailleurs, Mrs Catherwood, nous n'avons pas encore discuté de la date. »

  Devin se leva sèchement et ramassa, d'un coup de baguette, les morceaux de porcelaine. Ceux-ci se recollèrent ensembles d'eux-même, et Bronach leva un regard admiratif sur le jeune homme, qui lui, l'évitait toujours. Il murmura qu'il allait lui préparer une autre tasse, et s'éclipsa raidement jusqu'à la cuisine. Il avait l'air de désirer être n'importe où sauf ici. Bronach s'empressa de le suivre, et Aïlin leur emboîta le pas, non sans angoisse.
  « Laissez-moi vous aider, Monsieur Bower...
  — Ça va aller, merci. Avec la magie, tout est tellement simple, vous savez... Retournez à votre siège.
Bronach baissa les yeux en trépignant sur place.
  — Je ne pense pas que ma présence soit sollicitée... marmonna-t-elle, mal à l'aise avec l'allusion que venait de lui faire Devin.
  — Il faut croire que la mienne non plus. »
La bouilloire se remplit d'eau instantanément et Devin s'appuya contre le rebord du plan de travail en soupirant.
  « Vous savez, ça faisait longtemps que je brûlais de vous connaître... Mes parents m'ont tellement parlé de vous...
  Bronach n'obtenu aucune réponse. C'était à peine si Devin semblait l'entendre.
  — Vous semblez être quelqu'un d'exemplaire... J'ai beaucoup de chance... continua-t-elle en cherchant son regard.
  — Mais.... j'ai un peu peur... malgré tout.
  La bouilloire siffla, et Devin la retira du feu, pour verser un peu de son eau dans la tasse.
  — Vous... ne dites rien ?
  Cette fois, Devin posa la bouilloire et tourna son regard d'acier sur la jeune femme. Elle se recula instantanément, et Aïlin n'aurait pas douté qu'à sa place, il aurait fait de même face à un tel regard.
  — Que souhaitez vous que je vous dise, Miss Catherwood ? Que je vous rassure ? Vous promette que vous n'avez aucune raison de craindre notre union ? Qu'effectivement, vous avez une chance merveilleuse et que je suis tout aussi heureux de savoir que je vous aurai à mon bras pour le restant de mes jours ? Nous ne connaissons, de tous les deux, que ce que nos parents ont bien voulu nous apprendre. Vous ne me connaissez pas. Vous ne savez rien de moi. Mon père est obsédé par l'argent, et le vôtre par sa réputation. Avoir une fille cracmole est une honte sans nom et il donnerait jusqu'à la dernière noise de sa fortune pour se voir débarrassé d'un tel fardeau. Cela se voit quand il vous regarde, quand tous vous regardent. Vous êtes une honte, et pour ne rien arranger, vous m'avez tout l'air d'être une sotte de surcroît. Je n'ai aucune envie de discuter avec vous, et ne vous attendez pas à ce que cela change. »
  Bronach eut l'air sous le choc. Mais, à l'inverse de ce que pensait Aïlin, ce fut un éclat furieux qui alluma son regard, et elle crispa les poings en tapant du pied.
  « C'est comme ça que vous le prenez ? Vous n'avez pas le choix, de toute façon ! Il faudra vous y habituer, car de toute façon, je ne vous laisserai pas vous enfuir loin de moi. Moi, je vous serai fidèle et je ne vous volerai pas ! Je suis peut-être une sotte, mais moi, je ne fuirai pas avec votre compte en banque à peine le mariage prononcé. Oui, vous croyez que personne ne sait rien de vous, mais je sais pour votre petite blonde, et je...
  — Taisez-vous ! Ne dites pas un mot de plus à propos d'Eireen ! Je vous interdis de parler d'elle !
  Aïlin était ébranlé par ce qu'il voyait. Devin s'était approché très près de Bronach, avec l'intention, il le sentait, de la gifler ou de l'étrangler. Pourtant, sa mère lui tenait tête, sans la moindre peur. Il la dépassait de deux bonnes têtes, et la jeune fille levait ses grands yeux bleus sur lui, un peu fous, et souriait presque.
  — Ma mère m'a dit que vous étiez d'une suffisance écrasante, et que vous vouez une haine féroce aux femmes depuis votre mésaventure. Mais je ferai tout ce que vous me demanderez, je vous aimerai même si vous me détestez. Vous êtes ma seule chance de partir d'ici. J'ai l'habitude, de toute façon, d'être traitée comme une moins que rien. Je sais que je suis une moins que rien et je m'en veux déjà de vous imposer ma présence. Mais vous êtes ma porte de sortie depuis ma naissance. Je ne vous laisserai pas vous refuser à moi. »

  Devin avait l'air aussi stupéfait que son fils. Il ouvrit la bouche, mais rien n'en sortit. Il paraissait soufflé par l'aplomb que manifestait Bronach. Elle finit par baisser les yeux en rougissant comme une pivoine et Aïlin crut reconnaître, l'espace d'une seconde, sa sœur dans les manières de sa mère.
  « En réalité, je crois que c'est moi qui devrais avoir peur de vous... souffla son père. Votre thé. »
  Devin lui tendit sa tasse, et repartit d'un pas sec vers le salon.

  « Le 28 avril. Cela vous conviendrait-il, Devin ? l'accueillit d'une voix enjouée Mrs Catherwood.
  — Ce sera parfait. Qu'il me tarde... ! ironisa Devin en aidant Bronach à reprendre place sur le sofa.
  Le regard qu'il lui jeta, en revanche, était celui d'un homme qui refoulait sa colère et son aversion.

  Pourtant, la conversation reprit comme si de rien n'était, et seuls Bronach et Devin avaient l'air d'être ailleurs, en dehors du temps, dans un monde rempli d'angoisses et de doutes. Mais lorsqu'enfin, l'on prit congé les uns des autres, Devin se montra d'une élégance exemplaire envers sa fiancée, baisant sa main cérémonieusement.

  « Je ne veux pas d'elle, déclara Devin lorsqu'ils eurent transplané dans le jardin du manoir. Je ne pourrais jamais la supporter. Ne m'imposez pas ça, père, je vous en prie !
  — Vous n'avez pas le choix, Devin, rétorqua Maura. C'était programmé depuis sa naissance. Le secret de son absence de pouvoir a été bien gardé, à vous de le préserver, maintenant.
  — Ce n'est pas ça... Du moins, pas que cela. Cette femme me fait froid dans le dos.
  — Elle est particulière, il est vrai. J'ai cru comprendre que Sir Catherwood rossait sa fille lorsqu'elle devenait trop... intenable. Vous n'aurez qu'à en faire de même, que voulez-vous que je vous dise.
  — Vous la méprisez autant que moi, pourquoi m'imposez-vous cela ?
  — Ne discutez pas, Devin, coupa Eamon. J'ai besoin de l'appui de Catherwood et de son parti au congrès, et vous n'imaginez pas l'influence qu'il a. Nous ne pouvons pas annuler ce mariage, c'est impossible, à moins que vous désiriez entamer votre vie au ban de la société... et déshérité.
  Devin quitta d'un pas furieux de ses parents, et Aïlin le regarda partir avant de se décider à le suivre.
  — Bronach et moi avons au moins un point commun... Nous nous apprêtons tous deux à sortir d'une cage pour mieux entrer dans une autre. » souffla Devin, avant de claquer la porte du manoir.

  Le souvenir s'estompa, mais plutôt qu'être attiré en arrière, Aïlin se sentit happé par un autre instant de la vie de son père. Il était maintenant dans le jardin du manoir, qui avait été savamment décoré. Une arche blanche, couverte de roses rouges et auréolée de lucioles voletant paresseusement, avait été dressée, et de nombreuses rangées de bancs en pierre blanche accueillaient tout le beau monde du monde sorcier. Devin se tenait déjà sous l'arche. Il avait la mine grise et le regard lugubre, mais pourtant, il se tenait bien droit et était d'une rare élégance. Son costume, parfaitement ajusté, lui conférait un charisme impressionnant, si bien qu'un seul sourire de lui aurait conquis à coup sûr l'assemblée. Mais il ne souriait pas. Quelque chose disait à Aïlin que son père n'avait plus jamais sourit après cet événement. Ses rêves de liberté, ses espoirs, avaient été mis en lambeaux. Il n'y avait plus aucune porte de sortie. Il était piégé ici, sous le regard gourmand de tous ces convives assistant à son inhumation. Aïlin comprenait pourquoi Devin n'avait jamais pu aimer sa mère. Elle avait brisé tous ses espoirs de prendre enfin l'ascendant sur ses parents, et ainsi, voler de ses propres ailes. Était-ce cela, néanmoins, qui avait fini par faire de son père un homme violent avec sa femme ? Quand avait-il fait le choix de l'utiliser comme simple défouloir ?

  La mariée apparut au bras de son père, sous les applaudissements et les chuchotements de l'assemblée. Aïlin devait reconnaître que c'était une jolie femme. Elle n'avait rien à voir avec la femme aux courbes défaites à force d'enfanter, qu'il avait connu au manoir. Sans un cheveux gris, ni aucune ride, Bronach aurait presque pu paraître rayonnante. Mais ce qu'elle dégageait n'était pas de la joie, malgré son sourire. C'était le soulagement d'échapper enfin à sa vie recluse au domicile parental. D'entrer dans une nouvelle mascarade, qui serait désormais sa vie de femme. Elle lâcha un peu précipitamment la main de son père pour se placer aux côtés de Devin, qui s'efforça, pour cette fois, de la regarder. La cérémonie commença et Devin garda son aplomb, résigné. Bronach avait l'air fluette à côté de lui, et déjà soumise. C'était ainsi qu'elle allait demeurer tout le reste de sa vie. Mais, bizarrement, c'était son père qu'Aïlin plaignait intérieurement. C'était de lui dont il se sentait le plus proche, et pour lui que son cœur se crispa lorsqu'il dû consentir à échanger leur premier baiser. Un baiser froid, que tout le monde applaudit.

  De nouveau, la vision d'Aïlin disparut dans la brume. Il était maintenant dans une chambre richement décorée, à côté de son père assis sur le lit, la tête dans les mains. Bronach se tenait devant lui, et sa nervosité était telle qu'elle semblait palpable. Pourtant, elle s'approcha de son jeune époux, et se pencha sur lui pour poser maladroitement ses mains sur les cuisses de Devin. La réaction ne se fit pas attendre, celui-ci la repoussa sèchement.
  « Laissez-moi ! lança-t-il dans un cri étranglé. N'essayez même pas de me séduire...
  Cette fois, c'était un grondement qu'Aïlin reconnaissait entre mille qui sortit de la bouche de Devin. Un frisson lui parcourut l'échine. Le regard qu'il adressa à sa femme faisait froid dans le dos.
  — Vous ne vouliez vraiment pas de moi, alors... Je vous répugne à ce point ?
  — Vous, vos parents, les miens, tout ce que tous, vous m'avez pris.
  — Je ne vous ai rien pris, Devin, je ne fais que vous donner. Je me donne à vous...
  — Non ! S'écria Devin en se levant.
  Il traversa la chambre pour empoigner Bronach par le poignet et la secouer.
  — Vous êtes comme eux. Vous ne comprenez rien, vous ne voulez même pas le voir ! Tout ce que je souhaite, c'est d'être en droit de faire au moins un choix dans ma vie ! Un seul ! D'avoir, ne serait-ce qu'un instant, l'illusion d'être libre ! Qu'ai-je bien pu faire de mal, dans ma vie, pour mériter d'être manipulé comme un pantin par chaque personne qui se présente dans ma vie ? Ma mère, mon père, Eireen, vous ! Vous qui attendez naïvement que je transforme votre inexistence en vie de conte de fée. Et qu'est-ce que vous allez m'apporter, vous ? Vos cuisses ? Voilà tout ce que vous saurez m'offrir, et encore ! avez vous au moins la moindre expérience de la chose ?
  — Arrêtez, Devin ! Vous me faites peur !
  Devin la relâcha sèchement.
  — Oh, arrêtez ce petit jeu. La seule chose que je vois dans votre regard, c'est l'envie que je vous jette sur ce lit, qu'importe la façon dont je le ferai. Mais même cela, vous ne me l'inspirez pas.
  — Je suis jolie !
  — Et alors ? Êtes vous de celles qui pensent que les hommes ne sont inspirés que par cela ? C'est un argument pitoyable.
  — Vous me détestez, hein... Qu'est-ce que j'ai fait pour que vous me détestiez alors que nous n'avons même pas appris à nous connaître ?
  — Je viens de vous le dire. Vous m'avez volé ma dernière illusion.
  — Nous sommes quitte, alors ! répliqua Bronach en tremblant, tandis que des larmes coulaient de ses yeux. Vous m'avez volé celle qui me faisait croire en un mariage, si ce n'était idéal, au moins, ne serait-ce qu'un tout petit peu, heureux ! Mais même alors que vous faisiez semblant, tout au long de cette journée, je n'ai ressenti que votre colère ! N'y-a-t-il que cela, en vous ? De la fureur et de la haine ?
  — Et en toi, Bronach, qu'y a-t-il ?
  Bronach demeura muette. Elle s'effondra finalement sur le tabouret de la coiffeuse et essuya grossièrement les larmes qui bordaient ses yeux.
  — Rien. Il n'y a rien. Je ne me sens même pas exister.
  — C'est parfait, alors. Tu ne seras pas encombrante. »

  Son père n'avait aucune pitié. Il ne laissait pas même une chance à Bronach d'éprouver un peu de quiétude et de réconfort, mais pourtant, cela semblait les apaiser tous deux. Les cris de Devin s'étaient taris, et quant à elle, sa mère, elle semblait enfin éprouver autre chose que cette agitation qui semblait être son état naturel. C'était complètement paradoxal. C'était à croire qu'ils étaient faits l'un pour l'autre, d'une certaine manière. Le rapport dominant – dominé avait tout naturellement pris forme en cet instant précis. Ils auraient pu trouver une autre forme d'harmonie, mais c'était vers celle-là qu'ils s'étaient conduits, elle déjà trop ravagée, et lui trop en colère contre le monde entier pour voir au-delà du rideau rouge de sa haine. Aïlin observait, impuissant, le cœur battant, ses parents se regarder dans les yeux, se jauger comme s'ils essayaient de voir l'avenir, de deviner jusqu'où ils allaient pouvoir aller, se pousser l'un l'autre. Bronach n'était peut-être pas qu'un souffre douleur. Elle avait peut-être, à sa manière, canalisé la folie latente de son père, et permis, pendant un temps du moins, que l'héritage des Bower perdure. Aïlin avait tout le mal du monde à le concevoir, mais pourtant, il sentait qu'il touchait du doigt l'une des vérités les plus importantes de sa famille.
  « Je vous l'ai dit. Vous ferez de moi ce que vous voudrez. Peu m'importe l'attention que vous me porterez, tant que s'en est. Personne n'a jamais fait attention à moi.
  À cet instant, Bronach ne devait pas mesurer l'impact de ce qu'elle disait. Elle lui donnait tous les droits sur elle, et si Devin ne se rendait peut-être pas encore compte de la façon dont s'inscrivaient de tels propos en lui, il devina malgré tout, au maigre sourire qu'il afficha, qu'ils avaient une résonance en lui.
  Devin se leva et s'approcha d'elle. Sa main glissa sous le menton de la jeune femme, qui releva les yeux vers lui. Ce souvenir lui était familier. Il se souvenait, à présent, avoir déjà vu ce geste chez son père.
  — Mon pauvre ange... Personne ne t'a a jamais regardé... susurra Devin. Ce n'est pas un mal, tu sais. Tu conserves au moins en toi la croyance que l'amour est possible. Que le concept de ce mot a un sens, une réalité. Tu t'y accroches fermement en pensant y trouver ton salut. Il n'y aura pas d'amour entre nous, Bronach. Je le sais. Je n'y arriverai pas. Tu as raison sur un point. Je suis furieux, je suis furieux depuis des années et rien ne peut y faire quoi que ce soit.
  Bronach frémissait sous les doigts de Devin. Elle buvait ses paroles comme on buvait à une source pure et intarissable, et le fait qu'il ne lui promette rien semblait être pareil que s'il lui avait tout juré. Sa mère était tout simplement sous le charme du beau jeune homme et se fichait bien de ce qu'il ressentait à son égard, car de toute façon, elle savait qu'il ne pourrait se débarrasser d'elle. Il devait, maintenant, compter avec elle, et il ne pouvait l'abandonner à son sort, dans l'indifférence du reste du monde. Et c'était déjà bien assez beau pour une jeune femme qui n'avait jamais reçu que le mépris et la honte de ses parents.
  — Si tu veux le fond de ma pensée... J'ai peur de ce que je pourrais te faire. Je me sens capable du pire. Quand je te vois, je vois ma mère et j'ai envie de t'étrangler. Ce n'est pas de ta faute, je le sais. C'est injuste, mais c'est comme ça.
  Sous les yeux horrifiés d'Aïlin, Bronach attira Devin contre elle et l'embrassa à pleine bouche. Il s'attendait à voir son père craquer à tout instant, à la battre sous ses yeux. Devin tenta bien pendant une seconde de l'éloigner de lui, mais les lèvres de la jeune femme s'étaient refermées sur les siennes, et il se laissa finalement aller à un baiser sulfureux, vengeur, qui la renversa sur la coiffeuse en faisant tomber avec fracas les cosmétiques déposés sur le plateau. Il laissait sa rage exploser d'une manière érotique, et elle l'absorbait, avec l'air de ressentir enfin autre chose que le néant. Il la tenait par les cheveux, froissait et déchirait la dentelle de sa robe, et malgré la violence avec laquelle il se jetait finalement sur elle, Aïlin voyait des larmes couler sur ses joues.

  L'alchimiste ne voulait pas connaître la suite. Il ferma les yeux, et s'efforça de s'imaginer dans le bureau du manoir, de ressentir à nouveau son véritable corps, celui qui était demeuré là-bas, dans cette réalité qui lui semblait si lointaine et illusoire.
  Aïlin se redressa en prenant une grande goulée d'air. Il se laissa tomber dans la première chaise venue et passa ses mains sur son visage, épuisé et déboussolé. Il ne comprendrait jamais complètement comment Devin et Bronach en étaient arrivé là, quelles étaient les motivations les plus intimes de chacun, mais il savait au moins une chose. Tout pouvait arriver. Même l'inconcevable.
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