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 [Thème I] Première fleur du Mal
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MessageSujet: [Thème I] Première fleur du Mal   [Thème I] Première fleur du Mal EmptySam 18 Déc - 21:03:52

* Titre : Première fleur du Mal

* Thème choisi : I - Il y a bien longtemps

* Personnage(s) : Flitius Flitwick, Pompom Pomfresh, d'autres à venir.

* Résumé : Septième et dernière année à Poudlard de Prudence Adrian, élève brillant mais à la réputation de plus en plus discutée ; il se lie avec Eusépios, batteur de l'équipe de Quidditch des Poufsouffles, qui perçoit plus nettement qu'aucun autre l'ambiguïté de sa personnalité.

* Cadre : Poudlard - Résidence des Adrian

* Année : 1986

* Complet : Oui.

Nombre de mots : 8 468.


Dernière édition par Prudence Adrian le Sam 25 Déc - 15:40:40, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: [Thème I] Première fleur du Mal   [Thème I] Première fleur du Mal EmptySam 18 Déc - 21:04:12

Chapitre Premier
Comment le héros enchanta une armoire et autres prouesses


C’était un jour de janvier 1986, et Prudence venait d’avoir dix-huit ans. Poudlard se réveillait doucement de l’effervescence des fêtes. La paix retrouvée depuis quelques années donnait à l’enchantement de Noël et de la nouvelle année une saveur toute particulière. Depuis ce fameux soir d’octobre 1981 où Celui-Dont-On-Ne-Doit-Pas-Prononcer-Le-Nom avait trouvé la mort – c’était encore ce que l’on croyait à l’époque – le monde sorcier vivait dans une euphorie d’après-guerre qui n’épargnait guère que les plus misanthropes. Il arrivait à Poudlard une nouvelle génération qui n’avait pas vraiment eu conscience des Années de Terreur : un monde nouveau, partout, naissait.

Prudence était assis sur la corniche intérieure d’une fenêtre, dans la salle commune de la haute tour Serdaigle, et par la vitre il regardait le parc en contrebas, qui s’étendait sous le château, et venait frapper ses pierres millénaires comme un océan calme une falaise. La neige recouvrait le parc, elle recouvrait les arbres de la Forêt Interdite, au loin elle recouvrait la cabane du garde-chasse ; des lignes la traversaient en tous sens, que les élèves avaient fait en se promenant dans le parc, pendant leurs heures libres.

Parfois, Prudence pouvait apercevoir un petit groupe qui jouait, tout en bas : il voyait les boules de neige voler de part et d’autre dans la bataille, certaines enchantées, d’autres non. C’était un petit spectacle qui se faisait là sous ses yeux, et quand il y songeait, il avait l’impression qu’on le jouait exprès pour lui. Quand il méditait ainsi en contemplant la beauté de Poudlard, il lui arrivait d’avoir l’impression que les charmes de cette nature n’existaient que pour qu’il les goutât, et une enivrante sensation de puissance esthétique s’emparait alors de lui.

Mais ce jour-là, il ne parvenait pas à se défaire d’une vague mélancolie. Aucune bataille de boules de neige, aucune cime enneigée, aucun lac délicatement gelé, ne parvenait à dissiper la tristesse imprécise qui s’était emparée de lui quelques semaines plus tôt, au lendemain de son dix-septième anniversaire, le second jour de cette nouvelle année, quand il avait songé qu’une poignée de mois désormais le séparait de la fin de sa scolarité à Poudlard.

Il avait l’impression de n’avoir jamais vécu qu’ici, de n’avoir jamais connu d’autres murs que ceux du château, d’autre bruit pour ses pas que celui qu’ils faisaient en résonnant sur sa pierre, d’autres escaliers que ceux qui sillonnaient l’architecture de la bâtisse ; il avait grandi, appris et mûri ici, et c’était ici qu’il avait senti se développer, si vite, si agréablement, ses connaissances et ses pouvoirs. A chaque fois qu’il avait parcouru les allées de la bibliothèque ou les couloirs du château, de nouvelles perspectives s’étaient offertes à lui.

Mais toujours, année après année, ces possibilités s’étaient trouvées sagement contenues dans l’enceinte du château : il avait songé à de grandes et vastes choses, à des entreprises complexes et à moitié interdites, il avait commencé à s’y employer, mais puisqu’il était ici, il ne pouvait pas tout faire, il fallait attendre, et cette attente avait quelque chose de confortable, parce qu’elle lui permettait de retarder sans cesse le moment qui viendrait, où il devrait prendre ses responsabilités.

Bientôt cependant le vaste monde s’ouvrirait à lui. Il y avait tant de choses qu’il pourrait y faire ! Ses résultats exceptionnels lui ouvraient virtuellement toutes les portes. Il irait à l’université, bien sûr : il y aurait encore des cours et encore des professeurs. Mais l’université n’était pas Poudlard : elle n’était pas fermée, elle n’était pas comme une seconde famille, comme une maison ou un refuge. Dehors, tout autour de lui, le monde palpiterait en l’attendant – le monde, et ses obscurités, et ses profondes obscurités qui étaient si fascinantes.

D’ordinaire, Prudence songeait avec une sorte d’excitation difficilement contenue à cette vie nouvelle qui s’offrirait bientôt à lui et les mois qui l’en séparaient lui semblaient encore trop longs. Mais parfois, il redevenait un simple adolescent, plus humain, à la fois plus et moins raisonnable : il se refusait à grandir, à parcourir ces mois à venir, et il voulait rester pour toujours dans la salle commune de la haute tour, pour toujours dans les couloirs du château – vivre à Poudlard, et que rien ne changeât jamais.

Il se souvenait des premières semaines qu’il avait passées à Poudlard, des premières nuits dans ce lit qui lui semblait alors et trop grand et trop froid, parmi ces murs hostiles. Il revoyait le petit garçon grassouillet et timoré qu’il était alors, timide, rasant les murs, objet des plaisanteries de ses camarades, et qui envoyait par hibou des lettres à sa maman, pour lui demander de bien vouloir venir le chercher et le tirer de ce supplice sans fin.

Il y avait eu l’humiliation des cours de vol sur balai, où il essuyait échec après échec. Il y avait eu la seconde année, la troisième. Il s’était fait des amis, mais guère. Sa plus grande consolation avait été les cous de potions : il s’y débrouillait si bien, et avec une telle inventivité. Puis les cours de métamorphose. Il était intelligent, c’était indubitable, il était doué aussi : mais il manquait de charisme et de volonté.

Et puis un jour en quatrième année, il avait décidé de faire quelque chose d’interdit : pour prouver qu’il n’était pas seulement un bon élève un peu timide. Il s’était introduit dans la Réserve, sans dessein formé, juste pour ramener un livre interdit. Mais il avait lu. Ce jour-là brûlait dans sa mémoire comme un feu obsédant. Cette seconde et délicieuse naissance avait enfin donné un sens à son existence.

Alors était venue la vraie et belle adolescence, comme une alliée fidèle, à point nommé : son corps avait répondu à son désir nouveau-né. Il avait couru, il s’était battu, il avait fait preuve d’une volonté acharnée, et il avait fait ce que font souvent les jeunes gens : en une vingtaine de mois, il s’était transformé. C’était un miracle quotidien de l’existence humaine, qui arrivait souvent, et pourtant c’était un miracle. D’élève très appliqué, il était devenu brillant – et son corps avait décidé de briller à la mesure de ses talents. Il sentait le pouvoir palpiter dans ses veines.

C’était un jour de janvier 1986, et Prudence était assis sur le rebord intérieur de la fenêtre, dans la salle commune des Serdaigle. Parfois, des jeunes filles passaient, s’arrêtaient près de la fenêtre, regardaient quelques secondes le parc au pied du château et demandaient doucement, avec cette voix caressante qu’elles croyaient anodines, elles demandaient à Prudence s’il voulait bien les aider à réviser telle ou telle matière ; alors lentement il détachait son regard de la neige qui tombait, il le posait dans leur regard à elle, et il formulait avec un sourire charmant une réponse vague : les jeunes filles partaient, persuadées qu’il venait d’accepter, et il souriait encore, parce qu’il savait qu’il venait de refuser.

Les cours de Duels continuaient, et à mesure que Prudence s’y affirmait, sa popularité au sein de l’établissement allait en croissant. Du moins parmi les élèves. Mois après moi, les professeurs, pour leur part, se formaient une idée du jeune homme qui n’était pas très flatteuse : on le trouvait un peu trop doué, un peu trop solitaire et un peu trop indépendant pour que ses succès fussent des plus rassurants. Echaudés par les Années de Terreur, certains professeurs étaient prêts à affirmer qu’il faudrait le surveiller de près.

Une nouvelle personne s’était arrêtée derrière lui, pour regarder par la fenêtre.


« C’est beau. »

Prudence se contenta de hocher vaguement la tête. Peut-être que s’il ne répondait pas, on le laisserait tranquille ? Il n’avait certes pas la réputation d’être très sociable ; mais cette légère misanthropie, pour son grand malheur, augmentait encore son charme, en lui donnant un peu l’air d’un génie torturé et solitaire. Approchait d’ailleurs à grands pas la fête que Prudence redoutait désormais comme la peste, lors de laquelle il se méfiait de tout ce qu’il buvait et mangeait : la Saint Valentin.

« Ce que tu as fait contre Eusépios, hier, c’était tellement impressionnant ! »

Le jeune homme consentit finalement à reporter son regard sur celle qu’il lui parlait, et pendant qu’il essayait désespérément de se souvenir du nom de la jeune fille, qui à ses yeux ressemblait à toutes les jeunes filles de Poudlard, avec les mêmes boucles, le même air un peu mièvre, il lui adressait un sourire qu’il savait être suffisamment neutre pour n’engager à rien et suffisamment plaisant pour ne pas paraître trop froid.

« Il parait qu’il sort de l’infirmerie à la fin de la semaine.
- Qui ça ?
- Mais Eusépios, voyons.
- Il est à l’infirmerie ?
- Oui, le temps que son bras repousse. »


Un air de perplexité passa sur le beau visage de Prudence.

« Qu’est-ce qu’il y a ?
- Rien. »


Silence. Avec un air qu’elle faisait tout pour rendre parfaitement naturel et qui ne laissait pas de se teinter de sournoiserie, la jeune fille déposa négligemment sa main sur l’avant-bras de Prudence, se pencha un peu pour donner du jour à son décolletée sur lequel – à son grand désespoir – le regard du Serdaigle passait avec une indifférence parfaite.

« Dis, Prudence ?
- Hmm.
- Tu m’aiderais à réviser mes… potions ? »


Elle avait appuyé sa demande d’un battement de cils expert et soufflé le dernier mot de sa phrase avec une sensualité peuplée d’équivoques douteuses. Pour être parfaitement sûre de ne pas manquer sa cible, avec la subtilité d’un chasseur qui traque la biche au lance-roquettes, elle laissait son regard verdoyant balayer les yeux de Prudence.

Prudence pour sa part observait la moue étudiée que faisaient les lèvres pulpeuses de la jeune fille en se demandant si c’était parce qu’elle avait un morceau de salade coincé entre les dents qu’elle remuait tant la bouche et il était prêt par ailleurs à lui suggérer de consulter Madame Pomfresh pour ce strabisme qui la poussait à regarder les gens si fixement.


« Euh… Nan. J’vais aller… Hmoui. C’est ça. Au revoir. »

Sans daigner éclairer sa camarade plus que par ces explications un peu obscures, Prudence se faufila loin de la fenêtre, évitant comme une anguille les tentatives d’approche à moitié hébétée de la malheureuse. Elle n’avait pas eu le temps de mettre en branle son plan de secours que le jeune homme avait déjà disparu de la salle commune des Serdaigle. Dans un coin, un groupe de jeunes filles qui avait jalousement la scène se fendait de quelques ricanements sarcastiques.

Prudence marchait à grands pas dans les couloirs de Poudlard, et saluait à moitié les gens qu’il croisait. Il entrait dans sa froideur un peu de distraction et beaucoup de vague amertume : lui qui avait été une ombre pendant des années ne se sentait guère disposé à pardonner, au sommet de sa toute nouvelle popularité, à tous ces gens qui avaient si bien su ne pas le voir. Et puis de toute façon, il étudiait, il s’entrainait ou il rêvassait, mais il ne discutait pas.

Depuis l’année dernière cependant des rumeurs commençaient à courir sur son compte (en dehors de celles qui prétendaient qu’il était un affreux mage noir en puissance complotant pour la domination mondiale), des rumeurs qui voulaient qu’il ne fût pas si asocial qu’il paraissait l’être et qu’il y avait des gens avec qui il discutait – entre autres choses. C’était précisément ces rumeurs qui fondaient les espoirs de ses admiratrices plus ou moins secrètes.

Il n’avait pas pensé à prendre sa cape, et à mesure qu’il descendait les interminables escaliers de la tour et s’orientait dans les couloirs sans fin de l’école, il commençait à avoir froid. Il s’arrêta brusquement dans l’un des couloirs.


« Alohomora. »

Une fois rentré dans la salle d’études des Moldus (qui était bien le cours le plus inutile qu’il connût), vide en fin de semaine, Prudence se dirigea vers l’armoire, qu’il ouvrit grâce au même sort, en extirpa un vieux manuel ; d’un coup de baguette, il en arracha une centaine de pages, qu’il fit léviter les unes à côté des autres, avant de les rendre solidaire, de les métamorphoser en cape et de ranger le manuel dépouillé là où il l’avait trouvé. C’était au moins un trait de son caractère qui n’avait pas changé depuis son entrée à Poudlard : son profond mépris des règlements (et des lois).

L’armoire et la salle refermées, enveloppé dans sa toute nouvelle cape, Prudence se remit en route et ne tarda pas à parvenir à l’infirmerie. Il se glissa à pas de loups dans le premier couloir, jeta un coup d’œil au bureau qui surveillait la salle : Madame Pomfresh était là, qui lisait une revue médicale avec la plus extrême des attentions – mais sans doute cette attention n’était-elle pas assez extrême pour qu’elle ne le remarquât pas passer.

Prudence se mordait la lèvre en promenant son regard dans l’obscurité du couloir, à la recherche d’un moyen quelconque de se frayer un chemin jusqu’aux lits. Après une ou deux minutes de réflexion intense, Prudence s’agenouilla, pointa sa baguette vers le sol et se mit à murmurer, très bas, une longue suite d’incantations : peu à peu, la poussière de pierre se rassemblait près de sa baguette, s’amoncelait, formait une petite sphère, d’abord fragile, puis de plus en plus dense.

Quand le résultat lui parut satisfaisant, Prudence se releva, observa longuement la disposition du bureau, de la réserve de médicaments, de la salle des lits, de la porte menant à l’appartement de Madame Pomfresh. Une fois les lieux gravés dans sa mémoire, il ferma les yeux, et, par de petits mouvements de baguette, entreprit de guider la sphère de pierre qu’il venait de créer jusqu’à la réserve de médicaments et une fois qu’il lui sembla qu’elle s’y trouvait, il murmura :


« Petrawasi. »

Dans la réserve de potions et de médicaments, la petite boule de pierre fut projetée avec force contre un bocal de potion anti-pus et un grand fracas de verre retentit dans toute l’infirmerie. Madame Pomfresh sursauta, grommela et finit par quitter son bureau pour se rendre compte des dégâts. A peine avait-elle disparue dans la réserve que Prudence se précipita dans la pièce des lits.

Les deux longues rangées de lits métalliques étaient inoccupées : il n’y avait qu’un lit qui abritait un malade, et c’était Eusépios. Le Poufsouffle, de la même année que Prudence, dormait d’un sommeil de plomb auquel l’infirmière n’était sans doute pas étrangère : c’était la meilleure manière de le forcer à se reposer et à cesser de s’inquiéter pour son bras manquant, qui finirait bien par repousser. Prudence observa quelques secondes le visage fin qu’il avait expulsé à l’autre bout de la salle de duel, la veille.

Il s’arracha néanmoins à sa contemplation : peu de temps devant lui. Il devait trouver un endroit où se cacher jusqu’à la nuit. La salle n’offrait pas de grandes possibilités. Prudence avisa finalement une armoire où étaient rangés des draps de lit propres : il l’ouvrit et commença un enchantement des volumes, guettant d’une oreille la progression des investigations de Madame Pomfresh dans la réserve de médicaments.

Elle avait fini. Elle avait fini et elle revenait ; il entendait son pas et ses grommellements. Mais lui n’avait pas fini. Et dans la précipitation, il s’embrouillait, il devait recommencer. Il lui fallait juste quelques secondes. Il jeta un regard par-dessus son épaule, aperçut un mouvement de robe et sans réfléchir se glissa entre deux étagères de l’armoire qu’il venait d’approfondir, pour refermer la porte juste à temps. Quelques secondes plus tard, et il eût écopé d’une énième retenue.

Les heures qui suivirent furent des plus désagréables. Prudence se maudit plusieurs fois d’avoir été aussi incompétent : il avait élargi les volumes de l’armoire assez pour pouvoir se glisser entre deux étagères, mais pas suffisamment pour s’y tenir à son aise, et il devait user de contorsions pour se maintenir dans l’espace somme toute étroit qu’il y avait pratiqué. Il essayait discrètement de changer de position, de temps à autre, pour soulager un peu ses muscles endoloris. Et dehors le temps passait. Lentement. Très. Lentement.

De temps à autre, il entrebâillait la porte de l’armoire pour juger de l’heure qu’il pouvait être en observant la lumière du jour décliner. Parfois, il entendait Madame Pomfresh rejoindre le lit du malade, marmonner que ce n’était pas normal, secouer un flacon de potion, soupirer et rejoindre à nouveau son bureau. Puis enfin Prudence l’entendit partir : c’était l’heure du dîner dans la Grande Salle, et il avait probablement une heure ou deux devant lui.

Le jeune homme s’extirpa donc péniblement de son armoire et s’accorda quelques secondes d’étirements pour réveiller un peu son corps. Lorsqu’il put enfin bouger un bras sans avoir la désagréable sensation d’être l’une des armures enchantées du château, il s’approcha du lit d’Eusépios, dont le sommeil commençait à se faire un peu plus léger – la Lune, qui se levait tôt en hiver, jetait sur le visage de l’infirme une lumière pâle qui caressait doucement ses cheveux blonds, et Prudence perdit quelques instants à savourer en toute innocence ces heureux effets de lumière.

Puis il fit descendre lentement le drap qui recouvrait le corps de son camarade, pour observer le bras – ou plutôt l’emplacement où devait se trouver son bras. Il se mordit la lèvre en se maudissant intérieurement d’avoir été, encore une fois, aussi brutal. La potion de Madame Pomfresh n’y ferait rien, sans doute : c’était que ce bras n’avait pas complètement disparu. Il était encore quelque part. Il fallait le remettre à sa place, et non le faire repousser.

Prudence sortit sa baguette, ferma les yeux et se représenta un des arbres du parc de Poudlard, un arbre un peu isolé, qui ne donnait pas beaucoup d’ombres en été, qui ne supportait pas beaucoup de neige en hiver, et que donc les élèves ne fréquentaient pas. Il se représentait même une branche particulière de cet arbre, une branche qui devait, à cette heure-ci, curieusement ressembler au bras d’un Poufsouffle en septième année.

La branche que Prudence avait transférée à la place du bras d’Eusépios, il l’avait faite aussitôt brûler dans une petite explosion, pour obtenir cet effet saisissant. Mais il avait été en toute bonne foi persuadé que Madame Pomfresh se rendrait compte qu’il s’était agi d’un transfert et non d’une simple suppression et que l’incident aurait été vite réparé. Alors il s’en voulait. Un peu. Un tout petit peu.

Du reste, la beauté remarquable du jeune Eusépios n’était sans doute pas étrangère à ce sursaut de bonne conscience dans l’esprit de Prudence. Au bout de quelques minutes de patiente concentration, le bras du jeune homme réintégra sa place naturelle. Et la sensation un peu désagréable du transfert n’avait pas manqué de tirer Eusépios de son sommeil – Eusépios qui posait désormais un regard embrumé sur son bourreau-sauveur.


« Keskezékeza ? »

Prudence rougit légèrement, passa une main nerveuse dans ses cheveux en bataille et murmura, avec une douceur soudainement un peu timide.

« Salut. Ca va, ton bras ? »

Sans doute, si Eusépios avait été un peu moins éprouvé et un peu plus réveillé, eût-il sauté à la gorge de son camarade pour avoir hasardé une question si provocante. Mais comme d’une part il était encore un peu endormi et que de l’autre il se rendait progressivement compte que son bras avait réintégré sa place habituelle, un mélange de perplexité, de reconnaissance et de soupçon remplaçait dans son cœur une haine pourtant bien légitime.

« Qu’est-ce que tu as encore fait ? Pourquoi j’ai froid au bras ? Et pourquoi il est plein de neige ? »

Prudence rougit encore un peu plus, et son regard fuyait consciencieusement celui d’Eusépios, pour s’attacher à n’importe quoi. Le jeune homme essayait d’avoir une certaine contenance, de ne pas paraitre trop coupable, et ses tentatives ne parvenaient qu’à rajouter encore un peu à sa timidité et à sa confusion.

« C’est que… Euh… J’avais transféré ton bras… Hm. Dans un arbre. Et euh… Madame Pomfresh ne s’en est pas rendu compte. Alors du coup, j’suis venu. Tu vois pour… Pour remettre ton bras. Et…
- Elle est au courant ?
- Qui ça ?
- Pomfresh. »


Prudence eut un petit toussotement d’autant plus gêné qu’Eusépios, désormais parfaitement réveillé, posait sur lui un regard d’un bleu un peu trop inquisiteur pour qu’il se sentît très à son aise.

« Euh… Non… P-Pas vraiment. »

Silence. Un hibou passa devant les fenêtres en hululant.

« Eusépios, j’suis désolé… J’aurais dû être plus… Plus… Délicat. »

Silence. Un autre hibou passa devant les fenêtres en hululant.

« Bon. Ben. Je vais y aller, hein. »

Prudence esquissa un sourire dans le vide, en guise d’excuses et il commençait à partir quand il sentit la main encore froide d’Eusépios attraper son poignet avec une douce fermeté et le retenir.

« Attends, Pamva. »

Pamva ? C’était bien la première fois qu’on l’appelait comme ça. Prudence réfléchit quelques secondes pour comprendre que c’était un acronyme de tous ses prénoms et de son nom de famille. Ca ne sonnait pas trop mal. Mais comment diable Eusépios connaissait-il tous ses prénoms ? Même lui, il avait dû attendre sa septième année, quand il était enfant, pour les retenir tous. Charmé par cet effort de mémoire, Prudence se tourna de nouveau vers son camarade, sans oser cependant affronter son regard.

« Ecoute, c’est pas grave. C’était un duel. Et puis… C’était tout de même très impressionnant. »

Avec un réflexe parfaitement enfantin, Prudence leva brusquement des yeux pétillants vers ceux d’Eusépios, et s’exclama, tout fier :

« Tu trouves ? »

Son camarade hochait doucement la tête. Et Prudence, qui avait la réputation de balayer les compliments qu’on lui faisait d’un demi-sourire un peu vague, accueillait celui-ci avec une sorte de ravissement un peu puéril, et il lançait à Eusépios, sans en avoir tout à fait conscience, le sourire le plus charmeur qu’il avait en réserve – et à cette époque déjà, le sourire le plus charmeur de Prudence était un spectacle remarquable – ce jour-là d’autant plus remarquable qu’il était parfaitement sincère.

Eusépios n’était pas du genre à laisser une invitation aussi savoureuse que ce sourire se perdre, et il commençait à caresser légèrement du pouce la main de Prudence, qu’il avait gardé dans la sienne ; et Prudence, loin de se défendre, le contemplait d’un air enchanté et un peu distrait, d’un air finalement assez semblable à celui qu’avaient les jeunes filles de Serdaigle lorsqu’elles le croisaient lui dans les couloirs.


« Je trouve oui. Je t’ai toujours trouvé très impressionnant. Je me souviens qu’un jour en première année tu as réussi à faire une potion que personne ne parvenait à commencer.
- En… en première année ?
- Oui.
- Tu te souviens de moi en première année ?
- Bien sûr. »


Prudence était prêt à s’évanouir. Eusépios avait heureusement plus de sens pratique : il s’était redressé dans son lit, glissé sa main libre sur le cou de son camarade et commençait à attirer doucement son visage vers le sien, pendant que dans l’esprit si intelligent de Prudence, une seule phrase tournait en boucle.

*Eusépios le grand et beau Batteur de l’équipe de Quidditch des Poufsouffles se souvient de moi en première année !*

Il sentait déjà sur ses lèvres le souffle d’Eusépios, le grand et beau Batteur de l’équipe de Quidditch qui se souvenait de lui en première année, et ses lèvres frémissaient d’une secrète impatience, elles s’approchaient à chaque seconde un peu plus de celles qui les attiraient tant.

« Stupéfix ! »

Madame Pomfresh s’avança à grands pas vers le corps inanimé de Prudence. Elle posa un regard protecteur sur Eusépios, qui la regardait héberlué.

« Ne vous inquiétez pas, Eusépios, il ne vous fera pas de mal.
- Mais… mais…
- Ah, je vois que la potion a fait son effet et que votre bras va mieux. Très bien.
- Mais…
- Oui, oui, là, reposez-vous. »


L’infirmière fourra le goulot d’une fiole entre les lèvres d’Eusépios, qui ne tarda pas à sombrer dans un nouveau sommeil réparateur.

« Mobilicorpus. »

Le corps de Prudence s’envola doucement dans les airs jusqu’à ce que Madame Pomfresh le fît reposer sur une chaise. Le grand champion de duels, le petit génie de Serdaigle, celui dont Eusépios, le grand et beau Batteur de l’équipe de Quidditch de Poufsouffle se souvenait en première année, avait beaucoup perdu de sa superbe, et reposait mollement dans l’attente du bon vouloir de la très pragmatique infirmière de Poudlard.

« Ennarvatum ! »

La petite voix flûtée du professeur Flitwick avait transpercé le silence du bureau de Madame Pomfresh. Péniblement, Prudence ouvrait les yeux pour distinguer deux formes de taille inégale se dessiner sous son regard ; seconde après seconde, l’image se précisait, et il finit par reconnaître en la plus grande l’infirmière de Poudlard et la seconde son professeur de sortilèges et d’enchantements et accessoirement le directeur de sa maison. Le jeune homme sentait confusément que son plan ne s’était pas déroulé tout à fait comme il l’espérait.

« Prudence Alvirabilis Menolate Vunover Adrian ! »

La voix de Madame Pomfresh lui faisait l’effet d’un marteau que l’on eût projeté subtilement contre son crâne. Prudence entreprit de se redresser un peu sur sa chaise, pour se donner une vague contenance, et de chercher un moyen efficace de se justifier. Ses pensées roulaient, roulaient en quête d’une bonne excuse, mais revenaient systématiquement à leur délicieux point de départ.

*Eusépios, le batteur de l’équipe de Quidditch des Poufsouffles a essayé de m’embrasser !*

Ce qui faisait naître sur ses lèvres un sourire béat probablement peu approprié à la situation dans laquelle il se trouvait.

« Oui… Monsieur Adrian… Très bonne tentative d’enchanter de volumes, vraiment, c’est très bien. »

Madame Pomfresh jeta un regard violemment réprobateur au professeur Flitwick qui coupa court aux compliments entamés.

« Je vous dire, c’est très vilain, vraiment, oui, très vilain, de vous introduire ainsi nuitamment dans l’infirmerie. Je m’attendais à mieux de vous, Monsieur Adrian. Vous aurez une retenue, c’est ça, oui, vous viendrez laver l’infirmerie de fond en comble la semaine prochaine, et puis je retire trente points, oui, trente points à Serdaigle, pour votre comportement inqualifiable. »

Prudence s’efforçait de prendre une mine contrite et coupable.

« Maintenant, je vais vous raccompagner au dortoir où vous méditerez sur votre mauvais comportement, oui. »

Un peu engourdi, Prudence se releva de son fauteuil, récupéra sa baguette que Madame Pomfresh lui tendait en le fusillant du regard et emboîta le pas au professeur de sortilèges. Dès qu’il fût certain que l’infirmière ne pouvait plus les entendre, le professeur Flitwick prit un air mi-coupable, mi-conspirateur, et chuchota :

« Maintenant, dites moi. Comment vous y êtes-vous pris pour que Pompom quitte son bureau ? »
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MessageSujet: Re: [Thème I] Première fleur du Mal   [Thème I] Première fleur du Mal EmptyDim 19 Déc - 13:06:28

Chapitre Deuxième
Comment le héros triompha de ses peurs et en fut récompensé

Eusépios l’évitait : il en était persuadé. C’était parfaitement injuste ! Il avait pris des risques pour lui ! Il avait vécu des heures dans une armoire ! Il avait eu une retenue ! Il avait lavé l’infirmerie ! Et Dieu seul savait ce que l’on trouvait à laver dans cette infirmerie. C’était répugnant. Prudence avait été obligé de s’introduire dans la salle de bains des préfets pour laver son corps de ce souvenir immonde. Quels glorieux sacrifices n’avait-il pas fait qui méritaient qu’Eusépios lui parlât ! Mais non. D’Eusépios depuis une semaine, aucune nouvelle.

Enfin, il le voyait, bien sûr, un peu, en cours, de temps en temps. A cinq tables de distance, et qui ne le regardait jamais. Etait-ce un sursaut de rancune à cause de ce bras un peu vagabond ? Prudence s’était pourtant excusé ! Et puis, il estimait que puisque Eusépios avait sournoisement tenté de le dévergonder dans l’infirmerie, c’était un peu fort maintenant de faire comme si de rien n’était. Si le Serdaigle n’avait écouté que sa conscience – ou ce qui lui en tenait lieu – il lui eût arraché les deux bras pour de bon.

Hélas, le règlement de Poudlard était ainsi fait que ce genre d’emportements pouvait porter à conséquence pour sa brillante scolarité. Et à défaut de pouvoir parler à Eusépios de cette fameuse nuit à l’infirmerie, Prudence était bien obligé de se consacrer à quelque chose : la même chose que toujours, ses études, ses entraînements. Il dérivait sa frustration dans les duels, s’ingéniant à s’y montrer plus féroce que jamais – c’était à croire qu’il tenait à envoyer son bon souvenir à Madame Pomfresh très régulièrement.

Heureusement, il y avait les livres. Parfois, ses camarades de classe se demandaient comment il était possible qu’il ne connût pas encore chaque volume de la bibliothèque par cœur, tant il y passait de temps. Prudence ne répondait rien. Après tout, pouvaient-ils seulement comprendre ? Cette bibliothèque était un trésor – un dangereux trésor sans doute – pour qui avait la patience de lire entre les lignes des volumes les plus anciens. Et étudier pour les ASPICs la défense contre les forces du mal donnait accès aux livres de la Réserve. Aux livres les plus intéressants.

Et néanmoins, quelque profonde et sincère affection qu’il eût pour ces rangées interminables de tomes poussiéreux, il arrivait de plus en plus souvent que Prudence délaissât ces lieux silencieux pour se promener dans le par cet songer, avec une mélancolique toute adolescente, à l’infirmerie et à Eusépios, en regardant le lac gelée, la cime des arbres de la Forêt Interdite, les bonhommes de neige qui se promenaient nonchalamment dans les allées du parc.

Quand il se sentait à deux doigts de graver en soupirant béatement leurs initiales sur le tronc d’un arbre, Prudence se secouait, se maudissait, et rebroussait chemin pour rejoindre le château, ses livres et telle ou telle dissertation sur la reproduction des Détraqueurs ou les sortilèges impardonnables, sujets bien plus graves et plus nobles que le joli regard de ce crétin d’Eusépios, le batteur de l’équipe de Quidditch des Poufsouffles, qui ne lui adressait plus la parole.

Les jours passaient dans cette vague mélancolie, et Prudence était moins souriant qu’à l’ordinaire – ce qui n’était pas fait pour décourager les jeunes filles qui le suivaient à la trace, et qui désiraient désormais plu que tout soulager les peines de ce cœur incompris, qu’elles seules, bien entendu, pouvaient lire et décrypter, car leur sensibilité romantique les y disposait naturellement. Prudence manquait parfois de perdre son flegme légendaire et de lancer un sortilège d’Oubliettes de groupe, pour s’effacer de la mémoire tenace de ses poursuivantes.

Et il sentait sournoisement s’approcher à grands pas vicieux et suintants de sentimentalisme immonde la Saint-Valentin, sa grande ennemie, qui prenait cette année un tour assez surprenant. Il avait beau mépriser cette fête pleine de bons sentiments factices et n’y accorder aucune espèce d’importance, puisqu’après tout il était au-dessus de tout cela, il ne pouvait s’empêcher de songer qu’Eusépios ne lui enverrait sans doute pas de carte, rien, ce qui était un peu fort tout de même, après l’infirmerie, vraiment très fort, et ainsi Prudence était malheureux.

Mais avant la Saint-Valentin, cette année-là, il y avait un autre grand évènement, qui mettait l’école dans une effervescence sans nom, et cet évènement, c’était le match de Quidditch Poufsouffle-Gryffondor. On préparait les banderoles, les costumes, les chants de victoire, on espionnait la stratégie adverse, on faisait des suppositions et des paris clandestins. C’était une grande et importante affaire qui occupait tout le monde.

Prudence avait la réputation de ne jamais assister aux matchs. Les plus attentifs s’expliquaient aisément cette réticence que beaucoup prenaient pour une originalité déplacée ; il suffisait, à vrai dire, de se souvenir des résultats catastrophiques de Prudence en cours de vol sur balai pour comprendre qu’il ne devait avoir guère envie de réveiller les souvenirs peu glorieux de cette époque – d’autant moins envie qu’il s’était depuis employé à les effacer.

Et pourtant, ce jour-là, Prudence prit son courage à deux mains, et entreprit de gravir les interminables escaliers qui menaient aux tribunes. Et une fois arrivé tout en haut de la tribune, il sentit très vite que c’avait été une entreprise inconsidérée et parfaitement stupide : car, vraiment, le sol était loin, très très loin, beaucoup trop loin de lui. Le jeune homme déglutit péniblement et essaya de se concentrer sur autre chose – n’importe quoi, pourvu qu’il cessât de penser à la hauteur inimaginable à laquelle il se trouvait.

Le jeune homme songeait tant bien que mal qu’il fallait être profondément déséquilibré pour prendre plaisir à un jeu aussi dangereux et que finalement, le mystérieux comportement d’Eusépios s’expliquait aisément par une forme de névrose très grave, qui le poussait à faire des choses inconsidérées, comme le séduire dans une infirmerie ou être batteur de Quidditch. Prudence devait sans doute se faire une raison et porter son attention sur un jeune homme dont l’esprit fût plus sain.

Ravis de voir pour une fois Prudence peu à son aise, des camarades lui jetaient des regards un peu moqueurs, et profitaient de cette occasion inespérée pour réaffirmer leur virilité en se penchant négligemment par-dessus les rambardes et en contant à qui voulaient bien les entendre leurs exploits en balais – mais Prudence, pour sa part, était bien trop occupé à essayer de ne pas vomir sur les joueurs qui s’assemblaient en contrebas pour écouter ces aventures si fascinantes.

Mais bientôt, son attention fut suffisamment attirée par autre chose pour qu’il cessât de songer aux sommets vertigineux sur lesquels il se trouvait : le match commençait, les joueurs s’étaient élevés dans les airs, et Prudence n’avait aucun mal à reconnaître parmi tous Eusépios, parce qu’il était le plus grand, parce qu’il était le plus beau, et parce qu’il sentait bon le foin fraichement coupé. Prudence se sentit naître une passion toute nouvelle pour le Quidditch.

Cela dit, il ne suivait absolument rien au déroulement du match, entendait à peine les points que l’on annonçait, et ne faisait qu’observer d’un regard vorace et émerveillé l’évolution aérienne du charmant Poufsouffle. Il frémissait quand il plongeait, il frémissait quand il renvoyait un Cognard à l’adversaire, il frémissait quand il ne faisait rien et il avait une envie toute puérile d’hurler son nom et de lui envoyer un ours en peluche danseur. Fort heureusement, il parvint à se contenir.

A la fin du match, Prudence ne savait même pas qui avait gagné. Il restait assis dans les tribunes, un peu subjugué. Pendant ces longues minutes, il avait censé de réfléchir : une brèche s’était ouverte dans la marche ordinaire de son esprit, son intelligence avait été tenue en respect par quelque chose de plus primitif peut-être, de plus savoureux, une sensation quasi extatique, sans doute parfaitement stupide, un émerveillement sensuel et enivrant.

Les tribunes commençaient à se vider, et il décida de se lever finalement, ayant un peu repris ses esprits, et pour n’y pas rester le dernier. En descendant les escaliers de la tour de bois, il songeait qu’il ne pouvait – après cette expérience – rester insensible, attendre encore qu’un jour Eusépios voulût bien lui adresser de nouveau la parole. Il fallait qu’il sût ce que c’était que cette attirance mystérieuse, que pour une fois il s’abandonnât à une pure intuition.

Prudence mit quelques minutes à repérer les vestiaires. La plupart des joueurs étaient déjà partis, et avec eux leurs supporteurs les plus fervents. Le calme régnait de nouveau dans le stade de Quidditch. Sans doute Eusépios était-il parti avec les autres, fêter la victoire ou ruminer la déconvenue, et ce que Prudence entreprenait sans doute était stupide. Pourtant, le jeune homme avait une espèce d’espoir infime et parfaitement déraisonnable, l’intuition que c’était une chose à faire : venir, ici, après tout le monde, dans les vestiaires.

Il se glissa à l’intérieur et risqua un coup d’œil circulaire. Tout était vide, ou presque. Il y avait des bancs à bois, à côté des douches communes, des casiers : c’étaient des vestiaires comme bien d’autres. Vides. Prudence rentra, enfonça les mains dans ses poches et se mit à progresser à pas lents dans cet univers plus étrange que n’importe quel des mystères que les livres dont il était si familier lui décrivaient à longueur de journée.

Ce ne fut qu’au bout de quelques secondes qu’un bruit l’alerta. De l’autre côté de la cloison, là où sans doute se trouvait les douches, un bruit continu d’eau se faisait désormais entendre : il restait quelqu’un, un joueur qui là prenait sa douche, après le match. Prudence hésita à partir. Si pourtant c’était Eusépios, l’occasion était unique de lui parler seul à seul, de la forcer à la franchise. Alors Prudence s’assit en tailleur sur l’un des bancs, et prit le parti d’attendre.

Il attendait en écoutant l’eau s’écouler, encore et encore – longue douche chaude qui chassait les fatigues les plus brutes de l’effort physique. Il connaissait ça, lui qui, par une volonté de fer, exécutait depuis plusieurs années maintenant, tous les jours, et sans cesse un peu plus, les exercices physiques qui l’avaient transformé et fait naître en lui une condition bien différente que celle dans laquelle il s’était trouvé en entrant pour la première fois dans l’école.

Il attendait en faisant tourner rêveusement sa baguette entre ses mains. Tout seul dans le vestiaire, sans même savoir s’il s’agissait vraiment d’Eusépios de l’autre côté de la cloison, il essayait de former par d’avance les phrases qu’il aurait à dire. Il ne cessait de rejeter celles qu’il trouvait : celle-ci était trop brutale, celle-là trop sentimentale. Il voulait être à la fois sincère, doux, un peu entreprenant, légèrement vexé, charmant, sobre, et tous ces mouvements contraires échouaient à se concilier dans un énoncé unique.

L’eau s’était arrêtée – et il ne s’en était pas même rendu compte. Depuis combien de temps ? Le jeune homme releva les yeux de sa baguette pour découvrir des pieds nus. Au-dessus des pieds, des jambes, une serviette nouée à une taille, un ventre (charmant), un torse (délicieux), et le visage d’Eusépios, qui le regardait avec un sourire aimablement moqueur – sourire qui dissimulait une vague angoisse que quiconque éprouvait lorsqu’il se rendait compte que Prudence l’attendait la baguette à la main : ce pouvait être un très mauvais signe.


« Salut. »

Les yeux marron de Prudence s’étaient fixés dans ceux de son camarade, et soudain il ne trouvait plus rien à dire. Un sursaut de tristesse s’était emparé de lui : il comprenait, très brutalement, que ce qu’il avait traité comme une mélancolie sans forme était un sentiment plus profond et plus douloureux, une impression d’abandon, de trahison, d’espoir déçu, et qu’il était venu dans le vestiaire, c’était moins pour être fixé sur le sort d’une amourette trop tôt avortée que pour savoir si vraiment il n’allait trouver dans sa vie que des gens qui le laisseraient de côté.

« Qu’est-ce que j’ai fait de mal ? »

Le sourire d’Eusépios s’était effacé – il y avait eu, dans la voix de Prudence, l’inflexion d’une fierté de fauve blessée, une sorte de tristesse majestueuse à laquelle il n’avait pas le courage de demeurer insensible. Il avait cru sans doute aux rumeurs qui couraient depuis quelques mois : que Prudence ne manquait pas de jeunes gens avec qui se distraire. Il l’avait cru peut-être semblable à celui que décrivaient les autres : un peu prétentieux, volage, indifférent à la succession des individus qui pouvaient passer dans sa vue. A cet instant il comprenait un peu douloureusement qu’il avait fait une erreur, et il murmurait avec un soupçon de remords :

« Rien. Rien du tout. »

C’était l’une de ces conversations où tous les mots sont presque indifférents, quotidiens, les paroles rares, et où, pourtant, dans ces parcelles quasi infinitésimales, des sens profonds convulsaient sombrement, attendaient d’être libérés, compris, s’échangeaient presque craintivement, comme s’échangent des marchandises de contrebande ; Eusépios et Prudence se regardaient, et leurs regards échangés étaient lourds d’erreurs soudainement comprises, dont chacun craignait qu’elles abolissent pour toujours leur relation non encore née.

Prudence hocha doucement la tête, et esquissa un de ces pauvres sourires d’après-pleurs, pleins d’une joie difficile encore à exprimer et que la tristesse continue à teinter. Toutes les rumeurs étaient fausses : aussi brillant qu’il était devenu, sa vie sentimentale était un désert. Dans ce vestiaire face à Eusépios, il se sentait stupide, il trouvait en lui toute la fragilité d’un adolescent confronté pour la première fois avec la possibilité d’une grande réussite. Ce qu’il fallait faire, dire, les gestes qu’il fallait avoir : il ignorait tout cela.

Eusépios vit ce que peut-être il était le seul à apercevoir désormais en Prudence : de la maladresse et de la timidité.


« Viens. »

Sa voix avait eu une chaleur qui tout à la fois charmait et inquiétait Prudence. Comme un animal docile, et ne sachant guère qu’à moitié ce qu’il faisait, le Serdaigle quitta son banc et s’approcha de son camarade. Il restait bêtement les bras ballants, évitant désormais de regarder Eusépios dans les yeux ; il avait caché ses mains dans ses poches, de peur peut-être qu’elles se missent à agir toutes seules – il avait l’air d’un jeune garçon que l’on a pris en faute et que l’on s’apprête à gronder.

Il sentit les mains d’Eusépios sur ses poignets, qui tiraient ses mains hors de ses poches : il sentit ses grandes mains prendre les siennes, avec cette fermeté douce qu’il avait pour la première fois découverte dans l’infirmerie, et puis il sentit qu’Eusépios déposait un baiser sur le dos de chacune de ses mains – lui, il n’avait pu que lever à nouveau son regard vers celui de son camarade, un regard unique en son genre chez Prudence, débordant d’incompréhension et d’incertitude.


« Eusépios. »

Prudence soudainement avait envie de se sentir faible, et brisé, et broyé, il avait envie de laisser ses souffrances les plus puériles remonter à la surface, de dévoiler ses vexations enfantines, pour qu’Eusépios les consolât, pour qu’il le prît contre lui et le protégeât contre le monde, ce monde entier où il sentait l’hostilité rôder partout, et avec elle la mort, informe et pourtant nombreuse, tout cela qui lui faisait peur, qui le terrorisait, et contre lequel il s’employait à être fort, et rude.

Il avait envie d’abandonner le voile chamarré et brillant de son personnage, de laisser tomber son rôle et son masque, d’être à nouveau l’enfant meurtri qu’il avait été pendant ses premières années à Poudlard, de pleurer pour des choses stupides, des méchancetés de cour de récréation, pour quelques-uns de ces petits malheurs insignifiants qui lacèrent si aisément l’âme des enfants.

Il avait envie de laisser son corps devenir souple et fragile entre les bras d’Eusépios, de cesser d’y faire courir une énergie électrique, impatiente, une nervosité constante, prête à bondir et à broyer, il avait envie d’être pour quelques heures uniques et enfermées dans le secret de ces vestiaires un chat craintif que le bruit des pas sur la pierre effraie, de ne plus être un brillant duelliste et d’avouer que la puissance magique brutale qui pulsait dans ses veines l’épuisait au point de non-retour.

Il avait envie d’être bête, de ne pas savoir parler, de ne pas savoir quoi faire, de n’être plus un talentueux joueur d’échecs, un rat de bibliothèque plus beau que les autres rats, un érudit, de n’être plus qu’un esprit craquelé, incertain, dont les pensées vacillaient sans savoir jamais comment cesser de tanguer, comment voguer paisiblement ; il voulait dire des phrases décousues et heurtées de sanglots, les seules désormais qui lui parussent sincères, il voulait pleurer encore et encore, jusqu’à être épuisé de larmes, et s’endormir contre lui.

Enfin Prudence s’était réfugié contre le corps d’Eusépios, et son camarade avait étendu autour des épaules et de la taille du jeune homme une étreinte protectrice. Les bras de Prudence étaient passés autour du cou d’Eusépios, et le visage du jeune homme reposait, avec ses larmes silencieuses et ses reniflements maladroits, contre l’épaule d’Eusépios. Il sentait le cœur de son ami battre, il avait la certitude que c’était pour lui, alors il s’abandonnait à ses larmes, comme par une longue et lente confession.

Il fallut longtemps pour que Prudence cessa de pleurer, mais enfin il cessa, et les vestiaires du stade de Quidditch, pendant qu’au loin dans le château la fête de la victoire battait son plein, les vestiaires dans le silence de la nuit qui tombait, désormais abritaient sa chaude et profonde consolation.

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MessageSujet: Re: [Thème I] Première fleur du Mal   [Thème I] Première fleur du Mal EmptySam 25 Déc - 15:39:29

Chapitre troisième et dernier
Comment en un bref épilogue le héros perdit ce qu’il possédait

Les mois avaient passé comme une longue et lente ivresse ; il sentait sur sa peau courir de toujours nouvelles caresses. Il était lumineux et plus fort que le monde, que la plus grande des incertitudes et le plus sauvage des doutes. Tout ce qui passait ne pouvait ni le heurter ni le flétrir : il était au-dessus du monde entier, parce que chaque soir, chaque jour, chaque heure même s’il le désirait, était un instant où il pouvait se contempler dans son regard. Il n’y avait rien d’autre que le bonheur – rien, absolument, et à perte de vue.

C’était bientôt la fin de ses études à Poudlard. Il y aurait après l’Université. Après l’Université, il y aurait le monde. Et toujours, comme un lien de vibrante beauté, unissant toute chose et chaque instant de son passé et de son avenir, il y aurait Eusépios – il l’aimait naïvement, comme peut-être aiment les enfants, il l’aimait comme si tout le monde était contenu dans ce corps près du sien, comme s’il n’y avait rien dont il pût douter et comme si Eusépios ne pouvait rien exiger de lui dont il ne fût capable. Tout n’était que puissante simplicité.

Le bonheur n’a pas d’histoire. Prudence étudiait, il aimait. Toute autre considération que sa vie éternellement passée auprès d’Eusépios était sans importance : c’était la seule chose au monde qu’il désirât vraiment et celle dont tout dépendait. Il voulait pouvoir se fixer dans une matière plus solide que la roche et le marbre, et que la chair trop prompte à succomber, et toute son intelligence s’employait à ce grand et difficile problème.

Que ce fussent les arcanes les plus interdites de toutes et qu’à chaque pas qu’il faisait il s’enfonçait dans l’obscurité, il ne voulait ni même pouvait le voir. La morale, comme le monde, comme toute la réalité, s’était fondue et dissipée dans le spectacle d’un avenir toujours radieux ; il n’y avait plus que l’éternité qui l’obsédât – elle était qui germait dans son cœur la première fleur du mal. Comment eût-il pu repousser des puissances qu’il voyait si évidemment supérieures à celles que le commun des sorciers connaissait ? Comment ne pas sentir au bord de ces mystères le vertige délicieux des plus profonds secrets ?

Eusépios contemplait cette marche lente et lointaine. Il n’était d’abord parvenu qu’à deviner les recherches auxquelles se livrait Prudence. Parfois, il voyait dans son regard des lointains sans nom qu’il préférait ignorer. Prudence lui avait parlé de sa famille. Alors Eusépios savait les secrètes tentations qui avec le sang battaient dans les veines de celui qu’il avait élu. Plus les semaines passaient, et plus il voyait se développer cette force complexe et dangereuse.

Parfois, il n’avait pas le courage de lui en vouloir. Car après tout, la clarté qui était si naturelle à Prudence, celle-ci même qu’il avait aimée d’abord parce qu’elle perçait malgré son ami de ses mélancolies interminables, paraissait toujours plus belle et ferme, et il ne semblait pas que rien pût jamais la faire vaciller. Et certes Eusépios ne doutait pas que Prudence devînt jamais un mage noir – mais il doutait de plus en plus qu’il demeurât toujours un mage blanc.

Il se sentait dépassé, débordé de toute part par ce que Prudence disait, pensait, rêvait et désirait. Il y avait des projets que Prudence lui exposait et dont il sentait qu’il eût dû lui en dissuader, mais que son intelligence ne parvenait pas à comprendre vraiment, dont il ne saisissait pas tous les développements, et alors, par peur et sans doute un peu par honte, il se taisait, se contenter de ravaler dans sa gorge une angoisse imprécise et de nouvelles semaines passaient.

Parfois même, peut-être, il était tenté par ces ambitions folles, et la confiance aveugle qu’il avait en les capacités de son ami lui faisait voir près atteints les buts déraisonnables que Prudence s’était fixé. Mais un bon sens plus solide que toutes les passions, ancré en lui comme une roche aux fonds marins, le retenait d’embrasser trop pleinement ces horizons trop brumeux. Il aurait voulu en retenir Prudence ; mais c’était au-dessus de ses forces.

Et puis, la tentation se faisait de plus en plus force. En l’écoutant et en le regardant parler, il sentait que quelques semaines suffiraient pour qu’il abdiquât sa volonté et laissât Prudence maître de son destin. Peu à peu surtout il comprenait que, par les chemins tortueux et cruels de l’existence, c’était son amour et sa douceur, sa tendresse et sa considération, qui poussaient lentement Prudence vers les terres où son âme se perdrait pour toujours. Eusépios sentait cela, et il sentait aussi que rien, sauf le sacrifice de leur bonheur commun – que rien, bientôt, ne retiendrait plus Prudence.

Cette première fleur pleine d’épines et de beautés cependant, il n’avait pas le courage de l’arracher. Chaque sourire purement innocent de Prudence – et comme encore ils étaient nombreux – chaque insouciance enfantine qui éclatait dans son regard broyaient sa volonté et le contraignaient au silence. Avec une mauvaise foi impalpable, il tentait de se convaincre que ses doutes étaient mal fondés et que rien, jamais, ne ternirait une âme aussi pure.

Le temps passait encore et avec lui se creusait son désespoir. Eusépios était prêt à succomber – ce combat contre soi-même avait trop épuisé ses forces. Ils venaient de passer leurs ASPICs. Prudence avait été brillant. Mais dans la défense contre les forces du Mal, Prudence avait été aussi sombre que brillant. Eusépios le savait. Il se raccrocha à cette fugace certitude pour amputer son être de cette part qui lui était si nécessaire pourtant.


« Prudence. »

Prudence relevait vers lui ce regard un peu distrait, un peu rieur, inexplicablement étonné qu’il posait, comme un chaton perdu, parfois sur les êtres et les choses.

« Prudence, tu… Tu me fais peur. »

Et ce regard soudainement c’était assombri.

« Je sais que… Que si je reste avec toi, tu iras plus loin. Encore. Je ne sais pas quoi faire. Je ne peux pas te retenir. Prudence, je pars. Je m’en vais. Je ne peux pas rester près de toi. Mon bonheur coûterait trop cher, s’il devait te coûter ton âme. »

Et ainsi se flétrit dans le désespoir la première des fleurs du mal.
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