[98-99]Tribulations lunaires (PV)

Enfin, les sept jours étaient écoulés. À la tombée du jour, ce vendredi, James serait libéré de la menace représentée par Valère Araley. Son ancien collègue lui avait promis d'épargner sa vie, à condition qu'il lui amène Natelee Shevelin ; une félonie de plus, pourrait-on dire, mais le jeune homme l'assumait pleinement. Il fallait être tombé entre les griffes d'Araley une fois dans sa vie pour comprendre que la chance de lui échapper valait toutes les compromissions. Après tout, Shevelin était Auror ; elle était de taille à se défendre – du moins James l'espérait-il, car sa conscience ne le laissait pas tout à fait tranquille. Il se disposait à envoyer une femme à une mort certaine pour sauver sa peau ; il l'avait appâtée avec une lettre particulièrement vicieuse, laissant entrevoir d'importantes informations, et cette méthode dégueulasse lui laissait un goût amer dans la bouche. Il n'en finirait jamais de trahir... Après tout, Valère avait raison. Sa vie ne valait rien, et il s'obstinait à la préserver en utilisant d'autres sorciers comme boucliers...

Il fixa longuement son reflet dans le miroir, et lui trouva une sale gueule. Une gueule de lâche, aux traits tirés par la peur et la fatigue. La semaine avait été longue : il avait contacté Shevelin, mais aussi, et surtout, quitté précipitamment son appartement. Pour l'heure, il avait regagné la demeure familiale, en attendant de trouver un autre appartement qu'il pourrait sécuriser ; pas question que l'épisode Valère Araley puisse se reproduire... Sa mère n'avait pas compris son brusque retour au bercail, mais elle s'en était montrée ravie ; elle lui accordait mille petites attentions qui l'exaspéraient, en s'inquiétant un peu de son état de santé. À mesure que la date du rendez-vous approchait, il dormait de moins en moins ; ce vendredi, il totalisait deux heures de sommeil au compteur, deux heures largement occupées à rêver de ce cher Valère. Autant dire qu'au réveil, James était aussi frais qu'un poisson mort échoué depuis neuf jours. Il refusa, au grand désespoir de sa mère, de manger quoi que ce fût, mais absorba, durant l'après-midi, de grandes quantités de café ; lorsqu'il quitta la maison, en fin de journée, son pas n'était plus très assuré, et il se sentait étrangement fébrile.

La mort dans l'âme, il transplana jusqu'au village de Loutry Ste Chaspoule, et entreprit de gravir à pied la colline de Têtafouine. Il y en avait pour un bon moment, et le jeune homme éprouvait le besoin de marcher, de dépenser un trop-plein d'énergie stérile. Le soleil commençait à décliner, et allongeait son ombre devant lui tandis qu'il marchait lentement, les mains croisées dans le dos. Il arriva au sommet de la colline quelques minutes avant le coucher du soleil, frissonnant toujours à cause de l'excès de caféine, le corps glacé malgré le soleil. Il s'assit sur une souche d'arbre, face à la vallée, et tira sa baguette magique de sa poche pour faire léviter machinalement une petite branche morte. Dans dix minutes, le soleil commencerait à disparaître à l'horizon. Dans le ciel, on devinait déjà la forme ronde de la lune, pas encore éclairée, mais parfaitement circulaire.

La petite branche tournait sur elle-même, répondant à chaque mouvement de baguette, mais le jeune homme la regardait à peine. Il observait les alentours, attentif au moindre bruit, au moindre mouvement qui pourrait signaler l'approche de Shevelin – ou d'Araley. Dans dix minutes, le soleil se coucherait, et l'ultimatum expirerait... et si l'Auror n'était pas là, il fallait parier que le Mangemort ne raterait pas le rendez-vous. Ne tardez pas davantage, miss Shevelin...

« ...Fait chier ! »

Pour la quatrième fois, Shevelin relut la lettre qu'elle tenait entre les mains. Dans quel pétrin s'était encore fourré James Kirkby pour lui envoyer pareils messages ? Quelque chose lui disait qu'elle n'allait pas aimer ce rendez-vous. Cette histoire de Marque et de tristes évènements se préparant ne lui suggérait rien de bon, rien de bon du tout. Le Seigneur des Ténèbres était tombé, la plupart des mangemorts éliminés et il ne restait plus grand monde pour faire apparaître la marque des ténèbres, si jamais, comme semblait le suggérer James, elle était réapparue dans le ciel d'Angleterre. Ah, les Carpates, c'était vraiment une région de merde. Pas possible de se renseigner sur les évènements touchant le reste du monde magique dans le patelin paumé dans lequel elle croupissait. L'Auror n'avait donc guère d'autre choix que de croire James sur parole. Après tout, elle doutait que le jeune homme ose faire appel à elle sans une bonne raison. Cependant, quelque chose la chagrinait. Pourquoi James tenait tant à donner des informations à elle et à elle seule ? Natalee n'était pas l'unique de ses contacts parmi l'Ordre du Phénix. Mais elle était peut-être la seule Auror. Il devait s'agir d'informations sensibles que seule elle pouvait traiter. Oui, mais. Donner ces informations à un contact tierce afin de les lui transmettre plus tard était tout à fait envisageable. Information sensible ou non, James devait savoir pouvoir compter sur le silence et la discrétion des anciens membres de l'OdP. Si elle lui disait, de son côté, ne pas pouvoir se rendre dans un village perdu au fin fond du Devon, c'était pour de bonnes raisons. La première, c'était qu'elle était en pleine mission pour le compte de l'Ambassade d'Angleterre et qu'elle s'apprêtait à mettre la main sur un vampire mordeur compulsif de touristes anglais et la deuxième c'était que vendredi, la lune serait pleine.

Assise sur le petit lit rudimentaire de sa chambre d'hôtel, Natalee tenta de rassembler ses pensées. C'était difficile, elle s'était mis une mine d'enfer à la tuica la veille au soir, avec son indic'. Non, Natalee n'avait pas craqué son string en pleine mission, elle n'avait fait que s'adapter aux habitudes de cette région paysanne afin de créer un lien de confiance avec les habitants plutôt sauvages dans cette commune au nom imprononçable. L'accoutumance à un pays étranger était parfois rude. Elle se leva péniblement, la tête lui tourna, ses jambes s'alourdirent et elle tendit une main tremblante jusqu'à sa table de chevet ou elle avait rangé son attirail anti-cuite. Une chance qu'elle ait préparé le coup. D'un coup de dents, elle ouvrit le bouchon d'un flacon rempli de potion ocrée qui lui rappela avec écoeurement l'alcool de prunes distillées et avala trois longues gorgées. Heureusement, le liquide n'avait pas le moindre goût. Elle aurait recraché ses tripes dans les toilettes, autrement. Au lieu de quoi, une bienfaisante sensation de fraîcheur traversa tout son corps et la revigora aussitôt. Elle s'ébroua, frémit et jeta la lettre sur le matelas de son lit. Il ne lui restait plus qu'à se débarrasser de cette infecte odeur d'alcool qui exhalait des pores de sa peau.

L'eau fraîche frappant son crâne acheva de rassembler son esprit et la situation lui sembla bientôt plus claire. Shevelin n'avait pas le choix, elle devait se rendre à Loutry Sainte Chaspoule malgré la mission que la retenait normalement en Roumanie. De ce qu'elle se souvenait de la première missive de Kirkby, le ton semblait suggérer une question de vie ou de mort. S'il ne pouvait donner ses informations qu'à elle seule, aussi obscures étaient ses raisons, elle devait s'y rendre. Natalee avait promis à James de le protéger et si sa sécurité avait été mise à mal, si le moindre danger planait sur sa tête, elle faillirait à son engagement en ignorant l'appel du mangemort repenti.
Deux solutions s'imposaient. La première, précipiter l'achèvement de sa mission et rentrer illico en Angleterre, en se promettant par là même une rude semaine et zéro droit à l'erreur. La seconde, et cela l'enchantait encore moins, était de quitter les Carpates et d'y retourner une fois que James lui aurait transmis son message. Seulement, elle n'était pas certaine de pouvoir agir ainsi. Au coucher du soleil, la lune apparaîtrait. La malédiction avec laquelle elle vivait risquait de s'éveiller au moindre rayon lunaire et elle serait condamnée à errer sous la forme d'un loup pendant une longue nuit, sans avoir la capacité de reprendre forme humaine. Or, cet état l'aurait bien arrangé pour sa mission. En se confondant avec la nature sous forme lycane, elle aurait pu suivre sans mal les déambulations nocturnes du vampire présumé coupable de morsure intempestives et aurait pu, au petit matin, débarquer dans son refuge pour l'en sortir à coup de pieds dans l'arrière train. Pour discuter avec James, en revanche, cela était bien moins pratique. Elle doutait d'ailleurs que le garçon serait ravi de découvrir son secret et s'amuserait de son état, même si elle se trouvait sous tue-loup. Il n'y avait plus qu'une solution, précipiter l'arrestation du vampire et rentrer. Ah, le destin s'acharnait vraiment sur elle ! Pensa-t-elle en coupant l'eau de la douche.

Vendredi. La tombée de la nuit approchait tandis que Natalee achevait de préparer ses affaires. Elle ferma de force son sac de voyage et jeta un regard sur le miroir auquel était accroché une branche ornée de fleurs d'ail.

« Ces saloperies de superstitions... »

Marmonna-t-elle en attachant ses longs cheveux bruns à l'aide d'une pince. Elle s'approcha du miroir et s'observa avec une grimace. Non comptant des sales griffures que ce salopard de vampire lui avait fait avec ses ongles rétractables, alors qu'il tentait d'empêcher la louve de le sortir de sa planque, son visage semblait déjà entamer le processus de métamorphose. Cela devenait de pire en pire, au fil des pleines lunes qu'elle vivait. Elle se trouvait toujours plus pâle, ses lèvres toujours plus vermeilles et ses yeux déjà ambrés pendant le reste de la phase lunaire renvoyaient un éclair de lumière inquiétant à la moindre baisse de luminosité. Ils étaient jaunes, la pupille agrandie, et lorsqu'elle fronçait les sourcils, elle avait un air sauvage qui avait le don d'engendrer en elle une vive angoisse. Bien sûr, elle avait l'air humaine. Mais pas que. Elle le voyait comme le nez au milieu du visage et avait la sensation que n'importe qui aurait pu deviner sa nature rien qu'en posant les yeux sur elle. Peut-être n'était-ce qu'une impression. Elle l'espérait. Elle espérait aussi que la dernière parcelle de lune s'éclairerait le plus tard possible. Elle se sentait déjà tiraillée, anxieuse et capable de céder à la moindre impulsion sans pouvoir se retenir. Malgré la potion de tue-loup qu'elle s'administrait depuis des jours, les effets secondaires de la lycanthropie demeuraient puissants. L'appel impérieux de la lune s'exerçait impitoyablement sur elle.
L'Auror se recula de quelques pas et observa les ondulations plus souples et animales de son corps tandis qu'elle se mouvait. La bestialité qui lui semblait transparaître d'elle en cet instant faisait partir d'elle. Elle devait l'admettre, s'y résigner mais malgré les trois ans qui s'étaient écoulés depuis la morsure qui l'avait transformée, elle ne s'y était pas encore résolue. Quoi qu'elle fasse, quelles que soient les sécurités qu'elle prenne, elle n'était plus qu'une hybride, considérée comme inférieure aux autres sorciers. Une femme dangereuse qui n'avait plus le droit de vivre sa vie comme le commun des mortels. Malgré elle, Shevelin traversa la petite pièce sombre et ouvrit la fenêtre. Un soleil rouge se consumait encore derrière les montagnes et embrasait le ciel. Elle aurait désiré que le temps s'arrête, que le soleil ne chute jamais derrière les Carpates. Qu'aurait-elle donné pour avoir la vie banale de tout un chacun, pensa-t-elle en observant les nuages recouvrir lentement le ciel rougeoyant. Elle n'était même plus autant efficace dans son travail qu'auparavant, hormis pour les missions ou sa lycanthropie pouvait se révéler être un avantage. Chose fort rare.

Cela était sa dernière mission. Après quoi, elle déposerait sa démission. La passion qui l'animait depuis le début de sa carrière l'avait quitté au final de ces trois années. Elle s'était battue becs et ongles pour garder sa place au Ministère malgré sa condition mais aujourd'hui, elle se sentait piètre, inutile. La corruption qui n'avait pas faibli même après la guerre n'était pas pour l'aider à retrouver son enthousiasme d'antan. Puis, elle avait beau être l'une des meilleures duellistes de sa génération, ses nuits de pleine lune l'empêchaient d'être active et efficace à cent pour cent. La direction du département de la Justice était fatiguée de concilier avec le planning de la louve, et elle aussi.
Que ferait-elle, après ? Elle n'en avait aucune idée. Elle se reposerait. Essayerait de concilier l'animal et l'humaine en elle. D'accepter sa vie telle qu'elle était. Elle était passée à côté de beaucoup trop de choses et avait la sensation de gâcher lentement mais inéluctablement sa vie. La guerre l'avait épuisée physiquement et moralement et elle n'avait pas retrouvé la paix à laquelle elle aspirait depuis, trop surchargée de travail. Sa décision était prise, même si elle mesurait toute la difficulté qu'elle aurait à gagner autrement son pain. Mieux valait faire ce choix d'elle même plutôt qu'attendre de se faire licencier comme une malpropre.
Un soupir au bord des lèvres, Natalee ferma la fenêtre, transféra sa valise chez elle d'un coup de baguette magique et descendit payer la somme qu'elle devait au gérant de l'hôtel. Emmitouflée dans sa cape de voyage, elle marcha quelques minutes sous le coucher du soleil et transplana à la sortie du village.

La colline de Têtafouine s'élevait devant elle, surplombant le petit village de Loutry Ste Chaspoule. Natalee gravit la large butte d'une démarche vive, pressée par le temps. Son regard se porta machinalement en direction de l'astre déclinant et elle accéléra encore le pas. James Kirkby l'attendait, seul au sommet du tertre. Néanmoins, le mauvais pressentiment qui la poursuivait depuis la réception de sa première lettre demeurait. Elle s'arrêta à quelques pas devant lui et frissonna sans comprendre l'origine de son malaise. Shevelin avait la sensation que les poils de ses bras et les petits cheveux flottants sur sa nuque se hérissaient. Elle rejoignit James d'un pas lent.

« Bonsoir James. Excuses-moi d'éluder les banalités d'usage mais je n'ai vraiment pas beaucoup de temps devant moi. Je reviens à l'instant de Roumanie pour tes beaux yeux alors je te serais infiniment reconnaissante si tu m'expliquais ce qu'il se passe ici. Les journaux roumains se fichent éperdument des dernières nouvelles anglaises. Et je suppose que si tu me contactes ainsi dans l'urgence, c'est qu'il s'est déroulé quelque chose de grave, n'est-ce pas ? »

La louve s'arrêta pour observer James. Merlin qu'il avait une sale tronche. Il avait l'air d'avoir vu un inferi. Il lui était certainement arrivé quelque chose et elle espérait de tout cœur qu'il ne s'agisse pas d'une mésaventure concernant ses anciennes fréquentations. Elle ne se faisait guère d'illusions cependant, la lettre qu'il lui avait envoyé le suggérait clairement. Shevelin fronça les sourcils et réprima un nouveau frisson. La lune, bien qu'encore invisible, provoquait déjà sa terrible attraction. L'obscurité s'épaissit et ses yeux renvoyèrent les dernières lueurs du crépuscule. Elle murmura, la voix légèrement grondante.

« Tu as vraiment une sale mine, ça m'inquiète. »

Crac ! Un petit geste sec du poignet, et la branche morte avait été broyée en plein vol. C'était avec ce sort-là que certains joueurs de Quidditch peu scrupuleux mettaient leurs adversaires hors course. Le sort ne pulvérisait pas le balai aussi radicalement qu'une petite branche, mais d'après ce que James en savait, il le déséquilibrait assez pour le rendre impossible à manoeuvrer. Un sort idiot, pour un sport idiot. Beau slogan, songea le jeune homme en jouant négligemment avec sa baguette magique. Il n'avait jamais aimé le Quidditch, et s'étonnait d'y penser précisément maintenant, à un moment aussi inopportun. Était-ce le seul moyen qu'avait trouvé son esprit pour ne pas se laisser envahir par la peur et par la culpabilité ? C'était possible, mais ce réflexe de survie stupide était déconcertant. James s'étira, et entreprit de brûler du bout de sa baguette magique les fils qui dépassaient du bas de son pantalon. Il relevait régulièrement la tête pour scruter les alentours ; personne à l'horizon, femme ou homme. Shevelin viendrait-elle ? Il ne restait que quelques minutes... et si elle avait décidé de ne pas aller au rendez-vous ? Et si, le soleil couché, Valère sortait de quelque coin obscur pour châtier celui qui l'avait trahi par deux fois ? James l'imaginait, tapi dans un fourré, observant avec délices sa future victime... Dans dix minutes, il surgirait, s'approcherait de son pas ondoyant, et c'en serait fini. Avec un peu de chance, il serait peut-être trop pressé pour s'éterniser en tortures... Le jeune homme envisageait tout cela avec une calme résignation qui lui faisait presque peur. Épuisé, il n'examinait même pas la possibilité de se défendre, ou même de s'enfuir ; ce serait pourtant faisable, à condition de ne pas lambiner...

Un léger bruit de brindilles piétinées lui fit tourner la tête, plus vivement qu'il ne l'aurait cru. Natalee Shevelin s'avançait vers lui, l'air pas contente du tout – encore moins contente que d'habitude. Sans se perdre en formules de politesse, elle s'adressa à lui d'une voix sourde; semblable à un grondement. Bien sûr; elle n'appréciait pas d'avoir été dérangée en pleine mission... et elle arrivait sans rien savoir des derniers événements. James leva vers elle un regard navré, et fit à mi-voix :

-La Marque des Ténèbres est revenue. Au-dessus de ma maison, ajouta-t-il très bas.

Il frissonna en prononçant ces mots. La simple évocation de la Marque lui faisait revivre toute la soirée – les sévices infligés par Araley, les conditions auxquelles il avait fallu souscrire, l'arrivée des Aurors... Ils avaient interrogé le jeune homme puis, très aimablement, l'avaient laissé se débrouiller seul et étaient repartis en emportant la table où Araley avait gravé son message. D'un geste tremblant, le repenti tira un papier de sa poche, et le tendit à Natalee, pour qu'elle le lise à la lumière rougeoyante du soleil couchant. L'article annonçait le retour de la Marque, et donnait l'identité du coupable : Valère Araley. Dans un souffle, bougeant à peine les lèvres, il lâcha l'information essentielle :

-Il va venir ici ce soir... vous trouver... lorsque le soleil sera couché...

Il lui sembla que l'Auror lui jetait un regard accusateur, et il baissa les yeux, sans chercher à s'expliquer ou à s'excuser. Que pourrait-il dire, de toute façon ? Les Aurors et autres gens courageux ne comprenaient guère qu'on cède à la peur, ou à la souffrance. Un homme, un vrai, devait savoir subir bravement les pires supplices, et ne pas s'abaisser à donner satisfaction à son bourreau... Facile à dire, lorsqu'on en discutait autour d'un verre, mais la présence d'Araley dans les données du problème compliquait pas mal de choses. Ce type-là était renommé, y compris parmi les Mangemorts, comme quelqu'un qui aurait fait parler un muet... Les fières résolutions de James n'avaient pas tenu longtemps face au traitement de choc administré par son ancien collègue. Tout le monde n'avait pas la fibre héroïque... voilà qui était regrettable pour Shevelin, qui s'inquiétait si gentiment de la sale tête de son ancien protégé...

Le sang de la louve ne fit qu'un tour, puis sembla se figer dans ses veines. Elle s'était imaginé cette hypothèse plusieurs fois avant de se rendre au rendez-vous, avait vu sans peine James être bien plus concerné qu'il ne l'admettait dans ses lettres. Cependant, elle avait rejeté cette idée, l'avait refusé comme on refuse un intrus gênant sur le pas de sa porte. James avait été en grande partie sous sa responsabilité et sa protection pendant la guerre et l'était encore aujourd'hui, en quelques sortes. L'Ordre du Phénix avait promis d'assurer sa sécurité et il n'y avait eu alors aucune condition de durée. Cela aurait dû être à vie ou, du moins, aussi longtemps qu'il resterait des mangemorts en cavale. Et il y avait encore de rares, très rares Mangemorts en cavale, dont un en particulier. Shevelin avait demandé à ce que sa tête soit placardée dans toutes les rues, afin que tous connaissent le visage d'un des plus dangereux malades qu'ait fait naître l'Irlande (et Merlin savait qu'il y en avait pourtant un paquet) cependant, le Ministère avait refusé d'effrayer la population et était passé outre les recommandations qu'elle leur avait transmis. Le calme avait plus de valeur que la sécurité. Après tout, il ne s'était s'agit que d'un sorcier, alors qu'une cinquantaine d'autres mangemorts sillonnaient le pays encore quelques mois plus tôt. Mais ce sorcier en question était fou.
Elle n'avait pas besoin de récupérer la feuille de journal que lui tendait James pour se douter de ce qu'il s'était passé. Elle lui adressa un regard qui frôlait l'effarement avant de baisser les yeux sur les caractères imprimés. Oui, il n'y avait que lui pour braver les sortilèges de sécurité qu'elle avait fait poser autour de la demeure de Kirkby. Il y avait un seul moyen d'entrer dans la demeure sans encombre. Se faire inviter. Si on l'avait écouté, si son visage aurait été montré à la communauté et Valère n'aurait jamais pu faire quoi que ce soit à James, à moins d'user de longues et précieuses heures à démanteler un part un les charmes de protection qui entouraient la maison.

Le cœur battant, elle froissa le papier dans sa main et regarda ailleurs, n'osant croiser le regard du repenti. Elle ne voulait surtout pas imaginer ce que l'ancien Mangemort avait pu lui faire subir. Natalee avait mesuré toute la folie de son cousin lorsqu'elle s'était rendue sur le domaine de son père et avait pénétré dans le vertigineux château. Elle avait été chargée avec d'autres de retrouver Araley, mais jamais ils n'étaient parvenu à poser la main sur lui. Il était comme une ombre, une brume glissant entre les doigts dès que l'on s'imaginait la saisir. Natalee le soupçonnait de s'être isolé en Grèce, mais le Ministère avait refusé d'aller l'y chercher, craignant des conséquences politiques avec l'autre territoire s'il s'avérait qu'ils avaient fait le déplacement pour rien.

Ce jour là, après avoir sans espoir affronté sa famille qu'elle n'avait jamais vu, les avoir interrogé un part un pendant que son équipe surveillait, elle avait pris conscience de toute la perversité de ces sorciers. La mère semblait dépourvue du moindre sentiment, aussi froide que son teint de peau était chaud, le père était d'un mépris cordial avec quiconque lui adressait la parole et mentait avec une habileté déconcertante. Le plus jeune, Arsène, un garçon à peine sorti de Poudlard qui avait été rapatrié de force au domaine afin d'être interrogé avait semblé être le plus sain et le plus déboussolé par toute l'affaire. Le plus angoissant et le plus morbide aux yeux de Natalee avait été de rencontrer les deux derniers membres de la famille. Nell et Ulter. Nell n'était pas qu'une grande femme sèche et froide, elle était la plus indépendante et peut-être la plus brillante de tous ceux qui vivaient au château. Aussi malsaines semblaient être ses relations avec Ulter et Valère.
Sa subtilité d'esprit était tout bonnement extraordinaire, ainsi que sa lucidité. C'était la sorcière qui lui avait le plus appris sur Valère, la seule qui avait coopéré malgré ses airs récalcitrants. Ainsi, elle lui avait expliqué très subtilement que l'affreuse maladie qui déformait son frère Ulter avait été causée par Valère Araley. S'il était capable d'une telle atrocité vis-à-vis d'un membre de sa propre famille, qu'était-il capable de faire à un jeune homme comme James ?
Son cœur s'emballa davantage dans sa poitrine, lorsque ce dernier prononça une ultime déclaration, la voix chevrotante.

Shevelin mis une longue seconde avant de relever un regard désemparé sur Kirkby. C'était son unique occasion d'attraper Valère, mais elle savait d'avance que cela était voué à l'échec. C'était un psychopathe, un véritable malade. Seule et sans escorte, elle n'avait aucune chance de l'arrêter. Il était plus âgé, plus puissant aussi qu'elle. La pleine lune n'allait pas tarder à se montrer et, sous sa forme lycane, elle ne pourrait plus rien contre lui, si ce n'était lui sauter à la gorge et le tuer. Mais elle n'y croyait pas une seconde. Si la pleine lune était sa seule chance de se sortir vivante de cette affaire, elle demeurait être un bien maigre espoir. Et si Valère désirait la retrouver ce soir, c'était assurément pour la tuer. Peut-être savait-il qu'elle était à sa recherche. Ou peut-être James avait-il avoué que c'était elle qui l'avait forcé aux aveux à son sujet. Si Araley était en cavale aujourd'hui, c'était seulement grâce à elle et à l'insistance dont elle avait fait preuve auprès des membres de l'Ordre.

« Tu m'as... vendu...? »

Murmura-t-elle d'une voix plus aigüe qu'à l'accoutumée. Elle aurait pu s'énerver, lui hurler dessus, le frapper. Mais le mal était fait, c'était trop tard à présent. Et Natalee comprenait, elle sentait la peur grimper en elle avec une force dévastatrice. Elle avait l'habitude des criminels, mais Valère lui inspirait de la crainte. Il s'agissait de son propre cousin, elle savait qu'elle risquait plus que n'importe quel autre Auror à sa recherche. Et surtout, elle savait de quoi cet homme était capable. Elle avait réussi à relier bien des meurtres affreux au mage noir, comme celui de cette famille moldue qui avait finie calcinée dans l'incendie de leur propre maison. Et l'ancienne famille alliée aux Araley, qui avaient apparemment trahit leur lignée pour s'associer indirectement à la rébellion. Elle ne voulait pas mourir, surtout pas dans des conditions aussi atroces que ces personnes, de la main de son cousin.
Encore une fois, son intuition ne l'avait pas trompée, mais le plus tragique dans cette histoire était que si elle s'était écouté et n'avait pas rejoint James, c'était lui qui risquait la mort dans une atroce agonie.

Il ne restait plus qu'à réfléchir. Et très vite. La nuit semblait tomber soudain plus rapidement et il restait peu de temps à Natalee pour trouver une alternative. Fuir était impossible, ils manquaient de temps et surtout, d'endroits où échapper à l'ancien Mangemort. Si elle fuyait avec James, elle risquait d'avoir la mort de ce dernier sur la conscience. Était-ce une raison pour se suicider héroïquement ? Assurément non. Elle comprenait mieux que jamais le dilemme qui avait dû pousser James à agir. L'Auror leva la tête vers le ciel, à la recherche de la lune qui, lentement, émergeait. Un intense frisson la parcourut. Elle attrapa sa baguette magique, jeta sa cape de côté et passa sa main libre le long de son visage.

« Écoutes moi bien, et fais moi confiance. Quoi qu'il arrive, je ne m'en prendrais pas à toi. Si je viens à... S'il réussit à me... tuer... vas-t-en. Ne lui laisse pas le temps d'en finir aussi avec toi. Et s'il me capture... et bien... De toute façon je serais morte avant qu'on ne me retrouve... Mais si j'arrive à m'en sortir, sois gentil, récupères ma baguette. »

Elle braqua son arme devant, elle, aux aguets, tandis que son regard s'adaptait à l'obscurité qui commençait à tomber. Pourquoi n'avait-elle même pas imaginé que Valère puisse s'en prendre à James ? Elle avait été trop optimiste en s'imaginant que la Justice mettrait la main sur le criminel si aisément. Sans observer James, elle murmura d'une voix faible.

« Je suis désolée... Tout ça est de ma faute... »

Natalee Shevelin, autant que James s'en souvienne, avait un tempérament volcanique, volontiers violent – tout l'inverse d'une femmelette qui se laisse abattre et pleurniche dans son coin. En l'informant succinctement des derniers événements, l'ancien Mangemort pensait donc susciter bien des réactions – de la rage, des reproches, ou même, tout simplement, une bonne volée d'injures à son encontre – mais pas ce silence consterné. Shevelin évitait son regard, et se taisait obstinément, aussi terrifiée que lui, de toute évidence ; et ce silence-là portait la peur de James à son paroxysme. Comment ne pas trembler, si même une Auror, et une Auror de la catégorie tête brûlée, donnait des signes d'angoisse ? Il fallait reconnaître que la menace n'était pas mince ; se savoir traquée par Valère Araley ne devait rien avoir de réconfortant. Pour James, il suffisait d'ailleurs d'évoquer ce sympathique personnage pour se sentir pris d'une soudaine envie d'aller élever des chèvres en Patagonie.

L'ami Valère, au demeurant, n'allait pas tarder à montrer son joli minois de taré congénital. Respectant le silence de l'Auror, James inspectait du regard les environs, mais la lumière déclinante l'empêchait de fouiller les recoins les plus sombres. Où se cachait-il ? Était-il déjà arrivé, ou allait-il transplaner directement sur leurs genoux ? La voix faible de Natalee interrompit ces suppositions, et James baissa à nouveau la tête, sincèrement navré que la jeune femme ait raison de penser qu'il l'avait « vendue ». Dans un souffle, il répondit :

-C'était pas contre vous, vous savez. Avec ce qu'il m'a mis, j'aurais vendu ma propre mère...

D'un geste fébrile, il porta sa main à son cou, à l'endroit où la marque noirâtre des cordes peinait encore à s'estomper. Entre le Veritaserum et les caresses savamment administrées par Valère, il y avait de quoi se répandre en confidences... Pour autant, cela ne rendait pas la délation plus facile à assumer. Le repenti sentait un sentiment de culpabilité lui nouer la gorge ; il fuyait consciencieusement le regard de Natalee – de même qu'elle fuyait le sien. Belle entrevue que la leur... Chacun se sentait responsable de ce qui arrivait – et chacun avait raison. James releva la tête en silence, pour suivre chaque mouvement de Natalee ; après un moment de terreur, elle semblait reprendre le dessus, et c'était plutôt encourageant. Elle acceptait le combat et, avec de la chance, elle viendrait à bout d'Araley. La place de ce mec était à Azkaban, ou, mieux encore, sous la terre ; James était prêt à seconder l'Auror pour mener à bien cette tâche, mais il ne se faisait guère d'illusions. Il ne serait d'aucune utilité en combat ; il avait cessé de se battre plusieurs mois auparavant, lorsqu'un serment inviolable lui avait lié les mains... et, contre Araley, avec ou sans serment, il se savait battu d'avance. L'autre avait pour lui la puissance, et l'aisance du duelliste confirmé... De toute façon, la prudence commandait de ne pas trop s'engager en faveur de l'un ou l'autre des belligérants ; quel que soit le parti qu'il choisisse, cela pourrait se retourner contre lui. La meilleure chose à faire serait même de partir, mais le repenti ne pouvait s'y résoudre. Partir, ce serait abandonner Shevelin... il l'avait déjà jetée dans ce guêpier, il ne pouvait pas en prime prendre ses jambes à son cou avant même le début des hostilités... D'autant qu'elle comptait sur lui. Il ne comprenait pas pourquoi elle promettait de ne pas s'en prendre à lui, mais il acquiesça lorsqu'elle lui demanda de récupérer sa baguette. Il préférait ne pas envisager l'hypothèse de sa mort ; ce pourri d'Araley ne pouvait pas l'emporter et laisser Shevelin sur le carreau ! Il faudrait bien qu'il y ait une justice à un moment donné, une morale à cette histoire qui n'avait que trop duré... Les gentils gagnent, les méchants vont moisir en prison, et les renégats... Que deviennent les traîtres dans les contes pour enfants, d'ailleurs ? L'histoire se désintéresse vite de ceux qui font les équilibristes sur la frontière entre bien et mal...

Le soleil avait presque entièrement disparu à l'horizon, désormais, et James commençait à s'inquiéter de l'absence de Valère. Le fondu n'avait-il pas tendu un piège pour y prendre, d'un seul coup, l'Auror haïe et le traître à la cause ? Il avait été idiot de marcher dans sa combine... Il préféra ne pas faire part de cette conclusion inquiétante à Natalee, et se leva lentement pour venir se placer près d'elle et murmurer :

-C'est moi qui suis désolé, Miss Shevelin. Dites-moi si je peux vous aider, de n'importe quelle façon, je le ferai.

Se concentrer et se bouger le cul était primordial. Ce n'était pas le moment de s'émouvoir des excuses de James, ni de pleurer l'erreur stratégique qu'elle avais commis quelques mois plus tôt. Contrairement à certains fous que l'insécurité déstabilisait, Valère semblait être comme un strangulot dans l'eau au beau milieu de l'anarchie qu'était devenue sa vie. Il s'amusait certainement comme un petit fou en ce moment même, alors qu'il s'apprêtait à débarquer. James avait-il été en avance sur l'horaire ou Valère un peu en retard ? Le fait était que Natalee avait ainsi le temps de prendre des décisions. Malheureusement, Shevelin ne pouvait s'empêcher malgré tout de tenir considération des paroles pourtant futiles de Kirkby. D'étranges et douceâtres émotions s'emmêlaient en elle au détriment de son sang-froid et de sa logique d'Auror. Était-ce parce qu'elle s'apprêtait à mourir, voir pire encore ? Non, elle ne se laisserait pas faire comme une vulgaire bleue. Elle se battrait jusqu'au bout. Quitte à passer par les pires souffrances. James s'était battu à sa façon pour vivre, elle en ferait de même.

« Commences par éviter de te faire prendre par Araley. Quitte à crever, je préfère que ce soit en te permettant de t'en sortir. Il faudra que tu témoignes, on ne peut pas le laisser s'en sortir. Merlin sait combien d'autres vies il compte prendre. »

Répliqua-t-elle d'un ton acerbe, camouflant habilement la peur qui la ceignait encore. Et maintenant ? Natalee fit signe au repenti de se tenir bien en arrière, dans son dos, au risque de se faire attaquer en traitre par le garçon. Elle en doutait cependant sérieusement. Il avait passé un pacte, il n'avait plus le droit d'user de sa magie pour faire du mal au risque d'en mourir sur le coup. Dans ces considérations, elle se sentait plus rassurée en le sachant derrière elle, aussi précaire était cette sécurité.
Elle avait besoin de renfort... Cette évidence lui apparut comme la première chose qu'elle aurait dû faire en apprenant l'arrivée imminente d'Araley. Il lui aurait suffit d'un sortilège du patronus et le QG aurait été alerté en quelques secondes. Quelques minutes auraient suffit avant que la cavalerie ne débarque. Elle se concentra, tenta de trouver l'évènement le plus heureux et le plus intense qu'elle n'ait jamais vécu. Elle se vit, encore jeune, son diplôme fraîchement obtenu, signer son contrat et s'installer dans le local des Aurors... Elle avait été si heureuse ce jour-là, après avoir tellement galéré pour en arriver là ! La joie s'était affadie cependant, mais elle parvint avec un effort à imaginer les émotions qu'elle avait ressenti ce jour là. Elle y était, mais le soleil chuta derrière la colline...

Plusieurs craquements retentirent et de longues silhouettes se dessinèrent dans la pénombre. Ils marchaient d'un pas rapide mais silencieux et seule leur baguette dépassait de leur cape noire.
- À droite, trois cents mètres.
Murmura une voix rauque. Les autres suivirent jusqu'à un cimetière dans lequel il pénétrèrent. Le vent soufflait, il faisait froid. Chacun s'échangea un regard avant de se faufiler parmi les tombes centenaires qui s'étendaient sur plusieurs ares. Le premier ouvrit d'un coup de baguette la porte d'un mausolée.
Le message laissé par Valère était formel, c'était ici qu'ils avaient toutes les chances de retrouver le criminel. Au beau milieu du York, là où avait été enseveli le premier sorcier viking qui avait posé les pieds sur l'île. Avec encore un peu plus de chance, ils le mettraient hors d'état de nuire avant qu'il n'ait commis un énième crime. Les Aurors s'engouffrèrent dans un long tunnel descendant, sans allumer leur baguette. Bientôt, une lueur trembla devant eux. Ils s'arrêtèrent, se concertèrent en silence, puis continuèrent de plus belle leur chemin. La lumière se fit de plus en plus intense.
Des bougies dans un cercle de craie blanche. Des silhouettes noires dansaient autour en scandant des mélopées inintelligibles mais les Aurors n'eurent pas le temps de s'arrêter dans leur élan. La pression éclata au moment même où l'un des sorciers se détacha du groupe et se jeta à l'assaut ; les autres suivirent instantanément.
- Aurors ! Lâchez votre baguette !
Le groupe d'adolescents se figea, complètement halluciné. Certains voulurent se débattre mais les incarcerem lancés à tout va eurent bientôt raison de leur vigueur. Emmaillotés comme des saucissons, ils regardèrent les seuls véritables sorciers qu'ils aient jamais vu de leur vie.
- Et merde.
Lâcha la voix rauque, avant d'envoyer un patronus au QG. Ils s'étaient complètement foiré, Valère n'avait jamais pensé une seule seconde mettre les pieds ici. Au lieu de quoi, ils venaient d'arrêter une bande de gothiques moldus fardés de poudre de riz et de khôl et tentant avec des capes synthétiques d'imiter la mode sorcière. Il ne savait pas, cependant, si l'imitation avait l'air plus con que les véritables possesseurs de baguette magique...
- Je l'avais dit, je l'avais dit putain ! À l'heure qu'il est, il est peut-être déjà en train de trucider cette orpheline dont il parle !
- Putain mais c'est quoi ce délire, bordel ?
- Nous sommes bloqués ici jusqu'à l'arrivée des oubliators, qui reste-t-il au QG ?
- Pratiquement personne. Rétorqua une sorcière en retirant sa capuche, l'air las. Il n'y a guère que l'équipe de Stephenson d'astreinte ce soir, mais elle a récemment perdu un membre et n'est pas au meilleur de sa forme. Shevelin revient seulement de mission, elle doit avoir la tête dans les papelards et son équipe a été envoyé en mission. Ils ne reviennent que lundi. Pratiquement tous les autres sont éparpillés dans le Royaume-Uni...
- Fait chier !
- Où Araley peut-être allé ?
- Mais détachez-nous bordel ! Et comment vous avez fait ça ? Vous êtes qui putain ?
- Toi, ta gueule ou je te fais bouffer tes cheveux gras.
- Connard !

À l'instant même où un jeune couillon de seize ans se mangeait un pain dans les dents, le patronus de Natalee Shevelin explosa. Le volute de fumée noire qui descendait du ciel eut à peine le temps de prendre l'apparence du plus dangereux psychopathe encore en liberté que Natalee se jeta à son assaut. Ne pas lui laisser le temps de parler, ne surtout pas lui permettre de prendre l'avantage ou de troubler sa vigilance. Une lumière verte effleura son épaule et elle sentit le souffle froid de la mort s'estomper derrière elle. Un grognement guttural s'extirpa de sa gorge alors qu'un loup noir s'élançait hors de son arme et fonça sur Valère, ses babines fantomatiques relevées sur des dents acérées.

- Tu crois que Shevelin pourrait nous être utile ? C'est sa cousine après tout, peut-être qu'elle sait quelque chose...
- Elle était dans les Carpates, que veux-tu qu'elle sache ? D'autant plus qu'elle ne connait pas sa famille. Tu n'as pas lu son dossier ? Elle n'a.... Oh, putain.
- Quoi, Jared ?

« Bien joué, Shevelin. Vous me surprenez. »

Le loup fantôme s'était figé avant de se répandre comme une brume compacte autour du mage noir. Natalee redoutait le pire. Elle se posta devant James en protection et braqua de nouveau sa baguette devant elle, prête à parer le premier sortilège ou se jeter à terre au moindre soupçon de lumière verte.

« Vous ne vous sortirez pas en vie de cette partie, si vous continuez sur cette voie Valère ! Je ne vous le demanderait qu'une seule fois, lâchez votre baguette ! »

Un rire s'extirpa de la brume, puis elle se dissipa, tranchée par des lames sorties de nul part, fusant droit sur le cœur de la lycane. Elle para sans mal, mais ne vit pas surgir le second sort qui l'envoya valser au loin en lui ouvrant profondément l'épaule droite.

« Vous êtes si téméraire... Si coriace... » S'amusa l'ancien Mangemort. « Mais vous allez mourir. Savez-vous pourquoi, Miss Shevelin ? »

« Ce petit jeu-là ne prend pas avec moi, connard ! »

Natalee sauta sur ses pieds, mais sa main trembla tandis que son visage se tournait vers la face ronde qui la surplombait. Sa baguette tomba sur le sol. Ses yeux se révulsèrent. Elle bondit tandis qu'un éclair ambré allumait son regard, réverbérant la lueur pâle de la pleine lune qui s'extirpait d'un nuage. Le hurlement de la sorcière se transforma en un grondement sanguinaire. ...Et elle fut propulsée en arrière, sur James. Écroulée sur le dos, elle était incapable de bouger. Ses yeux étaient rivés sur la pleine lune. Elle haletait. Un nouveau cri déchira le silence.
Valère braqua sa baguette sur l'Auror. Un jet de lumière fusa sur elle et ricocha en direction du criminel, le forçant à parer. Elle n'avait même pas senti le sortilège la toucher. Seule la douleur, ses muscles se bandant, ses os semblant s'amollir comptaient. La lune était gigantesque. C'était tout ce qu'elle voyait, même alors qu'elle fermait les yeux. Son esprit, ses pensées s'embrumèrent.

« Qu'est-ce que... James ! Expliques-toi ! Si tu l'as protégée d'une quelconque façon, je te promets des souffrances que tu n'imagines pas même dans tes pires cauchemars ! »

Le regard furieux du mage noir se braqua sur Kirkby. Son faciès était défiguré par une colère sourde, sur le point d'exploser. Il ne voulait pas comprendre, il ne pouvait pas. Ce n'était pas possible, il ne pouvait pas avoir autant de malchance. Un charme de protection pouvait peut-être expliquer le comportement de l'Auror... Non, rien ne pouvait l'expliquer, si ce n'était qu'une seule et une seule chose. James avait-il été mis dans la confidence ? Si cela avait été le cas, il l'avait dupé, encore une fois. Il le payerait. À cette simple hypothèse, son arme se braqua instantanément sur le jeune homme.

- C'est Shevelin... C'est Shevelin l'orpheline !
- Merde !
- Faith, restes là avec Amber en attendant l'arrivée des oubliators. Tu prend les commandes ici. Heathcliff, Leeroy, vous me suivez. Envoyez un message à Stephenson, qu'il me rejoigne avec ses effectifs chez Natalee. En espérant qu'il ne soit pas déjà trop tard.
- Jared, attends... Tu es certain que c'est elle ? Si on perd encore de précieuses minutes il...
- C'est notre seule piste. Shev' est liée à Araley par le sang et est à sa recherche. Tout s'explique.
Rétorqua-t-il à toute vitesse. Sans laisser le temps à Faith de répondre, les trois hommes transplanèrent.

[HJ : Ouais j'ai pas pu m'empêcher de me faire un délire à la Mission ZZ]

Le tout dernier rayon de soleil rougeoyait encore au sommet de la colline, incendiait la cime des arbres, s'attardait à plaisir comme s'il ne pouvait se résoudre à disparaître. James suivait du regard la diminution de la tache flamboyante, et il se sentait pris d'un étrange malaise... Natalee et lui-même, comme ce rayon de soleil, ne voulaient pas accepter de mourir. N'importe quoi, pourvu qu'on respire encore une fois... Il avait accepté le pacte proposé par Araley, juste pour durer encore un peu, comme le rayon de soleil qui semblait mettre le feu aux arbres. Un instant encore... une bouffée d'air, une soirée d'été, la sensation si familière d'un corps vivant et intact... Et ce soir, il payait le prix de ce sursis. Il sacrifiait une victime humaine au dragon, dans un étrange rituel, en espérant que le dieu de la vengeance accepterait de faire taire sa colère... mais les dieux ont toujours soif, et réclament sans cesse du sang nouveau. Valère n'avait rien de divin, sinon cette soif inextinguible. Il agréerait le sacrifice de Shevelin, puis, très vite, exigerait une nouvelle immolation... celle de James lui-même, peut-être, ou bien celle de quelqu'un d'autre. Il utiliserait le fantastique désir de vie de son ancien collègue pour en faire son rabatteur, celui qui lui amènerait ceux qu'il avait condamnés... Il lui vendait sa clémence au prix foirt, le forçait à devenir le complice de ses vengeances sanglantes.

À moins qu'il ne meure, ce soir, sur la colline de Têtafouine. De tout son coeur, James espérait que Natalee l'emporterait, qu'elle parviendrait à débarrasser cette pauvre planète de cette nuisance d'Araley. Lui-même se sentait prêt à l'aider dans cette tâche, mais comment ? Il ne pouvait donner la mort que pour défendre sa propre vie, et bon nombre de sorts lui étaient interdits. Sans compter que venir en aide directement à Shevelin, c'était choisir un camp – et s'exposer à de terribles représailles, s'il pariait sur le mauvais cheval...

Dans l'obscurité naissante, le jeune homme observa la tentative avortée de l'Auror pour créer un patronus ; il ne pouvait la blâmer d'avoir échoué, car l'arrivée en fanfare de Valère Araley aurait empêché n'importe qui de se remémorer un moment heureux. Sa baguette fermement serrée entre ses doigts, James s'efforça de suivre le combat qui s'engageait, en formant silencieusement des voeux pour la victoire de Shevelin. Elle se comportait avec bravoure face à ce fondu d'Araley, qui se complaisait dans son rôle d'ange de la mort drapé dans sa brume...

Je t'en foutrais, moi, de la brume, songea le repenti, la haine lui battant aux tempes. Le simple fait d'entendre la voix doucereuse de Valère le faisait bouillir. Ce cher monsieur se permettait de discuter, prétendait mener la conversation, comme s'ils avaient été dans un pince-fesses mondain... James eut envie de lui sauter à la gorge, de lui serrer le cou pour lui faire rentrer ses belles paroles, de sentir les os craquer sous ses doigts... Si seulement il avait pu se jeter dans le combat sans encombrer Natalee... Mais vu ses capacités magiques, il ne ferait rien de bon à ses côtés, et serait plutôt un fardeau qu'une aide. Il n'avait d'autre choix que de ronger son frein, en s'efforçant d'éviter les sorts perdus, et surtout en tâchant de ne pas gêner les combattants.

Le combat faisait rage devant lui, sous la lumière blafarde de la lune. Le jeune homme se tenait immobile, incapable du moindre mouvement, suivant avec angoisse chaque mouvement des deux sorciers. Tout se passait si vite, dans cette pénombre... Il n'eut guère le temps de réagir lorsque Shevelin fut propulsée vers lui, et il tomba à la renverse avec elle, dans un espace dégagé offert aux rayons de la lune.

L'instant d'après, l'Auror avait disparu, et Valère pointait sa baguette vers lui en le sommant de s'expliquer. L'avait-il protégée, cachée ? Le repenti jeta à la ronde un regard paniqué, et répondit d'une voix hachée :

-Non... je ne sais pas... je n'ai pas... je te jure, Valère...

Très doucement, il s'arrangea pour dégager sa main droite, celle qui tenait encore sa baguette, de manière à pouvoir lancer un sort. Il n'y avait pas grand-chose à faire contre Araley s'il avait décidé d'en finir, mais cela valait le coup de tenter. Après tout, la légende disait bien qu'on pouvait mourir d'un Expelliarmus...

- RAS, Jared.
Le dit Jared envoya un coup de pied dans le vide, poings serrés.
- Merde, putain de merde ! Fouillez la maison de fond en comble, je veux que vous connaissiez la couleur du moindre de ses sous-vêtements !
Ordonna-t-il, non sans avoir la pensée absurde que Natalee lui enverrait sûrement son pain dans le nez si elle l'avait entendu. Mais Natalee ne l'entendait pas et son intuition lui hurlait qu'elle était en danger, mortellement en danger. L'auror était la duelliste la plus douée de sa génération, elle se battait avec une fougue et une maîtrise peu commune. Grant s'était toujours demandé d'où lui venait la vivacité de ses réflexes. Même avant qu'elle ne fut transformée en lycane, elle avait quelque chose d'animal lorsqu'elle se battait. Les tarés les plus costauds avaient toutes les peines du monde à toucher Shevelin quand elle se décidait à passer à l'action. Quant à ses sortilèges d'attaque, elle en connaissait un panel assez dévastateur. C'était d'ailleurs ce qui lui avait valu bien des remontrances, quand un de ses sorts dégénérait sans qu'elle n'en eut le contrôle, mais ce soir, si elle était bel et bien face à Valère Araley, cela ne suffirait pas. Le Mage Noir était doté d'une grande puissance. Il avait flirté avec des magies à faire pâlir les plus allumés de ses anciens complices, n'avait reculé devant aucun obstacle pour gagner en puissance. Ce n'était pas tant son talent de combattant qui lui permettait d'avoir l'avantage, mais son charisme et le don qu'il avait pour insinuer la peur. Et au fond, si Natalee était si vive et vindicative, c'était parce qu'elle était facilement sujette à la peur. Elle ne paniquerait pas, non, mais un instant de doute suffirait à Valère pour la mettre à mort. Ou pire encore. La jeune femme était comme une sœur, c'était ainsi, dans le monde très en vase-clos des Aurors. Elle était plus aimée qu'elle ne se l'imaginait et, d'ailleurs, l'arrivée en cavale de Stephenson et de son équipe en témoignait. Jared jeta un coup d'oeil par la fenêtre tandis que la deuxième équipe s'approchait avec prudence, la baguette en main. Il ouvrit vivement la fenêtre.
- RAS, rentrez les mecs.
- Grant ! J'ai trouvé quelque chose ! S'exclama Heathcliff depuis le bureau.
Comme une même âme, tous se précipitèrent jusqu'à la petite pièce et s'y serrèrent tant bien que mal pour entendre ce que leur collègue avait à leur dire.

Un sortilège de lacération fusa droit sur la joue de James.
Douleur.
La baguette de l'ancien mangemort se braqua cette fois sur Natalee et s'éleva dans les airs, mais le regard de Valère oscillait entre le traître et l'auror.
Un craquement à en hérisser les cheveux sur la nuque retentit.
Sang. Soif.
Le corps de Natalee s'arqua et sa peau se recouvrit d'une épaisse fourrure grise. Deux yeux en amande brillèrent dans la nuit, puis disparurent. Elle sentit ses épaisses canines autour de sa langue plate et humide. Son échine se hérissa. Danger.
Cette fois, Valère la regardait bien, un éclat qu'elle interpréta comme une profonde surprise mêlé à une crainte fugace dans ses yeux d'émeraude. Elle n'avait plus peur, le Loup était le plus fort. Et elle allait le tuer.
L'éclair vert fusa mais le Loup bondit de côté avec souplesse.
Trop lent, tu es trop lent.
Valère recula, mais il était trop tard, la lycane avait bondit et ils chutèrent l'un sur l'autre. Sa mâchoire manqua in extremis sa gorge et un cri furieux s'échappa des lèvres d'Araley. Son poing s'écrasa dans la mâchoire de l'animal, qui gronda.
Un éclair frappa le crâne du Loup lorsque le choc lui fit se mordre la langue. Du sang gicla, barbouillant son poitrail, ses babines et le visage du Mage Noir.
Il faut... coup fatal. Pensa le Loup à travers la haine qui bouillait en lui. Il sauta de côté, le goût excitant du sang dans sa gueule, lorsque la baguette du sorcier se posa sur son flanc. Il courut en rond autour d'Araley, les babines retroussées, rieuses. Ses dents acérées brillaient du même éclat que ses yeux d'ambre.
Jouer d'abord. Puis tuer.
Un éclair de lucidité sembla traverser son esprit, mais le Loup ne le comprit pas. Il ne fallait pas jouer, était-ce cela ? Fallait-il tuer tout de suite ? Mais jouer, c'était ce que le Loup préférait.

« Homomorphus ! »

S'écria Valère en pointant son arme sur l'animal, mais il était toujours trop rapide. Sa course l'empêchait de l'atteindre. Le sorcier hurla de rage.

« Avada... »

Avant qu'il n'ait le temps d'achever sa phrase, la lycane fonçait sur lui, la gueule grande ouverte. Pour la première fois depuis des décennies, Valère eut tout le loisir de sentir l'effet de la peur dans chacun de ses membres. Il transplana derrière l'immonde créature, sans remarquer qu'elle avait emporté un pan de sa cape avant de retomber là où il s'était tenu une seconde auparavant.
Le Loup se figea et releva la truffe, aux aguets. Disparu ? Un frémissement lui chatouilla le bassin à l'instant où Valère réapparaissait dans son dos, et il se retourna avec un grognement féroce. Mais ses yeux se plissèrent, aveuglés par une intense lumière. Des mottes d'herbe se soulevèrent sans qu'il ne les vit, puis se transformèrent en échardes d'acier, qui fusèrent en tourbillonnement sur lui. Quand la lumière du lumos disparut, le sang de la Bête gicla de toute part, suivit d'un hurlement de douleur déchirant.

Il la tenait, cette fois. C'était du moins ce que crut Valère, et un sourire eu le temps de se former sur son visage. Il déchanta bien vite, cependant. Alors qu'il informulait un incarcerem, la créature sauta droit sur sa gorge. Il vit ses yeux avant de voir ses crocs. Ils étaient empreint d'une folie meurtrière, à en faire trembler n'importe qui. Même lui. Il avait échoué. Le temps semblait ralentir, des flash de vie s'étalèrent devant ses yeux, toujours surmontés des crocs et de la gueule ensanglantés de la lycane. Puis ce fut au tour de la forêt d'apparaître, et d'un petit garçon à la peau mâte, recroquevillé le dos contre un arbre centenaire. Valère transplana, et la gueule du Loup se referma sur de la fumée noire.
L'ennemi avait disparu, le Loup le sentait bien. La douleur eut alors tout le loisir de s'installer. Si le sort de lacération s'était dissipé à l'instant où Araley s'était enfuit, il ne demeurait pas moins de fines mais profondes entailles tout au long de son corps. Le sang coulait à flot sur sa fourrure.
Mal.
Le Loup se laissa tomber sur le ventre et lécha ses plaies, sans se soucier de la petite présence inoffensive qu'il sentait à quelques pas de là. Il la surveillait, ses oreilles mouvant de-ci de-là au moindre mouvement de la Petite Présence. C'était la meute, c'était lui que la femme au-dedans voulait protéger. Alors, le Loup ne lui ferait pas de mal, malgré sa frustration de ne pas avoir goûté le sang de l'autre homme. Il se redressa sur ses pattes et claudiqua, s'éloignant de l'autre. La femme était gênée par son regard et le Loup le sentait. Il avait oublié pourquoi, cependant, cela était si gênant. Tout ce dont il se souciait était de l'écharde de fer planté dans sa babine, qu'il n'arrivait pas à retirer même en léchant. Il n'osait mettre sa patte, car la femme lui disait que s'il faisait ça, il leur ferait encore plus mal. Et quand il voulait bien l'écouter, la femme avait souvent raison. Ce soir, d'ailleurs, elle était particulièrement bruyante. Comme une autre écharde à l'intérieur de lui.

Avant que James ait rien pu faire, un éclair lumineux avait jailli de la baguette de Valère – pas un éclair vert, mais avec un ancien Mangemort, cela ne voulait rien dire. La mort pouvait prendre bien des formes, avoir bien des couleurs, pour peu que le sorcier ait quelque imagination. L'Avada Kedavra était, ironie du sort, le seul sortilège mortel dit « impardonnable », alors qu'il était de loin le moins douloureux... Les sorts les plus cruels étaient considérés comme moins graves, dans la législation magique. Fallait-il y voir une incitation à faire preuve de cruauté, d'inventivité ? Beaucoup de criminels, dans tous les cas, le prenaient ainsi : tant qu'à finir en prison, autant que ce soit pour quelque chose de nouveau, de divertissant, d'atroce. Pour nombre des anciens collègues de James, l'Avada Kedavra était à réserver aux meurtres bâclés, aux cas où l'on n'avait pas le temps de fignoler les détails – et Valère était de ceux-là.

Cette fois, cependant, le sortilège n'était pas fatal. Un simple sort de lacération, qui entama profondément la joue de James... le genre de blessure qui saigne abondamment pour pas grand-chose. Aussitôt, le jeune homme sentit une vague de sang tiède couler le long de sa joue, et aller tremper le col de sa chemise ; il porta par réflexe sa main libre à l'entaille, sans cesser de pointer sa baguette magique sur Valère. Monsieur le cinglé n'attaqua pas tout de suite ; la baguette indécise, il hésitait, fixant alternativement James et un coin un peu plus sombre quel le jeune homme distinguait mal... Une poignée de secondes passa ainsi, puis le combat reprit – Natalee venait de sortir de l'ombre et de revenir à l'assaut, et c'est finalement sur elle qu'Araley avait jeté son dévolu. Elle était une proie bien plus difficile à vaincre, et donc bien plus intéressante... Le repenti suivit avec inquiétude les passes d'armes des deux combattants, sans cesser d'encourager silencieusement l'Auror... Il fallait vraiment qu'elle remporte ce combat. À mesure que les secondes passaient, elle semblait gagner en souplesse, probablement parce que son corps s'adaptait aux exigences d'un duel difficile... James la vit esquiver avec brio un éclair lumineux, juste à l'instant où un craquement à faire frissonner retentit... Les choses se figèrent un instant – le temps que le corps de Natalee Shevelin devienne celui d'un loup puissant et charpenté.

-Par Merlin... murmura le repenti impressionné.

C'était la première fois qu'il assistait personnellement à cette transformation, et de toute évidence, Araley lui-même était pris au dépourvu par cette complication inattendue. La bête était trop rapide pour l'homme, si redoutable qu'il soit, et les sortilèges lancés par Valère s'écrasaient lamentablement sans toucher leur cible. Le loup tournait inlassablement autour du sorcier, les babines retroussées, lançait des attaques si fulgurantes qu'il faudrait bien, à un moment, que sa chance insolente abandonne Araley... James s'efforçait de ne pas l'imaginer, la gorge ouverte sous les crocs du loup, se vidant de son sang dans un gargouillis écoeurant – une fin digne de ce gentilhomme.

Le duel gagnait en puissance, en cruauté, à présent. Araley se sentait acculé et en venait à employer les sorts maléfiques qui avaient fait sa renommée en tant que Mangemort. Un grognement de douleur informa James que le loup avait été atteint par les espèces d'échardes de métal que l'autre fondu avait conjurées... Lui-même échappa de peu aux petites lames d'acier en fin de course ; il dévia leur vol d'un sort informulé qui les envoya se planter dans un arbre, à l'instant précis où Valère se volatilisait en une brume noire, comme il l'avait fait en partant de chez lui.

C'était fini – pour le moment, du moins. Araley avait capitulé face au loup, mais ce n'était que partie remise. Et puis, l'animal était blessé... du sang luisait sous la lune ronde, et menait à l'endroit où le loup s'était couché. Était-ce grave ? Dans la pénombre, il était difficile de se prononcer. James ne s'approcha pas tout de suite de la bête ; la tête basse, il arpenta le champ de bataille, à la recherche de la baguette de Natalee. Elle en aurait besoin, très vite – car la blessure n'était pas grave, ce n'était pas possible. Il alla ensuite ramasser la cape qu'elle avait abandonnée, et la jeta sur ses propres épaules pour lui éviter de traîner. Ceci fait, il se décida à aller s'agenouiller auprès du loup blessé, en murmurant, autant pour rassurer la bête que pour se rassurer lui-même :

-C'est moi, Miss Shevelin... j'ai récupéré votre cape et votre baguette. Je vais regarder votre blessure, d'accord ?

À la lumière de sa baguette magique, il repéra l'endroit où l'écharde de fer s'était fichée, dans la babine de l'animal... Il fallait espérer qu'un geste secourable ne serait pas mal interprété, et ne lui vaudrait pas une morsure. Quelque chose, cependant, lui disait qu'il n'avait rien à craindre de ce loup, et c'est ce qui le poussa à avancer sa main pour retirer l'écharde.

-Je vais l'enlever... ça va faire mal..

Un loup-garou comprend-il ce qu'on lui dit ? Probablement pas, mais il y avait le ton doux de la voix, les gestes mesurés. Le repenti prenait soin de ne pas toucher trop rudement le corps meurtri du loup ; sa baguette allumée coincée entre ses dents, il ôta l'écharde de fer, puis rechercha d'autres blessures qu'il pourrait soigner sur place. De la poche de sa veste, il avait tiré un petit flacon de potion de soin, mais il hésitait à l'utiliser ; le loup allait lécher ses plaies et il valait mieux ne pas absorber ce mélange. Les mains du repenti étaient désormais maculées de sang – de même que son cou, où le sang en train de sécher formait une croûte encore malléable. Très fébrile, il murmurait pour lui-même :

-Il faudrait aller à l'hôpital... Mais je ne peux pas leur amener un loup... Il y a bien le sort d'Homomorphus, mais si vous avez pris de la potion tue-loup, ça peut être dangereux... Je ne sais pas quoi faire, Natalee... ni qui prévenir... Pourtant il vaudrait mieux ne pas rester là, des fois qu'Araley revienne.

À ces mots, il releva nerveusement la tête pour scruter les alentours, comme si ses paroles avaient eu le pouvoir de faire revenir Valère. Rien, cependant, ne venait troubler le calme irréel de la colline de Têtafouine – rien, hormis l'appel d'un hibou et les craquements discrets de la forêt.

Couché dans l'herbe, le loup haletait. Il laissa tomber sa tête dans l'herbe légèrement humide, épuisé plus par ses blessures que par les efforts qu'il avait déployé pour survivre. Pendant ce temps là, la Petite Présence approchait, mais il ne réagit pas. Pas de danger, c'était tout ce qu'il ressentait, et cela le rassurait. Cependant, ses yeux d'ambre se tournèrent en direction de la silhouette de plus en plus précise qui se traçait sur le bleu sombre du ciel. Le moindre soupçon le rendrait effroyablement dangereux. Mais sa voix, bien qu'il ne la comprit pas, trahissait plus de peur que de menace. Ses oreilles s'aplatirent sur son crâne, et il gronda légèrement lorsque les mains du jeune homme s'approchèrent, comme s'il maugréait. Il tourna légèrement la tête vers le sorcier, la relevant à demi et ses babines se retroussèrent, laisser échapper un jappement, lorsque l'écharde fut retirée. Dans la main du sorcier, elle paraissait plus grosse, plus menaçante, bien que le loup ne se fit pas ce genre de considération, trop occupé à se pourlécher ses babines empreintes du sang qui coulait de plus belle.
La bête fixa James. Dans les yeux du loup, le repenti apparaissait comme une petite chose fragile, désemparée. Un louveteau perdu dans un lieu où il ne devrait pas se trouver. Sa peur était agaçante : ils ne risquaient plus rien. L'adversaire était parti et son instinct lui soufflait qu'il ne reviendrait pas. Il fallait le rassurer. Le loup tourna les oreilles vers lui et tenta de soulever sa lourde masse sur ses pattes branlantes. Quelque chose avait était sérieusement entamé dans l'une de ses pattes et, au lieu de s'approcher, il s'effondra et sa tête tomba sur les cuisses de Kirkby. La douleur transformait son champ de vision en nuances de rouges. Ça brûlait, ça piquait, ça tirait. Il sentait des gouttes tièdes glisser dans son pelage, mais il n'avait pas la force de lécher. Il voulait simplement dormir. Demain, la femme les soignerait. C'était ce qu'elle avait toujours fait, bien que ce soir, ce qu'il captait d'elle l'inquiétait.

Plusieurs craquements retentirent soudain tout autour d'eux. C'était un bruit vaguement familier, que le loup ne parvint cependant pas à identifier. Il sursauta tandis que sept silhouettes apparaissaient en les encerclant. Sept baguettes se brandirent dans la même direction. Droit sur James.
- Lee...
Souffla Jared, tandis qu'une vive angoisse montait en lui. Contre toute prudence, Grant s'approcha vivement de la scène d'horreur qu'il venait de découvrir. James se tenait là, maculé du sang de la lycane, et cette dernière demeurait immobile tandis que des plaies dont il était impossible de mesurer la gravité déversait un sang sombre.
- Encore toi ! Souffla-t-il à l'adresse du repenti, d'une voix qui n'augurait rien de bon. Éloignes-toi d'elle tout de suite !
Il ne laissa pas le temps à James de réagir et l'agrippa par le col pour le dégager de la lycane meurtrie. Mais à l'instant où il s'apprêtait à le repousser abruptement au loin, les crocs du loup se fermèrent sans brusquerie sur son mollet, bientôt suivi par un grondement. Jared lâcha James, non sans lui adresser un regard profondément suspicieux.
- Je te laisse t'occuper d'eux, Jared, déclara Stephenson. Mon équipe et moi prenons le relais ici.
Jared, quant à lui, s'était agenouillé auprès de Natalee, tandis qu'Heathcliff, homme jeune mais robuste et Leeroy, qui semblait avoir le même âge que Grant, s'approchaient pour le couvrir, peu rassurés cependant par la présence du loup-garou.
- Natalee... Natalee, tu m'entend ? Murmura-t-il, tout en approchant ses mains de la tête de l'animal. Ce dernier rouvrit les yeux, au grand soulagement de l'auror.
- Je suis là, tout se passera bien. Laisses-moi t'emmener en lieu sûr... Toi, tu viens avec nous. On a des questions à te poser. Je te préviens, au moindre geste brusque, à la moindre tentative de fuite, je te barde la gueule de sortilèges, c'est bien clair ? Donnes-moi sa cape. Et sa baguette aussi.
- Jared... Protesta Heathcliff. Tu es sûr qu'elle est inoffensive ? Peut-être qu'elle n'est pas agressive seulement parce qu'elle est blessée et...
- Penses-tu vraiment qu'un lycan mourant se montre aussi sage qu'une brebis ? On t'as appris quoi à l'école ? Si Natalee a un don pour mettre sa vie en danger, elle ne joue pas avec celle des autres. Cela fait des mois qu'elle boit régulièrement du tue-loup.

- James Kirkby, pour le moment, vous êtes soupçonné de complicité dans une tentative de meurtre. Je vous serais gré de me donner votre baguette et de nous suivre sans la moindre résistance, à moins que vous préféreriez un séjour à Azkaban avant votre interrogatoire, déclara Leeroy, pendant ce temps là.
Les autres Aurors, quant à eux, bardaient les lieux de sortilèges de protection et s'aventuraient hors de vue, à la recherche des traces de l'ancien Mangemort.

Leeroy tendit le bras à James, puis à Jared, qui emmitoufla Natalee sans sa cape avant d'oser la prendre à bras le corps, sous le regard éberlué de ses collègues.
- Je t'envoie le reste de mon équipe, Steph'. Tiens-moi au courant de tout ce qu'il se passe ici. Ordonna-t-il, avant que tous ne transplanent sous l'impulsion de Jared Grant.

La vaste devanture d'un hôtel se dessina devant les yeux des cinq personnages, avant que tous ne se réfugiassent, emmenant de force James avec eux, dans une ruelle adjacente afin de se protéger de la vue de potentiels passants. En silence, Leeroy se détacha du groupe et entra dans l'hôtel. Il revint quelques minutes plus tard et hocha la tête en direction de son supérieur, et tous entrèrent. Le hall ainsi que la réception étaient vides.
- J'ai réquisitionné une suite. Ce sera plus simple pour loger tous dedans.
Ils prirent un ascenseur qui les emmenèrent au dernier étage, dans un couloir bien plus faste en luxe que l'aurait présagé l'entrée. Leeroy fit tourner une clef dans la serrure de l'unique porte au centre du couloir, et fit entrer James en premier dans le vestibule. Les deux Aurors l'encadrèrent alors, tandis que le troisième, Natalee dans les bras, bien humaine et couverte de sa cape, les dépassait pour entrer dans le salon.

- Natalee, tu m'entends ?
Dans la confusion totale dans laquelle errait son esprit, Natalee entendit ces mots, sans parvenir à y répondre. Les informations peinaient à traverser l'obstacle que formait la brouillasse épaisse dans son crâne, et réagir lui semblait impossible. Elle avait la sensation d'avoir perdu l'usage de la parole. Cela était toujours ainsi, lorsqu'elle trouvait refuge dans un lieu où la lumière de la pleine lune ne représentait plus une menace. Le loup était encore là, bien présent et ces deux parties d'elle-mêmes se mélangeaient confusément. Tout ce qu'elle comprenait était qu'elle était désormais en sécurité, auprès d'un ami, mais que la douleur la ceignait encore de toutes parts. Elle voulut regarder ses blessures, mais elle ne se vit que recouverte de sa cape ainsi que de celle, plus épaisse, de Jared. Elle avait froid malgré tout, et tremblait. Elle se sentait sale aussi, sale et misérable. Elle eut envie de pleurer lorsque ses yeux rencontrèrent ceux de l'auror, et elle comprit avec un peu de retard que c'était le choc d'avoir échappé de peu à la mort. La main de Jared glissa le long de sa joue éraflée et ses doigts s'approchèrent de la plaie qui tranchait à présent en deux sa lèvre supérieur. Il alla chercher une petite serviette dans la salle de bain et s'employa à essuyer le sang qui parsemait son visage et son cou.
- Ça va aller, on va te soigner.
Natalee hocha la tête et se recroquevilla sur elle même, la respiration haletante, tandis que son collègue envoyait un patronus à l'intention du reste de son équipe resté en retrait. Il mesura ensuite les protections de l'hôtel et Natalee le suivit du regard sans vraiment le voir, jusqu'à ce qu'il disparaisse de son champ de vision dans un claquement de porte.

- Elle est dans un sale état... Il lui faut un médicomage au plus vite. Murmura Jared à l'adresse des deux autres aurors tandis qu'il entrait dans le vestibule. Il fustigea alors James du regard et son point se serra compulsivement, signe qu'il se retenait sérieusement de le coller au mur et de lui envoyer une beigne.
- Je m'en occupe et vais voir ce que je peux faire. J'ai quelques connaissances en sorts de soin, répondit Leeroy, qui attendit l'aval de son supérieur pour aller au chevet de Natalee.
Ce dernier releva, méprisant, le menton en direction de James, l'invitant ainsi à parler.
- Je t'écoute, lâcha-t-il froidement, sans se soucier du fait qu'il avait peut-être déjà parlé aux deux autres. Il voulait entendre les faits de la voix du coupable avant d'agir.

Un flot de sang avait jailli de la babine du loup lorsque James avait retiré l'écharde, maculant encore un peu plus les vêtements du repenti. Machinalement, le jeune homme empocha le morceau de métal, sans trop savoir pourquoi ; la lycane avait grogné, mais au lieu d'employer ses dernières forces à mordre le repenti, elle les avait utilisées pour se rapprocher de lui... Soulagé d'avoir échappé à la réaction violente qu'il craignait, James se prit à caresser le dessus de la tête du loup, à un endroit exempt de toute blessure, sans plus songer qu'il grattait les oreilles de l'auror Natalee Shevelin. L'idéal aurait été de pouvoir lancer quelques sorts de soins, mais James ne se jugeait pas assez compétent pour le faire sans risquer d'aggraver les choses. À la lueur de sa baguette magique, il discernait mal les blessures qui devaient parsemer le corps du loup ; le sang avait coulé en grande quantité, et rendait toute intervention périlleuse. Un vrai Médicomage saurait traiter ces blessures, à condition que Natalee arrive à temps entre des mains plus qualifiées que celles de James. Pour cela, il aurait fallu se dégager, pouvoir donner l'alerte... mais la tête du loup appuyait sur sa cuisse, et il sentait une flaque de sang chaud tremper la jambe de son pantalon en répandant une odeur métallique. Le repenti éteignit sa baguette magique et la rangea dans la poche de sa veste, certain qu'elle ne lui servirait plus à rien – et c'est probablement cette précaution qui lui valut de ne pas se ramasser sept sorts en pleine poire quand les joyeux drilles du Ministère arrivèrent avec leurs gros sabots.

De leur point de vue, il fallait bien l'admettre, la situation devait paraître singulièrement claire. Un Mangemort soi-disant repenti – comme si un Mangemort pouvait se repentir – avait réussi à coincer une Auror, certainement par traîtrise, pour se venger sur elle de sa propre déchéance et de celle de son Maître... Et maintenant, pareil à un vampire, il se repaissait de son agonie, plongeait avec délices ses mains dans son sang... Objectivement, la scène devait ressembler à cela. L'un des Aurors s'avança d'un pas vif, et attrapa James au col pour le rejeter loin de Natalee. Le loup claqua des mâchoires ; en déplaçant l'ancien Mangemort, l'Auror avait probablement réveillé quelque douleur de la bête – le repenti lui-même n'imaginait pas d'autre explication à la réaction du loup.

Le jeune homme donna la cape et la baguette de Natalee au sympathique personnage qui les lui réclamait, et il se releva lentement, à gestes mesurés, bien conscient que les menaces proférées par un Auror n'étaient jamais des paroles en l'air. À peine sur ses pieds, il sentit qu'une main se posait sur son épaule pour le forcer à pivoter, et un puissant éclair lumineux en pleine face le força à lever vivement un bras pour se protéger les yeux. Dans le halo de lumière, une voix ferme s'éleva, informant le repenti de ce qu'on lui reprochait, et exigeant qu'il rende sa baguette sans faire d'histoires.

-D'accord, d'accord, fit James avant de mettre la main droite dans sa poche – en priant pour que l'Auror n'aille pas croire à une entourloupe.

Le type empocha sa baguette magique, et l'entraîna un peu à l'écart, sans cesser de le tenir en respect. Quelques instants plus tard, ils furent rejoints par deux autres Aurors ; celui qui l'avait menacé, et qui semblait être le chef, portait Natalee dans ses bras... Sans un mot, tous s'accrochèrent les uns aux autres, et James sentit une poigne de fer se resserrer sur son poignet, une seconde avant que le petit groupe ne transplane.

Ils arrivèrent dans une rue peu fréquentée, devant un hôtel de luxe, au grand étonnement de James. Pourquoi pas le Ministère ? Cela ne lui disait rien qui vaille... On le poussa à l'intérieur de l'hôtel, puis dans l'ascenseur, puis dans une vaste suite, entre deux Aurors qui ne le lâchaient pas ; ils le firent avancer jusqu'à un salon, et lui désignèrent un siège. Le repenti s'assit en silence ; les deux hommes, la mine grave, se mirent à arpenter la pièce, et un pesant silence s'installa dans le salon.
L'odeur de sang séché – le sien, celui du loup – commençait à donner la nausée à James ; il garda le silence autant qu'il put, puis, n'y tenant plus, demanda à mi-voix :

-Est-ce que je pourrais me laver un peu ?
-C'est vrai que tu pues, fit le dénommé Heathcliff, comme s'il venait de faire une découverte.

L'autre Auror fronça les sourcils, avec l'air de se souvenir soudain d'un truc important, et répondit un peu plus à propos :

-Pas tout de suite. On doit d'abord faire quelques photos de ton joli minois. Pour les verser au dossier, tu comprends ? Ton dossier de demande de logement à Azkaban, ajouta-t-il avec un sourire menaçant. Heath, l'appareil !
-C'est pas toi qui l'avais ?

Une brève discussion s'engagea entre les deux hommes, mais ils retrouvèrent assez vite leur appareil photo ; le nommé Leeroy emmena James se placer devant un mur blanc, et joua le metteur en scène.

-Allez, Heathcliff, prêt à tirer le portrait de notre ami ? C'est parti... Tourne-toi, toi... tu sais que tu es beau, couvert de sang ? Je suis sûr que le tribunal adorera ! De profil... l'autre profil... de face ! Retrousse un peu tes manches de chemise, qu'on voie bien le sang jusqu'aux coudes...

Le regard des deux types s'attarda sur l'avant-bras gauche du repenti tandis qu'il s'exécutait, et ils échangèrent un bref coup d'oeil, probablement intrigués par les cicatrices et le traces de brûlures. À l'instant où ils rangèrent l'appareil et où James allait redemander l'autorisation d'aller se laver, le chef rentra dans la pièce, porteur de nouvelles inquiétantes au sujet de Natalee ; sans perdre de temps, il passa à l'interrogatoire du suspect. James ne prit pas garde à son regard mauvais, ni au mouvement compulsif de son poing ; l'épuisement, l'angoisse et la colère d'être traité comme un meurtrier le rendaient étrangement loquace, et il répliqua vertement à l'Auror qui l'invitait à se confesser sans plus tarder :

-Permettez-moi de vous dire que vous faites fausse route... Vous êtes en pleine erreur judiciaire, brigadier, lança-t-il, feignant de croire qu'il s'adressait à un simple membre de la Brigade Magique.

La petite provocation de James passa particulièrement mal pour Jared et, sentant la colère de son supérieur, Heathcliff s'avança d'un pas, près à intervenir au cas où l'auror perdait son sang-froid. Tel ne fut pas le cas, cependant. Seul un rictus barra ses lèvres, l'espace d'une courte seconde.
- Il n'y a aucune erreur judiciaire, Kirkby. Tu as été retrouvé sur les lieux d'une agression, couvert du sang de la victime et un morceau de métal semblant coller aux lacérations dans la main. Il y a largement de quoi te soupçonner, et, tant que nos doutes ne seront pas évincés, tu resteras là avec nous. Tu as à voir avec cette affaire, nous le savons tous les deux aussi bien. Le gros point d'interrogation demeure sur la nature de ta participation.
Jared sortit sa baguette de l'étui qu'il gardait à sa ceinture, et glissa ses doigts le long du bois noir et lisse.
- Crois moi, dans la situation dans laquelle tu te trouves, je ne me permettrais pas de faire ce genre d'esprit, à ta place. Ce qu'on pourrait appeler une bavure pourrait vite avoir lieu si tu garde un ton pareil avec moi. Tout le monde ici fermera les yeux, car nous sommes tous très en colère de retrouver Natalee Shevelin dans un tel état. Valère est déjà recherché, on peut très bien te coller cette agression sur le dos afin de se débarrasser une bonne fois pour toute d'un type qui sème les ennuis dès qu'il respire.
L'Auror en chef s'avança vers James, et jeta un long regard sur les marques de brûlures qui s'étalaient sur son avant-bras gauche.
- Les marques du passé ne s'estompent pas si facilement, n'est-ce pas ?
Prononça-t-il sur le ton de la confidence, avant de laisser passer un silence.
- Heathcliff, laisses-nous un moment, veux-tu ?

Le sus-cité obtempéra, laissant seuls James et Jared. Dans le salon d'à côté, Natalee buvait une potion de soin en grimaçant de dégout, que Leeroy avait téléporté directement de son armoire à pharmacie. Le goût était immonde, mais la tête ne lui tournait plus, remplacé par une douce chaleur, qui n'annihilait cependant pas complètement ses douleurs.
- Ça ne suffira certainement pas pour toutes tes plaies. Il faudrait qu'on t'emmènes à l'hôpital.
- N... Non. Pas besoin.
- Mais dans ton état...
Pour toute réponse, Leeroy reçu un regard si féroce qu'il recula instinctivement le buste. Heathcliff détourna le regard, réprimant un sourire hilare. En effet, cela était possible pour Natalee d'être encore plus catégorique qu'à l'accoutumée.
- James... Où est James ?
Articula-t-elle péniblement.
- Avec Jared, dans le hall, rétorqua Heathcliff en s'allumant une cigarette.
- Il faut... le... protéger. Il n'a pas... eu... le... choix...
Un grondement ponctué de tremblements acheva sa phrase, et Leeroy se leva instantanément pour fermer les volets, afin d'empêcher la lueur de la lune de se refléter à l'intérieur de la chambre d'hôtel.
- Qu'est-ce qu'il s'est passé, Lee ? Tu es en état de nous le raconter ?
Pour toute réponse, Natalee inspira profondément et hocha la tête. Elle n'avait pas encore assez de forces pour parler clairement, et sa langue était pâteuse à cause de la texture infâme de la potion.
- J'ai soif.
- Okay, prend ton temps, je te ramène un verre d'eau.
Natalee acquiesça et se recroquevilla de nouveau sur elle-même, les bras enserrant ses jambes et le menton appuyé sur ses genoux. Ce n'était pas à ces deux-là qu'elle voulait parler, mais à Jared. Il en savait plus sur le sujet de James que les autres, grâce aux confessions qu'elle lui avait faite à la fin de la guerre.

Jared se recula de quelques pas, sans pour autant quitter Kirkby du regard.
- Tu as amené Natalee à Valère, c'est cela ?
Murmura-t-il, plus comme une affirmation qu'une véritable question.
- Il a dû savoir que c'était elle et son équipe qui se chargeaient de sa recherche. Le tout est de savoir comment il le sait. Est-ce toi qui l'a mis sur cette piste ? Je sais que c'est Natalee qui t'as fait parler de Valère, elle me l'a raconté. Elle et moi sommes les seuls à être au courant de ce qu'il s'est passé pendant la guerre, ici. Seulement, c'est après toi qu'Araley aurait dû être, c'est toi qui l'a vendu. Qu'est-ce qu'il s'est passé pour que ce dernier jette finalement son dévolu sur Shevelin ? Aies la décence de me raconter ce qu'il s'est vraiment produit chez toi, l'autre soir, et sur la colline cette nuit. Pas pour moi, mais pour Natalee qui t'as offert sa protection par le passé, et qui a faillit mourir à cause de toi cette nuit.
Sur ces mots, Grant se figea, sa baguette penchée entre ses doigts, attendant que James se mette enfin à parler convenablement, et honnêtement.

L'envie de ramener sa fraise disparut bien vite, devant les regards assassins des deux Aurors. James n'était pas suffisamment désorienté pour ne pas remarquer, cette fois, la colère de Jared, et le pas en avant que Heathcliff avait fait au cas où. Il comprit, à l'instant même où il prononçait sa dernière impertinence, qu'il ne gagnerait que des ennuis à ce petit jeu-là, et l'Auror en chef le lui confirma sans détour. La mise au point glaciale de Jared porta bientôt ses fruits ; ses mots étaient trop bien sentis pour ne pas ramener le repenti à la raison. Pour la première fois, James prenait conscience que sa situation était bien pire que ce qu'il avait imaginé ; jusque-là, il n'avait songé ni à la possibilité d'être rendu seul responsable des crimes de Valère, ni à la bavure, toujours à craindre avec trois Aurors sur les nerfs. Il ne répondit pas immédiatement à l'Auror en chef, mais quelques indices physiques manifestèrent le changement qui s'opérait en lui. Ses épaules se voûtèrent légèrement, son regard se fit moins effronté, et il finit par reculer d'un pas, abandonnant complètement l'attitude de défi qu'il avait eue. La réflexion de Jared sur « les marques du passé » acheva de le dompter ; pour lui, c'était un coup bas. D'un geste convulsif, il rabattit la manche gauche de sa chemise, et la boutonna fébrilement ; il détestait qu'on lui rappelle son ancienne condition de Mangemort, et rien n'aurait pu le mettre plus mal à l'aise que cette remarque. La tête basse, il entendit que l'Auror en chef ordonnait à son subordonné de les laisser, et il se demanda ce qui allait se passer lorsqu'il serait en tête à tête avec lui.

Il releva la tête pour suivre Heathcliff du regard ; l'Auror avait pris la direction de la chambre de Shevelin, et James se demanda un instant comment elle allait. Vu la quantité de sang qu'elle avait perdu, ce ne devait pas être terrible... Il n'osa poser aucune question à Jared, qui serait bien capable de considérer qu'il s'agissait d'une nouvelle provocation de sa part. L'Auror le toisait, le regard dur, et le repenti se prit à s'inquiéter de se trouver seul à seul avec lui... Il suivit nerveusement le mouvement de Jared, et ne se détendit qu'en voyant qu'il reculait. Apparemment, il était disposé à lui laisser une chance de parler sans contrainte... James l'écouta attentivement, sans le quitter des yeux, incapable de dissimuler le profond malaise que lui causaient ses paroles. Shevelin avait failli laisser sa peau à cause de lui, il avait raison. Pour se sauver, il avait envoyé une jeune femme à la mort, et pas n'importe qui ; l'Auror, il s'en souvenait, avait été de ceux qui avaient fait preuve de bienveillance à son égard durant la guerre. Les scrupules qui l'avaient empêché de dormir ces derniers jours revenaient en force, plus virulents encore maintenant qu'il avait assisté au combat entre Natalee et Araley... Il se tassa littéralement sur place, et dut faire un effort pour regarder Jared en face lorsqu'il lui répondit :

-C'est bien moi qu'Araley voulait tuer, vous avez raison. Il voulait se venger... mais il voulait aussi savoir comment ça s'était passé quand je l'ai donné. Il m'a donné du Véritaserum, et j'ai parlé de Natalee. À ce moment-là, Araley a complètement changé. Il ne s'est plus du tout intéressé à moi, et m'a dit que tuer Natalee serait beaucoup plus agréable que me tuer moi. Il m'a offert de m'épargner, si je le menais à Natalee... Vous n'êtes jamais tombé entre les pattes de ce cinglé, pas vrai ? ajouta-t-il comme pour dissuader Jared de lui reprocher sa lâcheté. Je ne vous le souhaite pas. Je vous assure qu'il pousserait n'importe qui à faire n'importe quoi. Il a fixé lui-même la date et le lieu du rendez-vous. Il ne devait pas savoir qu'elle était loup-garou...

Rendu nerveux par cet interrogatoire, le repenti se mit à faire les cent pas, et s'anima un peu en poursuivant :

-Je vous jure qu'à aucun moment je n'ai attaqué Natalee. C'est moi qui l'ai conduite là, je ne le nie pas, et je m'en veux assez de l'avoir fait, mais je n'ai lancé aucun sort contre elle. Vous n'avez qu'à analyser ma baguette, c'est l'un de vos adjoints qui l'a... Vous croyez que je serais resté là à attendre qu'on m'arrête ? Que je me serais rendu sans broncher ? Quand vous êtes arrivés, j'essayais de l'aider. Le morceau de métal, je l'ai enlevé de sa... de sa lèvre, fit-il après une hésitation, préférant ce terme à celui de babine, pourtant plus approprié. Je l'ai gardé pour le montrer au médicomage qui la soignerait, au cas où...

Il s'arrêta auprès d'une fenêtre, appuya son front au carreau, et regarda sans la voir la rue déserte. Tout ce qu'il avait fait en croyant se rendre utile se retournait contre lui... Jared avait raison, ils avaient plus de preuves qu'il n'en fallait. Le repenti tourna la tête vers lui avec l'intention de demander comment allait Natalee, mais il ne parvint qu'à balbutier :

-Vous voulez savoir autre chose ?

Le ton posé mais déterminé de Jared fit mouche. Bientôt, James fondit littéralement sur place, à la façon d'un esquimau dans une main d'enfant, qui, comme nous le savons tous, sont des créatures lentes et peu débrouillardes, surtout pour les exercices visant à terminer un met avant qu'il ne se transforme en flasques collantes aux couleurs indéfinissables. L'Auror n'eut pas à user d'autres stratagèmes pour que James collabore, gagnant ainsi un point de confiance aux yeux de son interlocuteur. Son discours ne paraissait ni apprit coeur, ni calculé et Jared ne flairait aucun mensonge. Il admettait sa participation, sachant pertinemment que seule la vérité avait des chances de le sortir du guêpier dans lequel il s'était fourré malgré lui.
La puissante gêne de Kirkby, bien visible un instant plus tôt, était certainement ce qui avait attiré la pitié de Natalee, pensa Jared tout en écoutant et mémorisant le discours du jeune homme. James avait peut-être fait parti des sorciers qui avaient été forcés à rejoindre la cause de Voldemort, ou qui avait cru rejoindre le meilleur parti, séduit par la propagande massive, avant de brutalement déchanter. Il savait combien Natalee s'attirait la sympathie des gens au passé plus qu'étrange et aux regrets poignants. C'était la faiblesse qui avait faillit lui coûter la vie, mais il ne pouvait pas l'en blâmer. James avait l'air de véritablement souffrir de ses affiliations passées et, après tout, il n'y avait que les criminels de la pire espèce, comme Valère, qui n'avaient pas le droit à une seconde chance. Il était jeune, naïf et facilement manipulable. C'était en tout cas la conclusion qu'il se faisait au terme du discours de James. Le repenti, malgré sa bonne volonté à coopérer, n'avait pas imaginé un seul instant pouvoir éviter la catastrophe, aveuglé par la puissance terrible et menaçante de son ancien complice. Il avait cru son sort scellé par les choix de Valère, soumis au plus fort par crainte de la mort. Il n'avait plus vu les autres solutions qui s'offraient à lui, aveuglé par les discours et les actes d'un homme qu'il imaginait supérieur à tout le monde.
Or, cela était totalement faux. Valère Araley n'avait pas toutes les cartes en main, et chacun de ses agissements devenait de plus en plus risqué pour lui-même. Il s'exposait sciemment au danger, flirtait avec la faucheuse en se croyant aussi impossible à attraper que la brume qui recouvrait parfois les rues de Londres. Mais plus il osait, plus les Aurors se rapprochaient de lui, et l'échéance avant sa fin se raccourcissait. Non, ce criminel n'était pas tout puissant. L'élite magique était après lui, ses membres prêts à sacrifier leur vie pour mettre hors d'état de nuire ce psychopathe. Lui, en tout cas, l'était. Il ne prenait jamais plus cette affaire au sérieux à présent que Natalee s'était retrouvée seule et face à cet homme perfide et dangereux.

Aussi, s'il lui en voulait de ne pas avoir vu plus loin que son nez, Jared admis le discours de James sans broncher. Il acquiesça lentement, avant que le repenti ne demande s'il désirait d'autres précisions et fit à son tour les cent pas dans le hall, passant une main dans ses cheveux tandis qu'il réfléchissait à toutes ces révélations.
- Je connais par coeur le profil d'Araley, du moins, tout ce qu'on en sait dans les nombreux dossiers qu'on lui dédie. Je sais, oui, qu'il faut avoir un courage inébranlable pour oser contrer sa volonté, surtout pour un homme dans ta position. Mais tu avais d'autres solutions. Si tu nous avais dit la vérité depuis le début, on t'aurait protégé et on aurait pu tendre un piège à Valère. Si tu nous avais parlé, il serait hors d'état de nuire à l'heure actuelle. Car crois-moi, je veux cet homme mort ou vif. Mort serait l'idéal. À partir de cette nuit, vous êtes trois au moins à courir un terrible danger et à devoir être protégés. Tout cela coûte beaucoup d'argent au Ministère, et ça ne plaira à personne. Mais ce qui nous manque bien plus, maintenant, c'est le coup d'avance. Comment savoir où est Valère, à présent ? Son projet est de tuer Natalee. Il ira chez elle, peut-être dévastera-t-il tout. Peut-être s'en prendra-t-il à son frère adoptif, qui en plus d'être né moldu n'a pas les compétences pour se protéger d'un mage noir. Sa perte serait une déchirure pour Natalee, ce serait un coup qui l'affaiblirait et ferait d'elle une proie facile. Qui sait à qui il pourrait s'en prendre, encore ? Il aime manipuler les sentiments des gens, se sentir tout puissant. Un échec va le rendre plus meurtrier encore que par le passé. Il risque même de s'amuser à taper au hasard. Il faut que tu regarde les choses bien en face, James, tu nous a tous foutu dans une merde noire en ne parlant pas dès le début.

Pour la première fois, Grant montra une marque de lassitude. Il soupira et laissa retomber ses bras le long de son corps, tandis qu'il réfléchissait intensément. S'il était Valère, que ferait-il à présent ? Pour le moment, il n'en avait pas la moindre idée.
- Je ne vois pas d'autres questions, c'est tout pour le moment. J'aurais besoin que tu me fasse un compte rendu par écrit néanmoins, et bien sûr, si tu te souviens du moindre détail, fais m'en part. Même le détail le plus insignifiant pourra peut-être nous aider.
Sur ces mots, il se dirigea vers la porte qui menait au salon, avant de se tourner de nouveau vers James.
- Bien, suis-moi. Il y a une table et de quoi écrire au salon. Nous allons dépêcher un médicomage pour Natalee, tu as besoin qu'il t'ausculte aussi ?
Il referma la porte derrière eux et leur première vision fut un soulagement pour Jared. Natalee semblait avoir recouvré des forces, bien qu'elle demeurait encore pâle comme la mort. Elle semblait moins sous l'emprise de sa malédiction et, tandis qu'elle buvait une longue rasade d'un verre d'eau, l'Auror remarqua qu'elle ne tremblait plus. Elle avait seulement l'air harassé et encore choquée, affaiblie par sa perte considérable de sang.
- Heathcliff, va me chercher Erin Fergesson. Tu peux nous donner son adresse, Lee ?
Natalee releva les yeux sur James puis Jared, et posa son verre d'eau.
- Il est à Sainte Mangouste en ce moment, il était sensé y rester la nuit aux dernières nouvelles...
Murmura-t-elle, encore avec difficulté.
- Il y a un problème ?
- On va le dépêcher afin de te soigner, je pensais que tu apprécierais que ce soit lui qui te soigne plutôt qu'un inconnu. Et puis... Il sera plus en sécurité ici.
Les lèvres de l'Auror se pincèrent et Natalee compris le sous-entendu. Son ventre se crispa et elle baissa les yeux, avant de s'emmitoufler dans la cape de Jared.
- Et si vous pouviez lui demander de me ramener des putains de vêtements, au passage.
- Ravi de voir que tu te sens mieux.
- Mais ça ne dérange personne ici que tu te promène à poil, n'est-ce pas ? Commenta Heathcliff, avant de prendre précipitamment la porte pour éviter le coussin que lui balançait violemment Natalee. Cette dernière se tordit de douleur la seconde suivante, tandis que ses blessures profitaient de l'aubaine pour se rappeler violemment à elle.
- Ça va, James ? Demanda-t-elle en grimaçant, tandis que Jared s'éloignait avec Leeroy pour parler en tête à tête.

Finalement, il aurait peut-être mieux valu que Jared se mette à le cogner, plutôt que de lui tenir ce discours... Quelques torgnoles, ce n'est jamais qu'un mauvais moment à passer, alors que les entretiens avec une conscience chargée peuvent s'éterniser.

Je n'avais pas le choix.
Si, tu l'avais. Tu as simplement choisi la plus mauvaise solution, comme à ton habitude, et tu refuses de le reconnaître.
Mais Araley... Il m'aurait tué si je n'avais pas obéi !
Et alors ? Qui te dit qu'il ne le fera pas, maintenant, au mépris de sa promesse ? Et puis, les Aurors auraient été là pour le cueillir.
Mais je ne pouvais pas aller au Ministère, comme une fleur, pour leur dire tout ça...
Pas la peine, les Aurors sont venus chez toi. Tu sais, le soir de la Marque ? Pourquoi tu n'as rien dit ?
...
Ton problème, très cher, c'est que tu cherches toujours à te dédouaner de tes responsabilités. Mais ce monsieur a raison, là, c'est clairement ta faute.
Oh, ça va, ta gueule.
Non, ce serait trop facile si je me taisais. Mais je n'ai pas sommeil, et je n'ai aucune envie de te laisser dormir en paix après tout cela. Mets-toi à l'aise, nous pouvons encore en discuter pendant des heures.

Le jeune homme se prit le front dans la main droite, dans un geste de profond découragement, à l'instant précis où Jared, lui aussi, semblait se laisser gagner par la lassitude. Un instant durant, James eut l'impression de se trouver, non pas en présence de l'agent du Ministère qui venait de l'arrêter, mais face à un vieux copain avec qui il partagerait son désarroi. Cela ne dura guère, cependant ; très vite, l'Auror en chef retrouva suffisamment de motivation pour donner quelques instructions. Il demanda un compte-rendu écrit, et le repenti hocha la tête pour acquiescer. Jared lui demanda ensuite s'il souhaitait profiter de la venue du Médicomage ; James tâta du bout des doigts son entaille au cou, d'où semblait toujours suinter un peu de sang malgré l'épaisse croûte qui s'était formée à la coagulation. Apparemment, la cible de Valère était la jugulaire, mais il était passé à côté ; si la veine était touchée, c'était trop superficiel pour que la victime se vide de son sang comme un malheureux poulet. James frissonna en imaginant cette mort atroce, et fit d'une voix timide, en homme qui s'excuse d'avoir déjà trop dérangé :

-Si c'est possible, ce n'est pas de refus.

De toute évidence, Jared en avait fini avec lui pour le moment ; il l'invita à le suivre dans le salon, ce que le jeune homme fit bien volontiers : Natalee se trouvait dans cette pièce, et il ne serait pas fâché de voir enfin comment elle allait.
Elle avait retrouvé sa forme humaine ~~(enfin, si l'on peut dire)~~ et se tenait prostrée sur un canapé, pas aussi mal en point qu'il l'aurait imaginé. En même temps que son apparence, son vocabulaire fleuri lui était revenu, chose que tout le monde interprétait comme un excellent présage.
Passablement abattu, James se laissa tomber sur le canapé, aussi loin que possible de celle qu'il avait failli tuer, les coudes sur les genoux, la tête serrée entre ses mains tremblantes. Les Aurors retrouvaient leur bonne humeur et leur combativité, à présent que leur coéquipière semblait tirée d'affaire, mais lui continuait de ressasser les paroles de Jared. Qu'allait-il arriver, maintenant ? Qu'allait faire ce fondu de Valère ? Le jeune homme se demanda si on allait le retenir encore longtemps dans cet hôtel... Il lui semblait urgent de mettre sa famille à l'abri, au cas où... Pouvait-il en parler aux Aurors ? Non, ils avaient d'autres choses à régler, et ils n'auraient probablement pas envie de se mettre en peine pour lui. Natalee lui demanda s'il allait bien et, avant d'avoir pu imaginer une réponse plus nuancée, il laissa tomber un unique mot :

-Non.

Le mot claqua comme un insulte dans le silence, et le repenti se rendit compte qu'il lui fallait faire un effort, par égard pour Shevelin. Il se força à sourire, et reprit doucement :

-Et vous ? Vous ne vous sentez pas trop mal ?

Il eut envie de lui dire qu'il était désolé de l'avoir jetée dans ce guêpier, qu'il ferait tout son possible pour aider à arrêter Araley, mais il n'était pas encore assez désemparé pour prononcer des excuses. Lorsqu'il consentirait à reconnaître ses torts à haute et intelligible voix, c'est qu'il aurait atteint le stade ultime du désespoir. Pour l'heure, il n'en était pas tout à fait là. Il se sentait fébrile, abattu, mais pas encore désespéré. Désireux de s'occuper, il se releva, et alla prendre sur un petit bureau un bloc de papier à lettres, ainsi qu'une plume d'une étrange forme, avec une drôle de pointe métallique. Il se rassit, cala le bloc sur ses genoux, et expliqua à Natalee, en désignant Jared d'un signe de tête :

-Votre collègue veut un compte-rendu écrit... je vais déjà commencer par noter quelques trucs en vrac, ce sera déjà ça de fait...

En garçon méthodique, il sépara la feuille en deux colonnes, l'une intitulée « Araley » et l'autre « Têtafouine », et commença à inscrire rapidement ce qui lui semblait important – les sorts du duel, ceux qu'avait utilisés Valère chez lui, les propos tenus par le criminel, la mention régulière de sa fille, tout ce dont il se souvenait. Il s'interrompit après quelques instants, la plume en l'air, et observa distraitement Jared et Leeroy qui causaient à voix basse, en fouillant sa mémoire à la recherche de détails.

Jared jeta un regard préoccupé en direction de James et de Natalee et malgré son état de fatigue, l'expression de son visage ne la trompa pas. Il était nerveux et inquiet. Il fallait dire qu'à l'heure actuelle, il était difficile de savoir où avait bien pu se terrer Araley. Elle poussa un soupir discret, tandis que le repenti lui confessait ne pas aller bien fort. Son regard se porta sur la plaie qu'il avait au cou, et elle tendit le bout des doigts vers son menton, qu'elle repoussa délicatement afin d'observer l'étendue des dégâts.

« Ça à l'air d'aller, ce n'est pas grand chose. D'un petit coup de baguette, mon frère te fera disparaître ça. »

Shevelin savait pertinemment que Kirkby ne devait pas se soucier de sa blessure, mais bien de la conséquence de ses actes. D'ailleurs, le sourire qu'il lui adressa, bientôt suivi par une question attentionnée, lui prouva bien qu'il n'avait pas envie de s'étendre sur le sujet.

« Ça pourrait être pire, je ne vais pas me plaindre... »
Murmura-t-elle, aussi peu disposée que lui à mener de grands débats.
« Mais je t'en prie, arrêtes de me vouvoyer, je sais que je n'ai plus vingt ans mais je ne suis quand même pas ta grande-tante paraplégique... »

Tandis que James se levait, les deux collègues de Shevelin sortaient la baguette magique du premier, l'air soudainement affairé. La lycane les suivit du regard, et observa la vérification de l'arme sans réellement y prêter une véritable attention. Un nox, suivit d'un lumos puis d'un sortilège de lévitation sortirent de la baguette, avant qu'elle ne perde le fil. Ses pensées se mirent à filer plus vite que ne pouvait le suivre son esprit. Des images revenaient, floues, incertaines. Elle voyait Valère, ses yeux d'un vert poignant. Elle vit sa mâchoire déformée par un rictus, frissonna. Cependant, aucun événement précis ne venait, si ce n'était sa fuite. Le loup s'imposa à son esprit, et, pour la première fois de sa vie, elle eu envie de le remercier d'exister. Sa malédiction lui avait sauvé la mise. Cela avait quelque chose d'à la fois troublant et soulageant. Si elle était du genre à croire à un quelconque destin, elle se serait laissée aller à cette faiblesse.
La proximité de James, qui venait de se rassoir à l'autre bout du canapé, la rappela à l'instant présent. Il lui parlait de rapport, de toutes ces choses qu'elle connaissait par cœur et qui, ce soir, engendraient chez elle un sentiment de bizarrerie. Cette nuit, elle n'était pas l'Auror, mais la victime. Elle était de l'autre côté de la scène, et cela ne lui plaisait pas du tout. Natalee renifla avec un brin de mépris à l'idée qu'on lui demanderait certainement de faire la même chose. Curieuse, elle se pencha légèrement sur le carnet de James. En quelques secondes, Shevelin changea radicalement d'attitude. Ses yeux se plissèrent, ses sourcils se froncèrent et elle redressa un regard choqué à Kirkby.

« Qu'est-ce que tu as écrit ?! »

À peine s'était-elle exclamée que Jared et Leeroy se retournèrent en sursaut, et s'approchèrent d'un pas vif de nos deux énergumènes.
- Qu'est-ce qu'il se passe ?
Demanda Jared d'un ton péremptoire, en regardant directement Kirkby. Mais Natalee ne faisait pas attention à eux, encore sidérée par le détail qu'elle venait de lire et qu'elle ignorait jusqu'alors.

« Araley a une fille ? Mais d'où ? Et il t'en as parlé ? »

Les trois Aurors échangèrent un long regard. Ils avaient l'air à la fois abasourdi et étrangement satisfaits. Jared avait cependant l'air moins enthousiaste que les deux autres et une lueur d'inquiétude brillait dans son regard. Valère était en train de changer. Parler de sa vie personnelle ne faisait pas partie de ses méthodes, quelque chose se décalait chez lui. Cela suggérait qu'il avait atteint le point de non-retour, celui où, fatalement, il finirait par commettre une faute. Cependant, cela signifiait également qu'il deviendrait de plus en plus dangereux, ce de façon exponentielle jusqu'à ce qu'il soit arrêté, ou tué. L'arrivée inattendue - pour eux, en tout cas - d'un enfant dans sa vie était peut-être, d'ailleurs, ce qui avait déclenché cela, associé à la fin de la guerre et à la défaite du Lord. Les risques plus en plus fous qu'il prenait n'auraient donc pas pour seule cause la fin de la guerre, peut-être... Mais de qui venait cette enfant ? Qui était la mère, quel âge avait-elle ? Tout cela était encore un mystère. Ils avaient un nouveau point à creuser chez l'ancien Mangemort, comme si leur travail n'était pas déjà assez titanesque.
C'était de la folie. Des tas d'hypothèses et d'interrogations affluèrent dans l'esprit de l'Auror, au point que la tête lui tourna. Elle se prit les tempes dans les mains et ferma les yeux, cherchant à se concentrer. Il fallait tout remettre en ordre. Consulter à nouveau les dossiers. Ne pas se précipiter. Et aussi... Ils devraient à présent veiller à ne pas mettre la vie d'un enfant en danger. Peut-être qu'après tout, Valère n'en avait pas parlé pour rien. Peut-être voulait-il que ses adversaires aient le message. Il était possible d'envisager une menace insidieuse. Serait-il capable de mettre en péril la vie de sa propre chair ? Pouvait-il même la tuer de ses mains ? Il l'avait déjà fait. Natalee avait reçu un billet quelques semaines plus tôt, lui apprenant que le mage noir avait empoisonné le corps de son propre frère afin que ce dernier ne prenne pas le pouvoir au domaine pendant ses longues absences. Sterenn Araley avait disparu de la circulation et si l'on pouvait imaginer qu'elle se soit mis en sécurité au même endroit que son frère, on pouvait tout autant supposer qu'elle avait été tuée avant qu'elle ne jette Valère à la Justice pour sauver sa peau. Mais un enfant... Son propre enfant... On ne pouvait être sûr de rien, avec un psychopathe pareil. Son comportement excessif était peut-être une mascarade dans laquelle les aurors s'apprêtaient à tomber. Et si cela se trouvait...
- Kirkby.
La baguette de Jared se braqua droit sur le front du repenti, sous le regard hébété de Natalee.
- J'aimerais vraiment pouvoir vous faire confiance. Pour cela, veuillez prouver de façon indubitable votre identité.
Le changement de ton de Grant en disait long sur le sérieux avec lequel il formulait cet ordre, à priori pourtant impossible à exécuter.
- J'aimerais que tu l'y aide, Lee. Après tout, c'est toi qui le connait le mieux ici. Il y a certainement quelque chose que vous savez tous les deux et qu'Araley ignore forcément.

« Certes... Ça doit bien se trouver. »
Rétorqua Shevelin avec ironie, tout en jetant un regard encore étonné à Jared.
« En même temps, j'ai aussi bien vu James que Valère, ça ne peut pas être lui sous polynectar. »

- Tu étais transformée, tu sais bien que tes souvenirs sont toujours incertains à ce moment là... Rétorqua-t-il le plus doucement possible, ce qui vexa néanmoins la lycane. Elle détestait entendre parler à voix haute de sa lycanthropie, surtout lorsqu'elle sentait encore la pression de la pleine lune à travers les volets.

« Bien, bien... Laissez-moi réfléchir un instant... James, te souviens-tu du premier sortilège que je t'ai lancé lorsque je t'ai arrêté à Pré-au-Lard ? »

Elle espéra de tout cœur pour le garçon qu'il s'en souvienne, avant qu'il ne finisse enchaîné à un radiateur, la baguette de Jared sous le nez pendant le restant de la nuit. Elle jeta un regard interrogatif au jeune homme, persuadée qu'il ne pouvait pas s'agir d'un Valère camouflé. Ses souvenirs ne pouvaient pas la tromper à ce point, ainsi que son instinct.

James refléchissait, mordillant son stylo, repassait dans sa tête les détails de la visite d'Araley ; les mâchoires crispées, il s'efforçait de revivre exactement chaque instant, chaque mouvement du mage noir, pour renseigner les Aurors aussi complètement que possible. À ses côtés, Shevelin reprenait du poil de la bête (le top pour un loup-garou), et retrouvait en même temps son légendaire caractère bougon. Elle fit savoir à James qu'elle n'appréciait pas d'être vouvoyée, comme une vieille dame, et le repenti lui retourna un regard stupéfait. Comment pouvait-elle, à ce moment-là, se soucier d'un détail aussi insignifiant ? Il répondit à mi-voix, un faible sourire aux lèvres :

-Désolé... Ce n'est pas une question d'âge, en fait... c'est plutôt une question de profession. Tutoyer un Auror, ce n'est pas dans mes habitudes. Je peux essayer, mais je ne promets rien.

Quand on est prisonnier, on a tendance à vouvoyer ceux qui possèdent la clé des menottes, ou ceux qui pourraient l'avoir. James ne se voyait pas en user autrement avec Natalee, malgré ce qu'ils avaient traversé ensemble, surtout en présence de ses collègues. À n'en pas douter, les deux hommes verraient d'un très mauvais oeil ce genre de familiarité ; mieux valait ne pas s'y risquer. Jared, surtout, semblait n'attendre qu'un prétexte pour voler dans les plumes du repenti ; il tournait de temps à autre un regard venimeux dans sa direction, tout en causant avec Leeroy. D'abord, James s'était efforcé de ne pas croiser leurs regards, et de se faire le plus discret possible ; mais lorsqu'ils avaient entrepris de procéder à la vérification de sa baguette magique, il avait eu une sorte de mouvement incontrôlable, comme s'il allait se lever pour aller récupérer son arme. Depuis qu'il l'avait remise à Leeroy, sur la colline, il se sentait comme amputé d'une part de lui-même ; voir un autre sorcier manier la baguette de noyer lui était presque douloureux. Il suivit des yeux chaque geste, fasciné, oubliant complètement Natalee qui le fit sursauter en beauté en lui demandant ce qu'il avait écrit. Aussitôt, les deux autres Aurors se ruèrent vers le canapé ; Jared semblait mûr pour une distribution maison de torgnoles, et James se demanda ce qu'il avait écrit pour susciter une telle réaction... Natalee le renseigna sur le point qui l'avait surprise, et les Aurors échangèrent un étrange regard en prenant connaissance de la nouvelle.
Valère Araley avait une fille. C'était du moins ce qu'il avait dit à James... Apparemment, ce détail était, jusqu'alors, inconnu des autorités. Le jeune homme fronça les sourcils pour rappeler ses souvenirs, et fit d'une voix incertaine :

-Il m'en a parlé deux fois... une fois pour me raconter qu'elle arrachait les ailes des mouches... une autre fois pour me dire qu'il ne supporterait pas que je mette son avenir en danger en refusant de coopérer avec lui. Enfin, quelque chose dans ce goût-là, conclut-il à mi-voix, un peu inquiet de voir Jared lever sa baguette vers lui.

L'Auror était tout à fait calme et posé, mais son attitude était encore plus menaçante qu'auparavant. James se tassa sur le canapé, par réflexe ; on ne pouvait tout de même pas lui en vouloir parce que Valère avait une fille, non ? Il n'y était pour rien, même si la nouvelle semblait contrarier l'Auror en chef... Il n'allait tout de même pas lui lancer un sort ?
Non. C'était encore plus radical : Jared lui demanda de prouver qu'il était bien lui-même, et le repenti se sentit aussitôt totalement désemparé. Il pouvait prouver beaucoup de choses, mais prouver sa propre identité, c'était une autre paire de manches.

-Comment voulez-vous... commença-t-il, pris au dépourvu, regardant alternativement chaque Auror comme s'il espérait que l'un d'eux allait s'écrier « Poisson d'avril ! »

Jared suggéra à Natalee de l'aider, et elle s'exécuta, en posant une question qui, d'emblée, paniqua le garçon. Comment diable voulait-on qu'il se rappelle le premier sort qu'elle lui avait lancé, plus d'un an auparavant ? Fixant le sol, il réfléchit, et quelques instants de silence pesant s'écoulèrent. À mesure que les secondes s'égrenaient, les doigts de Jared semblaient se crisper sur sa baguette ; si la réponse n'arrivait pas très vite, il allait sombrer dans la démence et pendre James par les pieds à titre préventif...
Le repenti revoyait assez nettement certaines scènes de son arrestation, et il essaya de s'appuyer sur ces souvenirs pour remonter jusqu'au premier sort... D'une voix incertaine, il proposa :

-Le sort que vous m'avez lancé juste avant de me bousiller le genou, vous voulez dire ? C'était... un immobulus, je crois...

James posa sur Natalee un regard éperdu. Il semblait plaisanter en parlant de son genou, mais il n'en avait pas parlé par hasard. Même s'il s'était trompé de sort, la mention du coup de pied dans le genou prouvait que c'était bien lui qu'elle avait arrêté... Jared aussi fixait sa collègue, prêt à intervenir, en cas de mauvaise réponse, pour éliminer lui-même le maillon faible. On ne lui demandait plus rien, mais James profita du silence pour ajouter :

-De toute façon, même si j'étais sous Polynectar, les effets seraient en train de se dissiper, à présent. L'effet de la potion ne dure qu'une heure, et vous m'avez assez surveillé pour voir que je n'ai rien bu depuis que je suis avec vous.

Il n'avait même pas pu profiter de sa douche pour reprendre une dose de potion, puisqu'on ne l'avait pas autorisé à se laver...

Devant la surprise évidente de ses camarades de chambrée, James eut la bonté de préciser légèrement son propos. Oui, Valère lui avait parlé de sa fille en des termes qui devaient lui sembler élogieux : elle arrachait les ailes des mouches. Natalee adressa des yeux rond au repenti. Sa déclaration aurait pu être totalement absurde et hilarante si la situation n'était pas aussi dramatique. Dans d'autres circonstances, elle en aurait sûrement rit. À la place, elle se contenta d'une grimace incrédule.

« Les ailes des mouches ? »

Cette petite semblait manifestement bien entamer sa vie de progéniture de psychopathe. Natalee eut un serrement de cœur en se représentant cette enfant livrée à une éducation morbide auprès d'un homme sordide. Il y avait peu de chances qu'elle s'en sorte. La pauvre serait confiée à ses grand-parents, libres de toutes accusations, si ça n'étaient qu'ils avaient mis au monde deux assassins au fort potentiel de pervers. Elle ne pouvait que se sentir concernée par le sort de cette fillette qui n'était autre que sa petite cousine. Elle-même orpheline et élevée tout d'abord par des géniteurs de la pire espèce, le cas de l'enfant lui semblait proche du sien, mais pourvu d'un avenir plus funeste.

L'auror n'eut cependant pas le loisir de s'inquiéter davantage de cette triste nouvelle. Jared avait reprit la parole, non sans braquer à nouveau sa baguette en direction de James. Celui-ci exigeait qu'on efface le doute qui s'était insinué dans son esprit et que Kirkby prouve indéniablement son identité. Une chance pour lui, Natalee avait le droit de l'aider pour se faire, mais elle craignait que la seule question qui lui était venue à l'esprit reçoive une réponse erronée. Du temps s'était écoulé entre leur première rencontre, quelque peu brutale, et aujourd'hui. Si Natalee avait une bonne mémoire pour ce genre de détail, cela n'était peut-être pas le cas de James. Les secondes s'écoulaient péniblement, le silence devenait de plus en plus lourd. L'atmosphère était si chargé d'électricité que s'en devenait presque irrespirable. D'ailleurs, Shevelin elle-même retenait son souffle.
James finit enfin par répondre et la lycane se détendit. Il avait répondu juste, non sans ajouter un détail qui assurait définitivement qu'il était bien lui et non Araley sous polynectar, en parlant de son genou.

« Exact, c'est bien le sortilège auquel je faisais allusion. »

Rétorqua-t-elle en adressant un regard entendu à Jared. Ce dernier baissa son arme sans se départir de son air grave. Son sérieux paraissait inaltérable.
- L'une des sœurs d'Araley est maîtresse des potions. Elle saurait parfaitement modifier la composition du polynectar pour en prolonger ses effets, je n'ai aucun doute là-dessus. Il fallait que j'en ai le cœur net.
Il n'eut pas le temps d'en dire davantage. Un crac retentissant venait de retentir dans le couloir extérieur à la suite dans laquelle ils se trouvaient, attirant l'attention de tous les aurors présents. Tendus, ils observèrent la poignée se tourner.

Natalee se leva d'un bond, et se plia en deux sous la douleur déchirante que ce geste brusque lui coûta. Une silhouette familière se précipita sur elle et la força à se rassoir. Ses yeux d'ambre se plongèrent avec amertume dans ceux de son frère adoptif et un sourire sans joie fendit ses lèvres.
- Tu n'arrêtes jamais les conneries, souffla Erin, entre l'humour et la réprobation.
- Et non. Désolée de te faire quitter ton poste comme ça.
- Ne t'inquiètes pas, après tout ça reste dans le cadre de mon métier. Et vous, vous êtes James Kirkby je présume ? On m'a dit que vous réclamiez des soins également, mais je m'occuperais de vous après Natalee.
- Occupes-toi plutôt de lui d'abord, je vais en profiter pour mettre un slip, marmonna Natalee en se levant tant bien que mal, toujours drapée dans ses capes.
- Attends, laisses-moi t'aider, proposa Jared en s'approchant d'elle.
Il glissa un main sous son épaule, sous les regards interloqués de ses collègues.
- Natalee ne sait plus mettre ses culottes toute seule ? Osa Heathcliff, goguenard.
- Rah, ta gueule !
- Ouais, le premier qui continue sur cette lancée je lui... AIE !

Pendant ce temps, Erin, professionnel, examinait l'entaille au cou de James. Son regard trop concentré trahissait cependant sa propre hilarité. Tandis que Jared aidait Natalee a se déplacer, son frère sortit un gros flacon contenant une mixture épaisse et bleuâtre de son sac de médicomage, enfila une paire de gants et appliqua ce qui se révélait être une crème épaisse et grumeleuse sur la plaie, jusqu'à la recouvrir complètement.
- Ça risque de piquer et de tirer pendant un petit moment, le temps que ça sèche et cicatrise. Vous n'aurez plus qu'une légère marque d'ici un petit quart d'heure. Vous pourrez tout de même vous lavez avec la mixture, elle est faite pour sécher directement et ne tomber qu'une fois la cicatrisation achevée.
- Ouais, vas te laver, tu pues, commenta Heathcliff, apparemment trop fier du fin trait d'esprit qu'il avait déjà prononcé quelques temps plus tôt pour ne pas le ressortir, et tandis que Jared revenait au salon.
- Je peux m'occuper de ma sœur ? Demanda Erin d'une voix polie, mais narquoise.
- Je ne sais pas, frappes, tu verras bien, rétorqua Jared en lui renvoyant un regard noir.
C'était vrai qu'à force, les quolibets, ça devenait lourd.

La baguette de Jared frémissait près de la tempe de James, comme une vrille prête s'enfoncer dans les os de son crâne. La réponse tardait à venir, et à mesure que les secondes passaient, la tension se faisait plus pesante dans la pièce. Dans le silence épais, chacun observait, attendait la suite ; Jared fixait James, James et Natalee se regardaient, et Heathcliff promenait un regard intéressé sur l'ensemble des protagonistes, attendant visiblement un dénouement musclé. Comme s'il n'y avait pas eu suffisamment d'action pour la soirée... James lui-même commençait à douter de sa mémoire et à redouter une issue fâcheuse, lorsque Shevelin affirma qu'il avait correctement répondu. L'Auror en chef abaissa aussitôt sa baguette, et le repenti eut l'impression qu'on retirait un poids de sa poitrine. L'explication fournie par Jared se tenait, cependant ; un bon maître des potions pouvait tout à fait prolonger les effets du Polynectar. James savait que c'était possible ; lui-même, bien qu'honorable préparateur de potions, n'avait pas les qualités requises pour mener à bien cette délicate opération, mais il avait déjà entendu parler de cette manipulation. Soucieux d'écarter tout soupçon, il suggéra à mi-voix :

-Si vous voulez, il reste le serment inviolable...

Jurer qu'on est bien soi-même, et mourir si on a menti... Drôle de concept, à vrai dire. La proposition du jeune homme ne reçut aucune réponse ; un craquement venait de se faire entendre dans le couloir, et tout le monde s'était levé, James compris. Machinalement, le repenti porta la main à sa poche pour y prendre sa baguette, oubliant pour une seconde qu'elle était toujours aux mains des Aurors. À côté de lui, Natalee s'était tordue de douleur après avoir bondi sur ses pieds, et il se précipita pour la soutenir ; précaution inutile, car le nouveau venu, un homme jeune à l'air sérieux, la força à se rassoir d'un geste ferme. Le repenti les écouta parler, devinant que l'homme en question devait être le frère médicomage dont Shevelin avait parlé. Il acquiesça lorsque le guérisseur lui demanda s'il avait besoin de soins, remarquant au passage que la coupure infligée par Araley demeurait aussi vive qu'au premier instant, et qu'un peu de sang continuait de suinter. Ce fondu avait probablement imaginé une amélioration du sort pour rendre la blessure plus dangereuse... Le sang perlait à peine, mais il aurait dû être entièrement stoppé par la coagulation ; le repenti essaya de se remémorer la formule prononcée, un peu déconcentré par la joyeuse ambiance de la chambrée... Etait-ce bien un Sectum, ou un autre sort ? Peut-être devrait-il mentionner ce détail ? Araley maîtrisait un nombre incroyable de sorts de magie noire, mais s'il se mettait aussi à améliorer à sa sauce les sorts classiques...

Natalee quitta la pièce, soutenue par Jared et accompagnée par les railleries de Heathcliff, et le médicomage se pencha sur la plaie de James. Les lèvres pincées, frémissantes d'un rire contenu, il examina la coupure, avant de l'enduire d'une pâte bleuâtre qui brûlait la peau. Le repenti remercia à voix basse, en touchant du bout des doigts le cataplasme ; cela ressemblait à de la pâte à modeler, mais la substance était assez forte pour donner l'impression qu'elle aspirait la peau. À chacun de ses mouvements, une odeur écoeurante de sang froid se dégageait de ses veêtements ; il entendit avec soulagement qu'on lui reparlait de se laver – Heathcliff, décidément le simplet de la bande, lui répéta d'ailleurs qu'il puait... Forcément, puisqu'il était couvert de sang de la tête aux pieds. Un peu du sien, et beaucoup de celui de Natalee. Elle avait dû en perdre une belle quantité, à en juger par l'état de la chemise et du pantalon de l'ancien Mangemort. Jared rentra dans la pièce, à l'instant où James songeait qu'il serait inutile de prendre une douche s'il fallait remettre ces fringues immondes juste après. Après une brève hésitation, il se leva, et alla à la rencontre de l'Auror en chef. Il sentait le regard rigolard de Heathcliff posé sur lui alors qu'il demandait, d'une voix timide :

-Dites... Je pourrais récupérer ma baguette, s'il vous plaît ? Pour essayer de nettoyer un peu mes vêtements. Je voudrais bien prendre une douche, mais je n'ai pas d'autres habits à me mettre.

C'est là qu'on verrait si l'Auror en chef avait réellement été convaincu... ou si un petit fond de méfiance le retenait de rendre sa baguette à l'ancien Mangemort, et lui faisait préférer une autre solution. Lui faire arriver des vêtements propres, par exemple. À vrai dire, James n'aurait pas été mécontent, dans ce cas ; il se savait peu doué en sorts ménagers et craignait que le nettoyage de ses fringues ne demeure trop superficiel pour chasser cette odeur de sang qui lui levait le coeur.

Natalee entra dans la chambre, soutenue par Jared. Ce dernier l'aida à s'assoir sur le lit et, avec peine, la lycane retira l'une des capes qu'elle portait encore et la tendit à son ami et collègue. Elle était maculée de sang et Grant observa avec un air choqué le bras nu, entaillé de toutes parts, qui lui tendait le vêtement.
« Natalee... Comment tu peux encore être en état de faire quoi que ce soit ?!
- Je suis une lycane, Jared. Je ne suis plus une simple humaine qui tombe inconsciente à la moindre perte de sang depuis quelques années déjà.
Rétorqua Natalee d'une voix aigre, détournant le regard.
- Mais ça va aller. C'est surtout la poitrine, le cou et les les bras. Autant dire pas grand chose ! »

L'auror acquiesça sans répondre à sa marque d'ironie et la laissa seule. Le regard de la sorcière se tourna vers un épais miroir qui couvrait une partie du mur, à sa droite, et elle jeta de côté sa cape déchirée qu'elle avait porté en plus de celle de Jared, pour observer ses blessures. Les entailles suintaient comme l'entaille qu'avait James au cou. Cela ne semblait pas très profond, ni très épais, et pourtant, ses plaies étaient particulièrement douloureuses. N'osant toucher, elle survola du bout des doigts celles qui griffaient son visage. Une entaille parcourait sa lèvre à la verticale, semblant la déchirer en deux. La douleur était tellement forte partout dans son corps qu'elle n'avait pas fait attention à la gêne qu'elle éprouvait à cet endroit. Elle se mit à espérer qu'Erin saurait la soigner rapidement. Elle était déjà assez peu reluisante dans sa vie sans cicatrices sur tout le corps et le visage, il était inutile de lui ajouter cela à son palmarès de malédiction. Car, connaissant Valère, il avait dû trouver un moyen de ralentir tout processus de cicatrisation ou que savait-elle encore.
S'échappant de la vision qu'elle avait de son corps, elle attrapa ses sous-vêtements et s'habilla, non sans que les larmes, de douleur, ne lui montent aux yeux.

Le regard perçant de Jared se posa sur James, tandis que celui-ci lui adressait la parole, dans l'espoir de récupérer sa baguette. Lui-même tenait la sienne entre ses deux mains et en caressait le bois, l'air sombre et pensif, avant de se faire interrompre dans le fil de ses réflexions. Quelques secondes s'écoulèrent durant lesquelles Grant ne réagit pas davantage, puis, sans un mot, attrapa l'arme du repenti des mains de Leeroy. Il le regardait droit dans les yeux tandis qu'il lui présentait, le pommeau vers le cœur de James.

« Natalee vous fait confiance. La salle de bain est à côté de la chambre. Vous pouvez emprunter le couloir. Ne vous pressez pas, nous allons rester la nuit ici. Vous compris. Quant à vous Monsieur Fergusson... »

Ajouta-t-il tandis que ce dernier allait frapper à la porte de la chambre. Son poing se figea et il courba l'échine, attendant de voir ce qui allait lui tomber dessus. Il craignait certainement de se retrouvé coincé ici à l'instar des autres. Quelque chose lui disait que, bien qu'il ne soit pas au courant de ce qu'il venait de se produire, il n'avait pas été amené seulement pour les beaux yeux de Natalee. Si elle était à ce point blessée alors que Kirkby s'en sortait pratiquement indemne, c'était que les attaques avaient principalement été portées sur elle.

« J'attend un rapport médical sur Mr Kirkby et sur votre sœur. Vous êtes en sécurité à Sainte Mangouste, donc vous n'en sortirez pas tant que nous n'aurons pas pris des dispositions pour vous. Je suis désolé, mais votre vie est peut-être en jeu également.
Cette fois, Erin se retourna.
- Comment ça, ma vie est en jeu ?
- Elle ne vous a rien dit ?
- Qu'aurait-elle dû me dire ?
Jared soupira.
- Je vous en toucherais deux mots plus tard... »

Erin n'insista pas et entra dans la chambre alors que Natalee l'y autorisait. Ils n'en sortirent qu'une longue demi-heure plus tard, Natalee les yeux rougis et Erin la mine lugubre. Elle était vêtue d'un jean et d'un débardeur et ses bras nus ainsi que sa poitrine et sa gorge étaient couverts, encore, de traces sanguinolentes et de plaies rouges et gonflées.
- Je vais aller me coucher, Jared. Bonne nuit. Et rentre chez toi, je n'ai pas besoin de protection pour ce soir, personne ne sait que je suis là. On va avoir de grosses journées dans les prochains temps.
- Tu rigoles ? Tu crois que je vais te laisser là seule avec l'autre ? Heathcliff est parti s'occuper de la paperasse et Leeroy fait le tour des Aurors dépêchés sur la mission. Moi, je reste ici.
- Tu vas me dire que tu as choisi le rôle de celui qui glande dans la cachette juste pour moi ? Ça me touche. En attendant, on ne va pas dormir à trois dans un lit, aussi grand soit-il. La dernière fois qu'un collègue a dû dormir en planque avec toi, il s'est mangé un coup de poing, en plus.
- Je ne dormirais pas, et Kirkby prendra le canapé. Annonça-t-il, au moment même où James entrait dans le salon.
- Il en a bavé aussi, tu ne vas pas le coincer sur un pauvre canapé, le pauvre.
- Comme tu veux, arrangez-vous entre vous, répliqua Jared, l'air guindé, avant de s'intéresser au rapport qu'Erin était déjà en train d'écrire, assit à la table du salon.
Natalee se tourna vers James et lui adressa un pâle sourire.
- J'espère que ça ne te dérange pas de partager le lit. Tu ne risqueras rien, je n'ai encore jamais mordu quiconque pendant mon sommeil , ricana-t-elle, sans joie.

C'était vraiment l'anarchie la plus totale, dans cette suite. Tout le monde parlait haut, plaisantait, ricanait. On était bien loin de l'ambiance macabre des premiers moments ; Natalee était tirée d'affaire, et ses collègues dissimulaient leur soulagement sous un comportement potache. James, au milieu de ce capharnaüm, ne savait pas trop quoi faire ; il lui semblait être un intrus dans une réunion de famille, le type qu'on a invité à rester un peu par hasard mais avec qui on ne partage véritablement rien. Il se laissa examiner en silence, assez content que personne ne fasse trop attention à lui ; les Aurors en avaient tous après Natalee, et le médicomage lui-même, il s'en rendait bien compte, l'examinait à la va-vite, pressé d'aller s'occuper de la lycane. On ne pouvait lui donner tort, d'ailleurs ; Shevelin avait insisté pour que James soit soigné le premier, mais elle avait cent fois plus besoin de soins que lui.
En quelques minutes, l'unique estafilade que le repenti portait au cou était dûment examinée et soignée ; le garçon avait l'autorisation – et même l'ordre – d'aller prendre une douche, mais il restait une ultime formalité...

Jared ne réagit pas immédiatement à la requête de l'ancien Mangemort. Il posa sur lui un regard fixe, attentif, intimidant, comme s'il voulait le jauger une dernière fois. Il avait l'air de sortir d'une profonde rêverie et semblait découvrir le jeune homme qui s'adressait à lui. Avait-il seulement entendu ? James hésita à répéter sa demande, puis y renonça prudemment. C'était un coup à prendre une beigne, s'il interrompait quelque importante réflexion.
Il allait refuser, songea le repenti désemparé devant le visage fermé de l'Auror. Il allait lui dire de se démerder autrement, de remettre ses fringues sales, de s'en faire livrer d'autres ou de s'envelopper dans un rideau à fleurs, mais il allait refuser de lui rendre sa baguette, c'était certain. James commençait à réfléchir à une solution alternative, mais Jared se décida à bouger pour récupérer sa baguette des mains de son subordonné, et la lui rendre non sans le gratifier d'un ultime avertissement. Oui, Natalee lui faisait confiance, pas la peine d'enfoncer le clou... C'était à se demander si elle n'était pas un peu simplette, d'ailleurs, pour faire confiance au type qui l'avait gaiement menée à l'abattoir. Le jeune homme empocha son arme, en tiquant un peu lorsque Jared l'informa qu'il passerait la nuit ici ; cela ne l'arrangeait guère... Il avait plus ou moins prévu de rendre visite à sa mère pour s'assurer que les sorts de protection de la maison étaient à un niveau satisfaisant – les discours alarmistes des Aurors l'avaient rendu particulièrement inquiet, même si Araley n'avait manifestement pas de raison de s'en prendre à sa famille. Toutefois, il préféra ne pas mentionner cette légère contrariété, et répondit simplement :

-C'est entendu. Merci.

Il s'éclipsa sans prêter attention à la conversation entre les Aurors et le médicomage ; l'odeur de sang séché allait finir par le faire vomir, s'il ne se lavait pas très vite. Dans la vaste salle de bains, la vue de la baignoire rutilante lui fit abandonner ses projets de douche rapide, et il songea qu'un bain serait bien plus agréable et réparateur. Il ouvrit les robinets, se déshabilla, et entreprit, en attendant que son bain soit prêt, de nettoyer ses vêtements. Comme prévu, la tâche était ardue. Sa maîtrise des sorts de nettoyage n'était pas parfaite, et le sang coagulé semblait refuser de sortir des fibres du textile. Il parvint à en extirper la majeure partie, soumit ensuite ses vêtements à un sort censé les désodoriser, et se plongea enfin avec volupté dans l'eau brûlante. Un véritable délice, après cette sinistre soirée... Dans la mousse parfumée, il se sentit soudain plus léger, au point qu'il se mit à somnoler. Il se réveilla vingt bonnes minutes plus tard, mit quelques secondes à se rappeler ce qu'il faisait là, et sortit précipitamment de l'eau. Ses vêtements ne sentaient pas la rose, mais au moins l'odeur de sang avait disparu ; des auréoles grisâtres signalaient les endroits les plus souillés de sang, qu'il n'était pas parvenu à nettoyer parfaitement. James se rhabilla, vérifia dans le miroir que le cataplasme sur son cou tenait toujours, et regagna le salon, un peu honteux d'avoir monopolisé si longtemps la salle de bains. Il débarqua en pleine discussion entre Jared et Natalee quant à l'attribution des couchages, et il eut l'impression, un instant, d'être revenu à Poudlard, le soir du premier septembre. La plus grande gueule du dortoir se chargeait de répartir les lits entre les présents, en avantageant ses copains au passage. Je prends le lit près de la fenêtre ! Toi, t'as qu'à prendre celui qui est à côté de la porte... Personne ne voulait ce malheureux plumard, et James avait toujours eu la chance d'y échapper. Ce soir, cependant, il était question de lui donner la place la plus inconfortable, sur le canapé. Jared avait parlé, et le repenti jeta un coup d'oeil hostile audit canapé, une sorte de divan imitation Louis XV. Ça n'avait pas l'air extraordinaire, comme couchage. Heureusement, Natalee, défenseur de la veuve, de l'orphelin et du Mangemort en rupture de cagoule intervint pour empêcher cette infamie de se perpétrer. L'Auror en chef abandonna bien vite la partie, et tout fut réglé sans que le repenti ait pu donner son avis. La lycane entendait partager le lit avec lui... Il allait se retrouver entre les mêmes draps qu'une Auror, sous la protection d'un autre Auror. Il se demanda un instant s'il n'aurait pas préféré le canapé à cette situation grotesque, mais le geste était beau et le confort n'avait pas de prix. Il espérait seulement que Natalee ne ronflait pas et n'avait pas les pieds froids. Sous le regard excédé de Grant, le repenti accepta donc cet étrange arrangement :

-Oh... ça ne me dérange pas du tout... merci beaucoup. J'espère surtout que je ne vous gênerai pas, vous avez besoin de repos...

Il s'assit sur le canapé, près de Natalee, et, à voix basse, pour éviter d'être entendu par Jared, ajouta avec un sourire narquois :

-Ouais, je sais, je suis prié de vous tutoyer. Mais mettons que je suis un garçon timide et que j'attends la première nuit passée ensemble pour le faire.

Il eut une drôle de pensée en regardant Natalee. Ce serait la première fois depuis bien longtemps qu'il passerait la nuit dans le même lit qu'une femme, et ce serait avec une lycane, une nuit de pleine lune. Il y avait tout de même des hasards amusants.

Les amabilités de James tirèrent à Natalee un sourire, bien qu'intérieurement, sans savoir pourquoi, elle s'en sentait exaspérée. Ah oui, peut-être était-ce parce que, précisément, si elle avait la tronche d'un lézard sur laquelle se serait roulé un porc-épic, c'était parce que James n'avait pas la force mentale d'un auror et n'avait de ce fait pas osé l'assister contre Araley. Ce n'était pas tant ce détail qui la turlupinait, mais, à présent que son esprit était plus clair, il lui apparaissait clairement qu'à deux, ils auraient pu vaincre Valère. Une auror alliée à un autre sorcier, aussi mage noir était-il, il n'aurait peut-être pas fait le poids. Mais c'était trop tard, à présent. Valère était dans la nature, quelque part à fomenter un nouveau plan pour l'exterminer. Comment la réduirait-il au silence, était-il certainement en train de se demander ? En la découpant en morceaux et en la donnant à manger à un Magyar à pointes, ou bien en la dépeçant vivante en observant les réactions d'une auror face à la torture ? Vite fait bien fait, ou au contraire avec une lenteur démesurée, pour qu'elle supplie elle-même qu'on mette un terme à sa vie ? Un frisson incontrôlé secoua l'échine de la lycane. Elle n'avait aucune envie de mourir dans ces conditions. D'ailleurs, elle n'avait pas envie de crever du tout. Heureusement, Kirkby la rejoignant sur le canapé la tira de ses élucubrations amères. Sa petite taquinerie poussa la sorcière à tourner son regard sur le jeune homme et, au bout d'une petite seconde, un sourire se ficha sur ses lèvres.

« T'es con, Kirkby. »

Râla-t-elle pour la forme, avant de jeter un regard instinctif à Jared. Bon, il s'agissait d'aller dormir, maintenant. Quelque chose lui disait que si son esprit continuait à tourner de la sorte, cela ne risquait pas d'arriver avant un moment. Un soupir s'extirpa d'entre ses lèvres.

« Tu n'as pas une potion de sommeil sur toi, Erin ? »

Ce dernier se désintéressa aussitôt du rapport qu'il écrivait pour aller fouiller dans sa mallette de médicomage modèle. Connaissant son frère, elle ne doutait pas une seconde qu'il ait cela sur lui, et elle ne s'était pas trompée. Quelques secondes plus tard, il s'approcha avec deux petites fioles dans les mains, qu'il tendit d'abord à Natalee, puis à James.

« Prenez ça, tous les deux. Ça vous permettra de vous endormir rapidement et de passer une nuit sans rêve. C'est le moindre luxe après cette soirée. Bonne nuit. »

Natalee ouvrit la fiole entre ses dents et jeta un regard éteint à James, avant qu'un sourire désabusé n'apparaisse sur ses lèvres. Lentement, elle tendit sa fiole vers celle de Kirkby, comme s'il s'agissait d'une coupe de champagne.

« Et bien, à la tienne, James. »

Sur ces paroles, Shevelin avala d'une longue et unique rasade la potion de sommeil. Elle se leva et, d'un regard, invita James à en faire de même, pour le laisser finalement passer devant elle. Tandis qu'elle laissait James entrer en premier dans la chambre, elle traînait des pieds près de Jared, sans savoir quoi lui dire. Le visage de ce dernier, fermé, stressé, ne l'aidait guère à trouver ses mots. Seulement, elle se sentait mal à l'aise de se coucher sans un mot pour son collègue, qui avait géré d'une main de maître la situation. Il releva les yeux sur elle et, tout naturellement, hocha la tête en signe d'accord. C'était à le croire legilimens, parfois. Elle pouffa, glissa sa main sur l'épaule de son collègue et rejoignit la chambre, tout en passant une main dans ses cheveux.
À peine avait-elle refermé la porte que Natalee se précipita dans la salle de bain pour s'asperger le visage d'eau. Si elle s'était nettoyée du sang qui la souillait d'un sortilège, tout à l'heure, elle se sentait encore sale. Intérieurement sale. Elle ne savait dire si c'était le loup qu'elle sentait encore éveillé en elle, le fait qu'une nouvelle personne soit au courant de sa lycanthropie, la bataille... ou le tout. Heureusement, elle sentit, tandis qu'elle se renvoyait son regard dans la glace, la potion de sommeil commencer doucement à faire effet. Elle ferma le robinet, se sécha le visage dans une serviette et revint dans la chambre. Sans un regard pour James, elle ôta son débardeur et son jean, puis se glissa dans les draps. Jamais un lit ne lui avait paru aussi confortable. Jamais, non plus, elle avait remarqué à quel point son corps était fourbu. Chaque muscle, chaque parcelle de peau, la faisaient souffrir. Elle cala sa joue contre l'oreiller, tournée du côté de James, et lui jeta un regard que la pénombre rendait lumineux, pareil à celui d'un animal dans l'obscurité.

« Je ferais en sorte que ton prochain domicile soit mieux protégé. Avec les moyens du Ministère, on pourra t'offrir une sécurité plus rigoureuse que celle que je t'ai fourni avec l'Ordre. On peut te faire apposer un mouchard. Si tu atterrit dans un endroit louche, on le saura... et on pourra le choper. Enfin, on en reparlera... Bonne nuit. »

Elle se retourna et, avant même qu'elle n'ait le temps de songer au sommeil, fut emportée dans une veille où l'inconscience lui faisait échapper à la peur qui rongeait toujours son âme.