Ce message s'autodétruira dans 3 secondes ! [Angie]

Vautrée dans le confortable canapé de la salle commune des lions - le sien, celui qu'elle squattait régulièrement depuis son arrivée à Poudlard, le vieux marron en cuir rapiécé pas trop loin du feu - Page, les pieds sur la table et le regard pensif, faisait tourner entre ses doigts la missive qu'elle avait reçue ce matin. Une foutue lettre en papier raffiné, parfumé même, sur laquelle son nom avait été inscrit d'une écriture élégante, avec une encre qui devait valoir les yeux de la tête vu comme elle brillait sous la lumière. Bloody Hell. Elle avait d'abord cru à une mauvaise blague. Les McHenry ne recevaient pas ce genre de lettres. Ca puait la crasse de Toaster à plein nez. Alors elle ne l'avait pas ouverte tout de suite. C'était un coup à ce que ça lui explose en pleine figure. Et en plein petit déjeuner, devant tous les autres débiles de la table des Serpentards, elle n'en avait pas spécialement envie. L'autre épisode avec Midnell l'avait vaccinée pour un moment en ce qui concernait les éclats matinaux.

Elle avait donc attendu la pause du matin entre les cours de sortilèges et d'arithmancie et s'était éclipsée dans un couloir un peu en retrait de l'agitation pour décacheter le pli. Pas d'explosion. Pas d'odeur nauséabonde. Pas de beuglante. Rien de louche, au final. Une simple lettre. Lui demandant de se rendre cet après-midi, à seize heures, dans le parc. "Pour l'entretenir de quelque chose d'important". Cela avait intrigué la jeune fille. Tout autant que la signature au bas du parchemin : Angélina Fowl. La Poufsouffle midinette à moitié à côté de la plaque mais pas méchante à première vue. Mouais.
La rouquine n'avait pas pu s'éterniser car la sonnerie l'avait renvoyée en cours, mais elle avait passé les heures suivantes à observer Angélina à la dérobée durant les cours, essayant de deviner ce que cette grande demoiselle pouvait bien lui vouloir.

Après le cours de duel, elle était remontée dans la salle commune, et était installée dans son fidèle fauteuil depuis une bonne demi-heure, s'interrogeant sur la conduite à tenir. Après tout, Angélina était une grande copine de la sale garce platine. Ca pouvait être un piège. Sans compter que "la cinquième allée à droite", elle visualisait très bien. Un petit coin tranquille, éloigné des regards du château et où peu d'élèves se baladaient. C'était vraiment louche.
L'irlandaise poussa un soupir. C'était peut-être vraiment important. Et elle ne le saurait que si elle se rendait à cet étrange rendez-vous. Il fallait simplement qu'elle prenne ses précautions.
Sa décision était prise. La préfète plia la lettre et monta se changer. Elle n'avait plus cours aujourd'hui, alors si elle devait sortir et être parée à toute éventualité, autant ne pas se coltiner l'uniforme. Un bon vieux jean des familles - un peu court ceci dit, elle avait encore grandi - ses fidèles baskets et le sempiternel sweat noir à capuche, elle était parée. Cape, écharpe et baguette, elle pouvait y aller. Elle fourra la lettre dans la poche de sa cape élimée et dévala les escaliers de la tour des lions.

Elle arriva rapidement à une porte donnant accès au parc, et ralentit un peu en sortant, prenant une grande bouffée d'air frais pour se donner de l'énergie. C'était parti. Longeant les allées dans le froid vif de l'hiver écossais, l'irlandaise marchait d'un bon pas en direction de son lieu de rendez-vous, s'assurant que personne ne la suivait ou que personne de louche ne traînait dans les parages. La voie semblait dégagée, et la préfète atteignit enfin le lieu convenu. Angélina n'était pas encore là. Elle devait être en avance, vu qu'elle n'avait pas traîné. Calant son épaule contre un arbre qui ornait l'allée, la rouquine fourra ses mains dans ses poches, refermant ses doigts sur la tige de noisetier qui attendait sagement dans sa cape, prête à être dégainée au moindre signe suspect. Il n'y avait plus qu'à attendre, et à faire de jolis petits nuages de vapeur d'eau en expirant dans l'air froid ambiant.

Angélina Fowl, désormais future Madame Dmitriev, s'était sentie mal à l'aise toute la journée. Elle commençait presque à regretter d'avoir envoyé cette lettre à Mc Henry, à vrai dire.

Cette histoire avait tout d'un petit cas de conscience, ce que la jeune fille détestait par dessus-tout. Malheureusement, ils étaient pléthore depuis qu'elle avait commencé cette année à Poudlard, ce qui lui rendait la vie particulièrement difficile. En fait, elle en avait par-dessus la tête de devoir ménager la chèvre et le chou et commençait doucement à regretter de ne pas être restée à BeauxBâtons, où elle avait toujours eu son petit groupe et où la rivalité et les contentieux sanguins étaient bien moindres.
Prenons un exemple simple. Dans son école, aucun Roi de l'Ecole ne se serait mis à pleurer devant tout le monde, en montrant bien à quel point il était une tapette traumatisée par les évènements datant d'un peu moins d'un an en prétextant que la vie était bien trop dure pour lui ! Et ceci probablement à cause d'Ange – qui elle était de Sang-Pur, et qui avait l'air de représenter l'Ennemie pour bon nombre d'élèves. Ce qui était une réaction parfaitement stupide à son sens, car il suffisait de la connaître un peu pour savoir que la petite poupée était juste un peu jeune et gâtée, mais absolument adorable une fois qu'elle avait confiance en vous. Évidemment, elle n'était parfois pas tendre – mais qui ne délecte pas d'un bon ragot une fois de temps en temps ?
Bref. Tout ceci pour dire qu'elle sentait un peu coupable. A quel niveau ? Angélina n'aurait su l'exprimer. D'un côté, elle avait toujours estimé sa camarade de classe gryffondor qui se défendait très en cours de Magie Sans Baguette, Jusqu'à ce qu'elle apprenne son nom de famille, elle ne l'avait jamais trouvé particulièrement traumatisante (à part évidemment son vocabulaire peu châtié, bien sur, qui avait le don de la hérisser...), et même plutôt sympathique. En tout cas, elle n'aurait été jusqu'à la qualifiée de racaille : c'eut été faire preuve d'une hypocrisie incroyable envers elle-même. D'une certaine manière, Page ressemblait un peu à Malicia... et quiconque traiterait sa demi-sœur de bâtarde ou de racaille se verrait immédiatement devenir l'objet d'une atroce vengeance (et sanglante, au moins !) de sa part. La question était réglée sur ce point. Mais... le petit ennui, c'était que notre demoiselle frivole aimait son club. L'idée d'être Vice-Présidente suffisait à faire briller les yeux de son père d'une fierté impossible à décevoir, sans compter que l'amitié d'Ange lui tenait beaucoup à cœur.

Il fallait bien se résoudre à tenter de concilier les deux – du moment que personne ne la voyait, qui pourrait dire quoi que ce soit ?
La cadette des Fowl avait donc eu l'idée de faire parvenir à Page une simple lettre lui expliquant qu'elle devait la voir en privé. Elle essaierait de la connaître un peu, elle lui offrirait un petit cadeau pour la remercier du sien, celui offert à Noël – elles échangeraient quelques mondanités... et puis... et puis.. peut-être qu'elle réussirait à réconcilier Page et Ange, qui savait ? Oui, oui, merveilleuse idée !

Sauf que le moment venu, Angélina avait commencé à ressentir... de l'anxiété. De la gêne. C'était vraiment un cercle infernal. Si elle trahissait l'une, elle trahissait l'autre.. et vice-versa. Et elle ne pourrait même pas demander à papa de réparer les dégâts.
Aussi, juste après après la fin des cours, avait-elle couru un moment au bord du lac pour sa gym quotidienne, en cadence accélérée multipliée par 10 ! Une bonne douche froide, qui avait fini de lui remettre les idées en place, un uniforme frais pour paraître plus présentable... par Merlin ! Déjà en retard ! Avec dignité, elle sortit de sa Salle Commune, avant de courir jusqu'au Parc. Elle se força à reprendre haleine en arrivant aux premiers buissons, remit un peu ses cheveux en place, vérifiant une dernière fois les plis du papier-cadeau qui recouvrait une boite de velours sombre griffée d'un grand bijoutier de Londres . Tout y était.
Malicia serait certainement fière d'elle des efforts qu'elle faisait. Un large sourire se fendit sur une rangée de dents très blanches, avant de se déliter un peu en découvrant la tenue de son interlocutrice. Bah.. après tout, elle avait bien le droit de faire du sport !

Elle tendit sa main droite, auquel brillait à l'annulaire un magnifique solitaire, auréolé de minuscules diamants qui scintillaient au soleil, comme autant de morceaux d'arc-en-ciel. Ses joues étaient rosées par sa course ; et une lueur amical brillait dans ses yeux.

Spoiler:

« Salut, Page. Excuse-moi, j'ai du retard.. enfin... je suis contente de te voir. En fait, je ne savais pas trop quand te donner ton cadeau... Celui que tu m'as fait au bal, je l'ai trouvé très joli. Alors... Joyeux Noël à toi ! »

Elle était aussi curieuse de savoir quelles vacances on pouvait bien passer chez des moldus. Tiens, il faudait lui demander, un peu plus tard. Un peu hésitante, elle tendit son paquet, d'un bordeaux très sombre, souligné par une ligne argentée.
Elle espéra soudainement ne pas avoir commis de bourdes. Non. Impossible. Une Fowl se conduisait toujours parfaitement, en toute circonstance. Et gare à ceux qui ne le pense pas ! Na !

Une silhouette ne tarda pas à s'approcher et Page reconnut sans peine l'allure filiforme de celle qui lui avait donné rendez-vous. Ne baissant pas immédiatement sa garde, la rouquine garda la main dans sa poche, les doigts repliés sur sa baguette, et scruta les alentours avant qu'Angélina n'arrive à sa hauteur. Bien, personne en vue. Elle pouvait se détendre un peu. Sans compter que la Poufsouffle affichait vraiment une mine sympathique. Non pas qu'elle fut antipathique d'habitude mais... Si en fait, parfois, elle était carrément antipathique. Genre dès que Toaster la blondasse était dans les parages. Là, direct, elle devenait aussi imbuvable que l'autre dinde. Mais le reste du temps, ça allait. Lors des cours qu'elles partageaient, allez savoir si c'était l'absence d'influence de blondasse première, mais miss Fowl pouvait se montrer sympathique et agréable. Quand bien même elle avait des positions un peu étranges et décalées. Comme cette autre fois, en cours de magie sans baguette... Mais sans qu'elle parvienne à se l'expliquer, la rouquine ne parvenait pas à catégoriser la Bronze et Or avec les autres pimbêches de Serpentardes. Elle avait l'air de valoir un peu mieux que ça.

Aussi l'irlandaise opta-t-elle pour un sourire sincère lorsque la jeune fille lui tendit la main et la salua. La quatrième année sortit enfin ses mains de ses poches et serra la main offerte. Ses doigts rencontrèrent la bague. La fameuse bague. Elle avait déjà oublié. Angélina était fiancée. Et ben. Un sacré truc quand même. Genre le truc qui n'arrivait qu'aux princesses. Ouais, Angélina était une princesse, et justement, Page se demandait bien ce que ce genre de fille pouvait bien vouloir à une vermine comme elle. Car après tout, aux yeux des gens du milieu des Fowl ou de l'autre débile de Crapaud baveux, Page et tant d'autres n'étaient rien que des bouseux...

- Salut Angélina ! Je euh... un cadeau ?

L'irlandaise haussa un sourcil, la mine circonspecte.

- Euh t'étais pas obligée tu sais... C'était pour le jeu et tout... Enfin. C'est gentil. Vraiment. Merci.

Page était un peu perdue. La meilleure copine de Toaster qui la remerciait et lui offrait un présent en retour ? Il allait pleuvoir des clabberts, c'était pas possible autrement. Un bref instant, la rouquine repensa à cette histoire de piège. De machination. En plus, personne ne lui offrait jamais rien. Enfin presque. Elle avait eu quelques présents qui lui avaient bien fait plaisir à Noël, mais la plupart du temps, c'était "débrouille toi ma fille"...
Mmmmmh. Sans faire plus attendre Angélina - cela risquait de friser l'impolitesse à force - la quatrième année prit le paquet, le tournant entre ses mains et le soupesant. Elle n'avait pas la moindre idée de ce qu'il pouvait y avoir à l'intérieur. Le papier était fichtrement beau, mais comment s'attendre à autre chose de la part d'une fille pleins aux as comme la jeune fiancée ?
Esquissant un sourire de remerciement, la lionne commença à faire sauter le scotch de l'emballage, sincèrement curieuse de deviner ce que la Poufsouffle avait bien pu trouver comme idée... Au diable la méfiance. Si elle mettait de la distance avec tout et tout le monde, elle ne pourrait pas vivre.
Sans trop de délicatesse, la rouquine finit d'arracher le papier qu'elle fourra dans sa poche et révéla une sorte de boite à bijoux. Rholala. Un bijou. Pour McHenry. C'était le monde à l'envers. Ne sachant pas trop où se mettre, Page offrit un sourire gêné à son interlocutrice et ouvrit enfin l'écrin bordeaux. Saisissant la chaînette entre deux doigts, elle la souleva, levant le bijou jusqu'à la hauteur de son visage, faisant tourner le pendentif sous les rayons du soleil. Il brillait. De mille feux. La vache.

Au bout d'une fine chaînette qui devait être en argent, un discret pendentif en forme de lune, taillé dans une pierre verte. Ca avait l'air super précieux. Bon, c'était vert, ok, mais c'était quand même super beau. Page était mal à l'aise.

- Waw. C'est... T'aurais pas dû. Ca doit coûter un bras. Tu me dois rien tu sais.

A coup sûr, la pierre valait au moins un mois de salaire de son père. Voire de son père ET de sa mère. L'irlandaise n'avait pas la moindre idée de la nature exacte de la pierre, mais rien qu'à la manière dont c'était fait, et même sans être experte, ça sentait le truc supra précieux à plein nez. Et puis Page réalisa que ses derniers mots étaient tout de même sacrément impolis.

- Bloody Hell, Angélina, je... merci. J'peux pas dire autre chose. J'suis désolée, j'suis euh... surprise.

Pour essayer de se racheter, la rouquine eut une idée. Elle retira son écharpe, offrant sa peau pâle et constellée de tâches de rousseur à la fraicheur de l'air, releva ses cheveux et passa la chaînette autour de son cou. Elle pensa un peu tard que ce faisant, elle venait tout simplement d'exhiber quelques cicatrices au regard de la Poufsouffle. Merde. Elle repassa rapidement sa main dans ses cheveux pour leur redonner l'aspect "bataille qu'elle affectionnait tant et qui avait le mérite de masquer ces traces qu'elle préfèrerait oublier. Essayant de dissiper son trouble, elle offrit un sourire un peu forcé à son aînée.

- Mon cadeau faisait un peu nul à côté de ça... Enfin... On va dire que la signification compense un peu. Tu crois aux porte-bonheur ?

[HJ : Pardon pour la piètre qualité....]

La jeune fille se dandina sur place, mal à l'aise.
En ce début de mois de février, l'air était vraiment vif et la petite brise qui venait s'infiltrer dans les plis de sa cape fourrée d'hiver la faisait frissonner. …. mais pas autant que ne le faisait déjà une étrange lourdeur à la tête, qui semblait s'intensifier de minute en minute. Elle se sentait courbaturée, ces derniers temps – sans doute avait-elle un peu trop abusé du sport pendant son congé exceptionnel. Mais elle aimait tant la danse qu'elle n'avait pas pu se restreindre, comme pour le reste, d'ailleurs : pourquoi se donner des limitations quand on pouvait voir son caprice satisfait dans les vingt-quatre heures suivantes ?

Toujours était-il que pour le moment, elle devait se concentrer sur son interlocutrice, qui paraissait quelque peu déçue en voyant son cadeau de Noël. A vrai dire, elle avait eu du mal à s'empêcher de sautiller en la voyant enfin déballer son cadeau, même si Angélina avait toujours un peu peur de rater son coup et d'offrir quelque chose qui ne plaisait pas du tout. Et comme elle ne connaissait pas les goûts de cette Mac Henry – pardon, Page – l'affaire avait été assez délicate. Heureusement, la bijoutière s'était montrée très chaleureuse, patiente et accommodante avec elle, aussi avait-elle espérer à la base avoir enfin choisi un objet... qui pouvait convenir. Son interlocutrice ne prenait pas soin d'elle-même : c'était peut-être l'occasion pour commencer. Et comme le lui dire n'était pas très délicat et pouvait être mal prit... quoi de mieux qu'un collier pour inciter discrètement à l'élégance ?
Bon, heureusement, son interlocutrice semblait certes mal à l'aise et maladroite, mais en fait, elle avait l'air d'apprécier. Ouf.
Un grand sourire illumina le visage de la Poufsouffle, qui sembla plutôt soulagée. Voilà qui était fait, et bien, en plus.

- "Non, je ne te devais rien, mais tu m'as offert un cadeau, au bal. Et le vert va très bien avec tes cheveux roux, j'ai pensé. C'est... tout."

Une exclamation de la gryffondor lui tira un petit « oh ! » choqué. Aie. La bronze et noire soupira, grimaça au juron, pour réafficher son sourire colgate des grands jours. Bon sang, personne n'avait donc d'éducation dans cette école ?! C'était insensé, tout de même ! Tous les pensionnaires de Poudlard n'avait donc pas eu de parents ? Ou alors, ils étaient en pleine révolte adolescente. Oui, cela devait être cela... espérons que cela ne soit pas contagieux !
Pour se changer les idées, la sang-pur observa son interlocutrice mettre la chainette autour de son cou, et allait lui demander si elle avait besoin lorsqu'un détail l'arrêta. Quelque chose dans Page la tracassait ; un détail incongru, une impression étrange qui lui fit plisser le front dans une moue un peu pensive, tandis qu'un mal de crâne s'amplifiait doucement dans sa petite cervelle frivole.

Bon sang. Elle y était. Des cicatrices. Roh, oui, c'était pas joli-joli ! A savoir comment elle s'était fait ça... peut-être qu'Ange avait raison après tout... PAGE FAISAIT PARTIE D'UN GANG ! Des scarifications de bande des rues.... comme dans les livres... Et après, elle osait revenir à l'école comme si de rien n'était ? Peut-être aussi qu'elle distribuait de la drogue. Ou du filtre d'amour, pour le revendre aux tourtereaux naïfs de l'école. Quoique là... elle allait peut-être un peu loin. C'était absolument impossible qu'elle ne soit pas déjà en prison, si elle était vraiment ce dont l'imagination enfiévrée de la demoiselle la désignait. Enfin, pour le gang, c'était possible, non ? Elle disait des gros mots après tout... Ce qu'il fallait faire maintenant, c'était agir comme de rien n'était. Une tueuse de rue pouvait vous tuer en deux minutes, même quand elle a quatorze ans... il fallait donc y aller en douceur, et surtout, surtout ! Na pas la contredire. Comme avec les fous.

- "Tu sais, je m'attendais pas à ce que tu m'offre un cadeau, mais rassures-toi, je l'ai adoré. Mais oui, je crois que certains objets portent chance... Bien sur. Sinon, la vie serait bien trop hasardeuse, je trouve ! Enfin... explique-moi, je t'en prie ! Je suis très curieuse de tout savoir."

Est-ce qu'elle n'était pas allée un peu trop loin en prenant Page pour une membre d'une secte ? Elle n'avait pas l'air complètement folle. Surtout quand elle parlait. En fait, on pouvait la prendre pour une fille tout à fait normale... ou peut-être que c'était là où résidait vraiment le danger.
Mais de toute façon, l'adolescente de cinquième année n'avait pas pris le risque qu'on la voit en compagnie de cette fille pour rien. Avant de connaître il faut parler, disait souvent son père. Alors...

- "Malicia aussi m'avait donné un porte-bonheur pour ma rentrée à Poudlard. Tu l'as connu, dis-moi ? C'est une fille bien. Elle a même l'air très gentille... bien qu'u peu angoissée par sa dernière année."

Peut-être que ce sujet pourrait constituer une bonne transition entre Noël et le sujet qu'elle désirait aborder... à savoir un sujet difficile.

Tandis qu'Angélina reprenait la parole, Page avait saisi la petite lune entre ses doigts et la regardait, encore étonnée d'avoir été gratifiée d'un tel cadeau. Elle releva le nez lorsque la Poufsouffle la pria de lui expliquer ce qu'elle avait sous-entendu sur les porte-bonheur. La préfète offrit un sourire, cette fois sincère, à son interlocutrice. La Bronze et Or avait vraiment l'air intéressée par ce qu'elle racontait, offrait un visage sympathique et surtout l'entraînait sur un terrain familier. Parler sa patrie mettait toujours du baume au coeur de la lionne.

- Ben c'est que, chez nous, les irlandais, on est... plutôt superstitieux. On croit à la chance, aux porte-bonheur et autres. Et chez nous, un trèfle à quatre feuilles qu'on a trouvé soi-même, c'est... important. Alors...

Elle poussa un léger soupir.

- Même si ça ne vaut pas super cher, je me suis dit que ce serait un beau cadeau, vu que c'est moi qui l'ait trouvé. Un truc un peu perso, tu vois.

La jolie poupée avait rebondi sur le sujet. Malicia aussi lui en avait offert un. Page sourit. Avec deux porte-bonheur, Angélina ne pouvait qu'être vernie pour les années à venir. Sans doute ces fiançailles étaient-elles justement le résultat de la chance attirée... Enfin, si on pouvait considérer que se marier si jeune était un truc trop cool. La quatrième année, elle, n'aurait pas aimé être à la place de la Bronze et Or. Mais comme ça semblait plutôt plaire à la jeune fille, alors il fallait bien mettre cela sur le compte du destin favorable, non ?
Pour autant, la fin de l'intervention de la Poufsouffle refroidit légèrement la lionne.

- Je l'ai très peu connue, Malicia... C'est ta soeur, c'est ça ? Ou ta cousine ?

La rouquine n'avait pas la moindre idée des liens qui pouvaient unir les deux jeunes filles. Elles avaient le même nom, voilà tout. Mais la Poufsouffle semblait assez mal connaître son aînée, c'était assez étrange...

- Une fille bien, sans doute. Elle est vachement plus âgée que moi, alors tu sais, à part au quidditch, je l'ai pas trop croisée. Une bonne batteuse, ça, c'est clair.

Puis vint le moment de réagir à la toute fin de ce qu'avait dit Angélina.

- Mais je comprends qu'elle ait pas gardé de supers souvenirs de l'an dernier. Enfin j'veux dire... C'était dur l'an dernier. On a tous vu ou vécu des trucs moches. De près ou de loin. Des fois de trop près. Enfin fais pas attention. T'étais pas là, et c'est très bien comme ça...

L'irlandaise fourra à nouveau ses mains dans ses poches, faisant nerveusement passer son poids d'une jambe sur l'autre et sa main gauche cherchant le contact de sa baguette de noisetier, comme pour se rassurer au contact du bois face aux vilains souvenirs qui menaçaient de revenir. C'était tout à fait idiot de ramener tout ça sur le tapis. Angélina était une précieuse petite poupée fraîchement débarquée de France, elle n'avait pas la moindre idée de tout ce qui s'était passé entre les vénérables murs du château. Et Page n'avait pas franchement envie de ressasser tout ça. Certes, la demoiselle se comporterait sans doute différemment si elle savait mais... quelque part, c'était mieux pour elle de rester ignorante de certaines choses. Après tout, c'était une richarde, qui allait se marier, et vivait dans un monde de princesses. Alors à quoi bon parler de tout ça ? Elle n'y croirait pas de toutes façons. Elle ne pourrait même pas concevoir le quart de ce que la rouquine pourrait lui raconter.

Page se rendit compte qu'elle regardait la Bronze et Or de manière étrange, à nouveau presque impolie. Elle rougit légèrement, passa rapidement une main dans sa tignasse de feu et remit son écharpe pour reprendre contenance.

- Excuse-moi. Je... J'aime pas trop me rappeler l'an dernier.

Sans compter que c'était l'autre peste de Toaster, autrement dit la meilleure amie de celle qui se trouvait en face d'elle, qui s'amusait à remettre régulièrement de l'huile sur le feu...

Ainsi donc, Page McHenry venait d'Irlande. Une contrée étrange, superstitieuse, remplie de farfadets, de fées, de monstres de légende qu'elle n'avait écouter que d'une oreille distraite, le soir, lorsqu'elle était petite et que sa mère venait lui conter des récits merveilleux pour l'endormir dans son lit. Maman aurait-elle été irlandaise ? Peut-être. Angélina ne s'était jamais interrogée sur les origines - ou plutôt, n'en avait jamais pris le temps. Il y avait toujours d'autres choses plus importantes que d'aller fouiner dans la chambre de la défunte et ainsi, de raviver des souvenirs douloureux qu'elle ne désirait finalement remettre à jour. Peut-être étais-ce un point commun que l'adolescente avait avec tous les habitants du château présents l'année dernière.... seulement, il était clair que pour sa part, plutôt mourir que d'aborder le sujet et se mettre à pleurer devant tout le monde ! Elle s'était suffisamment humilié devant Prudence, déjà. Mais c'était un peu différent dans sa Salle Commune. Elle était entourée d'une famille étrangement soudée, dont les membres étaient liés par un lien étrange, dont la petite poupée aurait été bien incapable de définir la nature. En bref, elle n'y avait pas les mêmes barrières qu'ailleurs, ce qui était peut-être une faille. Qu'importait ! On n'allait tout de même pas se poser des questions sur chaque comportement qu'on avait ...!

Toujours était-il qu'elle se sentait plutôt bien disposée envers son interlocutrice, du coup. Bien qu'il lui sembla tout à coup se rappeler que les irlandais étaient les rois des résistants, un peuple de berger, buté et rude ; et du coup, complètement inapte à la vie en société. Peut-être pour ça que Page n'arrivait pas à s'intégrer chez les petites reines de l'école. Elle avait du potentiel mais ne savait pas comment l'exploiter... Et bien tant mieux ! Ne pouvait pas rentrer dans l'élite qui le voulait.
Et pour preuve que Page ne pouvait pas faire partie des puissants, elle en était à compter son argent pour la moindre petite babiole. Quant à elle-même... c'était une autre histoire. Elle n'avait que rarement vu la couleur de l'argent. Aussi pouffa t-elle gentiment à la remarque de la gryffondor, en esquissant un sourire détendu.

- "Tu sais, on ne doit pas juger un cadeau vis à vis de son prix. C'est sentimental et symbolique. A vrai dire, Père ne veut pas que je manipule l'argent. Il dit que ce n'est pas pour une dame. Alors j'achète des choses et c'est le magasin qui lui envoie la note. Ou alors j'ai une domestique avec moi qui règle tout, quand il est en voyage d'affaire. Et puis les trucs persos, c'est original. Bref, ne t'embête pas pour ça ! Je n'ai pas envie que tu penses qu'il ne m'a pas plu. Je le garde toujours sur moi."

La jeune fille extirpa de sa poche le trèfle figé dans la résine brune et l'exhiba devant sa compagne, avant de le refaire disparaitre dans les plis de son uniforme.
Elle se sentait un peu empruntée de bavarder autant avec la Rouge et Or, même s'il fallait avouer qu'elle était loin d'avoir fini. Elle ne devait pas oublier qu'elle avait un but à atteindre. Mais... pour l'instant, la conversation continuait – la petite princesse se trouva un peu prise de cours. Et même face à un certain dilemme moral, pour tout avouer. Que dire ? Renier Malicia, la rabaisser au rang de cousine inconnue, pour mieux garder le vieux secret de famille, ou assumer le fait qu'elle soit sa demi-sœur et sous-entendre qu'elle ne l'avait jamais connu pour raison familiale... ce qui éventerait inévitablement le secret de son père, en plus de faire de cette histoire sordide une arme dont son interlocutrice pourrait se servir plus tard …?

Mais Malicia s'était montrée bien plus agréable que son frère avait pu la dépeindre. Que son père aussi avait dit (même si lui s'était abstenu de trop de commentaires, et pour cause...) qu'elle était trop étrange pour sa fille adorée. Et l'adolescente avait passé un si agréable en sa compagnie ! Non, elle n'avait pas le droit de cacher cette relation. Et que celui ou celle qui puisse salir sa famille ait le courage de se frotter à sa colère !
Angélina redressa le menton, prenant une moue plus froide, roide, drapée dans une attitude de défi.

- "Malicia est ma demi-sœur. Mais c'est pareil, c'est ma grande sœur."

Elle fixa l'irlandaise dans les yeux comme pour lui faire comprendre qu'à la moindre remarque, elle deviendrait aussitôt une ennemie des plus implacables ; puis reprit son attitude habituelle, plus détendue... bien que légèrement ennuyée.
Cette … petite gamine la traitait comme tout le monde ! Un éclair de colère passa dans ses yeux bleus. Elle avait tant espéré que les adultes l'intégreraient dans leurs petits secrets après le Serment Inviolable qu'elle avait prononcé avant les fiançailles (un peu à la légère mais ce qui était fait était fait.) mais pas du tout. Malicia, tout comme son frère ainé, et maintenant son futur, s'obstinait à l'écarter de tout, mais … mais bon sang, si elle posait des questions, c'était bien pour qu'on y réponde, mince quoi !
Ce n'était plus une question de délicatesse, mais bien d'honneur dont il s'agissait là. Et en plus, l'autre s'excusait, comme si elle avait souffert, et tout. Il était juste impossible que des enfant aient pu pâtir de quoi que ce soit. Ulrich lui aurait dit, si on faisait vraiment du mal aux élèves. Ce n'était que des rumeurs, surtout qu'il devait être difficile pour des jeunes de leurs âges de mener une rébellion contre l'autorité.

La cadette des Fowl souffla, avec la mine déçue d'une enfant trop gâtée et qui ne voit pas son caprice satisfait.

- "Allez... dis-moi ce qui s'est passé. La vérité. Père ne voulait pas m'envoyer à Poudlard, parce que ce n'était pas la place d'une fille. Et Ulrich – mon frère – n'a rien voulu me dire. A chaque fois que je pose la question, on refuse de me répondre ! Je crois que mon grand frère et Aleksei ont des combines pour dissuader les autres de me révéler la vérité. J'en ai marre que personne ne me dise rien. Même dans la famille, on ne me dit rien parce que je suis trop fragile... et il paraît que c'est trop compliqué pour moi. Mais zut, à la fin. Pfff... C'est l'année dernière que t'as commencé à faire partie d'un gang ?... Raconte, raconte, raconte !"

Un regard plein d'espoir à son interlocutrice. Elle avait tellement envie d'en savoir plus !
Ah, une idée. Peut-être que si elle proposait un échange de confidence...

- "Après, si tu veux, je te dirait tout ce que tu veux sur moi. Et euh... surtout... ce que Ange pense de toi en réalité. Je suis sûre que cela va t'étonner."

Un petit plan commençait doucement à prendre forme dans son esprit...

Page n'avait accordé qu'une oreille distraite à la petite tirade sur l'argent d'Angélina. Une petite princesse. On en revenait là. Avec les mêmes manies, les mêmes manières, et la même inconscience de la valeur des choses. Mais Page s'en fichait. Elle ne voulait pas ressembler à ces midinettes, alors qu'elles agissent comme elles le voulaient, cela ne bouleverserait pas sa vie.

Pour autant, la Poufsouffle semblait cultiver une fois de plus une différence avec ses congénères des hautes sphères : à la surprise de la rouquine, Angélina lui révéla conserver toujours sur elle le cadeau qu'elle lui avait fait, et lui en apporta la preuve en lui montrant le petit bloc de résine. Ca, par contre, c'était pour le moins surprenant.

Tout comme son attitude lorsque le sujet revint sur Malicia. Elle avait visiblement touché un sujet sensible, et complexe, mais d'abord, ce n'était pas elle qui avait mis cette histoire sur le tapis. La petite princesse elle-même avait parlé de sa soeur, d'abord. Et puis ce n'était pas ses oignons, à Page. Il semblait y avoir une espèce de malaise familial chez les Fowl au vu de l'attitude froide qu'Angélina avait soudainement prise, comme si elle avait voulu défier la rouquine de dire quoi que ce soit de sa soeur. La quatrième année n'en avait absolument pas envie. C'était cool si la Bronze et Or était fière de sa famille et point. On en resterait là.

Quoique. Peut-être aurait-il mieux valu s'enliser dans les problèmes familiaux des Fowl plutôt que de renchérir sur les évènements des années précédentes. Sûr qu'Angélina n'aurait pas apprécié, mais au moins, la situation aurait été inversée : là, c'était Page qui se sentait de plus en plus mal à l'aise. Plus la demoiselle parlait, et plus elle exaspérait la lionne. Elle se comportait comme si... comme s'il ne s'était rien passé. Elle avait juste envie de satisfaire sa petite curiosité de fille gâtée. Oh oui, plus elle parlait et plus Page sentait ses poings se crisper. Elle n'avait pas la moindre idée. Comment pouvait-elle parler de sujets aussi sensibles de manière aussi frivole ? Elle ne se rendait pas compte.

La rouquine faillit s'étrangler lorsque la Poufsouffle lui parla de gang, et puis... Elle éclata de rire lorsque la demoiselle lui proposa un échange. Mais pas un rire léger, amusé. Non, c'était le cynisme qui montrait le bout de son nez.

- Si tu savais comme je me contrefiche de savoir ce que Toaster pense de moi...

Elle se retint de poursuivre en lui crachant que de toutes façons, après tout ça, elle n'avait pas forcément envie d'en savoir plus sur elle non plus, mais elle se retint, gardant un peu de considération pour son interlocutrice. Quelque part, ce n'était pas entièrement sa faute si elle était comme cela, si elle agissait comme cela. Son regard se fit plus dur.

- Tu veux vraiment savoir ce qui s'est passé l'an dernier ? Tu vas pas être déçue du voyage,lâcha-t-elle d'une voix sèche. J'suis sûre que tu me croiras pas de toutes façons.

Elle se rapprocha doucement de la Poufsouffle, plongeant ses prunelles dans les siennes. Elle en devenait presque qu'inquiétante. Mais quoi, c'était elle qui l'avait cherché. Page avait tout fait pour éviter le sujet.

- Tu veux que je commence par quoi ? Par la discrimination en fonction de ton rang sanguin ? Par les TP effectués sur les élèves nés-moldus ? Par les cachots où des élèves ont été jetés pendant des semaines ? Par les retenues interminables et régulières des Carrow ? Par la saloperie de Brigade Pourpre ? Tu veux que je t'explique d'où viennent certaines de ces cicatrices ? cracha-t-elle en tirant son écharpe pour révéler à nouveau sa peau. Ou alors tu veux que je te dise comment cette connasse de Craft a réussi à m'envoyer en taule, maintenant que tout le château est au courant ? Dis-moi. Y a que l'embarras du choix. C'est même pas une liste complète. Mais ça va être long. Et ça va pas te plaire.

Elle n'avait pas crié. Elle était juste restée proche, très proche d'Angélina, agrippant d'une main sa cape pour la forcer à garder cette proximité, et lui glissant les mots à l'oreille, d'une voix vibrante de colère contenue.

Ses yeux étaient deux billes bleues ciel. Ecarquillés à leur maximum. Le coeur de la délicate Poufsouffle battait à tout rompre. Son sang déferla sur son visage, qui prit aussitôt une teinte écarlate. Une grosse larme roula le long d'une joue aussi brûlante qu'un petit réchaud, avant de se perdre dans le col amidonné de son uniforme.

Puis elle se ressaisit. Page la tenait par son uniforme, et elle paraissait prise d'une folie que rien ne semblait pouvoir arrêter. Oui. Oui. C'était vraiment horrible, affolant, tout ce qui s'était passé. Pourquoi Malicia, pourquoi Ulrich n'avait-il rien dit de sa probable détresse, à l'époque …? Pourtant, même le pire des discours ne pouvait excuser l'attitude de sa caramarade – jamais personne ne l'avait bousculée ainsi.
Angélina poussa violemment la quatrième année, avant de dégainer sa baguette, le souffle court, son petit nez ruisselant de larmes attendries. Et puis, brusquement, une phrase la frappa. La dernière. Les Craft. Ulrich avait dû savoir... il n'avait rien dit pour protéger sa soeur d'un mariage avec une famille qui mettait une simple élève en prison. En prison.

La demoiselle rabaissa sa baguette, et un silence gêné s'établit quelques secondes, avant qu'elle ne prenne la parole, d'une voix de petite fille qui correspondait assez bien à ses émotions du moment.

- "Tu … tu es allée... en prison... à cause des Craft ? A cause de Keith ?"

Elle commençait à s'en vouloir un peu. Peut-être qu'elle avait poussé le bouchon trop loin... mais il fallait pourtant qu'elle sache. La guerre n'avait rien changé à son mode de vie – toujours les mêmes gardes du corps en ville, toujours cette ouate dont on l'avait enveloppé depuis qu'elle était née : à vrai dire, comment aurait-elle pu penser que des choses semblables s'étaient produites ? Peut-être même Page avait été unes de ces victimes de TP... ou alors, elle se faisait rouler dans la farine. Mais personne ne pouvait réagir comme ça, à moins d'être sincèrement … fou. Ou apeuré.

- "Tu … je... Je suis désolée, Page. Je ne voulais pas te faire du mal. En fait, ce que je voulais, c'était savoir si tu étais une racaille comme disait Ange. Je crois... je... j'ai mal agi. J'en avais marre qu'on me mette à l'écart de tout."

Elle commençait à perdre sa brusque rougeur, et lissait sa chemise à travers, d'un geste machinal. Peut-être qu'elle comprenait mieux les larmes de cet autre garçon (même si lui, il n'avait pas l'excuse d'être une fille pour pleurer, et que du coup, c'était quand même minable.) au Bal de Noël. L'adolescente se sentait sincèrement obligée de faire quand même une remarque. Pas question qu'on la prenne pour quelqu'un qui n'avait pas d'honneur.

- "Cependant, la prochaine fois que tu as un accès de folie, je te conseille de ne pas te montrer violente à nouveau. Je n'ai pas envie de te voir par terre mais je n'hésiterai pas. Bon... quoiqu'il en soit... on devrait peut-être laisser tomber le sujet. Je suis contente de ne pas me marier avec les Craft. J'y étais destinée à ma naissance, mais... j'ai … enfin, c'est sans importance."

Elle lui tendit une main timide.

- "On oublie ça ? Je... je serai là si tu as envie de te confier. Peut-être que ça pourrait nous apprendre plein de choses de se connaître. Enfin... je... je m'étais dit à la base que ça serait plus facile si toi et Ange étiez amies. Enfin, plus ennemies. Ce serait peut-être mieux pour tout le monde."

Est-ce qu'elle se déshonorait ? Un peu. Elle avait même une attitude de lavette.
Fallait rattraper le coup.

- "Enfin, moi, je m'en fiche. C'est pour vous deux. Et les autres élèves."

L'ombre d'un remord passa dans le regard de la rouquine lorsqu'elle aperçut une larme couler sur la joue de la Poufsouffle. Tant pis. Elle avait voulu savoir. Elle payait le prix de son caprice.
Page, elle, avait trop pleuré. Elle n'y arrivait plus.

L'irlandaise fut surprise par la violence de la réaction de la Bronze et Or. Elle ne s'était pas attendue à ce que la midinette la repousse avec tant de force. Page partit en arrière, trébucha et manqua de tomber avant de retrouver son équilibre, fixant Angélina d'un air plus dur encore, et la pointant également de sa baguette.
Elle l'avait prévenue pourtant. Elle n'allait pas aimer. Bloody Hell, elle n'avait pas menti, pas à un seul instant. Et maintenant, mademoiselle était choquée ? Une lueur rouge crépita au bout de la baguette de la lionne. La tension était montée d'un cran encore et l'air était électrique entre les deux filles. Qu'elle essaye seulement. Qu'elle bouge ne serait-ce que son petit doigt manucuré. Les épreuves avaient au moins eu cela de bon. Elle savait se battre et n'en avait aucune peur. Si Angélina la cherchait, elle finirait en bouillie.

Contre toute attente, la cadette des Fowl baissa sa baguette. Et Page en fut sincèrement soulagée. Elle n'avait pas envie de se battre contre la demoiselle. Et surtout pas pour ça. La tige de noisetier revint elle aussi à une position neutre, tandis qu'Angélina, incrédule, cherchait à comprendre.

D'une voix rauque, l'irlandaise lui répondit :
- En maison de redressement pour jeunes sorciers délinquants. Grâce à Pénombre. Cette garce.

Non, Keith n'y était pour rien. C'était à peine si la rouquine connaissait le lunatique garçon. De toutes façons, l'ancienne préfète en chef n'avait pas besoin d'aide pour être détestable et semer le mal autour d'elle. Page eut un rictus. Un jour, elle payerait pour tout ce qu'elle avait fait. Pour les interminables mois que Page avait passés loin de tout.
Le sang lui battait encore aux tempes de la colère montée si vite. Angélina était si égoïste. Elle avait voulu savoir, et à présent, elle refusait d'écouter. C'était injuste. Pourtant elle s'excusait. Page était perdue. Quelle conduite tenir avec elle ? Etait-elle sincère ou la menait-elle en bateau, juste pour la faire tourner en bourrique, à la demande de Toaster ? Bordel. Elle était à Poufsouffle, pas à Serpentard. Et puis impossible de feindre les larmes de tout à l'heure.
Des deux mains, Page se frictionna le visage pour essayer de remettre ses idées en place, tout en écoutant la cinquième année poursuivre. La jeune fille y allait allègrement, piétinant toute forme de diplomatie. Ne se mettait-elle donc pas à la place de la rouquine, un minimum ? Visiblement non, c'était impossible pour la demoiselle. Et voilà qu'elle voulait tirer un trait, comme si rien ne s'était passé. Mais on ne pouvait PAS effacer ! Ni leur altercation, ni l'an dernier, ni... rien. Tout restait. Seuls partaient les êtres chers. Un voile de tristesse passa à nouveau dans le regard de la lionne. La colère était retombée à présent. Elle ne se fâchait même plus sur les énormités qu'avait sorties son interlocutrice.

- Bloody hell. Tu comprends pas. On fait pas partie du même monde. Je pourrai JAMAIS m'entendre avec Ange. Au mieux, on a pu signer une trêve temporaire, pour mieux recommencer après. Ca changera jamais. Je la supporte pas. Elle me le rend bien. Et désolée si ça te peine. Je changerai pas pour toi. Et les autres s'en tapent. Ca les fait marrer même. Je suis une racaille. Une putain de sale gosse qui se battait dans la rue à huit ans, qui a son groupe de filles à Poudlard, qui se bat dans les couloirs quand personne ne la voit, et qui a déjà fichu les pieds dans plein d'endroits interdits. J'en ai payé le prix. Mais je changerai ma vie pour rien au monde. J'me bats pour c'que je crois. Et c'est certainement pas toi qui va me faire peur.

Elle releva un regard vibrant de défi vers la Bronze et Or.

- J'ai pas été violente avec toi. J'suis désolée si je t'ai fait peur. J'suis un peu plus... brusque que les filles dans ton genre. Réflexe de survie. J'me confierai pas. Pas besoin. Vu ta réaction alors que j'ai juste annoncé le menu, j'imagine même pas si je te racontais la suite. Laisse tomber. C'est gentil. Mais ça marchera pas. Et j'ai pas envie de ressasser. J'essaye d'oublier tu vois. Ou en tous cas de faire avec. Ce serait top de respecter ça.

Jamais autant de sentiments divers ne s'étaient encore manifestés en même temps dans le petit coeur protégé de la Poufsouffle, dont le sentiment prédominant fut d'abord l'indignation, suivi de près par une compassion poignante envers les malheurs et sûrement le dénuement qu'elle n'aurait jamais pu imaginer chez sa camarade. Néanmoins, il était difficile de dépasser le ton hargneux et l'agressivité manifeste de la même adolescente, qui paraissait tellement sur la défensive qu'il semblait un peu vain d'essayer de la faire changer d'avis sur Ange. Elles devaient avoir un sacré contentieux pour se détester autant. Et visiblement, il était probable que Page la déteste aussi.

Angélina Fowl s'était rarement sentie aussi mal à l'aise en face d'une fille avec qui elle n'avait rien à voir – son interlocutrice n'avait ni les manières ni la douceur auxquelles elle était habituée de la part de toutes ses connaissances – mais il existait un problème. Elle se sentait impliqué dans ce conflit qu'elle avait provoqué par sa maladresse. Elle aurait tellement voulu pouvoir réparer ; mais cela avait l'air... impossible.
Finalement, ne se ressemblaient-elles pas un peu ? Elle aussi était incapable de se confier. Ses airs de poupée parfaite cachait la blessure terrible d'une enfant trop gâtée qui avait perdu la plupart de ses repères à la mort de sa mère, et qui ne s'en était jamais remise.
Sans doute la seule chose à faire était-il de laisser une porte de sortie à la gryffondor, afin qu'elles puissent un jour avoir des relations harmonieuses et amicales. Malgré et sans doute à cause de son franc-parler, celle-ci l'attirait fortement. Ça devait être délicieusement angoissant de pouvoir se battre dans les couloirs, et qui allait dans des endroits interdits malgré son statut de préfète...

Ce qu'elle pouvait être bête et sentimentale, parfois !

Un bref sourire, un peu douloureux, très compréhensif, vint illuminer ses traits doux. La jeune fille rassembla ses mains derrière son dos, et recula de quelques pas, pour venir s'adosser contre la haie de feuillage qui ornait le parc.

Le long silence qui s'était établi devait être brisé. Sinon, Angélina savait d'instinct que l'ambiguïté de la situation se renverserait inévitablement en sa défaveur. Il était dommage qu'Ange soit si jeune, et que Page soit si « nature ». Qu'est-ce qu'elle aurait donné pour que son interlocutrice lui raconte toutes ses aventures... car ce devait être inévitable. Lorsque l'on a une vie intéressante, on a toujours des histoires passionnantes à raconter ! Logique.

- "Je comprend ce que tu ressens, Page. Sûrement plus que tu ne le crois... enfin... parfois, on a besoin de quelqu'un. Je ne parle pas forcément de moi, mais... de tes amis les plus proches. Ou de quelqu'un... en qui tu as confiance. Il faut savoir saisir les mains tendues, ou parfois, elles se referment. Quand on ne parle pas et que ça reste à l'intérieur, on souffre. On a vraiment mal, et... et... je sais comme cela peut être affreux. Je sais que tu n'es pas une racaille, parce qu'on ne devrait pas enfermer les jeunes filles de troisième année dans des maisons de redressements. Et aussi parce qu'en cours tu as l'air plutôt normale. Ange est encore une petite fille. C'est peut-être finalement ce qui nous différencie."

Un vrai sourire se dessina sur ses lèvres roses.

- "Si tu as besoin d'aide pour le devoir de Magie Sans Baguette... on pourra s'entraider, à tout le moins. Et garde bien mon cadeau, c'est donné de bon cœur. Joyeux Noël, Page-qui-se-battait-à-huit-ans. J'espère que tes parents ne savaient rien."

Un bref hochement de tête, avant qu'elle ne fasse quelques pas pour commencer à s'éloigner. Franchement, il n'y avait pas grand-chose à dire de plus.